Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME I. - LES CONTROVERSES

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

Index OCR

 

Index OCR. 2

À Messieurs de Thonon. 6

Avant-Propos. 9

Notes préparatoires. 14

Première partie. Défense de l'autorité de l'église. 16

Chapitre premier. 16

Article premier. Les Ministres n'ont Mission ni du Peuple, ni des Princes séculiers. 16

Article II. Les Ministres n'ont pas reçu Mission des Evêques Catholiques. 19

Article III. Les Ministres n'ont pas la Mission extraordinaire. 20

Article IV. Réponse aux arguments des Ministres. 22

Chapitre II. Erreurs des Ministres sur la Nature de l'Eglise. 25

Article premier. Que l'Eglise Chrestienne est visible. 25

Article II. Qu'en l'Eglise il y a des bons et des mauvais, des prædestinés et des reprouvés. 29

Article III. L'Eglise ne peut perir. 33

Article IV. Les contreraysons des adversaires et leurs responces. 35

Article V. Que l'Eglise n'a jamais esté dissipëe ni cachëe. 36

Article VI. L'Eglise ne peut errer. 38

Article VII. Les Ministres ont violé l'Authorité de l'Eglise. 40

Chapitre III. Les Marques de l'Eglise. 43

Article premier. De l'Unité de l'Eglise : Marque première. La vraie Eglise doit être une en chef. 43

Article II. L'Eglise Catholique est unie en un chef visible, celle des Protestans ne l'est point, et ce qui s'ensuit  46

Article III. De l'Unité de l'Eglise en la foy et creance. La vraye Eglise doit estre unie en sa doctrine. 46

Article IV. L'Eglise Catholique est unie en creance, la pretendue reformee ne l'est point. 46

Article V. De la Sainteté de l'Eglise : Marque seconde. 48

Article VI. La vraye Eglise doit reluire en miracles. 49

Article VII. L'Eglise Catholique est accompagnee de miraracles et la pretendue ne l'est point. 50

Article VIII. L'esprit de prophetie doit estre en la vraye Eglise. 53

Article IX. L'Eglise Catholique a l'esprit de prophetie, la pretendue ne l'a point. 53

Article X. La vraye Eglise doit prattiquer la perfection de la vie Chrestienne. 54

Article XI. La perfection de la vie evangelique est prattiquee en nostre Eglise, en la pretendue elle y est mesprisee et abolie. 57

Article XII. De l'Universalité ou Catholicisme de l'Eglise : Marque troisiesme. 58

Article XIII. La vraye Eglise doit estre ancienne. 59

Article XIV. L'Eglise Catholique est tres ancienne ; la pretendue, toute nouvelle. 59

Article XV. La vraye Eglise doit estre perpetuelle. 60

Article XVI. Nostre Eglise est perpetuelle ; la pretendue ne l'est pas. 62

Article XVII. La vraye Eglise doit estre universelle en lieux et en personnes. 63

Article XVIII. L'Eglise Catholique est universelle en lieux et en personnes ; la pretendue ne l'est point  64

Article XIX. La vraye Eglise doit estre feconde. 65

Article XX. L'Eglise Catholique est feconde ; la pretendue, sterile. 66

Article XXI. Du titre d'Apostolique : Marque quatriesme. 66

Seconde partie. Les Règles de la foi 67

Avant-Propos. 67

Chapitre premier. Que les reformateurs prætendus ont violé la Sainte Escriture première Règle de nostre foi 71

Article premier. La Sainte Escriture est une vraÿe Regle de la foi Chrestienne. 71

Article II. Combien on doit estre jaloux de son integrité. 72

Article III. Quelz sont les Livres sacrés de la Parole de Dieu. 74

Article IV. Premiere violation des Saintes Escritures faitte par les reformateurs, retranchans plusieurs pieces d'icelles  76

Article V. Seconde violation des Escritures par la regle que les reformeurs produisent pour discerner les Livres sacrés d'avec les autres, et de quelques menus retranchemens d'iceux qui s'en ensuivent. 80

Article VI. Combien la majesté des Saintes Escritures a esté violëe es interpretations et versions des hæretiques  83

Article VII. De la prophanation es versions vulgaires. 83

Article VIII. De la prophanation qui se faict [en employant la langue vulgaire aux offices publics]. 85

Article IX. De la profanation des Psaumes en suivant la version de Marot et en les chantant partout indifféremment  86

Article X. De la prophanation des Escritures par la facilité qu'ilz prætendent estre en l'intelligence de l'Escriture   87

Article XI. Responce aux objections, et conclusion de ce premier article. 88

Chapitre II. Que l'Eglise des prætenduz a violé les Traditions Apostoliques, 2e Règle de la foy chrestienne   91

Article premier. Que c'est que nous entendons par Tradition Apostolique. 91

Article II. Qu'il y a des Traditions Apostoliques en l'Eglise. 92

Chapitre III. Que les Ministres ont violé l'authorité de l'Eglise, 3e Règle de nostre foy. 94

Article premier. Que nous avons besoin de quelqu'autre Regle, outre la Parole de Dieu. 94

Article II. Que l'Eglise est une Regle infallible pour nostre foy. 96

Chapitre IV. Que les Ministres ont violé l'authorité des Conciles, 4e Règle de nostre foy. 98

Article premier. Et premierement des qualités d'un vray Concile. 98

Article II. Combien est sainte et sacrëe l'authorité des Conciles universelz. 99

Article III. Combien les Ministres ont mesprisé et violé l'authorité des Conciles. 101

Chapitre V. Les Ministres ont violé l'authorité des anciens peres de l'eglise, 5e Règle de nostre foy. 104

Article premier. Et I. combien l'authorité des anciens Peres est venerable. 104

Chapitre VI. Que les Ministres ont violé l'Autorité du Pape, 6e Règle de notre Foi 106

Article premier. Premiere promesse [faite à saint Pierre]. 106

Article II. Resolution sur une difficulté. 108

Article III. De la seconde promesse faicte a saint Pierre : Et je te donneray les clefz du royaume des cieux  110

Article IV. De la troysiesme promesse faicte a saint Pierre. 113

Article V. Dé l'exhibition de ces promesses. 113

Article VI. Par l'ordre avec lequel les Evangelistes nomment les Apostres. 117

Article VII. De quelques autres marques, qui sont semëes es Escritures, de la Primauté de saint Pierre   120

Article VIII. Le tesmoignage de l'Eglise sur ce faict. 122

Article IX. Que saint Pierre a eu des successeurs au vicariat general de Nostre Seigneur. 125

Article X. Des conditions requises pour succeder. 126

Article XI. Que l'Evesque de Rome est vray successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise militante. 127

Article XII. Briefve description de la vie de saint Pierre et de l'institution de ses premiers successeurs  130

Article XIII. Confirmation de tout ce que dessus par les noms que l'ancienneté a donnés au Pape. 134

Article XIV. Combien d'estat on doit faire de l'Authorité du Pape. 138

Article XV. Combien les Ministres ont violé ceste Authorité. 141

Chapitre VII. Que les Ministres ont violé l'Autorité des Miracles, 7e Règle de notre Foi 145

Article premier. Combien les Miracles sont pregnans pour asseurer de la Foi 145

Article II. Combien les Ministres ont violé la foy deüe au tesmoignage des Miracles. 146

Chapitre VIII. Que les Ministres ont violé la Raison naturelle, 8e Règle de notre Foi 150

Article premier. En quelle façon la Rayson naturelle est une Regle de bien croire, et l'experience. 150

Article II. Combien les Ministres ont combattu la Rayson et l'experience. 151

Article III. Que l'analogie de la foy ne peut servir de regle aux Ministres pour establir leur doctrine   152

Article IV. Conclusion de toute ceste 2e partie par un brief recueil de plusieurs excellences qui sont en la doctrine catholique, au pris de l'opinion des heretiques de nostre aage. 155

Troisième partie. Les Règles de la foi sont observées dans l'Église Catholique. 156

Avant-Propos. 156

Chapitre premier. Des Sacremens. 158

Article premier. Du nom de Sacrement. 158

Article II. De la forme des Sacremens. 158

Article III. De l'intention requise en l'administration des Sacremens. 160

Chapitre II. Du Purgatoire. 163

Avant-Propos. 163

Article premier. Du nom de Purgatoire. 163

Article II. De ceux qui ont nié le Purgatoire, et des moyens de le prouver. 164

Article III. De quelques passages de l'Escriture esquelz il est parlé de purgation apres ceste vie, et d'un tems et d'un lieu pour icelle. 165

Article IV. D'un autre passage, du Nouveau Testament, a ce propos. 166

Article V. De quelques autres lieux, par lesquelz la priere, l'aumosne et les saintes actions pour les trespassés sont authorisees. 167

Article VI. De quelques lieux de l'Escriture par lesquelz il est prouvé que quelques pechés peuvent estre pardonnés en l'autre monde. 169

Article VII. De quelques autres lieux, desquelz par diversité de consequences on conclud la verité du Purgatoire   171

Article VIII. Des Conciles qui ont receu le Purgatoire comme article de Foy. 172

Article IX. Des Peres anciens. 172

Article X. De deux raysons principales et du tesmoignage des estrangers pour le Purgatoire. 173

Attestations d'authenticité jointes a l'Autographe conserve a Rome, dans la Bibliotheque Chigi 174

Attestation jointe a la copie de l'Autographe gardée aux Archives du 1er Monastère d'Annecy et reproduite dans la presente edition. 177

Attestation de François Favre faite le 6 juillet 1658 tirée du second Procès de canonisation, tome V, pp. 58 et 59  178

Autres attestations données dans la 1re édition. 178

 

 

 

 

À Messieurs de Thonon

 

 

            MESSIEURS,

 

            Ayant continué quelque piece de tems la prædication de la parole de Dieu en vostre ville, sans avoyr esté ouÿ des vostres que rarement, par pieces et a la desrobbëe, pour ne laysser rien en arriere de mon costé, je me suys mis a reduyre en escrit quelques principales raysons, que j'ay choysi pour la plus part des sermons et traittés que j'ay faict cy devant a vive voix pour la defence de la foy de l'Eglise. J'eusse bien desiré d'estr'ouÿ, aussy bien que les accusateurs, car les parolles en bouche sont vives, en papier elles sont mortes : « La [1] vive voix, » dict saint Hierosme, « a je ne sçay quelle secrette vigueur, et le coup est bien plus justement porté dans le cœur par la vive parolle que par l'escrit. » Qui a faict escrir'au glorieux Apostre saint Pol : Comme croiront celuy qu'ilz n'ont point ouÿ ? et comm'ouyront ilz sans predicateur ? La foy est par l'ouÿr, et l'ouÿr par la parole de Dieu. Mon mieux donq eut esté d'estr'ouÿ ; a faute de quoy cest'escriture ne sera pas sans des bonnes commodités :

            1. Elle portera chez vous ce que vous ne voules pas prendre chez nous en l'assemblëe. 2. Elle contentera ceux qui, pour toute responce aux raysons que j'apporte, dient quilz les voudroyent bien voir devant quelque ministre, et leur semble que la seule presence de l'adversaire les feroit chanceler, paslir, transir, et leur osteroit toute contenance : car maintenant ilz les y pourront conduyre. 3. L'escrit se laysse mieux manier, il donne plus de loysir a la consideration que la voix, [2] on y peut penser plus creusement. 4. On verra par la que si je desavoüe mill'impietés qu'on impos'aux Catholiques, ce n'est pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont dict, mais pour suyvre la sainte intention de l'Eglise : puysque je le metz en escrit a la veüe de chacun, et sous la censure des superieurs, asseuré que je suys quilz y trouveront beaucoup d'ignorance, mays non point, Dieu aydant, d'irreligion et contrarieté aux declarations de l'Eglise Romaine. [3]

            Si faut il toutefois que je proteste, pour la descharge de ma conscience, que toutes ces considerations ne m'eussent jamais mis en resolution d'escrire ; c'est un mestier juré, qui appartient aux doctes et plus polys entendemens. Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire ; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, la contenance, baillent lustr'a la parole ; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne peut pas reussir en cest exercice : aussy ni eusse pas pensé, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eust sommé et donné le courage, ce que despuys plusieurs de mes principaux amis ont trouvé bon, l'advis desquelz je prise tant, que le mien n'a du tout point de creance vers moy qu'a faute d'autre.

            J'ay donq mis icy quelques principales raysons de la foy Catholique, qui monstrent clairement que tous ceux sont en faute qui demeurent separés de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine. Or je les vous addresse et presente de bon cœur, esperant que les occasions [4] qui vous destournent de m'ouÿr, n'auront point de force pour vous empecher de lire cest escrit, vous asseurant, au reste, que vous ne lires jamais escrit qui vous soit donné par homme plus affectionné a vostre service spirituel que je suys. Et puys bien dire, que je ne recueilleray jamais commandement avec plus de courage que je fis celuyla que Monseigneur le Reverendissime nostr'Evesque me fit, quand il m'ordonna, suyvant le saint desir de son Altesse dont il me mit en main la lettre, de venir icy pour vous apporter la sainte Parolle de Dieu : aussy ne pensois je de vous pouvoir jamais faire plus grand service. Et pour vray je croyois que, comme vous ne receves point de loy pour vostre creance que de l'interpretation de l'Escriture qui vous semble la meilleure, vous voudries encor ouÿr celle que j'y apporterois, c'est a dire, de l'Eglise Apostolique Romaine, laquelle vous n'aves jamais veüe cy devant que barbouillee, toute desfiguree et contrefaitte par l'ennemy, qui sçavoit bien que si vous l'eussies veüe en sa pureté vous ne l'eussies jamais abandonnëe. [5] Le tems est mauvais, l'Evangile de paix peut a grand peyn'estre receu parmi tant de soupçons de guerre : si, ne me pers je pas de courage ; les fruictz un peu tardifz se conservent beaucoup mieux que les printaniers ; j'espere que si une fois Nostre Seigneur crie a vos oreilles son saint Epheta, ceste tardiveté reussira en beaucoup plus de fermeté.

            Prenes donques, Messieurs, en bonne part ce present que je vous fais, et lises mes raysons attentivement. La main de Dieu n'est point parcluse ni partiale, et faict volontiers paroistre sa puyssance es sujetz chetifz et grossiers. Si vous aves ouÿ avec tant de promptitude l'une des parties, prennes encores la patience d'ouÿr l'autre ; puys prenes, je vous en somme de la part de Dieu, prenes tems et loysir de rassoir vostre entendement, et pries Dieu qu'il vous assiste de son Saint Esprit en un jugement de si grande importance, affin qu'il vous addresse a salut. Mays sur tout je vous prie, que vous ne layssies jamais entrer en vos espritz autre passion que celle de nostre Sauveur et Maistre Jesuchrist, par laquelle nous avons estés tous rachetés, et serons sauvés s'il ne tient a nous, puysqu'il desire que tous les hommes soient sauvés, et viennent a cognoissance de la verité. Je prie sa sainte Majesté quil luy playse m'ayder et a vous en cest affaire.

            Jour de la Conversion de saint Pol. [25 Janvier 1595.] [6]

 

 

 

            MESSIEURS,

 

            Ayant deja continué quelques moys la prædication de la parole de Dieu en vostre ville, sans me voir escouté des vostres que fort rarement, et par pieces, a la desrobbëe, affin de ne laisser rien en arriere de mon costé, je me suys mis a reduyre par escrit une partie des remonstrances et traittés que j'ay faict a vive voix en chaire, pour la defence de la creance ancienne de l'Eglise contre les accusations qu'on vous a si souvent representëes cy devant contre icelle. J'eusse bien desiré que mes raysons eussent esté ouÿes, aussy bien comme les allegations des accusateurs, câr les paroles en bouche sont vives, en papier elles sont mortes : « La vive voix, » dict [1] St Hierosme, « a je ne sçay quelle secrette vigueur, et le coup est tousjours plus justement assigné dans le cœur par la vive parolle que par l'escriture. » Outre ce que, Comme croyra-lon celuy qu'on n'a point ouy ? et comm'ouyra-on sans prædicateur ? La foy s'acquiert par l'ouÿe de la parole de Dieu. La prædication evangelique a tousjours præcedé l'Escriture : c'est son propre de faire croire, et de l'escriture d'ayder la memoire. || Je suys neantmoins tres content et trouve bon d'escrire quelques principales raysons que j'ay choysi entre les autres, par lesquelles je vous feray voir a descouvert que vous estes du tout hors du train que les Apostres ont suyvi pour se rendre a la Hierusalem cœleste. || Cest'escriture neantmoins ne laysse pas d'avoir ses commodités particulieres :

            La 1. et principale c'est quelle portera chez vous ce que vous ne voules pas venir prendre chez nous en l'assemblee. 2. Elle contentera ceux qui, pour toute responce a mes raysons, dient quilz les voudroyent bien voir en la præsence de quelqu'un des ministres, pour voir si elles pourroyent y tenir contenance, si elles pasliroient ou s'esvanouyroyent point : car maintenant vous les y pourres conduire. 3. L'escrit se laisse mieux manier, il donne plus de loysir a la consideration que ne faict la voix, vous pourres [2] y penser plus creusement. 4. Il asseurera chacun que je ne dis rien a Tonon que je ne veuille bien qu'on sache, si besoin estoit, a Necy et a Rome ; dequoy ont besoin d'estr'asseurés ceux qui ne me tiennent pas pour Catholique par ce que je dis : que nos œuvres ne sont pas meritoires sinon entant quelles sont taintes au sang de N. S. ; que le cors de N. S. est substantiellement, reellement et veritablement sous les especes de pain et de vin au tres st S. de Sac. de l'Eucharistie, mays non pas charnellement ; que les Saints ont un'excellence beaucoup plus grande et de plus eminent calibre que les mortelz mondains, mays quelle n'a point d'autre proportion avec l'excellence divine que de la creature au Createur, du finy a l'infini ; et semblables verités : c'est adire, que je presche la doctrine Catholique. Dequoy j'ay encores besoin par ce que quelques uns des vostres, quand ilz voyent que je ne parle pas en chaire comm'on introduysoit les Catholiques, disans mille blasphemes contre Dieu, forcés d'advoüer la verité que je preche, pour se flatter disent que je ne parle pas a la papiste. || ... et monstre au net la pureté de la foy de l'Eglise, en fin, [parce] que je justifie ceste chaste Susanne des faux tesmoignages quon a porté contr'elle, on a dict que je ne suys pas Catholique ; on s'est imaginé tant de laydeur et de difformité en la mere, pour... || 5. On connoistra que si je desavoüe mill'impietés quon impose aux Catholiques, je ne le fays pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont pensé, mays pour suivre la sainte intention de l'Eglise : puysque le mettant par escrit je le propose a chacun, et m'en sousmetz a la censure des superieurs, laquelle y trouvera sans doute beaucoup d'ignorance, mays, Dieu aydant, point d'irréligion ou contrarieté aux declarations de l'Eglise Cathol., Ap. et Rom. [3]

            Mays si faut il que je proteste, pour la descharge de ma conscience, que toutes ces commodités ne m'eussent jamais mis en volonté d'escrire ; c'est un mestier juré, qui appartient aux doctes et polys entendemens. Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire ; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, l'affection et contenance baillent lustr'a l'enseignement ; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne reussira pas en cest exercice : aussy ny pensois je pas, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eut sommé et donné courage, a quoy despuys plusieurs de mes principaux amis m'ont poussé ; en telles occasions je prise tant le jugement de mes amis que je ne me crois jamais moy mesme qu'a faute d'autre.

            J'ay donques escrit certaines raysons, et nompas toutes, qui monstrent clairement que tous ceux qui sont sortis de l'Eglise Catholique sont hors du train que les Apostres ont suyvi pour se rendre en Paradis. Et puys que vous aves esté l'occasion de ceste mienne peyne, j'ay voulu vous l'adresser et præsenter, esperant que les [4] occasions qui vous destournent de m'ouÿr, n'auront point de force pour vous empecher de la lecture de ce discours. Je vous puys bien asseurer, car il est vray, que jamays vous ne lires escrit qui vous soit addressé par homme plus affectionné a vostre service spirituel que je suys ; et je puys dire que jamays je ne recueilliray commandement avec plus de courage, que je fis celluyla de M. le Rme Exmo Evesque, quand il m'ordonna, sur le bon playsir de son Altesse de laquell'il me mit la lettre en main, de venir icy pour vous apporter la sainte Parole de Dieu, comme sachant ne vous pouvoir faire plus ni de plus signalé service que celluy la, duquel dépend vostre Paradis. Et pour vray je croyois que, comme vous n'asujettisses a personne vostre creance, si non a l'interpretation de l'Escriture Sainte qui vous semble la meilleure, vous voudries encores ouÿr celle que j'y apporterois, c'est adire, celle de l'Eglise Cat. Ro., laquelle vous n'aves jamais veüe cy devant que barbouïllëe et defigurëe par les ennemis ; car si vous l'eussies veu en sa pureté jamais vous ne l'eussies abandonnëe. || Je ne m'amuse gueres sur les raysons que vous aves de ne me prester point l'oreille, car j'espere qu'un jour... || [5] Le tems, a ce qu'on dict, vous en empeche, l'Evangile de paix ne pouvant estre receu parmi tant de soupçons de guerre. Si, ne me pers je point de courage ; les fruictz un peu tardifz se conservent beaucoup mieux que les printaniers ; j'espere que si une fois N. S. crie a vos oreilles son saint Epheta, ceste tardiveté reussira en une plus grande fermeté.

            Prenes donques en bonne part ce prœsent que je vous fais, et lises mes raysons attentivement, sans vous passionner d'autre passion que de celle de N. S., que je prie treshumblement m'assister et a vous en cest affaire ; car sans luy ni vous ni moy ne pouvons rien penser de prouffitable. [6]

 

 

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Avant-Propos

 

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            Ceste grande facilité que les hommes ont de se scandaliser, fit dire, ce semble, a Nostre Seigneur, quil estoit impossible que scandale n'advint, ou, comme dict saint Mathieu, il est necessaire quil arrive des scandales : car, si les hommes prenent occasion de leur mal du sauverain bien mesme, comme se pourroit il faire quil ni eut du scandale au monde ou il y a tant de maux ?

            Or il y a trois sortes de scandales, et toutes trois très mauvaises en leur nature, mays inegalement. Il y a un scandale que nos doctes theologiens appellent [7] actif, et c'est une action mauvaise qui donne occasion de mal faire a autruy, et la personne qui faict ce scandale s'appelle justement scandaleuse. Les deux autres sortes de scandales s'appellent scandales passifz, mays les uns, scandales passifz ab extrinseco, les autres, ab intrinseco : car entre les personnes qui sont scandalizëes, les unes le sont par les mauvaises actions d'autruy, et sont celles qui reçoivent le scandale actif, mettans leur volonté en butte aux scandaleux ; les autres le sont par leur propre malice, qui, n'ayans point d'occasion d'ailleurs, s'en bastissent et forgent en leur propre cerveau, et se scandalizent eux mesmes d'un scandale [8] qui est tout de leur creu. Qui scandalize autruy manque de charité vers le prochain, qui se scandalize soymesme manque de charité vers soymesme, et qui est scandalizé par autruy manque de force et de courage. Le premier est scandaleux, le second scandaleux et scandalizé, le troisiesme scandalizé seulement. Le premier scandale s'appelle datum, donné, le second, acceptum, pris, le troisiesme, receptum, receu. Le premier surpasse le troisiesme en meschanceté, et le second surpasse d'autant plus le premier, quil contient le premier et le second ensemble, estant actif et passif tout ensemble, et que se massacrer et præcipiter soymesme est une cruauté plus desnaturëe que de tuer autruy.

            Toutes ces sortes de scandales abondent au monde, et ne voit on rien si dru que le scandale ; c'est principal trafiq du diable, dont Nostre Seigneur disoit : Malheur au monde a cause des scandales. Mays le scandale pris sans occasion tient le premier rang de [9] tous costés, le plus frequent, le plus dangereux et dommageable, et c'est de celluyla seul duquel Nostre Seigneur est object, es ames qui se sont mises en proÿe a l'iniquité. Mays un peu de patience : Nostre Seigneur ne peut estre scandaleux, car tout y est sauverainement bon, ny scandalizable, car il est sauverainement puyssant et sage ; comme donques se peut il faire qu'on se scandalize en luy, et quil soit mis a la ruyne de plusieurs ? Ce seroit un horrible blaspheme d'attribuer nostre mal a sa Majesté : elle veut que chacun soit sauvé et vienne a connoissance de la verité ; elle ne veut qu'aucun perisse ;  nostre perdition vient de nous, et nostr'ayde de la bonté divine. Nostre Seigneur donques, ni sa sainte Parole, ne nous scandalize point, mays nous nous scandalizons nous mesmes en luy : qui est la propre façon de parler en ce faict, que luy mesme enseigne, disant : Bienheureux qui ne sera point scandalizé en moy. Et quand il est dict quil a esté mis a la ruyne de plusieurs, on le doit verifier en l'evenement, qui fut tel que plusieurs s'y sont ruynés, nompas en l'intention de la bonté supreme, qui ne l'avoit envoyé que pour lumiere a la revelation des Gentilz et a la gloire d'Israel. Que sil se trouve des gens qui veuillent dire le contraire, il ne leur restera plus sinon de maudire leur Sauveur par [10] sa propre parolle : Malheur par qui vient le scandale. Cherchons, je vous prie, la caus'en nous de nos vices et pechés, nostre volonté en est la seule source. Nostre mere Eve voulut bien s'excuser sur le serpent, et son mary sur elle, mays l'excuse ne fut pas recevable : ilz eussent mieux faict de dire le bon peccavi, comme David, auquel incontinent la faute fut remise.

            J'ay dict tout cecy, Messieurs, pour vous faire connoistre d'ou vient ceste grande dissention de volontés au faict de la religion, que nous voyons estre par my ceux qui font profession en bouche du Christianisme. Cestuyci est le principal et sauverain scandale du monde, et qui en comparayson de tous les autres merite seul le nom de scandale ; et semble que ce soit quasi tout un quand Nostre Seigneur dict : Il est necessaire que scandales adviennent, et quand saint Pol dict : Il faut quil y aÿe des heresies. Or ce scandale icy se va diversifiant avec le tems, et comme mouvement violent se va tousjours plus affaiblissant en sa mauvaisetie : car, en ceux qui commencent la division et ceste guerre civile entre les Chrestiens, l'heresie est un scandale purement pris, passif ab intrinseco, et ni a point de mal en l'heresiarque qui ne soit du tout puysé [en] sa volonté, personne ny a part que luy ; le scandale des premiers quil desbauche tumbe desja en partage, mais inegalement, car l'heresiarque y a sa part a cause de sa sollicitation, les desbauchés y en ont une, d'autant plus grande quilz ont eu moins d'occasion de le suyvre ; puys, l'heresie ayant pris pied, ceux qui naissent parmi les hæretiques de parens hæretiques ont tousjours [11] moins de part a la faute : mays il n'arrive jamais que aux uns et aux autres il ni ayt beaucoup de leur faute, et particulierement en ceux de nostr'aage, qui quasi tous sont en scandale presque purement passif [pris]. || Car l'Escriture quilz manient, le voysinage des vrays Chrestiens, les marques quilz voyent en la vraÿe Eglise, leur ostent tout'excuse de mise ; de maniere que l'Eglise de laquelle ilz se sont separés leur peut mettre au devant les parolles de son Espoux : Recherches es Escritures esquelles vous penses avoir la vie eternelle, ce sont elles qui rendent tesmoignage de moy ; et plus outre : Les œüvres que je fais au nom de mon Pere rendent aussy tesmoignage pour moy. Or j'ay dict que leur scandale est purement ou presque purement passif... || Car on sçait bien que l'occasion de leur division et escart quilz pretendent avoir, c'est l'erreur, l'ignorance, l'idolatrie, quilz disent estr'en l'Eglise laquelle ilz ont abandonnee ; et d'ailleur c'est chose toute certaine que l'Eglise en son cors general ne peut estre scandaleuse et est inscandalisable, comme son Espoux, qui luy communique par grace et assistence particuliere ce qui luy est naturel en proprieté : car en estant le chef il addresse ses pas au droit chemin, l'Eglise c'est son cors mistique, et par ce il prend a soy l'honneur et le mespris qui luy est faict ; dont on ne peut dire quelle donne, prenne ou reçoive aucun scandale. Ceux donques qui se scandalizent en elle ont tout le tort et toute la faute ; leur scandale n'a point d'autre sujet que leur propre malice, qui les va chatouillant pour les faire rire en leurs iniquités.

            Voyci donques ce que je prætens monstrer en ce petit traitté. Je n'ay pas autre intention que de vous faire voir, Messieurs, que ceste Susanne est accusée a tort, et qu'elle a rayson de se lamenter de tous ceux qui se sont distancés de ses ordonnances, avec les parolles mesmes de son Espoux : Ilz m'ont hayé d'une hayne injuste. Ce que je feray en deux façons : premièrement, par certaines raysons generales ; 2, en des exemples particuliers que je proposeray sur les principales [12] difficultés comme par maniere d'essay. Tout ce que tant de doctes hommes ont escrit tend la et y revient, mays non pas a droit fil, car chacun se propose un chemin particulier a tenir : je tascheray de reduyre toutes les lignes de mon discours a ce point, comm'au centre, le plus justement que je pourray ; et la premiere Partie servira quasi egalement pour toutes sortes d'heretiques, la seconde s'addressera plus a ceux a la reunion desquels nous avons plus de devoir. Tant de grans personnages ont escrit en nostre aage, que la posterité n'a quasi plus rien a dire, mays seulement a considerer, apprendre, imiter, admirer : je ne diray donques rien icy de nouveau, et ne voudrois pas fair'autrement ; tout est ancien, et ny a presque rien du mien que le fil et l'eguille, le reste ne m'a cousté que le descoudre et recoudre a ma façon, avec cest'advis de Vincent le Lirinois, c. 22. : Eadem tamen quæ didicisti ita doce, ut cum dicas novè non dicas nova. Ce traitté semblera peut estre a quelques [uns] un peu trop eschars : cela ne vient pas de ma sicheté mays de ma pauvreté ; ma memoire a fort peu de moyens de reserve, ne s'entretient que du jour a la journëe, et je n'ay que fort peu de livres icy d'ou je me puyss'enrichir. Prenes neantmoins a gré je vous prie, Messieurs de Thonon, cest escrit, et quoy que vous en ayes veu plusieurs autres mieux faictz et plus riches, arrestes un peu vostr'entendement sur cestuy ci, que peut estre sera il plus sortable a vostre complexion que les autres ; car son air est du tout Savoysien, et l'une des plus prouffitables receptes et derniers remedes c'est le retour a l'air naturel : si cestuyci ne prouffite, on vous en monstrera d'autres plus purs et subtilz. [13]

            Je vay donq commencer, au nom de Dieu, lequel je supplie tres humblement qu'il face couler tout doucement sa sainte Parole, comme une fraiche rosëe, dans [14] vos cœurs. Et vous prie, Messieurs, de vous resouvenir, et ceux qui liront cecy, des paroles de saint Pol : Tout'amertume, ira, desdain, crierie, blaspheme et toute malice soyt osté de vous. Amen. [15]

 

 

 

            Ceste grande facilité de se scandaliser que N. S. connoissoit estr'au monde, luy fit, ce semble, dire ces deux saintes parolles : Il est impossible que scandale n'advienne, ou, comme dict S. Matt., Malheur au monde a cause des scandales, car il est nécessaire quil arrive des scandales ; et cest'autre : Bienheureux qui ne sera point scandalizé en moy : car, si les hommes se scandalisent et prennent occasion de leur mal du sauverain bien mesme, comme se pourroit il faire quil ni eut du scandale au monde ou il y a tant de maux ?

            Ceste necessité, pourtant, quil y a au monde d'y voir des scandales, ne doit point servir d'excuse a qui par sa mauvayse vie les donne, ou qui les reçoit de la main du scandaleux, ni a celuy [7] qui de sa propre malice les va recherchant et procurant a soy mesme. Car, quand a ceux qui les donnent, ilz ni ont point d'autre necessité que par la supposition et resolution quilz ont faict eux mesmes de vivre meschamment et vitieusement ; ilz pourroyent silz vouloient, par la grâce de Dieu, n'infecter pas ny empunayser le monde des puantes exhalations de leurs pechés, mays estre bonn'odeur en Jesuchrist : le monde neantmoins est tant remply de pecheurs, qu'ores que plusieurs s'amendent et soyent remis en grace, il en demeure tousjours un nombre infiny qui rend tesmoignage qu'il est impossible que scandale n'advienne : malheur, au reste, par qui vient le scandale. Et quand a ceux qui se forgent eux mesmes les scandales, se chatouïllans pour se faire rire en leur iniquité, lesquelz, comme leur devancier Esau, pour la moindre incommodité quil y a pour leur entendement en la foy, ou pour leur volonté es saintz commandemens, se font accroire quilz mourront silz n'alienent la portion quilz ont en l'Eglise, puysqu'ilz ayment la malediction et quilz la cherchent, ce n'est merveille silz sont mauditz. || Et l'un et l'autre, qui donne le scandale et qui le prend, sont tres mauvais, mays qui le prend sans quil luy soit presenté est dautant plus cruel que celuy qui le donne, [que se] precipiter soymesme est crime plus desnaturé que de tuer un autre. || En fin, qui prend le scandale donné, c'est adire, qui a occasion de se scandalizer et le faict, ne peut avoir autr'excuse que celle d'Eve sur le serpent, celle d'Adam sur Eve, que nostre Dieu trouva n'estre pas de mise. Et les uns et les autres, qui scandalize, qui se laysse scandalizer, et qui se scandalize, sont inexcusables et [8] mauvais, mays inégalement : car, qui se laysse scandalizer monstre plus d'infirmité, qui scandalize a de la malice, et qui se scandalize en a l'extremité. Le premier est scandalizé, le 2., scandaleux, le 3., scandaleux et scandalizé tout ensemble ; le 1. a faute de courage, le 2., faute de bonté vers autruy, le 3., vers soymesme. Le premier est appellé receptum, receu, le 2., datum, donné, le 3., acceptum, pris ; le 2., activum, le 1. et 3., passivum, mais le 1., passivum ab extrinseco, le 3., passivum ab intrinseco. Le 2. empire sur le 1., mays le troysiesme empire d'autant plus sur le 2d, que se massacrer et précipiter soymesme est une cruauté plus desnaturëe que de tuer les autres.

            Or, combien aye esté en vogue ceste troysiesme façon de scandale jusques a present, le tesmoignage de toutes les histoires ecclesiastiques y est en mille lieux ; nous ne trouverons quasi pas tant de traitz pour y remarquer tous les autres vices que pour celuyci seul. Le scandale pris et passif se voit si dru es Escritures quil ny a quasi chapitre ou on n'en puysse voir des marques : || ce seroit monstrer le jour en plein mydi de s'amuser d'en produire les passages ; || ceux ci nous serviront pour tous. Les Capharnaites [9] se scandalizent ilz pas a bon escient sur les paroles de Nostre Seigneur, au recit de St Jan, qu'ilz appellent parolle dure et non recevable ? Mays a quel propos ? par ce que N. S. est si bon que de les vouloir nourrir de sa chair, par ce quil dict des parolles de vie æternelle ; et contre cette douceur ilz se pugnent. Ces ouvriers, qui trouvent estrange que le pere de famille donnast autant aux derniers venus comm'aux premiers, dequoy se scandalizent ilz sinon de la bonté, liberalité et bienfaict ? comment, dict le bon seigneur, ton œil est il malin de ce que je suys bon ? Qui ne voit en ce saint banquet et souper qui fut faict a N. S. en Bethanie, [10] comme Judas prend a contrecœur, et murmure, de voir l'honneur que la devote Magdaleyne faict a son Sauveur ; comme la suavité de l'odeur du parfum répandu offence le sentiment de ce punays infame. Ainsy des lors hurtoit on desja a ceste sainte pierre ; mays despuys, qui pourroit raconter ce qu'en dict l'histoire ? Tous ceux qui ont abandonné la vraÿe Eglise, sous quel pretexte que ce soit, se sont [11] ………………………………………………………………

cestuyci neantmoins reviendra peut estre mieux a vostre complexion, car son air est du tout Savoysien. Essayes un peu, sil vous plait, ce changement ; que sil n'allege point vostre mal, encor pourres vous passer ailleurs, en d'autres plus subtilz et apetissans, [13] car il y en a, Dieu mercy, en ce pais, de toutes sortes. Vous y verres des bonnes raysons, et desquelles je me rends evictionnaire, qui vous feront voir clair comme le jour, que vous estes hors du train quil faut tenir pour aller a salut, et que ce n'a pas esté la faute de la sainte guide, mays la faute est de l'avoir abandonnëe. Tout revient au dire du Profete : Perditio tua ex te, Israel. N. S. estoit vray Sauveur, venu pour esclairer tout homme, et servir de lumiere pour la revelation des Gentilz et la gloire d'Israel ; ce pendant Israël en prend l'occasion de son ignominie : voila pas grand malheur ? Et quand il est dict quil est mis a la ruyne de plusieurs, il le faut entendre quand a l'evenement, non quand a l'intention de la divine Majesté ; comme l'arbre de science du bien et du mal n'avoit rien dequoy apprendre a Adam le bien ni le mal, l'evenement pourtant luy donna ce nom la, par ce qu'Adam, y prenant du fruict, essaya le mal que luy apportoit sa desobeissance. Le Filz de Dieu estoit venu pour paix et benediction, et non pas pour malheur aux hommes ; sinon que quelque enragé osast rejetter sur Nostre Seigr sa sainte parole : Væ homini illi per quem scandalum veniet, et le voulut condamner par sa loy propre a estre jette en mer la pierr'au col. Confessons donques que personne d'entre nous autres hommes n'est offencé que de soy mesme ; c'est ce que j'entreprens de persuader icy a force de raysons. O mon Dieu, mon Sauveur, espures mon esprit, faites couler doucement ceste vostre Parole dans le cœur des lecteurs, comm'une sainte rosëe, pour raffrechir l'ardeur de leurs passions, silz en ont, et ilz verront combien est veritable en vous, et en l'Eglise vostre Sponse, ce que vous en aves dict.

 

            Comme ceux qui regardent le col d'une colombe, le voyent changer en autant de diversités de couleurs comm'ilz changent de postures et de distances, ainsy ceux qui considerent la Saint'Escriture, par laquelle comme par un col nous recevons la nourriture celeste, y voyent, ce leur semble, toutes sortes d'opinions, selon la [14] diversité de leurs passions. N'est ce pas chose admirable de voir combien il y a eu de sortes d'heresies jusques a præsent, desquelles tous les autheurs se faysoyent fors d'en monstrer la source es Saintes Escritures ?

 

 

Fragment d'une troisième leçon de l'Avant-Propos.

 

            Il ny a rien dont la Saint'Escriture donne plus d'advertissemens, les histoires plus de tesmoignage, nostre sayson plus d'experience, que de la facilité avec laquelle l'homme se scandalise, et laquell'est si grande quil ny a chose, tant bonne soit elle, delaquelle il ne tire quelqu'occasion de sa ruyne : miserabl'a la verité quil est, puys que ayant en toutes choses moyen de retirer prouffit, il les tourne et les prend tout expres au biais de sa perte et malheur. || Nous sçavons, dict S. Pol, que toutes choses servent a bien a ceux qui ayment Dieu. || Nous pouvons prattiquer si exactement l'enseignement de Plutarque, quon doit retirer utilité de son hayneur, que le peché mesme, nostre capital ennemy et le sauverain mal du monde, nous peut remettr'en connoissance de nous mesmes, en humilité et contrition, et la cheute de l'homme de bien le faict marcher par après plus droit et plus advisé : tant est veritable la parole de St Pol : Nous sçavons que toutes choses aydent a bien a ceux qui ayment Dieu.

            Non ja que le peché estant en nous proufite, ou ny estant plus puysse y operer quelque bien, car le peché est mauvais tout au long, mays nous pouvons y faire naistre des occasions de beaucoup de bien, lesquelles il ne produiroit jamais de soymesme : semblables aux abeilles lesquelles vindrent faire leur miel dans la puante caroigne du fier lion que Samson avoit egorgé. N'est-ce pas donq une chose estrange, que pouvans proufiter en toutes choses, pour mauvayses quelles soyent, nous convertissions tout a nostre perte ? Que si du mal seulement nous prenons le mal, ce ne seroit pas grand [15] merveille, car c'est ce qui s'y presente de prime face ; si des choses indifferentes et neutres nous nous servions en mal, la nature n'en seroit pas tant outragee, puysque ce sont armes a toutes mains : et neantmoins la couardise seroit tousjours grande, si, pouvans changer toutes choses en bien, par un'alchimie si aysëe et de si peu de frais, ou une seul'estincelle de charité suffit, nous avions le courage si lasche de demeurer en misere et nous procurer le, mal. Mays c'est chose qui pass'au pardela de tout'admiration, de voir qu'es choses bonnes, proufitables, saintes, divines, en Dieu mesme, la malice des hommes y trouve dequoy s'entretenir, se nourrir et braver. || Sil ny a que du bien, comment y peut elle trouver le mal ? sil ny en a point, comme... || en un sujet d'infinie beauté quon y trouv'a redire, en ceste mer immense de toute bonté quon y trouve du mal, et en la sauveraine felicité l'occasion de son malheur. || Le grand Simeon prædit de N. S., quil avoit en ses bras, et en son ame le Saint Esprit, quil seroit la ruine de plusieurs, et signe auquel on contrediroit ; tout de mesme quasi qu'a voit faict long tems au paradvant Isaïe, qui appelle Nostre Seigneur pierre de choppement et de scandale, selon l'interpretation de St Pol. N'y a il pas dequoy pleurer icy la misere de l'homme, qui choppe et prend cheute a la pierre qui avoit esté mise pour son appuy et fermeté, qui fonde sa perdition sur la pierre de salvation ? [16]

 

 

 

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Notes préparatoires

 

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                        Par l'honneur pastoral, Rome, siege de Pierre,

                        Est chef de l'univers ; ce qu'elle n'a par guerre

                        Et par armes reduict a sa sujettion,

                        Ores lui est acquis par la religion.

 

            Je garde la place de prouver la foy par miracles, apres les Regles de la Foy, qui sera comme une sixiesme regle, mays non ordinaire ains extraordinaire ; laquelle les adversaires n'ont point, quoy quilz en eussent besoin a faute des autres quilz mesprisent. La ou j'apporteray le dire du Sr des Montaignes.

            J'ay remis a monstrer les absurdités qui sont en la doctrine des adversaires au bout du traitté des Regles de la Foy, dont ce sera comme une consequence de ce quilz croyent sans regle et navigent sans bussole.

            Et quilz n'ont point l'efficace de la doctrine, au Catholicam ; car non seulement ilz ne sont Catholiques, mays ne le peuvent estre, n'ayant autr'efficace que de gaster le cors de Nostre Seigneur, non de luy acquerir de nouveaux membres.

            Omnes quærunt quæ sua sunt, non quæ Jesu Christi. Est il pas plus honnorable de conceder a la puyssance de Jesuchrist le pouvoir faire le St Sacrement, comme le croit l'Eglise, et a sa bonté le vouloir faire, que non pas le contraire ? sans doute que c'est la plus grande gloire de N. S. ; et par ce que nostre cerveau ne le peut comprendre, pour seconder nostre cerveau omnes quærunt quæ sua sunt, non quœ Jesu Christi.

            Accurate perpendenda est sententia quœ est Jo. 8. v. 35. Ex ea enim manifeste colligitur peccatores esse in Ecclesia.

            Ex inimicis nos optima quæque cognoscere et utilitatem capere persuadet Psalmista : Super inimicos meos prudentem me fecisti, deinde, super omnes docentes, super senes, etc. Super enim, ait Genebrard, [17] a intelligi potest ; super inimicos, id est, occasione inimicorum, ab vel ex inimicis. Itaque, cum prius sit prudentem fieri super inimicos quam super senes et docentes, recte sequitur ab inimicorum schola nos uberiores scientiæ latices habere quam ab docentibus, etc.

            Omnia sacrificia farinacea antiqua erant veluti condimenta sacrificiorum cruentorum ; sic Eucharistiæ Sacramentum est veluti condimentum sacræ Crucis, eique optima ratione adjunctum.

            Ecclesia mons est, hæresis vallis ; descendunt enim hæretici ab ecclesia non errante ad errantem, a veritate ad umbram, etc.

            Ismael, significans Judaicam sinagogam, ad Gal. 4, tunc ejectus est quando ludere voluit cum Isaac, id est, Ecclesia Catholica : quanto magis hæretici ? etc.

            Pulchre congruit Ecclesiæ adversus hæreticos Is. 54. v. 17 : Omne vas quod fictum est contra te non dirigetur, et omnem linguam resistentem tibi in judicio judicabis ; hæc est hæreditas servorum Domini et justitia eorum apud me, dicit Dominus.

            Concilia decreta de fide vocant canones, qui sunt regulæ.

            Pour l'unité d'un chef, il ne faut pas oublier ce que dict St Cyp., Ep. 46, ad Cornelium : Nec ignoramus unum Deum esse, unum Christum esse Dominum, quem confessi sumus, unum Spiritum Sanctum, unum Episcopum in Catholica Ecclesia esse debere ; et Ep. 45, il l'appelle radicem et matricem Ecclesiæ Catholicæ. Et Optat. Milevit., l. 2 contra Donatistas : Negare non potes scire te, in urbe Roma Petro primo cathedram principalem esse collatam, in qua sederit omnium Apostolorum caput Petrus, unde et Cæphas dictus est, in qua una cathedra unitas ab omnibus servaretur, ne cæteri Apostoli singulas quisque sibi defenderent, ut jam schismaticus et peccator esset qui contra singularem cathedram alteram collocaret. Ergo cathedra unica, quæ est prima de dotibus, sedit prior Petrus.

            Il faut commencer le chapitre des Conciles par les paroles de St Leon, Epist. 63  : Quamvis enim certa et irrefragabilis sit sedis Apostolicæ de fide definitio, attamen cum Apostolicæ sedis ministerio definita universæ fraternitatis irretractabili firmantur assensu, et totius christiani orbis judicio recipiuntur, merito a Deo prodiisse creduntur ; ipsaque veritas et clarius renitescit et fortius retinetur, dum quæ fides prius docuit hæc postea examinatio confirmat, ut vere impius et sacrilegus sit qui, post tot sacerdotum sententiam, opinioni suæ aliquod tractandum relinquit. [18]

            Pour la benediction episcopale avec le signe de la Croix, je trouve en la vie de St Hilarion, fol. 29 : Resalutatis omnibus, manuque eis benedicens.

            En l'intercession des Saintz, il ne faut pas oublier le mot de Luther, escrit au duc George de Saxe, anno 1526 apud Cochlæum : Initio rogabo præterea, et certissime impetrabo, remissionem apud Dominum meum Jesum Christum super omnibus quæcumque Illustriss. Clementia vestra contra Mot ejus facit ac fecit. Je vous prie, si ce moyne, etc.

            En la veneration ou des Sts ou du Pape, il ne faut oublier ce quil dict au roy d'Angleterre, en un'epistre, l'an 1525, qui est recensee en Coclëe es actes de l'an 26 : Quare his litteris prosterno me pedibus Majestatis tuæ quantum possum humillime.

            En la corruption de l'Escriture, il faut y mettre que Pierre Martir, in sua Defensione de Eucharistia, parte tertia, pag. 692, cite 1 Cor. 10. : Omnes eandem nobiscum escam spiritualem manducaverunt : ou il adjouste ce nobiscum pour faire valoir son argument. Vide in alia pagina. Bel., l. 1. c. 4. initio.

            Act. 15. v. 24 : Pour ce que nous avons entendu qu'aucuns partis d'entre nous vous ont troublés par aucuns propos, renversans vos ames, ausquelz n'en avions point donné charge. S'ilz eussent donné charge, bien, mais vouloir enseigner sans charge. Voyes l'humilité de S. Pol et Barnab., v. 2.

            Il se faict raire la teste en Cenchrëe, car il l'avoit de vœu, c. 18, v. 18.

            Faciendum erit caput unum de simplicitate fidei et humilitate in credendo.

            Item faciendum erit caput de majori gloria Evangelii per fidem Ecclesiæ quam per fidem hereticorum : quo loco repetendum erit quod dictum in fine c. de visibili, etc., nimirum, in Ecclesia visibili pasci oculum mentis et corporis, in invisibili nullum.

            Vide c. 12. l. 3 Reg. : Hieroboam non arguitur quod regnum sciderit sed quod Ecclesiam, feceritque phana in excelsis, et sacerdotes de extremis populi qui non erant de filiis Levi : nota missionem. [19]

 

 

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Première partie. Défense de l'autorité de l'église

 

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Chapitre premier

 

RAYSON I : DE LA MISSION

 

Les Ministres, n'ayant pas la Mission, n'ont pas l'autorité

 

FAUTE DE MISSION, ES MINISTRES

DE LA NOUVELLE PRÆTENDUE EGLISE, LES REND INEXCUSABLES,

ET CEUX QUI LES ONT OUŸ.

 

RAYSON I.

 

 

 

Article premier. Les Ministres n'ont Mission ni du Peuple, ni des Princes séculiers

 

 

            Premierement, Messieurs, vos devanciers et vous aussy aves faict une faute inexcusable, quand vous prestates l'oreille a ceux qui s'estoyent separés de l'Eglise, car ce n'estoyent des personnes qualifiëes comm'il [21] falloit pour præcher. Ilz portoyent parole, a ce quilz disoyent, de la part de Dieu, contre l'Eglise ; ilz se vantoyent de porter le libelle de divorce de la part du Filz de Dieu a l'Eglise son Espouse ancienne, pour se marier a ceste jeune assemblee refaitte et reformëe. Mays comme pouvies vous croire ces nouvelles si tost, que sans leur faire monstrer leur charge et commission bien authentiquëe, vous commençates de premier abord a ne reconnoistre plus ceste Reyne pour vostre princesse, et a crier par tout que c'estoit un'adultere ? Ilz couroyent ça et la semer ces nouvelles, mays qui les en avoit chargés ? On ne se peut enrooler sous aucun [22] capitaine sans l'adveü du prince chez lequel on demeure : et comment fustes vous si promps a vous enrooler sous ces premiers ministres, sans sçavoir si vos pasteurs qui estoyent en estre l'advoüeroient ? mesme que vous sçavies bien quil vous sortoit hors de l'estat dans lequel vous esties nés et nourry. Eux, donques, sont inexcusables de ce que sans l'authorité du magistrat spirituel ilz ont faicte ceste levëe de bouclier, et vous, de les avoir suyvis.

            Vous voyes bien ou je vays battre ; c'est sur la faute de mission et de vocation que Luther, Zuingle, Calvin et les autres avoyent : car c'est chose certayne que quicomque veut enseigner et tenir rang de pasteur en l'Eglise, il doit estr'envoÿé. Saint Pol : Quomodo prædicabunt, nisi mittantur ? Comme prœcheront ilz, s'ilz ne sont envoyés ? Et Hieremie : Les prophetes prophetisent a faux, je ne les ay pas envoÿé ; [23] et ailleurs : Non mittebam prophetas et ipsi currebant : Je ne les envoyois point, et ilz couroyent. La mission est donques necessaire ; vous ne le nieres pas, si vous ne sçaves quelque chose plus que vos maistres.

            Mays je vous vois venir en trois esquadrons : car, les uns d'entre vous diront quilz ont eu vocation et mission du peuple et magistrat seculier et temporel ; les autres de l'Eglise ; comment cela ? parce, disent ilz, que [24] Luther, Œcolampade, Bucer, Zuingle et autres estoyent prestres de l'Eglise comme les autres ; les autres, enfin, qui sont les plus habiles, disent quilz ont estés envoyés de [Dieu] mais extraordinayrement. [25]

            Voyons que c'est du premier. || Comme croyrons nous que le peuple, et les princes seculiers, aÿe appellés Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n'avoyt ouÿe ? et devant, quand ilz commencerent a prescher et semer ceste doctrine, qui les avoit chargés de ce faire ? || Vous dites que le peuple devot vous a appellés, mays quel peuple ? Car, ou il estoit Catholique, ou il ne l'estoit pas : sil estoit Catholique, comme vous eut il appellé et envoÿé præcher ce quil ne croyoit pas ? et ceste vocation de quelque bien petite partie du peuple lhors Catholique, comme pouvoit elle contrevenir a tout le reste qui sy opposa ? et comme vous pouvoit une partie du peuple donner authorité sur l'autre partie, affin que vous allassies de peuple en peuple distraissant tant que vous pouvies les ames de l'ancienne obeissance ? car un peuple ne peut donner l'authorité que sur soymesme. Il eut donq fallu ne point prescher sinon la ou vous esties appellés du peuple, ce que si vous eussies faict, vous n'eussies pas eu tant de suite. Mays disons voir, quand Luther commença, qui l'appella ? il ny avoit encor point de peuple qui pensast aux opinions quil a soustenües, comment [26] donques l'eut il appellé pour les prescher ? Sil n'estoit pas Catholique, qu'estoit il donq ? Lutherien ? nompas, car je parle de la premiere fois ; quoy donq ? Qu'on responde donq, si l'on peut. Qui a donné l'authorité aux premiers d'assembler les peuples, dresser des compaignies et bandes a part ? Ce n'est pas le peuple, car ilz n'estoyent encor pas assemblés.

            Mays, ne seroit ce pas tout brouiller, de permettr'a chacun de dire ce que bon luy sembleroit ? a ce conte chacun seroit envoyé ; car il ni a si fol qui ne trouve des compaignons, tesmoins les Tritheites, Anabaptistes, Libertins, Adamites. Il se faut renger a l'Escriture, en laquelle on ne trouvera jamais que les peuples ayent pouvoir de se donner des pasteurs et prædicateurs.

 

 

 

            Premierement donques, vos ministres n'avoient point les conditions requises pour le rang quilz vouloyent tenir et l'entreprise quilz faysoyent, dont ilz sont inexcusables ; et vous autres, qui sçavies et sçaves encores, ou deves sçavoir, ce defaut en eux, aves [21] eu grand tort de les recevoir a telle qualité. Le grade quilz demandoyent estoit d'Embassadeurs de Jesuchrist N. S. ; l'entreprise quilz proposoyent estoit de declairer un divorce juré entre N. S. et l'ancienne Eglise son Espouse, et traitter et passer par paroles de præsent, comme legitimes procureurs, un second et nouveau mariage avec ceste jeune garçe, de meilleure grace, ce disoyent ilz, et mieux advenante que l'autre. Car, de faict, qu'est ce se dire prædicateur de la parole de Dieu et pasteur des ames, que se dire ambassadeur et legat de N. S. ? selon le dire de l'Apostre, Nous sommes donques ambassadeurs pour Christ. Et qu'est ce dire que tout le Christianisme a failly, toute l'Eglise erré, et par tout la verité s'estr'esvanouÿe, sinon dire que N. S. a abandonné son Eglise, a rompu le sacré lien de mariage quil avoit contracté avec elle ? Et vouloir mettr'en avant un'Eglise nouvelle, n'est ce pas vouloir bailler a ce sacré et saint Espoux une seconde femme ? C'est ce que les ministres prætenduz de l'Eglise ont entrepris, c'est ce dequoy ilz se sont vantés ; ceste persuasion estoit le but de leurs presches, de leurs desseins et de leurs escritz. Mays combien de tort aves vous eu de les croire ? comme vous arrestastes vous ainsy simplement a leurs parolles ? comme leur donnastes vous si legerement foy ? Pour estre Legatz et Ambassadeurs ilz devoyent estr'envoÿés, ilz devoyent avoir des lettres de creance de celuy dont ilz se vantoyent estre avoüés. Les affaires estoyent de [22] tres grand'importance, car c'estoit le remuement de toute l'Eglise : les personnes qui entreprenoyent, extraordinaires, de basse qualité et privëes ; les ordinaires pasteurs, gens de marque et de tresancienne et authentique reputation, qui leur contredisoyent, et protestoyent que ces extraordinaires n'avoyent point charge ni commandement du Maistre. Dites moy, quell'occasion eustes vous de les ouÿr et de les croire, sans avoir aucun'asseurance de leur commission et de l'adveu de N. S. dont ilz se disoyent legatz ? C'est en un mot avoir abandonné a credit l'Eglise ancienne en laquelle vous aves esté baptizés, que d'avoir creu aux præcheurs qui n'avoient point de mission legitime du Maistre.

            Or, quilz n'en eussent ny ayent en aucune façon, vous ne le pouves pas ignorer. Car si N. S. les avoyt envoyés, ou c'eust esté mediatement ou immediatement : nous appelions mission faicte mediatement, quand nous sommes envoyés de qui en a le pouvoir de Dieu, selon l'ordre quil a mis en son Eglise, et telle fut la mission de St Denis en France par Clement, et de Timothëe par St Pol. L'immediate mission se faict lhors que Dieu commande luymesme, et baille charge sans l'entremise de l'ordinayre authorité quil a mis es prælatz et pasteurs de l'Eglise, comme fut envoyé St Pierre, et les Apostres, qui receurent de la [23] propre bouche de N. S. ce commandement : Alles par tout le monde, et præches l'Evangile a toute creature, et celle de Moyse vers Pharao et le peuple d'Israel. Mais ni de l'une ny de l'autre façon vos ministres n'ont aucune mission ; comment donq est ce quilz ont entrepris la prædication ? Comme præcheront ilz, dict l'Apostre, s'ilz ne sont envoyés ?

            Et premierement quand a la mission ordinaire et mediate, ilz nen ont du tout point ; car ce quilz en sçavent avancer, c'est, ou bien quilz sont envoÿés par les peuples et princes seculiers, ou bien quilz sont envoÿés par l'imposition des mains des Evesques qui les firent prestres, dignité a laquelle il faut quen fin ilz aÿent recours, quoy quilz la mesprisent en tout et par tout.

            Or, silz disent que les magistratz et peuples seculiers les ayent envoyés, ilz auront deux preuves a faire qu'ilz ne feront jamais : l'une que les seculiers l'ayent faict, l'autre quilz l'ayent peu faire ; car nous nions et factum et jus faciendi. Et quilz ne l'ayent peu faire, la rayson y est expresse, car :

            1. Jamais ilz ne trouveront que les peuples et princes seculiers ayent pouvoir d'establir et constituer les pasteurs et Evesques en l'Eglise. Ilz trouveront peut estre bien que les peuples ont rendu tesmoignage et assisté aux ordinations, voir'encores que le choix luy a esté permis, comme fut celuy des Diacres, au rapport de St Luc, que toute la trouppe des disciples fit, mays ilz ne monstreront jamais que les peuples ou princes seculiers ayent l'authorité des missions et de constituer des pasteurs. Comme alleguent ilz donques la mission par les peuples et princes, qui n'a point de fondement en l'Escriture ?

            2. Au contraire nous produysons l'expresse prattique de toute [24] l'Eglise, qui a esté de tous tems d'ordonner les pasteurs avec l'imposition des mains des autres pasteurs et Evesques. Ainsy fut ordonné Timothee, et mesmes les sept Diacres, quoy que proposés par le peuple Chrestien, furent ordonnés par l'imposition des mains des Apostres. Ainsy l'ont ordonné les Apostres en leurs Constitutions, et le grand concile de Nicëe (quon ne desdaignera point, ce me semble), et celuy de Carthage, le 2., et tout de suite le 3., et quatriesme, auquel St Augustin se trouva. Si donques ilz ont estés envoyés par les seculiers, ilz ne sont pas envoyés a l'Apostolique ny legitimement, et leur mission est nulle.

            3. Et de faict, les seculiers n'ont point de mission, et comme donq la donneront ilz ? comme communiqueront ilz l'authorité quilz n'ont pas ? Et partant St Pol dict, parlant.de l'ordre de prestrise et pastoral : Nul ne s'attribue cest honneur sinon qui est appellé de Dieu, connu'Aaron. Or Aaron fut consacré et ordonné par les mains de Moyse, qui fut prestre luy mesme, selon la sainte parole de David, Moyse et Aaron sont entre ses prestres, et Samuel entre ceux qui invoquoyent son nom, et quil est mesme touché en l'Exode, sous ces motz, Adjointz aussy avec toy Aaron pour m'exercer l'estat sacerdotal. A quoy consent une grande troupe de nos Anciens. Quicomque, donques, veut alleguer sa mission, ne la doit pas alleguer du peuple ny des princes seculiers, car Aaron ne fut pas apellé ainsy, et on ne le peut estre autrement que luy.

            4. En fin, qui est moindre est beny par le plus grand, comme dict St Pol : les peuples donques ne peuvent pas envoyer les pasteurs, car les pasteurs sont plus que les brebis, et la mission ne se faict pas sans benediction. Jo. 13. v. 16, Amen, amen, dico vobis, non est servus major domino suo, neque apostolus major est eo qui misit illum. Nota, car apres ceste magnifique mission le peuple demeure brebis et le pasteur pasteur.

            5. Je laiss'a part que, comme je prouveray cy apres, l'Eglise est monarchique, et partant appartient au grand Pasteur d'envoyer, non aux peuples. Je layss'a part le desordre qui adviendroit si les peuples envoyoyent, car ilz ne pourroyent envoyer les uns aux autres, n'ayans point d'authorité les uns sur les autres ; et comme [25] ce seroit faire beau jeu a toutes sortes d'heresies et de fantasies. Il faut donques que les brebis reçoivent le berger d'ailleurs, nompas qu'elles se le donnent.

            Les peuples n'ont donques peu donner mission ou commission legitime a ces nouveaux Embassadeurs ; mays je dis plus, qu'encor quilz eussent peu ilz ne l'ont pas faict. Par ce que le peuple ou le magistrat qui l'apella estoit ou Catholique ou non : s'il estoit Catholique, 1. comme l'eut il apellé a precher ce quil ne croyoit pas ? 2. ou ce peuple et magistrat estoit de la vraye Eglise ou non : s'il estoit de la vraye Eglise, pourquoy est ce que Luther les en leva ? l'eussent ilz bien apellé pour estre levés de leur bonne place et de l'Eglise ? et silz n'en estoyent pas, comme pouvoyent ilz avoir le droit de mission et de vocation ? hors la vraye Eglise il ny peut avoir aucune tell'authorité. Que si ilz disent quil n'estoit Catholique, qu'estoit il donques ? Il n'estoit [26] pas Lutherien, car on sçait bien que quand Luther commença a precher en Alemaigne il ny avoit point de Lutheriens, et que c'est luy qui en est la source : il n'estoit donq pas de la vraye Eglise, et comme pouvoit il faire mission pour la vraÿe prædication ? Ilz n'ont donq point de vocation de ce costé la, sinon quilz ayent recours a l'invisible mission receüe des principautés, puyssances et gouverneurs du monde de ces tenebres mondaynes, et malices spirituelles, contre lesquelz les bons Catholiques ont tousjours eü la guerre. [27]

 

 

 

Article II. Les Ministres n'ont pas reçu Mission des Evêques Catholiques

 

 

            Plusieurs, donques, de nostre aage, voyans leur chemin couppé de ce costé la, ilz se sont jettés d'autre de l'autre, et disent que les premiers maistres reformateurs, Luther, Bucer, Œcolampade, ont estés envoyés par les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyés les autres suyvans, et vont ainsy enchainant leur mission a celle des Apostres. [27]

            Veritablement c'est parler françois et realement, que de confesser que leur mission ne peut estre coulëe des Apostres a leurs ministres, que par la succession de nos Evesques et par l'imposition de leurs mains : la chose est telle sans doute. On ne peut pas faire sauter ceste mission si haut, que des Apostres elle soit tumbëe entre les mains de prædicateurs de ce tems, sans avoir touché pas un des Anciens et de nos devanciers : il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l'Eglise, pour avoir appellé Luther et les autres sans que ceux qui estoyent entre deùx s'en fussent apperceu, ou bien (comme dict Calvin a un'autre occasion et malapropos), que ceux cy eussent eu les oreilles bien grandes : il failloit bien qu'elle fut conservëe entiere, si ceux cy la devoient trouver. Nous avouons, donques, que la mission estoit riere nos Evesques, et principalement es mains de leur chef, l'Evesque Romain. Mays nous nions formellement que vos ministres en ayent eu aucune communication, pour præcher ce quilz ont præché, parce que :

            1. Ilz prechent choses contraires a l'Eglise en laquelle ilz ont estés ordonnés prestres : ou, donq, ilz errent, ou l'Eglise qui les a envoyés, et, par consequent, ou leur eglise est fause ou celle de laquelle ilz ont pris la mission. Si c'est celle de laquelle ilz ont pris mission, leur mission est fause ; car d'un'eglise fause ne peut sortir une vraye mission : si c'est leur eglise qui est fause, moins ont ilz mission ; car en un'eglise fause ne peut estre vraye mission. Comme que ce soit donques, ilz n'ont point eu de mission pour precher ce quilz ont preché : puysque si l'Eglise en laquelle ilz ont estés ordonnés estoit vraye, ilz sont hæretiques d'en estre sortis et d'avoir præché contre sa creance ; et si elle n'estoit vraye, elle ne leur pouvoit donner mission.

            2. Outre cela, quoy quilz eussent eu mission en l'Eglise Romaine, ilz ne l'ont pas eu pour en sortir et distraire de son obeissance ses enfans : certes, le commissaire ne doit pas exceder les bornes de sa commission, ou c'est pour neant. [28]

            3. Luther, Œcolampade ou Calvin n'estoyent pas evesques ; comme donques pouvoyent ilz communiquer aucune mission a leurs successeurs de la part de l'Eglise Romaine, qui proteste en tout et par tout quil ni a que les Evesques qui puyssent envoyer, et que cela n'appartient aucunement aux simples prestres ? en quoy saint Hierosme mesme a mis la difference qui est entre le simple prestre et l'Evesque, en l'epistre ad Evagrium ; et saint Augustin et Epiphane mettent Aerius en conte avec les hæretiques par ce quil tenoit le contraire.

 

Article III. Les Ministres n'ont pas la Mission extraordinaire

 

 

            Ces raysons sont si vives, que les plus asseurés des vostres ont pris party ailleurs qu'en la mission ordinayre, et ont dict quilz estoyent envoyés extraordinairement de Dieu, par ce que la mission ordinaire avoit esté gastëe et abolie, quand et quand la vraÿe Eglise, || sous la tirannie de l'Antichrist. || Voicy leur plus asseurëe retraitte, laquelle, par ce quell'est commune a toutes sortes d'heretiques, merite d'estre attaquee a bon escient, et ruynee sans dessus dessous. Mettons donques nostre dire par ordre, pour voir si nous pourrons forcer ceste leur derniere baricade.

            Je dis, donques, 1., que personne ne doit alleguer une mission extraordinayre qui ne la prouve par miracles. 1. Car, je vous prie, a quoy en serions nous, si ce prætexte de mission extraordinaire estoit recevable sans preuve ? ne seroit ce pas un voile a toutes sortes de resveries ? Arrius, Marcion, Montanus, Massalius, ne pourroyent ilz pas estre receuz a ce grade de reformateurs en prestant le mesme serment ? 2. Jamais personne ne fut envoyé extraordinairement qui ne prit ceste lettre de creance de la divine Majesté. Moyse fut envoÿé [29] immediatement de Dieu pour gouverner le peuple d'Israel ; il voulut sçavoir le nom de l'envoyoit, et quand il eut appris ce nom admirable de Dieu, il demanda des marques et patentes de sa commission : ce que nostre Dieu trouva si bon, quil luy donna la grace de trois sortes de prodiges et merveilles, qui furent comme troys attestations, en trois divers langages, de la charge quil luy donnoit, affin que qui n'entendroit l'une entendit l'autre. Si donques ilz alleguent la mission extraordinaire, quilz nous monstrent quelques œuvres extraordinaires, autrement nous ne sommes pas obligés de les croire. Vrayement Moyse monstre bien la necessité de ceste preuve a qui veut parler extraordinairement ; car, ayant a demander le don d'eloquence a Dieu, il ne le demande qu'apres avoir le pouvoir des miracles, monstrant quil est plus necessaire d'avoir l'authorité de parler que d'en avoir la promptitude. La mission de saint Jan Baptiste, quoy qu'elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut elle pas authentiquëe par sa conception, sa nativité, et mesme par sa vie tant miraculeuse, a laquelle Nostre Seigneur donna si bon tesmoignage ? Mays quand aux Apostres, qui ne sçait les miracles quilz faysoyent et le grand nombre d'iceux ? leurs mouchoirs, leur ombre servoit a la prompte guerison des malades et a chasser le diable : Par les mains des Apostres estoyent faitz beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple : et que ce fut en confirmation de leur prædication, saint Marc le dict tout ouvertement, es dernieres paroles de son Evangile, et saint Pol, aux Hebreux. Comment donques se voudront excuser et relever de ceste preuve pour leur mission ceux qui en nostr'aage en veulent avancer un'extraordinaire ? quel privilege ont ilz plus qu'Apostolique et Mosaique ? Que diray je plus ? Si nostre sauverain Maistre, consubstantiel au Pere, duquel la mission est si authentique qu'elle presuppose [30] la communication de mesm'essence, luy mesme, dis je, qui est la source vive de toute mission Ecclesiastique, n'a pas voulu s'exempter de ceste preuve de miracles, quelle rayson y a il que ces nouveaux ministres soyent creus a leur seule parole ? Nostre Seigneur allegue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en credit : Comme mon Pere m'a envoyé, je vous envoÿe. Ma doctrine n'est point mienne, mays de Celuy qui m'a envoyé. Et vous me connoisses, et sçaves d'ou je suys, et ne suys point venu de par moy mesme. Mays aussy, pour donner authorité a sa mission, il met en avant ses miracles, ains atteste que, sil n'eust faict des œuvres que nul autre n'a faict parmi les Juifz, ilz n'eussent point eu de peché de ne croire point en luy ; et ailleurs il leur dict : Ne croyes vous pas que mon Pere est en moy et moy en mon Pere ? au moins croyes le par les œuvres. Qui sera donc si osé que de se vanter de la mission extraordinayre, sans produyre quand et quand des miracles, il merite d'estre tenu pour imposteur : or est il que ni vos premiers ni derniers ministres n'ont faict aucun miracle : ilz n'ont donq point de mission extraordinaire. Passons outre.

            Je dis, secondement, que jamais aucune mission extraordinaire ne doit estre receüe, estant desadvouëe de l'authorité ordinaire qui est en l'Eglise de Nostre Seigneur. Car, 1. nous sommes obligés d'obeir a nos pasteurs ordinaires sous peyne d'estre publicains et payens ; comment donques nous pourrions nous ranger sous autre discipline que la leur ? les extraordinaires viendroyent pour neant, puysque nous serions obligés de ne les ouïr pas, en cas, comme j'ay dict, quilz fussent desavoüés des ordinaires. 2. Dieu n'est point autheur de division, mais d'union et concorde, principalement entre ses disciples et ministres ecclesiastiques, comme Nostre Seigneur monstre clairement en la sainte priere quil fit a son Pere es derniers jours de sa vie mortelle. Comment donques authorizeroit il deux sortes de pasteurs, l'une extraordinaire, l'autre ordinaire ? [31] Quand a l'ordinaire qu'elle soit authorisëe, cela est certain ; quand a l'extraordinaire, nous le præsupposons : ce seroyent donques deux eglises differentes, qui est contre la plus pure parole de Nostre Seigneur, qui n'a qu'une seul'espouse, qu'une seule colombe, qu'une seule parfaitte. Et comme pourroit estre le trouppeau uny, conduict par deux pasteurs, incogneuz l'un a l'autre, a divers repaires, a divers huchemens et redans, et dont l'un et l'autre voudroit tout avoir ? Ainsy seroit l'Eglise, sous diversité de pasteurs ordinayres et extraordinaires, tirassëe ça et la en diverses sectes. Et quoy ? Nostre Seigneur est il divisé, ou en luy mesme ou en son cors qui est l'Eglise ? Non, pour vray, mays, au contraire, il ni a qu'un Seigneur ; lequel a basti son cors mistique avec une belle varieté de membres tres bien agencés, assemblés et serrés comtement, par toutes les joinctures de la sousministration mutuelle ; de façon que de vouloir mettr'en l'Eglise ceste division de troupes ordinayres et extraordinaires, c'est la ruyner et perdre. Il faut donques revenir a ce que nous disions, que jamais la vocation extraordinaire n'est legitime quand ell'est desavouëe de l'ordinaire. 3. Et de faict, ou me monstrera on jamais une vocation legitime extraordinaire qui n'aÿe esté receüe par l'authorité ordinayre ? Saint Pol fut appellé extraordinairement, mays ne fut il pas approuvé et authorisé par l'ordinaire, une et deux fois ? et la mission receüe par l'authorité ordinaire est appellëe mission du Saint Esprit. La mission de saint Jan Baptiste ne se peut pas bien dire extraordinaire, parce quil n'enseignoit rien contre l'eglise Mosaique, et par ce quil estoit de la race sacerdotale : si est ce neanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouëe par l'ordinayre magistrat de l'eglise Judaique, en la belle legation qui luy fut faicte par les prestres et levites, la teneur de laquelle præsuppose une grande estime et reputation en laquelle il estoit vers eux ; et les Phariseens mesmes, qui estoyent assis sur la chaire de Moise, ne venoyent ilz pas communiquer a son baptesme tout ouvertement, [32] sans scrupule ? c'estoit bien recevoir sa mission a bon escient. Nostre Seigneur mesme, qui estoit le Maistre, ne voulut il pas estre receu de Simeon qui estoit prestre, comm'il appert en ce quil benit Nostre Dame et Joseph, par Zacharie prestre, et par saint Jan ; et mesmes pour sa Passion, qui estoit l'execution principale de sa mission, ne voulut il pas avoir le tesmoignage prophetique du grand Prestre qui estoit pour lhors ? 4. Et c'est ce que saint Pol enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celuy qui est appelle de Dieu, comm'Aaron : car la vocation d'Aaron fut faitte par l'ordinaire, Moyse, si que Dieu ne mit pas sa sainte parole en la bouche de Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement : Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche ; et je seray en ta bouche et en la sienne. Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme, 5. que la vocation des pasteurs et magistratz ecclesiastiques doit estre faite visiblement ou perceptiblement, non par maniere d'enthousiasme et motion secrette : car voyla deux exemples quil propose ; d'Aaron, qui fut oint et appellé visiblement, et puys de Nostre Seigneur et Maistre, qui, estant sauverain Pontife et Pasteur de tous les siecles, ne s'est point clarifié soy mesme, c'est a dire, ne s'est point attribué l'honneur de sa sainte prestrise, comme avoit dict saint Pol au paravant, mays a esté illustré par Celuy qui luy a dict : Tu es mon Filz, je t'ay engendré au jourdhuy, et, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedech. Je vous prie, penses a ce trait. Jesus Christ est sauverain Pontife selon l'ordre de Melchisedec : s'est il ingeré et poussé de luy mesme a cest honneur ? non, mays y a esté appellé. Qui l'a appellé ? son Pere Eternel. Et comment ? immediatement et mediatement tout ensemble : immediatement, en son Baptesme et en sa Transfiguration, avec ceste voix : Cestuyci est mon Filz bien aymé auquel j'ay pris mon bon playsir, escoutes le ; mediatement, par les [33] Prophetes, et sur tout par David es lieux que saint Pol cite a ce propos des Psalmes : Tu es mon Filz, je t'ay engendré aujourdhuy, Tu es prestr'eternellement, selon l'ordre de Melchisedec. Et par tout la vocation est perceptible : la parole en la nuëe fut ouÿe, et en David ouÿe et leüe ; mais saint Pol, voulant monstrer la vocation de Nostre Seigneur, apporte les passages seulz de David, par lesquelz il dict Nostre Seigneur avoir esté clarifié de son Pere, se contentant ainsy de produyre le tesmoignage perceptible, et faict par l'entremise des Escritures ordinaires et des Prophetes receuz.

            Je dis, 3., que l'authorité de la mission extraordinaire ne destruict jamais l'ordinaire, et n'est donnee jamais pour la renverser : tesmoins tous les Prophetes, qui jamais ne firent autel contr'autel, jamais ne renverserent la prestrise d'Aaron, jamais n'abolirent les constitutions sinagogiques ; tesmoin Nostre Seigneur, qui asseure que tout royaume divisé en soymesme sera desolé, et l'une mayson tumbera sur l'autre ; tesmoin le respect quil portoit a la chaire de Moyse, la doctrine de laquelle il vouloit estre gardëe. Et de vray, si l'extraordinaire devoit abolir l'ordinaire, comment sçaurions nous quand, a qui, et comment, nous nous y devrions ranger ? Non, non, l'ordinaire est immortelle pendant que l'Eglise sera ça bas au monde : Les pasteurs et docteurs quil a donnés une fois a l'Eglise doivent avoir perpetuelle succession, pour la consummation des Saintz, jusques a ce que nous nous rencontrions tous en l'unité de la foy, et de la connoissance du Filz de Dieu, en homme parfaict, a la mesure de l'aage entiere de Christ ; affin que nous ne soyons plus enfans, flotans et demenés ça et la a tous vens de doctrine, par la piperie des hommes et par leur rusëe seduction. Voyla le beau discours que faict saint Pol, pour monstrer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n'avoient perpetuelle succession, ains fussent sujetz a l'abrogation des extraordinaires, nous n'aurions aussi qu'une foy. [34] et discipline desordonnee et entrerompue a tous coupz, nous serions sujetz a estre seduictz par les hommes qui a tous propos se vanteroyent de l'extraordinaire vocation, ains, comme les Gentilz, nous cheminerions (comme il insere apres) en la vanité de nos entendemens, un chacun se faysant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint Esprit : dequoy nostre aage fournit tant d'exemples, que c'est une des plus fortes raysons qu'on puysse præsenter en cest'occasion ; car, si l'extraordinaire peut lever l'ordinair'administration, a qui en laisserons nous la charge ? a Calvin, ou a Luther ? a Luther, ou au Pacimontain ? au Pacimontain, ou a Blandrate ? a Blandrate, ou a Brence ? a Brence, ou a la Reyne d'Angleterre ? car chacun tirera de son costé ceste couverte de la mission extraordinaire. Or la parole de Nostre Seigneur nous oste de toutes ces difficultés, qui a edifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d'enfer ne prævaudront jamais contre elle. Que si jamais elles n'ont prævalu ni prævaudront, la vocation extraordinaire ny est pas necessaire pour l'abolir : car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq aboliroit il l'Eglis'ordinaire pour en faire d'extraordinaires ? veu que c'est luy qui a edifié l'ordinaire sur soymesme, et l'a cimentee de son sang propre.

 

 

 

Article IV. Réponse aux arguments des Ministres

 

 

            Je n'ay encor sceu rencontrer parmy vos maistres que deux objections a ce discours que je viens de faire ; dont l'une est tirëe de l'exemple de Nostre Seigneur et des Apostres, l'autre, de l'exemple des Prophetes.

            Mays quand a la premiere, dites moy, je vous prie, [35] trouves vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Nostre Seigneur ? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie ? son tems n'avoit il pas esté determiné par Daniel ? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches ? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaïque, mays ce changement la n'avoit il pas esté prædit ? Il a changé par consequence le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur ; tout cela n'est ce pas selon les tesmoignages anciens ? Vos ministres n'ont point esté prophetisés en qualité de prædicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions ; ilz ont faict un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que Nostre Seigneur ne fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n'en ont point a cest effect. Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de produyre des miracles sur une telle mutation, quoy que vous tiries prætexte de l'Escriture ; puysque Nostre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures. Mays ou me monstreront ilz que l'Eglise doive jamais plus recevoir un'autre forme, ou semblable reformation, que celle qu'y fit Nostre Seigneur ?

            Et quand aux Prophetes, j'en voys abusés plusieurs, 1. On pense que toutes les vocations des Prophetes ayent esté extraordinayres et immediates : chose fause ; car il [y] avoit des colleges et congregations de Prophetes reconneuz et advoüés par la Sinagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l'Escriture. Il y en avoyt en Ramatha, en Bethel, en Hiericho ou Elisëe habita, en la montaigne d'Ephraim, en Samarie ; Elisëe mesme fut oint par Helie ; la vocation de Samuel fut recogneùe et advouëe par le grand Prestre, et en Samuel recommença le Seigneur a s'apparoistre en Silo, comme dict l'Escriture, qui [36] faict que les Juifz tiennent Samuel comme fondateur des congregations prophetiques. 2. On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la prædication : ce qui n'estoit pas, comm'il appert des sergens de Saul et de Saul mesme. De façon que la vocation des Prophetes ne sert de rien a celle des hæretiques ou schismatiques, car :

            1. Ou ell'estoit ordinaire, comme nous avons monstré cy devant, ou approuvëe du reste de la Sinagogue, comm'il est aysé a voir en ce qu'on les reconnoissoit incontinent, et en faysoit on conte en tous lieux parmi les Juifz, les appellans hommes de Dieu : et a qui regardera de pres l'histoire de cest'ancienne Sinagogue, verra que l'office des prophetes estoit aussy commun entr'eux qu'entre nous des prædicateurs.

            2. Jamais on ne monstrera prophete qui voulut renverser la puissance ordinaire, ains l'ont tousjours suyvie, et n'ont rien dict contraire a la doctrine de ceux qui estoyent assis sur la chaire Mosaïque et Aaronique ; ains il s'en est trouvé qui estoyent de la race sacerdotale, comme Jeremie, filz d'Helcias, et Ezechiel, filz de Buzi ; ilz ont tousjours parlé avec honneur des Pontifes et succession sacerdotale, quoy quilz ayent repris leurs vices. Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu'a venir, et Zacharie prophete a tesmoins, comme s'il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes ; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche ; car c'est l'ange du Seigneur des armëes ? tant s'en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l'ordinaire.

            3. Les Prophetes, combien de miracles ont ilz faictz en confirmation de la vocation prophetique ? ce ne seroit jamais faict si j'entrais en ce denombrement. Mays si quelquefois ilz ont faict chose qui eut quelque visage d'extraordinaire pouvoir, incontinent les miracles se sont ensuyvis : tesmoin Elie, qui dressant un autel en Carmel selon l'instinct quil en avoit eu du Saint [37] Esprit, et sacrifiant, monstra par miracle quil le faisoit a l'honneur de Dieu et de la religion Juifve.

            4. En fin, vos ministres auroyent bonne grace silz vouloient s'usurper le pouvoir de prophetes, eux qui n'en ont jamais eu le don ni la lumiere : ce seroit plustost a nous, qui pourrions produire infinité des propheties des nostres ; comme de saint Gregoire Taumaturge, au rapport de saint Basile, de saint Anthoine, tesmoin Athanase, de l'abbé Jan, tesmoin saint Augustin, de saint Benoist, saint Bernard, saint François et mill'autres. Si donques il est question entre nous de l'authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l'effect, non pas a vos ministres qui n'en ont jamais faict un brin de preuve : sinon quilz voulussent appeller propheties la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de Eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la prædiction quil fit, l'an 25 de ce siecle, que sil præchoit encor deux ans il ne demeureroit ni Pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe. Et de vray, il ny a qu'un mal en ceste prophetie, c'est seulement faute de verité ; car il præcha encor pres de vingt deux, et neantmoins encor se trouve il des prestres et des clochers, et en la chaire de saint Pierre est assis un Pape legitime.

            Vos premiers ministres donques, Messieurs, sont de ces prophetes que Dieu defendoit d'estr'ouÿs parler, [en] Hieremie : Ne veuilles ouyr les paroles des prophetes qui prophetisent et vous deçoivent ; ilz parlent la vision de leur cœur, et non point par la bouche du Seigneur. Je n'envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent ; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J'ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j'ay songé, j'ay songé. Vous sembl'il pas que ce soyent Luther et Zuingle avec leurs propheties et visions ? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eüe pour sa cene, qui donna occasion a Luther d'escrire son livre, Contra cœlestes prophetas ? C'est [38] bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n'avoir pas estés envoyés ; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict : car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher ? On ne peut s'enrooler sous aucun capitayne sans l'aveu du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, mesme pour sortir de l'estat auquel vous esties nay et nourry qui est l'Eglise Catholique ? Ilz sont coulpables d'avoir faict de leur propr'authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis ; dont vous estes inexcusables. || Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant esté apellé par trois fois de Dieu, pensa tousjours que ce fut Heli qui l'eut appellé, et a la 4me seulement s'addressa a Dieu, comm'a celuy qui l'appeloit. Il a semblé par trois foys a vos ministres que Dieu les eust appellé : 1. par les peuples et magistratz, 2. par nos Evesques, 3. par sa voix extraordinaire. Non, non, qu'ilz... || Samuel fut appellé troys fois de Dieu, et selon son humilité il pensoyt que ce fut une vocation d'homme, jusques a tant qu'enseigné par Heli il conneust que c'estoit la voix divine. Vos ministres, Messieurs, produysent trois vocations de Dieu : par les magistratz seculiers, par les Evesques, et par la voix extraordinaire ; ilz pensent que ce soyt Dieu qui les aÿe apellé en ces troys façons la. Mays non, que maintenant, enseignés de l'Eglise, ilz reconnoyssent que c'est une vocation de l'homme, et que les oreilles ont corné a leur viel Adam, et s'en remettent a celuy qui, comm'Heli, præside maintenant a l'Eglise.

            Et voyla la premiere rayson qui rend vos ministres et vous aussy, quoy qu'inegalement, inexcusables devant Dieu et les hommes d'avoir laissé l'Eglise. [39]

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Chapitre II. Erreurs des Ministres sur la Nature de l'Eglise

 

 

 

Article premier. Que l'Eglise Chrestienne est visible

 

 

            Au contraire, Messieurs, l'Eglise qui contredisoit et s'opposoit a vos premiers ministres, et s'oppose encores a ceux de ce tems, est si bien marquëe de tous costés, que personne, tant aveuglé soit il, ne peut prætendre cause d'ignorance du devoir que tous les bons Chrestiens luy ont, et que ce ne soit la vraÿe, unique, inseparable et tres chere Espouse du Roy celeste ; qui rend vostre separation d'autant plus inexcusable. Car, sortir de l'Eglise, et contredire a ses decretz, c'est tousjours se rendre ethnique et publicain, quand ce seroit a la persuasion d'un ange ou seraphim ; mays, a la persuasion d'hommes pecheurs a la grande forme, comme les autres, personnes particulieres, sans authorité, sans adveu, sans aucune qualité requise a des precheurs ou profetes que la simple connoissance de quelques sciences, rompre tous les liens et [la] plus religieuse obligation d'obeissance qu'on eust en ce monde, qui est celle qu'on doit a l'Eglise comm'Espouse de Nostre Seigneur, c'est une faute qui ne se peut couvrir que d'une grande [40] repentance et pœnitence, a laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant.

            Les adversaires, voyans bien qu'a ceste touche leur doctrine seroit reconneüe de bas or, ont tasché par tous moyens de nous divertir de ceste preuve invincible que nous prenons es marques de la vraÿe Eglise, et partant ont voulu maintenir que l'Eglise est invisible et imperceptible, et par consequent irremarquable. Je crois que cestecy est l'extrem'absurdité, et qu'au pardela immediatement se loge la frenesie et rage.

            Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise ; car les uns disent qu'ell'est invisible par ce qu'elle consiste seulement es personnes esleües et prædestinëes, les autres attribuent cest'invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles : dont les premiers tiennent l'Eglis'estre en tous tems invisible, les autres disent que cest'invisibilité a duré environ mill'ans, ou plus ou moins, c'est a dire, des saint Gregoire jusqu'a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme ; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert. Ceste theologie est [tant] imaginaire et damnatoire, que les autres ont mieux aymé dire que durant ces mill'ans l'Eglise n'estoit ni visible ni invisible, mays du tout abolie et estoufëe par l'impieté et l'idolatrie.

            Permettes moy, je vous prie, que je die librement la verité. Tous ces discours ressentent le mal de chaud ; ce sont des songes qu'on faict en veillant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant ; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l'interpretation de Daniel : car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accreut tellement que devenue montaigne elle remplit toute [41] la terre ; et Daniel l'entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera æternellement. S'il est comm'une montaigne, et si grande qu'elle remplit la terre, comme sera elle invisible ou secrette ? et s'il dure æternellement, comm'aura il manqué 1000 ans ? Et c'est bien du royaume de l'Eglise militante que s'entend ce passage : car, 1. celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l'interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle ; joint que d'estre taillé de la montaigne sans œuvre manuelle appartient a la generation temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit. Ou donques Daniel a mal deviné, ou les adversaires de l'Eglise Catholique, quand ilz disoyent l'Eglis'estre invisible, cachëe et abolie. Ayes patience, au nom de Dieu ; nous irons par ordre et briefvement, monstrant la vanité de ces opinions.

            Mays il faut avant tout dire que c'est qu'Eglise. Eglise vient du mot grec qui veut dire, appeller ; Eglise donques signifie un'assemblëe ou compaignie de gens appellés : Sinagogue veut dire un troupeau, a proprement parler. L'assemblëe des Juifz s'appelloyt Sinagogue, celle des Chrestiens s'appelle Eglise : par ce que les Juifz estoyent comm'un troupeau de bestail, assemblé et entroupelé par crainte, les Chrestiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appellés ensemble en union de charité par la prædication des Apostres et leurs successeurs ; dont saint Augustin a dict : « L'Eglise est nommee de la convocation, la Sinagogue, du troupeau ; par ce qu'estre convoqué appartient plus aux hommes, estr'entroupelé appartient plus au bétail. » Or c'est a bonne rayson que l'on [a] apelé le peuple Chrestien Eglise ou convocation, par ce que [le] premier benefice que Dieu faict a l'homme pour le mettr'en grace, c'est de l'appeller a l'Eglise ; c'est le premier effect de sa prædestination : Ceux quil a prædestinés il les [42] a appellés, disoit saint Pol aux Romains ; et aux Collossiens : Et la paix de Christ tressaute en vos cœurs, en laquelle vous estes appelles en un cors. Estr'apellés en un cors c'est estr'apellés en l'Eglise ; et en ces similitudes que faict Nostre Seigneur en saint Mathieu, de la vigne et du banquet avec l'Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme apellés et convoqués : Plusieurs, dict il, sont apellés, mays peu sont esleuz. Les Atheniens appelloyent eglise la convocation des cytoyens, la convocation des estrangers s'apelloyt autrement, διαχλήσις ; dont le mot d'Eglise vient proprement aux Chrestiens, qui ne sont plus advenaires et passans, mais concitoyens des Saintz et domestiques de Dieu.

            Voyla d'où est pris le mot d'Eglise, et voicy la definition d'icelle. L'Eglise est une sainte université ou generale compaignie d'hommes, unis et recueillis en la profession d'une mesme foi Chrestienne, en la participation de mesmes Sacremens et Sacrifice, et en l'obeissance d'un mesme vicaire et lieutenant general en terre de Nostre Seigneur Jesuchrist et successeur de saint Pierre, sous la charge des legitimes Evesques. J'ay dict avant tout que c'estoit une sainte compaignie ou assemblëe, par ce que la sainteté interieure.       

            J'entens parler de l'Eglise militante de laquelle l'Escriture nous a laissé tesmoignage, non de celle que proposent les hommes. Or, en toute l'Escriture, il ne se trouvera jamais que l'Eglise soit prise pour un'assemblee invisible. Voicy nos raysons, simplement estalëes :

            1. Nostre Seigneur et Maistre nous renvoÿe a l'Eglise en nos difficultés et dissentions ; saint Pol enseigne son Timothee comm'il faut converser en icelle, il fit apeller les Anciens de l'Eglise Myletayne, il leur remonstre quilz sont constitués du Saint Esprit pour regir l'Eglise, il est envoyé par l'Eglise avec saint Barnabas, il fut receu par l'Eglise, il confirmoit les Eglises, il constitue des prestres par les Eglises, il [43] assemble l'Eglise, il salue l'Eglise en Cæsaree, il a persecuté l'Eglise. Comme se peut entendre tout cecy d'une Eglise invisible ? ou la chercherait on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir ? Quand ell'envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l'assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit ? Je ne crois pas que chacun ne voye clerement que c'estoit effectz visibles et perceptibles de part et d'autre. Et quand il luy escrivoit, s'addressoyt il a quelque chimere invisible ?

            2. Que dira l'on aux propheties, qui nous repræsentent l'Eglise non seulement visible mays toute claire, illustre, manifeste, magnifique ? Ilz la depeignent comm'une reyne parëe de drap d'or recamé, avec une belle varieté d'enrichissemens, comm'une montaigne, comm'un soleil, comm'une pleyne lune, comme l'arc en ciel, tesmoin fidele et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la posterité de Noë, qui est ce que le Psalme porte en nostre version : Et thronus ejus sicut sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in æternum, et testis in cælo fidelis.

            3. L'Escriture atteste par tout qu'elle se peut voir et connoistre, ains qu'ell'est conneue. Salomon, es Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dict il pas : Les filles l'ont veüe et l'ont præchëe pour tresheureuse ? Et puys, introduysant ses filles pleynes d'admiration, il leur faict dire : Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm'une aurore en son lever, belle comme la lune, esleüe comme le soleil, terrible comm'un esquadron de gendarmerie bien ordonné ? N'est ce pas la declairer visible ? Et quand il faict qu'on l'apelle ainsy : Reviens, reviens, Sullamienne, reviens, reviens, affin qu'on te voÿe, et qu'elle responde : Qu'est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees ? n'est ce pas encores la declairer visible ? Qu'on regarde ces admirables [44] cantiques et repræsentations pastorales des amours du celest'Espoux avec l'Eglise, on verra que par tout ell'est tres visible et remarquable. Esaïe, parl'ainsy d'elle : Ce vous sera une voÿe droite, si que les folz ne s'egareront point par icelle ; faut il pas bien qu'elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s'y sçauront conduyre sans se faillir ?

            4. Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donques l'Eglise est visible : car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise sont ilz pas une partie de l'Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s'entrereconnoissent les uns et les autres ? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent ? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et bercaïl ? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoistre son troupeau ni le voir. Je ne sçay s'il me faudra prouver que les pasteurs de l'Eglise soyent visibles ; on nie bien des choses aussy claires. Saint Pierre estoit pasteur, ce crois je, puysque Nostre Seigneur luy disoit : Repais mes brebis ; aussy estoyent les Apostres, et neantmoins on les a veu. Je crois que ceux ausquelz saint Pol disoit : Prenes gard'a vous et a tout le troupeau, auquel le Saint Esprit vous a constitués pour regir l'Eglise de Dieu, je crois, dis je, quil les voyoit ; et quand ilz se jettoyent comme bons enfans au col de ce bon [pere], le baysans et baignans sa face de leurs larmes, je crois quil les touchoit, sentoyt et voyoit : et ce qui me le faict plus croire, c'est quilz regrettoyent principalement son départ par ce quil avoit dict quilz ne verroyent plus sa face ; ilz voyoyent donques saint Pol, et saint Pol les voyoit. En fin, Zuingle, Œcolampade, Luther, Calvin, Beze, Muscule, sont visibles, et quand aux derniers il y en a plusieurs qui les ont veu, et neantmoins ilz sont appellés pasteurs par leurs sectateurs. On voyt donq les pasteurs, et par consequent les brebis.

            5. C'est le propre de l'Eglise de faire la vraÿe prædication [45] de la Parole de Dieu, la vraye administration des Sacremens ; et tout cela est il pas visible ? comme donques veut on que le sujet soit invisible ?

            6. Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob, furent la source vive de l'eglise d'Israel ; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir, on les voyoit, on s'entrevoyoit entr'eux. Que m'amuse je faire en cela ? toute l'histoire sacrëe faict foy que l'ancienne Sinagogue estoit visible, et pourquoy non l'Eglise Catholique ?

            7. Comme les Patriarches, peres de la Sinagogue Israelitique, et desquelz Nostre Seigneur est né selon la chair, faysoyent l'eglise [Judaïque] visible, ainsy les Apostres avec leurs disciples, enfans de la Sinagogue selon la chair, et, selon l'esprit, de Nostre Seigneur, donnerent le commencement a l'Eglise Catholique visiblement, selon le Psalmiste : Pour tes peres te sont nais des enfans, tu les constitueras princes sur toute la terre : « pour douze Patriarches te sont nais douze » Apostres, dict Arnobe. Ces Apostres assemblés en Hierusalem, avec la petite troupe des disciples et la tresglorieuse Mere du Sauveur, faysoyent la vraye Eglise ; et comment ? visible, sans doute, ains tellement visible que le Sainct Esprit vint arrouser visiblement ces saintes plantes et pepinieres du Christianisme.

            8. Les anciens Juifz comm'entroyent ilz sur le roole du peuple de Dieu ? par la circoncision, signe visible ; nous autres, par le Baptesme, signe visible. Les anciens par qui gouvernés ? par les prestres Aaroniques, gens visibles ; nous autres, par les Evesques, personnes visibles. Les anciens par qui prechés ? par les Prophetes et docteurs, visiblement ; nous autres, par nos pasteurs et prædicateurs, visiblement encores. Les anciens quelle manducation religieuse et sacrëe avoyent ilz ? de l'aigneau Paschal, de la manne, tout est visible ; nous [46] autres, du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, signe visible quoy que de chose invisible. La Sinagogue par qui persecutëe ? par les Egiptiens, Babiloniens, Madianites, Philistins, tous peuples visibles ; l'Eglise, par les payens, Turcs, Mores, Sarrasins, hæretiques, tout est visible. Bonté de Dieu, et nous demanderons encores si l'Eglise est visible ? Mays qu'est ce que l'Eglise ? une assemblëe d'hommes qui ont la chair et les os ; et nous dirons encores que ce n'est qu'un esprit ou fantosme, qui sembl'estre visible et ne l'est que par illusion ? Non, non, qu'est ce qui vous troubl'en cecy, et d'ou vous peuvent venir ces pensers ? Voyes ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs ; voyes ses pieds, regardes ses prædicateurs comm'ilz la portent en levant, couchant, mydi et septentrion : tous sont de chair et d'os. Touches la, venes comm'humbles enfans vous jetter au giron de ceste douce mere ; voyes la, consideres la bien tout'en son cors comm'ell'est toute belle, et vous verres qu'ell'est visible, car une chose spirituelle et invisible n'a ni chair ni os comme voyes qu'elle a.

            Voyla nos raysons, qui sont bonnes a tout'espreuve ; mays ilz ont quelques contreraysons, quilz tirent ce leur semble de l'Escriture, bien aysëes a rabbatre a qui considerera ce qui s'ensuit :

             Premierement, Nostre Seigneur avoit en son humanité deux parties, le cors et l'ame : ainsy l'Eglise son Espouse a deux parties ; l'une interieure, invisible, qui est comme son ame, la foy, l'esperance, la charité, la grace ; l'autre exterieure et visible comme le cors, la confession de foy, les louanges et cantiques, la prædication, les Sacremens, [le] Sacrifice : ains tout ce qui se faict en l'Eglise a son exterieur et interieur ; la priere interieure et exterieure, la foy remplit le cœur d'asseurance et la bouche de confession, la prædication se faict exterieurement par les hommes, mays la secrette [47] lumiere du Pere cæleste y est requise, car il faut tousjours l'ouyr et apprendre de luy avant que de venir au Filz ; et quand aux Sacremens, le signe y est exterieur mays la grace est interieure, et qui ne le sçait ? Voyla donq l'interieur de l'Eglise et l'exterieur. Son plus beau est dedans, le dehors n'est pas si excellent : comme disoit l'Espoux es Cantiques : Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans ; Le miel et le laict sont sous ta langue, c'est a dire en ton cœur, voyla le dedans, et l'odeur de tes vestemens comme l'odeur de l'encens, voyla le service exterieur ; et le Psalmiste : Toute la gloire de ceste fille royale est au par dedans, c'est l'interieur, Revestue de belles varietés en franges d'or, voyla l'exterieur.

            2nt, il faut considerer que tant l'interieur que l'exterieur de l'Eglise peut estre dict spirituel, mays diversement ; car l'interieur est spirituel purement et de sa propre nature, l'exterieur de sa propre nature est corporel, mays parce quil tend et vise a l'interieur spirituel on l'apelle spirituel, comme faict saint Pol les hommes qui rendoyent le cors sujet a l'esprit, quoy quilz fussent corporelz ; et quoy qu'une personne soit particuliere de sa nature, si est ce que servant au public, comme [les] juges, on l'apelle publique.

            Maintenant, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les cœurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie, on doit respondre, qu'en l'interieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l'exterieur qui la faict voir et reconnoistre ; ainsy quand il est dict en l'Evangile, que l'heur'est venüe quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité, nous sommes enseignés que l'interieur est le principal, et que l'exterieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'interieur pour s'y spiritualizer.

            De mesme, quand saint Pierre appelle l'Eglise mayson spirituelle, c'est par ce que tout ce qui part de [48] l'Eglise tend a la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est interieure, ou bien par ce que ce n'est pas une mayson faitte de chaux et sable, mays une mayson mistique de pierres vivantes, ou la charité sert de ciment.

            La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation : le royaume de Dieu c'est l'Eglise ; donq l'Eglise n'est pas visible. Responce : Le royaume de Dieu, en ce lieu la, c'est Nostre Seigneur avec sa grace, ou, si vous voules, la compaignie de Nostre Seigneur pendant quil fut au monde, dont il s'ensuit : Car voicy le royaume de Dieu est parmi vous ; et ce royaume icy ne comparut pas avec l'apparat et le fast d'une magnificence mondayne, comme les Juifz croyoyent ; et puys, comm'on a dict, le plus beau joyau de ceste fille royale est caché au dedans, et ne se peut voir.

            Quand a ce que saint Pol a dict aux Hebrieux, que nous ne sommes pas venus vers une montaigne maniable, comme celle de Sina, mays vers une Hierusalem cæleste, il ne faict pas a propos pour faire invisible l'Eglise ; car saint Pol monstre en cest endroit que l'Eglise est plus magnifique et enrichie que la Sinagogue, et qu'elle n'est pas une montaigne naturelle comme celle de Sina, mays mistique, dont il ne s'ensuit aucune invisibilité : outre ce qu'on peut dire avec rayson quil parle vrayement de la Hierusalem cæleste, c'est a dire de l'Eglise triomphante, dont il y adjouste, la frequence des Anges, comme sil vouloit dire qu'en la vielle Loy Dieu fut veu en la montaigne en une façon espouvantable, et que la nouvelle nous conduit a le voir en sa gloire la haut en Paradis.

            En fin, voyci l'argument que chacun crie estre le plus fort : je crois la sainte Eglise Catholique ; si je la crois ne la vois pas ; donques ell'est invisible. I a il rien de plus foible au monde que ce fantosme de rayson ? Les Apostres n'ont ilz pas creu Nostre Seigneur estre ressuscité, et l'ont ilz pas veu ? Par ce que tu m'as veu, dict il luymesme a saint Thomas, tu as creu ; et pour [49] le rendre croyant il luy dict : Voys mes mains, et apporte ta main et la metz dans mon costé, et ne soys plus incredule mais fidele : voyes comme la veüe n'empesche pas la foy, mays la produict. Or, autre chose vit saint Thomas et autre chose il creut ; il vit le cors, il creut l'esprit et la divinité, car sa veùe ne luy avoit pas appris de dire, Mon Seigneur et mon Dieu, mays la foy. Ainsy croit on un Baptesme pour la remission des pechés ; on voit le Baptesme, mais non la remission des pechés. Aussy voit on l'Eglise, mays non sa sainteté interieure, on voit ses yeux de colombe, mays on croit ce qui est caché au dedans, on voit sa robbe richement recamëe en belle diversité avec ses houppes d'or, mays la plus claire splendeur de sa gloire est au dedans, que nous croyons ; il y a en ceste royale Espouse de quoy repaistre l'œïl interieur et exterieur, la foy et le sens, et c'est tout pour la plus grande gloire de son Espoux.

 

 

 

Article II. Qu'en l'Eglise il y a des bons et des mauvais, des prædestinés et des reprouvés

 

 

            Pour rendre l'invisibilité de l'Eglise probable chacun produit sa rayson, mays la plus triviale que je voÿe c'est de s'en rapporter a l'eternelle prædestination. De vray, ceste ruse n'est pas petite, de destourner les yeux spirituelz des gens de l'Eglise militante a la prædestination eternelle, affin qu'esblouÿs a l'esclair de ce mistere inscrutable nous ne voyons pas ce qui est devant nous. Ilz disent donques quil y a deux eglises, une visible et imparfaite, l'autr'invisible et parfaitte, et que la visible [50] peut errer et s'esvanouir au vent des erreurs et idolatries, l'invisible, non. Que si on demande quell'est l'eglise visible, ilz respondent, que c'est l'assemblëe des personnes qui font profession de mesme foy et Sacremens, qui contient les bons et mauvais, et n'est eglise que de nom ; et l'eglise invisible est celle qui contient les esleuz seulement, qui, n'estans en la connoissance des hommes, sont seulement reconneuz et veuz de Dieu.

            Mays nous monstrerons clairement que la vraye Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les esleuz, et voyci dequoy :

            1. N'estoit ce pas la vraye Eglise celle que saint Pol apelloit, Colomne et fermeté de la verité, et mayson du Dieu vivant ? sans doute, car estre colomne de verité ne peut appartenir a un'eglise errante et vagabonde. Or l'Apostre atteste de ceste vraye Eglise, mayson de Dieu, qu'il y a en icelle des vaisseaux d'honneur, et de contumelie, c'est a dire des bons et des mauvais.

            2. N'est ce pas la vraÿe Eglise contre laquelle les portes d'enfer ne prævaudront point ? et neantmoins en icelle il y a des hommes qui ont besoin qu'on deslie leurs pechés, et d'autres ausquelz il les faut retenir, comme Nostre Seigneur faict voir en la promesse et puyssance qu'il en donne a saint Pierre. Ceux ausquelz on les retient ne sont ilz pas mauvais et reprouvés ? ains cela est propre aux reprouvés que leurs pechés soyent retenuz, et l'ordinaire des esleuz quilz leur soyent pardonnés : or, que ceux ausquelz saint Pierre avoit pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l'Eglise, il appert ; car de ceux qui ne sont en l'Eglise il n'appartient qu'a Dieu seul d'en juger ; ceux, donques, desquelz saint Pierre devoit juger n'estoyent pas hors de l'Eglise mays dedans, quoy quil en deut avoir de reprouvés.

            3. Et Nostre Seigneur nous enseigne il pas, qu'estans offensés par quelqu'un de nos freres, apres l'avoir repris et corrigé par deux fois en deux diverses façons, [51] nous le deferions a l'Eglise ? Dis le a l'Eglise ; que s'il n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique et publicain. On ne peut icy s'eschapper, l'argument est inevitable ; il s'agit d'un nostre frere qui ne soit ni payen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l'Eglise, et par consequent membre de l'Eglise, et neantmoins n'est pas inconvenient quil soit reprouvé, acariastre et obstiné. Les bons, donques, ne sont pas seulement de la vraye Eglise, mays les mauvais encores jusques a tant quilz en soyent chassés : sinon qu'on veuille dire que l'Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous renvoÿe soit l'eglise errante, peccante et antichrestienne ; ce seroit blasphemer trop a la descouverte.

            4. Quand Nostre Seigneur dict : Le serviteur ne demeure pas en la mayson a jamais, le filz y demeure tousjours, n'est ce pas autant que s'il disoit qu'en la mayson de l'Eglise y est l'esleu et le reprouvé pour un tems ? car, qui peut estre ce serviteur qui ne demeure pas tousjours en la mayson, que celuy la qui sera jetté une fois es tenebres exterieures ? et de faict, il monstre bien que c'est aussy [ce] quil entend, quand il dict immediatement devant : Qui faict peché est serviteur de peché. Or cestuyci, encor quil ni demeure pas a jamais, il y demeure neantmoins pour un tems, pendant quil y est retenu pour quelque service.

            5. Saint Pol escrit a l'Eglise de Dieu qui estoit a Corinthe, c. I. I ad Cor., v. 2, et neantmoins il veut qu'on en chasse un certain incestueux, c. 5. v. 2 : si on l'en chasse il y estoit, et sil y estoit, et que l'Eglise fut la compaignie des esleuz, comme l'en eut on peu lever ? les esleuz ne peuvent estre reprouvés.

            6. Mays pourquoy me niera-on que les reprouvés et mauvais soyent de la vraÿe Eglise, puysque mesmes ilz y peuvent estre pasteurs et evesques ? la chose est certayne. Judas est il pas reprouvé ? et toutefois il fut Apostre et Evesque, selon le Psalmiste, et saint Pierre, [52] qui dict qu'il eut part au ministere de l'apostolat, et tout l'Evangile, qui le met tousjours en conte au college des Apostres. Nicolas Antiochien fut il pas diacre comme saint Estienne ? et neantmoins plusieurs anciens Peres ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour hæresiarque, comm'entr'autres Epiphane, Philastre, Hierosme ; et de faict, les Nicolaites prirent occasion de luy de mettr'en avant leurs abominations, desquelz saint Jan en l'Apocalypse faict mention comme de vrais hæretiques. Saint Pol atteste aux prestres Ephesiens que le Saint Esprit les avoit faictz evesques pour regir l'Eglise de Dieu, mays il asseur'aussy que quelques uns d'entr'eux s'esleveroyent disans des meschancetés, pour desbaucher et s'attirer des disciples : il parle a tous quand il dict que le Saint Esprit les a faict evesques, et parle de ceux la mesme quand il dict que d'entr'eux s'esleveroyent des schismatiques.

            Mays quand auroys je faict, si je voulois entasser icy les noms de tant d'Evesques et prælatz lesquelz, apres avoir estés legitimement colloqués en cest office et dignité, sont decheuz de leur premiere grace, et sont mortz hæretiques ? Qui vit jamays rien de si saint pour un simple prestre qu'Origene, de si docte, si chaste, si charitable ? Il ni a celuy qui puysse lire ce qu'en escrit Vincent le Lyrinois, l'un des plus polys et doctes escrivains ecclesiastiques, et fayre consideration de sa damnable viellesse apres une si admirable et sainte vie, qui ne soit tout esmeu de compassion, de voir ce grand et valoureux nocher, apres tant de tempestes passëes, apres tant et de si riches traffiques quil avoit faict avec les Hebreux, Arabes, Chaldeens, Grecz et Latins, revenant plein d'honneur et de richesses spirituelles, fayre naufrage et se perdre au port de sa propre sepulture. Qui oseroit dire quil n'eust esté de la vraÿe Eglise, luy [qui] avoit tousjours combattu pour l'Eglise, et que toute l'Eglise honnoroit et tenoit pour l'un de ses plus grans docteurs ? et quoy ? le voyla en fin hæretique, excommunié, hors de l'Arche, perir au deluge de sa [53] propr'opinion. Et tout cecy est semblable a la sainte parole de Nostre Seigneur, qui tient les scribes et pharisiens estre vrais pasteurs de la vraÿe Eglise de ce tems la, puys quil commande qu'on leur obeisse, et neantmoins ne les tient pas pour esleuz ains plustost pour reprouvés. Or quell'absurdité seroit ce, je vous prie, si les seulz esleuz estoyent de l'Eglise ? il s'ensuyvroit ce qu'ont dict les Donatistes, que nous ne pourrions pas connoistre nos prælatz, et par consequent ne leur pourrions rendre l'obeissance : car, comme connoistrions nous si ceux qui se diroyent prælatz et pasteurs seroyent de l'Eglise ? puysque nous ne pouvons connoistre qui est prædestiné et qui non d'entre les vivans, comm'il se dira ailleurs ; et s'ilz ne sont de l'Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz ? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise ne fut de l'Eglise. Non seulement, donques, un reprouvé peut estre de l'Eglise, mais encores pasteur en l'Eglise ; l'Eglise donques ne peut estr'appellëe invisible pour estre composëe de seulz prædestinés.

            Je conclus tout ce discours par les comparaisons Evangeliques qui monstrent clairement toute ceste verité. Saint Jan faict semblable l'Eglise a l'aire d'une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mays encores la paille pour estre bruslëe au feu eternel ; ne sont ce pas les esleuz et les reprouvés ? Nostre Seigneur l'apparie au filet jetté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons ; a la compaignie de dix vierges dont il y en a cinq folles et cinq sages ; a trois valetz dont l'un est faineant et partant jetté es tenebres exterieures ; et en fin a un festin de noces dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n'ayans la robbe convenante sont jettés es tenebres exterieures. Ne sont ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les esleuz mais encores les reprouvés sont en l'Eglise ? Il faut donq fermer la porte de nostre propre jugement a toutes sortes d'opinions, et a ce propos encores, avec [54] ceste non jamais asses considerëe proposition : Il y en a beaucoup d'apellés, mais peu de choysis. Tous ceux qui sont en l'Eglise sont apellés, mays tous ceux qui y sont ne sont pas esleuz ; aussy Eglise ne veut pas dire election mays convocation.

            Mays ou trouveront ilz en l'Escriture aucun lieu qui leur puysse servir de quelqu'excuse en tant d'absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faict ? il ne manque pas de contreraysons en ce point, jamays l'opiniastreté n'en laisse avoir faute a ses serviteurs.

            Apporteront ilz donques ce qui est escrit aux Cantiques, de l'Espouse, que c'est un jardin fermé, une fontayne ou source cachetëe, un puys d'eau vivante, qu'elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dict l'Apostre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculëe ? Je les prie de bon cœur quilz regardent ce quilz veulent conclure de cecy, car silz veulent conclure quil ni doive point avoir en l'Eglise que de saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur feray voir avec ces mesmes passages quil ny a en l'Eglise ni esleu ni reprouvé : car, n'est ce pas « la voix humble mais veritable, » comme dict le grand Concile de Trente, « de tous les justes » et esleuz, « remettes nous nos debtes comme nous les remettons a nos debiteurs » ? Je tiens saint Jaques pour esleu, et neantmoins il confesse : Nous offençons tous en plusieurs choses ; saint Jan nous ferme la bouche et a tous les esleuz, affin que personne ne se vante d'estre sans peché, ains au contraire veut [que] chacun sache et confesse quil peche ; je crois que David en son ravissement et extase sçavoit que c'estoit que des esleuz, et neantmoins il tenoit tout homme pour mensonger. Si, donques, ces saintes qualités donnëes a l'espouse Eglise se doivent prendre risq a risq, quil ni ayt aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la verification de ses beaux tiltres, les esleuz de ce monde n'en seront pas capables. Mettons donques la verité au net. [55]

            1. L'Eglise en cors est toute belle, sainte, glorieuse, et quand aux meurs et quand a la doctrine. Les meurs dependent de la volonté, la doctrine, de l'entendement : en l'entendement de l'Eglise jamais ny entra fauseté, ni en la volonté aucune meschanceté ; elle peut par la grace de son Espoux dire comme luy : Qui d'entre vous, o conjurés ennemys, me reprendra de peché ? Et ne s'ensuit pour tant pas qu'en l'Eglise il ni ayt des meschans ; resouvenes vous de ce que j'ay dict ailleurs. L'Espouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivantes, quoy qu'elle soit vivante ; le senat est sauverain, mais non pas chasque senateur ; l'armëe est victorieuse, mays nompas chasque soldat ; ell'emporte la bataglie, mays plusieurs soldatz y demeurent mors. Ainsy l'Eglise militante est tousjours glorieuse et victorieuse sur les portes et puyssances infernales, quoy que plusieurs des siens, ou s'esgarant et mettant en desordre, comme vous aves faict, demeurent en pieces et perdus, ou par des autres accidens y sont blessés et y meurent. Prenes donques l'un'apres l'autre les belles louanges de l'Eglise qui sont semëes es Escritures, et luy en faites une couronne, car elles luy sont bien deües, comme plusieurs maledictions a ceux qui estans en un si beau chemin s'y perdent ; c'est un'armëe bien ordonnëe, quoy que plusieurs s'y disbendent.

            2. Mays qui ne sçait combien de fois on attribue a tout un cors ce qui n'appartient qu'a l'une des parties ? L'Espouse apelle son Espoux blanc et vermeil, mays incontinent elle dict quil a les cheveux noirs ; saint Mathieu dict que les larrons qui estoyent crucifiés avec Nostre Seigneur blasphemerent, et ce ne fut que l'un d'eux au rapport de saint Luc ; on dict que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du verd. Or, a qui parle en terme d'amour use volontier de ceste façon de langage, et les Cantiques sont des repræsentations [56] chastes et amoureuses. Toutes ces qualités donques sont justement attribuees a l'Eglise, a cause de tant de saintes ames qui y sont qui observent tres etroittement les saintz commandemens de Dieu, et sont parfaictes de la perfection qu'on peut avoir en ce pelerinage, non de celle que nous esperons en la bienheureuse Patrie.

            3. Et quand au surplus, quoy quil ni eust point d'autre rayson d'ainsy qualifier l'Eglise que pour l'esperance qu'ell'a de monter la haut toute pure, toute belle, en contemplation du seul port auquel ell'aspire et va courant, cela suffiroit pour la faire apeller glorieuse et parfaitte, principalement ayant tant de belles arres de ceste saint'esperance.

            Il ne seroit jamais faict qui voudroit s'amuser sur tous les pieds de mouches qu'on va considerant icy, et pour lesquelz on baille mille fauses alarmes au pauvre peuple. On produict le passage de saint Jan : Je connois mes brebis, et personne ne les levera de mes mains ; et que ces brebis la sont les prædestinés qui sont seulz du bercail du Seigneur, on produict ce que saint Pol dict a Timothee : Le Seigneur connoist ceux qui sont a luy, et ce que saint Jan a dict des apostatz : Ilz sont sortis d'entre nous, mais ilz n'estoyent pas d'entre nous.

            Mays quelle difficulté trouve l'on en tout cela ? nous confessons que les brebis prædestinëes entendent la voix de leur pasteur, et ont toutes les proprietés qui sont descrittes en saint Jan, ou tost ou tard, mays nous confessons aussy qu'en l'Eglise, qui est la bergerie de Nostre Seigneur, il ni a pas seulement des brebis ains encores des boucz ; autrement, pourquoy seroit il dict qu'a la fin du monde, au jugement, les brebis seront separëes, sinon par ce que jusques au jugement, pendant que l'Eglise est en ce monde, ell'a en soy des boucz avec les brebis ? certes, si jamais ilz n'avoyent estés ensemble, jamais on ne les separeroit : et puys en fin de conte, si les prædestinés sont apellés brebis aussy le sont bien les reprouvés, tesmoin David : Vostre fureur est courroucëe sur les brebis de vostre parc ; [57] J'ay erré comme la brebis qui est perdüe ; et ailleurs, quand il dict : O vous qui regentes sur Israel, escoutes, vous qui conduyses Joseph comm' une oüaille : quand il dict Joseph, il entend les Josephois et le peuple Israelitique, parce qu'a Joseph fut donné la primogeniture, et l'aisné baille nom a la race. Isaie, c. 53. v. 6, accompare tous les hommes, tant reprouvés que esleuz, a des brebis : Omnes nos quasi oves erravimus, et v. 7. il accompare Nostre Seigneur : Quasi ovis ad occisionem ductus est ; et tout au long du c. 34 d'Ezechiel, ou sans doute tout le peuple d'Israel est apellé brebis, sur lequel David devoit regner. Mays qui ne sçait qu'au peuple d'Israel tout n'estoit pas prædestiné ou esleü ? et neantmoins ilz sont apellés brebis, et sont tous ensemble sous un mesme pasteur. Nous confessons, donques, quil y a des brebis sauvëes et prædestinëes, desquelles il est parlé en saint Jan, il y en a d'autres damnëes, desquelles il est parlé ailleurs, et toutes sont dans un mesme parc.

            Semblablement, qui nie que Nostre Seigneur connoisse ceux qui sont a luy ? Il sceut sans doute ce que Judas deviendroit, neantmoins Judas ne layssa pas d'estre de ses Apostres ; il sceut ce que devoient devenir les disciples qui s'en retournerent en arriere pour la doctrine de la realité de la manducation de sa chair, et neantmoins il les receut pour ses disciples. C'est bien autre chose estre a Dieu selon l'eternelle præscience, pour l'Eglise triomphante, et d'estre a Dieu selon la præsente Communion des saintz, pour l'Eglise militante. Les premiers sont seulement conneuz a Dieu, les derniers sont conneuz a Dieu et aux hommes. « Selon l'eternelle præscience, » [dit] saint Augustin, « o combien de loupz sont dedans, combien de brebis dehors. » Nostre Seigneur donques connoist ceux qui sont a luy pour l'Eglise triomphante, mays outre ceux la il y en a plusieurs autres en l'Eglise militante desquelz la fin sera en perdition, comme le mesme Apostre monstre quand il dict, qu'en une grande mayson il y a de toutes sortes de vases, et [58] mesme quelques uns pour l'honneur, autres pour l'ignominie.

            De mesme ce que saint Jan dict, Ilz sont sortis d'entre nous, mays n'estoyent pas d'entre nous, ne faict rien a propos, car je diray, comme dict sainct Augustin : ilz estoyent des nostres ou d'entre nous numero, et ne l'estoyent pas merito, c'est a dire, comme le mesme Docteur : « Ilz estoyent entre nous et des nostres par la communion des Sacremens, mays selon la particuliere proprieté de leurs vices ilz ne l'estoyent pas ; » ilz estoyent ja heretiques en leur ame et de volonté, quoy que selon l'apparence exterieure ilz ne le fussent pas. Et n'est pas a dire que les bons ne soyent avec les mauvais en l'Eglise, ains, au contrayre, comme pouvoient ilz sortir de la compaignie de l'Eglise silz ny estoyent ? ilz estoyent sans doute de faict, mais de volonté ilz en estoyent deja dehors.

            En fin, voicy un argument qui sembl'estre assorti de forme et de figure : « Celuy n'a Dieu pour pere qui n'a l'Eglise pour mere », chose certayne ; de mesme, qui n'a Dieu pour pere n'aura point l'Eglise pour mere, tres certain : or est il que les reprouvés n'ont point Dieu pour pere ; donques ilz n'ont point l'Eglise pour mere, et par consequent les reprouvés ne sont en l'Eglise. Mays la responce est belle. On reçoit le premier fondement de ceste rayson, mays le second, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu, a besoin d'estre espluché. Tous les fideles baptizés peuvent estre apellés filz de Dieu pendant quilz sont fideles, sinon qu'on voulut oster au Baptesme le nom de regeneration ou nativité spirituelle que Nostre Seigneur luy a baillé ; que si on l'entend ainsy, il y a plusieurs reprouvés enfans de Dieu, car combien y a il de gens fideles et baptizés qui seront damnés, lesquelz, comme dict la Verité, croyent pour un tems, et au tems de la tentation se retirent en arriere : de façon qu'on niera tout court ceste seconde proposition, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu ; car estans en l'Eglise ilz peuvent estr'appellés enfans de Dieu par la creation, redemption, regeneration, [59] doctrine, profession de foy, quoy que Nostre Seigneur se lamente d'eux en ceste sorte par Isaie, J'ay nourry et eslevé des enfans et ilz m'ont mesprisé. Que si on veut dire que les reprouvés n'ont point Dieu pour pere par ce quilz ne seront point heritiers, selon la parole de l'Apostre, S'il est filz il est hæritier, nous nierons la consequence ; car non seulement les enfans sont en l'Eglise, mays encores les serviteurs, avec ceste difference, que les enfans y demeureront a jamais comm'heritiers, les serviteurs non, mays seront chassés quand bon semblera au Maistre. Tesmoin le Maistre mesme, en saint Jan, et le filz penitent, qui sçavoit bien reconnoistre que plusieurs mercenaires avoient des pains en abondance chez son pere, quoy que luy, vray et legitime filz, mourut de faim avec les porceaux : qui rend preuve de la foy Catholique pour ce sujet. O combien de serviteurs, puys je dire avec l'Ecclesiaste, ont estés veuz a cheval, et combien de princes a pied comme valetz ; combien d'animaux immondes et de corbeaux en cest'Arche ecclesiastique ; o combien de pommes belles et odoriferantes sont sur le pommier vermoulues au par dedans, qui neantmoins sont attachëes a l'arbre et tirent le bon suc de tige. Qui auroyt les yeux asses clair voyans pour voir l'issue de la course des hommes, verroit bien dans l'Eglise dequoy s'escrier : Plusieurs sont apellés et peu sont esleuz ; c'est a dire, plusieurs sont en la militante qui ne seront jamais en la triomphante. Combien sont dedans qui seront dehors, comme saint Anthoyne previt d'Arrius, et saint Fulbert de Berengaire. C'est donq chose certayne, que non seulement les esleuz mays les reprouvés encores peuvent estre et sont de l'Eglise, et qui, pour la rendre invisible, ny met que les esleuz, faict comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maistre, s'excuse de n'avoir rien apris de son cors mais de son ame. [60]

 

 

 

 

Article III. L'Eglise ne peut perir

 

 

            Je seray d'autant plus brief icy, que ce que je deduyray au chapitre suyvant sert d'une forte preuve a ceste creance de l'immortalité de l'Eglise et de la perpetuité d'icelle. On dict donques, pour detraquer le joug de la sainte sousmission qu'on doit a l'Eglise, qu'ell'estoit perie il y a quatre ving et tant d'annëes, morte, ensevelie, et la sainte lumiere de la vraye foy estainte : c'est un blaspheme pur que tout cecy contre la Passion de Nostre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa verité.

            Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur mesme : Si je suys une foys eslevé de terre j'attireray a moy toutes choses ? a il pas esté eslevé en la Croix ? a il pas souffert ? et comme donques auroyt il layssé aller l'Eglise quil avoit attirëe, a vau de route ? comm'auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher ? Le prince du monde, le diable, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans pour revenir maistriser mill'ans ? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix ? estes vous arbitres de si bonne foy que de vouloir si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre desormays un'alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique ? Non, non, quand un fort et puyssant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despoüille. Ignores vous que Nostre Seigneur se soyt acquis l'Eglis'en son sang ? et qui pourra la luy lever ? [61] penses vous quil soit plus foible que son adversaire ? ah, je vous prie, parlons honorablement de ce cappitaine ; et qui donques ostera d'entre ses mains son Eglise ? peut estre dires vous quil peut la garder mais quil ne veut ; c'est donq sa providence, sa bonté, sa verité que vous attaques.

            La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, montant au ciel, des apostres, prophetes, evangelistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saintz, en l'œuvre du ministere, pour l'edification du cors de Jesus Christ. La consommation des saintz estoyt elle ja faicte il y a onze cens ou douze cens ans ? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee ? Ou cesses de vous apeller ædificateur, ou dites que non ; et si elle n'avoit esté achevëe, comme de faict elle ne l'est pas mesme maintenant, pour quoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu que de dire quil ayt osté et levé aux hommes ce quil leur avoit donné ? C'est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dict saint Pol, ses dons et ses graces sont sans pænitence, c'est a dire, il ne donne pas pour oster. Sa divine providence, des qu'ell'eust creë l'homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et a la terre, les conserva et conserve perpetuellement, en façon que la generation du moindre oysillion n'est pas encores estainte ; que dirons nous donques de l'Eglise ? Tout ce monde ne luy costa de premier marché qu'une simple parole : Il le dict et tout fut faict, et il le conserve avec une perpetuelle et infallible providence ; comment, je vous prie, eust il abandonné l'Eglise qui luy coste tout son sang, tant de peynes et travaux ? Il a tiré l'Israel de l'Egipte, des desers, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons quil ayt layssé engolfé le Christianisme en l'incredulité ? Il a tant eu de soin de son Agar, et il mesprisera Sara ? il a tant favorisé la servante qui devoit estre chassëe hors de la mayson, et n'aura tenu conte de l'Espouse legitime ? il aura tant honnoré l'ombre, et il abandonnera le cors ? O que ce [62] seroit bien pour neant que tant et tant de promesses auroyent estees faites de la perpetuité de cest'Eglise.

            C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante : Dieu l’a fondëe en eternité ; Son trosne (il parle de l'Eglise, trosne du Messie filz de David, en la personne du Pere eternel) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel ; Je mettray sa race es siecles des siecles et son trosne comme les jours du ciel, c'est a diré, autant que le ciel durera ; Daniel l'apelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement, l'Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n'auroit point de fin, et parle de l'Eglise comme nous le prouvons ailleurs ; Isaïe avoit il pas predict en ceste façon de Nostre Seigneur : S'il met et expose sa vie pour le peché il verra une longue race, c'est a dire, de longue durëe ? et ailleurs : Je feray un'alliance perpetuelle avec eux ; apres : Tous ceux qui les verront (il parle de l'Eglise visible) les connoistront ? Mays, je vous prie, qui a baillé charge a Luther et Calvin de revoquer tant de saintes et solemnelles promesses que Nostre Seigneur a faites a son Eglise, de perpetuité ? n'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contr'elle ? et comme verifiera-on ceste promesse si l'Eglise a esté abolie mill'ans ou plus ? et ce doux adieu que Nostre Seigneur dict a ses Apostres, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, comme l'entendrons nous si voulons dire que l'Eglise puisse perir ?

            Mays voudrions nous bien casser la belle regle de Gamaliel qui, parlant de l'Eglise naissante, usa de ce discours : Si ce conseil ou cest'œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si ell'est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre ? L'Eglise est ce pas l'œuvre de Dieu ? et comment donques dirons nous qu'elle soit dissipëe ? Si ce bel arbre ecclesiastique avoit esté planté de main d'homme, j'avoueroys aysement quil pourroit estre arraché, mays ayant esté planté de si bonne main qu'est celle de Nostre Seigneur, je ne sçaurois [63] conseiller a ceux qui entendent crier a tous propos que l'Eglise estoit perie sinon ce que dict Nostre Seigneur : Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantée sera arrachëe, mays celle que Dieu a plantëe ne sera point arrachëe.

            Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun en son ordre ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin : entre Christ et les siens, c'est a sçavoir, l'Eglise, il ni a rien d'entredeux, car montant au ciel il les a layssés en terre, entre l'Eglise et la fin il ni a point d'entredeux, d'autant qu'elle devoit durer jusques a la fin. Quoy ? ne falloit il pas que Nostre Seigneur regnat au milieu de ses ennemis jusqu'à ce quil eut mis sous ses pieds et assujetty tous ses adversaires ? et comme s'accompliront ces authorités si l'Eglise, royaume de Nostre Seigneur, avoit esté perdu et destruict ? comme regneroit il sans royaume, et comme regneroit il parmi ses ennemys sil ne regnoit ça bas au monde ?

            Mays, je vous prie, si cest'Espouse fut morte apres que du costé de son Espoux endormy sur la Croix ell'eust premierement la vie, si elle fut morte, dis je, qui l'eust resuscitëe ? Ne sçait on pas que la resurrection des mors n'est pas moindre miracle que la creation, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation ? Ne sçait on pas que la reformation de l'homme [est] un bien plus profond mistere que la formation, et qu'en la formation Dieu dict, et il fut faict ? il inspira l'ame vivante, et il ne l'eut pas si tost inspirëe que ce celest'homme commença a respirer ; mays en la reformation Dieu employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, mourut mesme sur ceste reformation. Et qui donques sera si osé de dire que cest'Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le sçavoir de ce grand reformateur, et qui se croit estre le reformateur ou resuscitateur d'icelle, il s'attribue l'honneur deu a un seul Jesuchrist, et se faict plus qu'Apostre. Les Apostres n'ont pas remis l'Eglise a vie, mays la luy [ont] conservëe par leur ministere apres que Nostre Seigneur l'eust [64] establie ; qui donques dict que l'ayant trouvé morte il l'a resuscitëe, a vostr'avis merite il pas d'estr'assis au trosne de temerité ? Nostre Seigneur avoit mis le saint feu de sa charité au monde, les Apostres avec le souffle de leur prædication l'avoyent accreu et faict courir par tout le monde : on dict quil estoit estaint par mi les eaux d'ignorance et d'iniquité ; qui le pourra rallumer ? le souffler ni sert de rien, et quoy donques ? il faudroit peut estre rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesuchrist, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou s'il suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer ? Ce seroit bien de vray estre des troysiesmes Helies, car ni Helie ni saint Jan Baptiste n'en firent onques tant ; ce seroit bien laysser tous les Apostres en arriere, qui porterent bien ce feu par le monde, mays ilz ne l'allumerent pas. « O voix impudente, » dict saint Augustin contre les Donatistes, « l'Eglise ne sera point par ce que tu ni es point ? » Non, non, dict saint Bernard, « les torrens sont venus, les vens ont soufflé et l'ont combattue, elle n'est point tumbëe par ce qu'ell'estoit fondëe sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ. »

            Et qu'est ce autre chose dire que l'Eglis'a manqué sinon dire que tous nos devanciers sont damnés ? ouy, pour vray, car hors la vraÿe Eglise il ni a point de salut, hors de cest'Arche tout le monde se perd. O quel contrechange on faict a ces bons peres qui ont tant souffert pour nous præserver l'heritage de l'Evangile, et maintenant, outrecuydés que sont les enfans, on se mocque d'eux, on les tient pour folz et insensés.

            Je veux conclure ceste preuve avec saint Augustin, et parler a vos ministres : « Que nous apportes vous de nouveau ? faudra il encor une foys semer la bonne semence, puysque des qu'ell'est semëe elle croit jusqu'à la moysson ? Si vous dites estre par tout perdue celle que les Apostres avoyent semëe, nous vous respondons : lises nous cecy es Saintes Escritures, ce que pour vray vous ne lires jamais que premierement vous ne nous monstries estre faux ce qui est escrit, que la semence [65] qui fut semëe au commencement croistroit jusqu'au tems de moyssons. » La bonne semence ce sont les enfans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moysson c'est la fin du monde. Ne dites pas donques que la bonne semence est abolie ou estouffëe, car elle croit jusques a la consommation du siecle.

 

 

 

Article IV. Les contreraysons des adversaires et leurs responces

 

 

            1. L'Eglise fut elle pas tout'abolie quand Adam et Eve pecherent ? Responce : Adam et Eve n'estoyent pas Eglise, ains le commencement d'Eglise ; et n'est pas vray que fut perdue alhors encor qu'ell'eust esté, car ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.

            2. Aaron, sauverain Prestre, n'adora il pas le veau d'or avec tout son peuple ? Responce : Aaron n'estoit encores pas sauverain Prestre ni chef du peuple, ains le fut par apres ; et n'est pas vray que tout le peuple idolatrast, car les enfans de Levi n'estoyent ilz pas gens de Dieu ? et se joignirent ilz pas a Moyse ?

            3. Helie se plaint d'estre seul en Israel. Responce : Helie n'estoit pas seul en Israel homme de bien, puysquil y en avoit 7000 hommes qui ne s'estoient pas abandonné a l'idolatrie, et ce qu'en dict le Prophete n'est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte ; et n'est pas vray qu'encor que tout Israel eut manqué l'Eglise pourtant eut esté abolie, car Israel n'estoit pas toute l'Eglise, ains en estoit desja separé par le schisme de Hieroboam, et le royaume de Juda en estoit la meilleure et la principale partie ; c'est d'Israel non de [66] Juda, aussy, de quoy Azarie prædit quil seroit sans prestre et sacrifice.

            4. Isaie dict que de pied en cap il ni avoit aucune santé en Israel. Responce : Ce sont des façons de parler, et de detester le vice d'un peuple avec vehemence ; et encores que les prophetes, pasteurs et prædicateurs usent de ces generales façons de parler, il ne les faut pas verifier sur chaque particulier, mays seulement sur une grande partie, comm'il appert par l'exemple d'Helie, qui se plaignoit d'estre seul, et neantmoins il y avoit encores 7000 fideles. Saint Pol se plaint aux Philippiens que chacun recherchoit son propre interet et commodité, neantmoins, a la fin de l'Epistre, il confesse quil y en avoit plusieurs gens de bien de part et d'autre. Qui ne sçait la plainte de David : Il ni a celuy, mesm'un tout seul, qui face bien ? et qui ne sçait de l'autre costé quil y eut plusieurs gens de bien de son tems ? Ces façons de parler sont frequentes, mays il n'en faut faire conclusion particuliere sur un chacun ; davantage, on ne prouve pas par la que la foy eut manqué en l'Eglise, ni que l'Eglise fut morte, car il ne s'ensuit pas, si un cors est par tout malade donques il est mort. Ainsy sans doute s'entend tout ce qui se trouve de semblable es menaces et reprehensions des Prophetes.

            5. Hieremie defend qu'on ne se confie point au mensonge, disant, le Temple de Dieu, le Temple de Dieu. Responce : Qui vous dict que sous prætexte de l'Eglise il faille se confier au mensonge ? ains, au contraire, qui s'appuÿe au jugement de l'Eglise s'appuÿe sur la colonne et fermeté de verité, qui se fie a l'infallibilité de l'Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n'est mensonge ce qui est escrit : Les portes d'enfer ne prævaudront point contre elle. Nous nous fions donques en la sainte parole qui promet perpetuité a l'Eglise.

            6. Est il pas escrit quil faut que la discession et la separation vienne, et que le sacrifice cessera, et qu'a grand peyne le Filz de l'homme trouvera la foy en [67] terre a son second retour visible, quand il viendra juger ? Responce : Tous ces passages s'entendent de l'affliction que fera l'Antichrist en l'Eglise les trois ans et demy quil y regnera puyssamment ; non obstant cela, l'Eglise durant ces troys ans mesme ne manquera pas, ains sera nourrie et conservëe parmi les desers et solitudes ou elle se retirera, comme dict l'Escriture.

 

 

 

Article V. Que l'Eglise n'a jamais esté dissipëe ni cachëe

 

 

            || La passion humayne peut tant sur les hommes, qu'elle les pousse a dire ce qu'ilz desirent devant qu'en avoir aucune rayson, et quand ilz ont dict quelque chose, elle leur [fait] trouver des raysons ou il ni en a point. I a il homme de jugement au monde qui ne connoisse clairement, quand il lira l'Apocalipse de saint Jan, que ce n'est pas pour ce tems quil est dict que la femme (c'est a dire, l'Eglise) s'en fuit en la solitude ? ||

            Les Anciens avoyent sagement dict que bien sçavoir reconnoistre la difference des tems es Escritures estoyt une bonne regle pour bien les entendre, a faute dequoy les Juifz a tous coupz s'æquivoquent, attribuantz au premier advenement du Messie ce qui est proprement dict du second, et les adversaires de l'Eglise encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l'Eglise telle des saint Gregoire jusqu'a cest aage qu'elle doit estre du tems de l'Antichrist. Ilz tournent a ce biays ce qui est escrit en l'Apocalipse, que la femme s'en fuit en la solitude, et prennent consequence que l'Eglise a esté [68] cachëe et secrette, espouvantëe de la tirannie du Pape, il y a mill'ans, jusqu'a ce qu'elle s'est produicte en Luther et ses adhærens. Mays qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persecution de l'Antichrist ? le tems y estant determiné expressément de trois ans et demy, et en Daniel aussy ; et qui voudroit par quelque glosse estendre ce tems que l'Escriture a determiné, contrediroit tout ouvertement a Nostre Seigneur, qui dict quil sera plus tost accourcy, pour l'amour des esleuz. Comment donques osent ilz transporter cest escrire a une intelligence si esloignëe de l'intention de l'autheur, et si contrayre a ses propres circonstances ? sans vouloir regarder a tant d'autres paroles saintes qui monstrent et asseurent haut et clair que l'Eglise ne doit jamays estre si cachëe es solitudes jusqu'a cest'extremité la, et pour si peu de tems, ou on la verra fuir, d'ou on la verra sortir. Je ne veux plus ramener tant de passages ja cottés cy dessus, ou l'Eglis'est dicte semblable au soleil, lune, arc en ciel, a une reyne, a une montaigne aussy grande que le monde, et un monde d'autres ; je me contenteray de vous mettr'en teste deux grans colonnelz de l'ancienne Eglise, des plus vallians qui furent onques, saint Augustin et saint Hierosme.

            David avoit dict : Le Seigneur est grand et trop plus loüable, en la cité de nostre Dieu, en la sainte montaigne d'iceluy. « C'est la cité, » dict saint Augustin, « mise sur la montaigne, qui ne se peut cacher, c'est la lampe qui ne peut estre celee sous un tonneau, conneüe de tous, a tous fameuse, car il s'ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joÿe de l'univers. » Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous un muy, comm'eust il mis tant de lumieres en l'Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconneuz ? Il poursuit : « Voyci le mont qui remplit l'universelle face de la terre, voyci la cité delaquelle il est dict : La cité ne se peut cacher qui est situëe sur le mont. Les Donatistes (les Calvinistes) rencontrent le mont, et [69] quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plus tost y donnent et l'heurtent du front que d'y chercher une demeure. Esaïe, qu'on lisoit hier, cria : Il y aura es derniers jours un mont præparé, mayson du Seigneur, sur le couppeau des montaignes, et toutes s'y couleront a la file : Qu'y a il de si apparent qu'une montaigne ? mays il se faict des montz inconneuz par ce quilz sont assis en un coin de la terre. Qui d'entre vous connoit l'Olimpe ? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe ; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a remply toute la face de la terre. La pierre taillëe du mont sans œuvre manuelle, n'est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des Juifz sans œuvre de mariage ? et ceste pierre la ne fracassa elle tous les royaumes de la terre, c'est a dire, toutes les dominations des idoles et dæmons ? ne s'accreut elle pas jusqu'a remplir tout l'univers ? C'est donq de ce mont quil est dict,præparé sur la cime [des] mons ; c'est un mont eslevé sur le sommet de tous les mons, et toutes gens se rendront vers en iceluy. Qui se perd et s'esgare de cest mont ? qui choque et se casse la teste en iceluy ? qui ignore la cité mise sur le mont ? mays non, ne vous esmerveilles pas quil soit inconneu a ceux cy qui haissent les freres, qui haissent l'Eglise, car, par ce, vont ilz en tenebres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l'univers, ilz sont aveugles de mal talent. » Ce sont les paroles de saint Augustin contre les Donatistes, mays l'Eglise presente resemble si parfaittement a l'Eglise premiere, et les heretiques de nostr'aage aux anciens, que, sans changer autre que les noms, les raysons anciennes combattent autant collet a collet les Calvinistes, comm'elles faysoient ces anciens Donatistes.

            Saint Hierosme entre en cest'escarmouche d'un autre costé, qui vous est bien aussy dangereux que l'autre, car il faict voir clairement que ceste dissipation prætendue, ceste retraitte et cachette, abolist la gloire [70] de la Croix de Nostre Seigneur ; car, parlant a un schismatique reuni a l'Eglise, il dict ainsy : « Je me rejouys avec toy, et rends graces a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t'es reduit de bon courage de l'ardeur de fauceté au goust et saveur de tout le monde ; et ne dis pas comme quelquesuns : O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie evacue la Croix de Jesus Christ, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proferé des pecheurs, il l'entend estre dict de tous les hommes. Mays ja n'advienne que Dieu soit mort pour neant ; le puyssant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie : Demande moy, et je te donneray les gens pour hæritage, et pour ta possession les bornes de la terre. Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plustost trop prophanes, qui font plus de sinagogues que d'eglises ? comme seront destruittes les cittés du diable, et en fin, a sçavoir en la consommation des siecles, les idoles comme seront ilz abbatus ? Si Nostre Seigneur n'a point eu de l'Eglise, ou s'il l'a eu en la seule Sardigne, certes il est trop appauvry. Hé, si Satan possede une fois l'Angleterre, la France, le Levant, les Indes, les nations barbares et tout le monde, comment auront esté ainsy accueilly et contraints les trophëes de la Croix en un coin de tout le monde ? »

            Et que diroit ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu'ell'aÿe esté generale et universelle, mays dient qu'elle n'estoit qu'en certaines personnes inconneües, sans vouloir determiner un seul petit vilage ou elle fut il y a quattre vingtz ans ? n'est ce pas bien avilir les glorieux trophëes de Nostre Seigneur ? Le Pere celeste, pour la grand'humiliation et aneantissement que Nostre Seigneur avoit subi en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tout genou se devoit plier en sa reverence, mays ceux cy [71] ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ostant de ce conte toutes les generations de mill'ans. Le Pere luy avoit donné en heritage beaucoup de gens, par ce quil avoit livré sa vie a la mort, et avoyt esté mis au rang des meschans hommes et voleurs, mays ceux cy luy amaigrissent bien son lot, et roignent si fort sa portion qu'a grand peyne durant mill'ans aura il eu certains serviteurs secretz, ains n'en aura du tout point eu ; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestien, et qui aves estés en la vraye Eglise : ou vous avies la vraye foy, ou vous ne l'avies pas ; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, pourquoy la celies vous aux autres ? que n'en laissies vous des memoyres ? que ne vous opposies vous a l'impieté, a l'idoletrie ? ou si vous ne sçavies pas que Dieu a recommandé a un chacun son prochain ? certes, On croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foy, et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et par ce j'ay parlé ? O miserables encores, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre ; si ainsy est, vous estes es tenebres extérieures. Mays si au contrayre, o Luther, o Calvin, la vraye foy a tousjours esté publiëe et continuellement præchëe par tous nos devanciers, vous estes miserables vous mesmes, qui en aves une toute contraire, et qui pour trouver quelque excuse a vos volontés et fantasies, accuses tous les Peres ou d'impieté s'ilz ont mal creu, ou de lascheté s'ilz se sont teuz. [72]

 

 

 

Article VI. L'Eglise ne peut errer

 

 

            Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon pere David, il s'assit pres de la porte au chemin, et disoit a tous ceux qui passoÿent : Il ni a personne constitué du Roy pour vous ouÿr, hé, qui me constituera juge sur terre, affin que tous ceux qui auront quelque negotiation viennent a moy et que je juge justement ? ainsy solicitoit il les courages des Israelites. O combien d'Absalons se sont trouvés en nostr'aage, qui, pour seduyre et destruyre les peuples de l'obeissance de l'Eglise et des pasteurs, et solliciter les courages chrestiens a rebellion et revolte, ont crié par toutes les advenues d'Allemaigne et de France : il n'y a personne constitué de Dieu pour ouyr les doutes sur la foy et les resouvre ; l'Eglise mesme, les magistratz ecclesiastiques, n'ont point de pouvoir de determiner ce quil faut tenir en la foy et ce que non ; il faut chercher autres juges que les prælatz, l'Eglise peut errer en ses decretz et regles.

            Mays quelle plus dommageable et temerayre persuasion pouvoyent ilz faire au Christianisme que cellela ? Si donques l'Eglise peut errer, o Calvin, o Luther, a qui auray je recours en mes difficultés ? a l'Escriture, disent ilz : mays que feray je, pauvr'homme ? car c'est sur l'Escriture mesme ou j'ay difficulté ; je ne suys pas en doute s'il faut adjouster foy a l'Escriture ou non, car qui ne sçait que c'est la parole de verité ? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de cest'Escriture, ce [73] sont les consequences d'icelle, lesquelles estans sans nombre, diverses et contraires sur un mesme sujet, ou qu'un chacun prend parti qui en l'une qui en l'autre, et que de toutes il ny en a qu'une salutaire, ah, qui me fera connoistre la bonne d'entre tant de mauvaises ? qui me fera voir la vraye verité au travers de tant d'apparentes et masquëes vanités ? Chacun se voudroit embarquer sur le navire du Saint Esprit, il ny en a qu'un, et celuy la seul prendra port, tout le reste court au naufrage ; ah, quel danger de mesprendre : l'egale ventance et asseurance des patrons en deçoit la plus part, car tous se ventent d'en estre les maistres. Quicomque dict que nostre Maistre ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaysé chemin, il dict quil nous veut perdre ; quicomque dict quil nous a embarqués a la mercy [des vents] et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la bussole et la charte marine, il dict que ce Seigneur a faute de provoyance ; quicomque dict que ce bon Pere nous a envoyés en cest'escole Ecclesiastique, sachant que l'erreur y estoit enseignëe, il dict quil a voulu nourrir nostre vice et nostre ignorance. || Qui ouyt jamais deviser d'une academie ou chacun enseignat, personne ne fut auditeur ? Telle seroit la republique Chrestienne si les particuliers... Car si l'Eglise mesme erre, qui n'errera ? et si chacun y erre, ou peut errer, a qui m'addresseray je pour estre instruit ? A Calvin ? mays pourquoy plus tost qu'a Luther, ou a Brence, ou au Pacimontain ? Nous ne sçaurions donques ou recourir en nos difficultés si l'Eglis'errait. ||

            Mays qui considerera le tesmoignage que Dieu a donné pour l'Eglise, si authentique, il verra que dire, l'Eglise erre, n'est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaict et veut qu'on erre, qui seroit un grand blaspheme : car, n'est ce pas Nostre Seigneur qui dict : Si ton [frere] a peché (contre toy), dis le a l'Eglise ; que si quelqu'un n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique [74] et peager ? Voyes vous comme Nostre Seigneur nous renvoÿe a l'Eglise en nos differens, et quelz qu'ilz soyent ? mays combien plus es injures et differens plus importans ? certes, si je suys obligé, apres l'ordre de la correction fraternelle, d'aller a l'Eglise pour fayre amander un vicieux qui m'aura offencé, combien plus seray je obligé d'y deferer celuy qui apelle toute l'Eglise Babilone, adultere, idolatre, mensongere, parjure ? d'autant plus principalement qu'avec ceste sienne malveillance il pourra desbaucher et infecter tout'une province, le vice d'heresie estant si contagieux que comme chancre il se va tousjours traynant plus avant pour un tems. Quand donques j'en verray quelqu'un qui dira que tous nos peres, ayeulz et bisayeulz ont idolatré, corrompu l'Evangile et prattiqué toutes les meschancetés qui s'ensuyvent de la cheute de Religion, je m'addresseray a l'Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir. Que si elle peut errer, ce ne sera plus moy, ou l'homme, qui nourrira cest erreur au monde, ce sera nostre Dieu mesme qui l'authorisera et mettra en credit, puysqu'il nous commande d'aller a ce tribunal pour y ouyr et recevoir justice : ou il ne sçait pas ce que s'y faict, ou il nous veut decevoir, ou c'est a bon escient que la vraÿe justice s'y administre, et les sentences sont irrevocables. L'Eglise a condamné Berengaire ; quicomque en veut debattre plus avant je le tiens comm'un payen et peager, affin d'obeir a mon Seigneur, qui ne me laysse pas en liberté en cest endroit, mays me commande : Tiens le comm'un payen et peager.

            C'est le mesme que saint Pol enseigne, quand il appelle l'Eglise colomne et fermeté de verité. N'est ce pas a dire que la verité est soustenue fermement en l'Eglise ? ailleurs la verité n'est soustenue que par intervales, ell'en tumbe souvent, mays en l'Eglise ell'y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler ; bref, stable et perpetuelle. Respondre que saint Pol veut dire que l'Escriture a esté remise en garde a l'Eglise, et rien plus, c'est trop ravaler la similitude quil propose, car c'est bien autre chose, soustenir la verité, que, garder l'Escriture. [75] Les Juifz gardent une partie des Escritures, et beaucoup d'heretiques encores, mays pour cela ilz ne sont pas colomnes et fermetés de la verité. L'escorce de la lettre n'est ni verité ni faulseté, mays selon le sens qu'on luy baille ell'est veritable ou faulse. La verité donques consiste au sens, qui est comme la mouelle, et partant, si l'Eglis'estoit gardienne de la verité, le sens de l'Escriture luy auroit esté remis en garde, il le faudroit chercher chez elle, et non en la cervelle de Luther, ou Calvin, ou de quelque particulier ; dont elle ne pourroit errer, ayant tousjours le sens des Escritures. Et de faict, mettr'en ce sacré depositoire la lettre sans le sens, ce seroit y mettre la bourse sans l'argent, la coquille sans le noyau, la gayne sans l'espëe, la boete sans l'unguent, les feuilles sans le fruict, l'ombre sans le cors. Mays dites moy, si l'Eglise a en garde les Escritures, pourquoy est ce que Luther les prit et les porta hors d'icelle ? et pourquoy est ce que vous ne prenes de ses mains aussy bien les Macabbëes, l'Ecclesiastique et tout le reste comme l'Epistr'aux Hebrieux ? car elle proteste d'avoir aussy cherement en garde les uns que les autres. Bref, les paroles de saint Pol ne peuvent souffrir ce sens qu'on leur veut bailler. Il parle de l'Eglise visible, car ou adresserait il son Timothëe pour converser ? il l'apelle mayson de Dieu ; ell'est donq bien fondëe, bien ordonnee, bien couverte contre tous orages et tempestes d'erreur : ell'est colomne et fermeté de la verité ; la verité donques est en icelle, ell'y loge, ell'y demeure, qui la cherch'ailleurs la pert. Ell'est bien tellement asseurëe et ferme que toutes les portes d'enfer, c'est a dire toutes les forces ennemies, ne sçauroient s'en rendre maistresses ; et ne seroit ce pas place gaignëe pour l'ennemy si l'erreur y entrait, es choses qui sont pour l'honneur et le service du Maistre ? Nostre Seigneur est le chef de l'Eglise ; a on point d'honte d'oser dire que le cors d'un chef si saint soit adultere, prophane, corrompu ? et qu'on ne die pas que ce soit de l'Eglise invisible, car s'il y a point : d'Eglise visible (comme je l'ay monstré cy dessus) [76] Nostre Seigneur en est le chef ; oyes saint Pol : Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur un'eglise de deux que vous imagines, mais sur tout'Eglise. La ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Nostre Seigneur, il se trouve au milieu d'eux : ah, qui dira que l'assemblëe de l'universelle Eglise de tous tems ayt esté abandonnee a la mercy de l'erreur et de l'impieté ?

            Je conclus, donques, que quand nous voyons que l'Eglise universelle a esté et est en creance de quelqu'article, soyt que nous le voyons expres en l'Escriture, soyt quil en soit tiré par quelque deduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement conteroller ni disputer ou douter sur iceluy, ains prester l'obeissance et l'hommage a ceste celeste Reyne que Nostre Seigneur commande, et regler nostre foy a ce niveau. Que si c'eust esté impieté aux Apostres de contester avec leur Maystre, aussy le sera ce a qui contestera contre l'Eglise ; car si le Pere a dict du Filz, Ipsum audite, le Filz a dict de l'Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus.

 

 

 

Article VII. Les Ministres ont violé l'Authorité de l'Eglise

 

 

            Je ne suys pas maintenant en grand peyne de monstrer combien vos ministres ont avily la sainteté et majesté de l'Eglise. Ilz crient haut et clair qu'ell'a demeuré 800 ans en adultere et antichrestienne, des saint Gregoire jusqu'a Wiclef, que Beze tient pour le premier restaurateur du Christianisme. Calvin se voudroit bien couvrir par une distinction, disant que l'Eglise peut errer en choses non necessaires au salut, non es autres, mays Beze confesse librement qu'ell'a tant erré [77] qu'elle n'est plus Eglise ; et cela n'est ce pas errer en choses necessaires au salut? mesme quil avoüe qu'hors l'Eglise il ni a point de salvation. Il s'ensuit donques de son dire, quoy quil se tourne et contourne de tous costés, que l'Eglis'a erré es choses necessaires a salut : car, si hors l'Eglise on ne trouve point de salut, et l'Eglise a tant erré qu'elle n'est plus Eglise, certes en elle ni a point de salut ; or est il qu'elle ne peut perdre le salut que se destournant des choses necessaires a salut, ell'a donq failly en choses necessaires a salut : autrement, ayant ce qui est necessaire a salut elle seroit la vraÿe Eglise, ou on se sauveroit hors la vraÿe Eglise, qui ne se peut. Et dict de Beze quil a apris ceste façon de parler de ceux qui l'ont instruict en sa religion prætendue, c'est a dire, de Calvin ; et de vray, si Calvin pensoit que l'Eglise Romayne n'eust pas erré es choses necessaires a salut il eust eu tort de s'en separer, car y pouvant faire son salut, et y estant le vray Christianisme, il eust esté obligé d'y demeurer pour son salut, lequel ne pouvoit estr'en deux lieux differentz.

            On me dira peut estre que de Beze dict bien que l'Eglise Romayne qui est aujourdhuy erre en choses necessaires, et que partant il s'en est separé, mays quil ne dict pas que la vraÿe Eglise ait jamais erré. Mays on ne se peut eschapper de ce costé la : car, quell'Eglise i avoit il au monde il y a deux cens, trois cens, quatre cens et cinq cens ans, sinon l'Eglise Catholique Romayne, toute telle qu'ell'est a præsent ? il ni avoit point d'autre sans doute ; donques, c'estoit la vraÿe Eglise et neantmoins erroit, ou il ni avoit point de vraÿe Eglise au monde : et en ce cas la encores est il contraint d'avoüer que cest aneantissement estoit venu par erreur intolerable et en choses necessaires a salut, car, quand a ceste dissipation de fideles et secrett'Eglise quil cuyde produire, j'en ay desja asses faict voir la vanité cy devant ; outre ce que quand ilz confessent que l'Eglise visible peut errer, ilz violent l'Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous adresse en nos difficultés, et que saint Pol apelle colomne et pilier de verité, car ce n'est [78] que de la visible delaquelle s'entendent ces tesmoignages, sinon qu'on voulut dire que Nostre Seigneur nous eust renvoyé a parler a une chose invisible, imperceptible et du tout inconneüe, ou que saint Pol enseignat son Timothëe a converser en un'assemblëe delaquelle il n'eut aucune connoissance.

            Mays n'est ce pas violer tout le respect et la reverence deüe a ceste Reyne espouse du Roy celeste, d'avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cy devant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, ell'avoyt par solemnelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemyes de sa coronne, j'entens, d'avoir remis sus pied tant d'heresies et fauses opinions que l'Eglise avoit condamnees comme entreprenans la sauverayneté sur l'Eglise, absoulvans ceux qu'ell'a condamnés, condamnés ceux qu'ell'avoit absoutz ? Voyci des exemples.

            Simon Magus disoit que Dieu estoit cause de peché, dict Lyrinensis ; mays Calvin et Beze n'en disent rien moins, le premier au traitté De l'eternelle prædestination, le second en la Responce a Sebastien Castalio. Quoy quilz nient le mot ilz suyvent la chose et le cors de cest'hæresie, si hæresie se doit appeller, non atheisme ; de quoy tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m'y amuseray pas.

            Judas, dict saint Hierosme, pensoit que les miracles quil voyoit partir de la main de Nostre Seigneur fussent operations et illusions diaboliques ; je ne sçay si vos ministres pensent ce quilz dient, mays que disent quand on produict les miracles sinon que ce sont sorceleries ? les glorieux miracles que Nostre Seigneur faict au Mondevis, au lieu de vous, ouvrir les yeux, qu'en dites vous ?

            Les Pepuziens, dict saint Augustin, (ou Montanistes [79] et Phriges comme les apelle le Code) admettoyent a la dignité de prestrise les femmes ; qui ne sçait que les freres Anglois tiennent Elisabeth leur Reyne pour chef de leur eglise ?

            Les Manicheens, dict saint Hierosme, nioient le liberal arbitre : Luther a faict un livre contre le liberal arbitre, quil apelle De servo arbitrio ; de Calvin je m'en rapporte a vous. Amb., Ep. 83, Manichæos ob Dominicæ diei jejunia jure damnamus.

            Les Donatistes croyoient que l'Eglise s'estoit perdue en tout le monde, et qu'elle leur estoit demeurëe seulement a eux ; vos ministres parlent ainsy. Encores croyoyent ilz qu'un mauvais homme ne peut baptiser ; Wiclef en disoit tout autant, que j'apport'en jeu par ce que de Beze le tient pour un glorieux reformateur. Quand a leurs vies, voyci leurs vertus : ilz donnoient le tresprætieux Sacrement aux chiens, ilz jettoyent le saint Chresme a terre, ilz renversoyent les autelz, rompoyent les calices et les vendoyent, ilz rasoyent la teste aux prestres pour lever la sacrëe onction, ilz levoyent et arrachoyent le voyle aux nonains pour les prophaner.

            Jovinien, au tesmoignage de saint Augustin (l. De hæresibus, ad quodvult Deus, c. 82.), vouloit qu'on mangeast en tout tems et contre toute prohibition toutes sortes de viandes, disoit que les jeusnes n'estoyent point meritoires devant Dieu, que les sauvés estoyent esgaux en gloire, que la virginité n'estoit rien plus que le mariage, et que tous les pechés estoyent egaux : chez vos maistres on enseigne le mesme.

            Vigilance (comm'escrit saint Hierosme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eundem) nia qu'on deut avoir en honneur les reliques des Saints, que les prieres des Saints fussent profitables, que les prestres deussent vivr'en cælibat, la pauvreté volontaire : que ne nies vous pas de tout cecy ?

            Eustathius mesprisa les jeusnes ordinaires de l'Eglise, les Traditions ecclesiastiques, les lieux des saints Martirs et les basiliques de devotion. Le recit en est faict par [80] le Concile Gangrense, in præfatione, ou pour ces raysons il fut anathematisé et condamné. Voyes vous combien il y a qu'on a condamné vos reformateurs ?

            Eunomius ne vouloit point ceder a la pluralité, dignité, antiquité, comme tesmoigne saint Basile contre Eunomius, 1. I. Il disoit que la seule foy suffisoit a salut et justifioit, Aug., Hær. 54. Quand au premier trait, voyes de Beze en son traitté Des marques de l'Eglise ; quand au second, n'est il pas d'accord avec ceste tant celebre sentence de Luther, que de Beze tient pour tresglorieux reformateur : Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere ?

            Aerius, au recit de saint Augustin, nioit la priere pour les mors, les jeunes ordinaires, et la superiorité de l'Evesque par dessus le simple prestre ; vos ministres nient tout cela.

            Lucifer apelloit son eglise seulement la vraÿe eglise, et disoit que l'Eglise ancienne, d'Eglise estoit devenue un bordeau, Hier., Contra Lucif. ; et que crient vos ministres tout le jour ?

            Les Pelagiens se tenoyent asseurés et certains de leur justice, promettoyent le salut aux enfans des fideles qui mouroyent sans Baptesme, ilz tenoyent tous pechés pour mortelz. Quand au premier, c'est vostr'ordinaire langage, et celuy de Calvin in Antidoto, sess. 6 ; le second et troysiesme est trop trivial parmi vous pour en dir'autre chose.

            Les Manicheens rejettoyent les sacrifices de l'Eglise et les images ; et qu'ont faict vos gens?

            Les Messaliens mesprisoyent les ordres sacrés, les eglises et les autelz, comme dict saint Damascene, Hær. 80 ; Ignatius (apud Theodoretum, Dialogo 3, qui dicitur Impatibilis) : Eucharistias et oblationes non admittunt, quod non confiteantur Eucharistiam esse carnem Servatoris nostri Jesu Christi, quæ pro peccatis nostris passa est, quam Pater benignitate suscitavit ; contre lesquelz a escrit saint Martial, [81] Epistola ad Burdegalenses. Berengaire volut dire le mesme long tems apres, et fut condemné par trois Conciles, aux deux derniers desquelz il abjura son hæresie.

            Julien l'Apostat mesprisoit le signe de la Croix, Soc., l. 3. c. 2. ; aussi faysoit Xenaïas, Niceph., l. 16. c. 27 ; les Mahumetains n'en font rien moins, Damascene, Hæresi centesima. Mays qui voudra voir cecy bien au long, quil voÿe Sander, l. 8. c. 57, et Belarmin, In notis Ecclesiæ. Voyes vous les moules sur lesquelz vos ministres ont jette et formé leur reformation ?

            Or sus, ceste seul'alliance d'opinions, ou pour mieux dire, cest estroit parantage et consanguinité, que vos premiers maistres avoyent avec les plus cruelz, enviellis et conjurés ennemis de l'Eglise, vous devoyt elle pas destourner de les suyvre et vous renger sous leurs enseignes ? Je n'ay cotté pas un'hæresie qui n'ait esté tenue pour telle en l'Eglise que Calvin et Beze confessent avoir esté vraÿe Eglise, a sçavoir, es premiers cinq cens du Christianisme. Ah, je vous prie, n'est ce pas fouler aux pieds la majesté de l'Eglise, que de produyre comme reformations et reparations necessaires et saintes, ce qu'ell'a tant abominé lhors qu'elle estoit en ses plus pures annëes, et qu'ell'avoyt terrassé comm'impieté, ruyne et degast de la vraÿe doctrine ? L'estomac delicat de ceste celeste Espouse n'avoit pieça peu soustenir la violence de ces venins, et l'avoit rejetté avec tel effort que plusieurs veynes de ses Martirs en estoyent esclattëes, et maintenant vous le luy repræsentes comm'une præcieuse medecine. Les Peres que j'ay cité ne les eussent jamais mis au roole des hæretiques s'ilz n'eussent veu le cors de l'Eglise les tenir pour telz ; c'estoyent des plus orthodoxes, et qui estoyent confederés a tous les autres Evesques et Docteurs catholiques de leur tems, qui monstre que ce quilz tenoyent pour hæretique l'estoyt a bon escient. Imagines vous donques ceste [82] venerabl'antiquité, au ciel au tour du Maistre, qui regardent vos reformatoyres : ilz y sont allés combattans les opinions que les ministres adorent, ilz ont tenuz pour hæretiques ceux dont vous suyves les pas ; penses vous que ce quilz ont jugé erreur, hæresie, blaspheme es Arriens, Manicheens, en Judas, ilz le trouvent maintenant sainteté, reformation, restauration ? Qui ne voit que c'est icy le plus grand mespris qu'on peut fair'a la majesté de l'Eglise ? Si vous voules venir a la succession de la vraye et sainte Eglise de ces premiers siecles, ne contrevenes donq pas a ce qu'ell'a si sollemnellement establi et constitué. Personne ne peut estre heritier en partie, et en partie non ; acceptes l'heritage resolument : les charges ne sont pas si grandes qu'un peu d'humilité n'en face la rayson, dir'adieu a ses passions et opinions, et passer conte du different que vous aves [avec] l'Eglise ; les honneurs sont infinis, d'estr'heritiers de Dieu, cohæritiers de Jesuchrist, en l'heureuse compaignie de tous les Bienheureux. [83]

Chapitre III. Les Marques de l'Eglise

 

 

 

Article premier. De l'Unité de l'Eglise : Marque première. La vraie Eglise doit être une en chef

 

 

1.

 

 

            Combien de fois et en combien de lieux, l'Eglise, tant militante que triomphante, et au Viel et au Nouveau Testament, soit appellëe mayson et famille, il me semblerait tems perdu d'en vouloir faire recherche, puisque cela est tant commun es Escritures que ceux qui les ont leües n'en douteront jamais, et qui ne les a leües, incontinent quil les lira, il trouvera quasi par tout ceste façon de parler. C'est de l'Eglise que saint Pol dict a son cher Thimotee, 3 : Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quæ est Ecclesia, columna et firmamentum veritatis ; c'est d'icelle que David dict : Beati qui habitant in domo tua Domine ; c'est d'elle que l'Ange dict : Regnabit in domo Jacob in æternum ; c'est d'elle que Nostre Seigneur : In domo Patris mei mansiones multæ sunt, Simile est regnum cælorum homini patrifamilias, Mat. 20 ; et en cent mill'autres lieux. [84]

            Ores, l'Eglise estant une mayson et famille, le maistre d'icelle il ne faut pas douter quil ni en a qu'un seul, Jesuchrist, ainsy est elle appellëe mayson de Dieu. Mays ce Maistre et Pere de famille, s'en allant a la dextre de Dieu son Pere, ayant laissé plusieurs serviteurs en sa mayson, il voulut en laisser un qui fust serviteur en chef, et auquel les autres se rapportassent ; ainsy dict Nostre Seigneur : Quis putas est servus fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ? Et de vray, sil ni avoit un maistre valet en une boutique, penses comme le trafiq iroit, sil ni avoit un roy en un roiaume, un paron en un navire, et un pere de famille en une famille, et de vray ce ne seroit plus une famille ; mays escoutes Nostre Seigneur, St Mat. 12 : Omnis civitas vel domus divisa contra se non stabit. Jamais une province ne peut estre bien gouvernëe d'elle mesme, principalement si ell'est grande. Je vous demande, Messieurs les clair voians, qui ne voules pas qu'en l'Eglise il y ait un chef, me sçauries vous donner exemple de quelque gouvernement d'apparence auquel tous les gouvernemens particuliers ne se soyent rapportés a un ? Il faut laisser a part les Macedoniens, Babiloniens, Juifz, Medes, Perses, Arabes, Siriens, François, Espagnolz, Anglois, et un'infinité des plus remarquables, esquelles la chose est claire. Mays venons aux republiques : dites moy, ou aves vous veu quelque grande province qui se soit gouvernëe d'elle mesme ? jamais. La plus belle partie du monde fut une fois de la republique des Romains, mais une seule Romme gouvernoit, une seule Athenes, Cartage, et ainsy des autres anciennes, une seule Venise, une seule Gennes, une seule Lucerne, Fribourg et autres. Jamais vous ne trouveres que toutes les parties de quelque notable et grande province se soient employëes a se gouverner soy mesme, mays falloit, faut et faudra que ou un homme seul, ou un seul cors d'hommes residens en quelque lieu, ou une seule ville, ou quelque petite portion d'une province, aye gouverné le reste de la province, si la province estoit grande. Messieurs qui [85] vous playses es histoires, je suys asseuré de vostre voix, vous ne permettres pas qu'on m'en demente. Mays supposé, ce qui est tres faux, que quelque province particuliere se fust gouvernee d'elle mesme, comment est ce qu'on le pourroit dire de l'Eglise Chrestienne, laquelle est si universelle qu'elle comprend tout le monde ? comment pourroit elle estre une si elle se gouvernoit d'elle mesme ? autrement, il faudroit tousjours avoir un concile debout de toutes les eveschés, et qui l'advoera ? il faudroit que tous les Evesques fussent tousjours absens, et comme se pourroit faire cela? Et si tous les Evesques estoient pareilz, qui les assembleroit ? Mays quelle peyne serait ce, quand on aurait quelque doute en la foy, de fayre assembler un concile ? Il ne se peut nullement donques fayre, que toute l'Eglise, et chasque partie d'icelle, se gouverne elle mesme sans se rapporter l'une a l'autre.

            Or, puysque j'ay suffisamment prouvé quil faut qu'une partie se rapporte a l'autre, je vous demande la partie a laquelle on se doit rapporter. Ou c'est une province, ou une ville, ou un'assemblee, ou un particulier : si c'est une province, ou est elle ? ce n'est pas l'Angleterre, car quand ell'estoit Catholique, ou [lui trouvez-vous ce droit ? si vous proposez une autre province,] ou sera elle ? et pourquoy plustost celle la qu'un'autre ? outre ce que pas une province n'a jamais demandé ce privilege. Si c'est une ville, il faut que ce soit l'une des patriarchales : ores, des patriarchales il ni en a que cinq, Rome, Antioche, Alexandrie, Costantinople et Hierusalem ; laquelle des cinq ? toutes sont payennes fors Romme. Si donques ce doit estre une ville, c'est Romme, si un'assemblee, c'est celle de Romme. Mais non ; ce n'est ni une province, ni une ville, ni une simple et perpetuelle assemblee, c'est un seul homme chef, constitué sur toute l'Eglise : Fidelis servus et prudens, quem constituit Dominus.

            Concluons donques que Nostre Seigneur, partant de [86] ce monde, affin de laisser unie toute son Eglise, il laissa un seul gouverneur et lieutenant general, auquel on doit avoir recours en toutes necessités.

 

 

2.

 

 

            Ce qu'estant ainsy, je vous dis que ce serviteur general, ce dispensateur et gouverneur, ce maistre valet de la maison de Nostre Seigneur, c'est saint Pierre, lequel a rayson de cela peut bien dire : O Domine, quia ego servus ; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene præsunt duplici honore digni sunt ; et non seulement servus tuus, mais encores filius ancillæ tuæ. Quand on a quelque serviteur de race, a celluyla on se fie davantage, et luy baille on volontier les clefz de la maison ; donques non sans cause j'introduis saint Pierre, disant, O Domine, etc., car il est serviteur bon et fidelle auquel, comme a serviteur de race, le Maistre a baillé les clefz : Tibi dabo claves regni cælorum. Saint Luc nous monstre bien que saint Pierre est ce serviteur, car, apres avoir raconté que Nostre Seigneur avoit dict par advertissement a ses disciples : Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes ; amen, dico vobis, quod præcinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Nostre Seigneur : Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? Nostre Seigneur, respondant a saint Pierre, ne dict pas : Qui putas erunt fideles, comm'il avoit [dit] beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram ? Et de faict, Theophylacte dict que saint Pierre fit ceste demande comme ayant la supresme charge de l'Eglise, et saint Ambroise, l. 7. sur saint Luc, dict que les premieres paroles, beati, s'entendent de tous, mais les secondes, quis putas, s'entendent des Evesques, et beaucoup plus proprement du sauverain. Nostre Seigneur, donques, respond a [87] saint Pierre comme voulant dire : ce que j'ay dict en general appartient a tous, mais a toi particulierement, car, qui penses tu estre le serviteur prudent et fidele ?

            Et de vray, si nous voulons un peu espelucher ceste parabole, qui peut estre le serviteur qui doit donner le froment sinon saint Pierre, auquel la charge de nourrir les autres a estëe donnëe : Pasce oves meas ? Quand le maistre de la maison va dehors, il donne les clefz au maistre valet et œconome, et n'est ce pas a saint Pierre auquel Nostre Seigneur a dict : Tibi dabo claves regni cælorum ? Tout se rapporte au gouverneur, et le reste des officiers s'appuyent sur iceluy, quand a l'authorité, comme tout l'edifice sur le fondement. Ainsy saint Pierre est appellé Pierre sur laquelle l'Eglise est fondëe : Tu es Cephas, et super hanc petram : or est il que cephas veut dire en siriac une pierre, aussi bien que sela en hebreu, mais l'interprete latin a dict Petrus, pour ce qu'en grec il y a Petros, qui veut aussi bien dire pierre comme petra ; et Nostre Seigneur, en saint Mathieu, 7, dict que l'homme sage faict sa mayson et la fonde sur le rocher, supra petram : en quoy le diable, pere de mensonge, singe de Nostre Seigneur, a voulu faire certaine imitation, fondant sa malheureuse heresie principalement en un diocese de saint Pierre, et en une Rochelle. De plus, Nostre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidele, et saint Pierre a bien ces deux conditions : car, la prudence comme luy peut elle manquer, puysque ni la chair ni le sang ne le gouverne poinct, mais le Pere celeste ? et la fidelité comme luy pourroit elle fallir, puysque Nostre Seigneur [dit] : Rogavi pro te ut non deficeret fides tua ? lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia, de quoy il donne bien bon tesmoignage quand il adjouste, Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s'il vouloit dire : j'ay prié pour toy, et partant sois confirmateur des [88] autres, car pour les autres je n'ay pas prié sinon quilz eussent un refuge asseuré en toy.

 

 

3.

 

 

            Concluons donques quil falloit, que Nostre Seigneur abandonnant son Eglise quand a son estre corporel et visible, il laissast un lieutenant et vicaire general visible, et cestuy ci c'est saint Pierre, dont il pouvoit bien [dire] : O Domine, quia ego servus tuus. Vous me dires, ouy, mais Nostre Seigneur n'est pas mort, et d'abondant il est toujours avec son Eglise, pourquoy donques luy bailles vous un vicaire ? Je vous respons que n'estant pas mort il n'a poinct de successeur, mais seulement un vicaire, et d'abondant, quil assiste vrayement a son Eglise en tout et par tout de sa faveur invisible, mais, affin de ne faire pas un cors visible sans un chef visible, il luy a encores voulu assister en la personne d'un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpetuellement son Eglise en maniere et [forme] convenable a la suavité de sa disposition.

            Vous me dires encores, quil ni a poinct d'autre fondement que Nostre Seigneur en l'Eglise : Fundamentum aliud nemo potest ponere præter id quod positum est, quod est Christus Jesus. Je vous accorde que tant la militante que la triomphante Eglise sont fondëes sur Nostre Seigneur comme sur le fondement principal, mays Isaïe nous prædict qu'en l'Eglise on devoit avoir deux fondements, au chap. 28 : Ecce ego ponam in fundamentis Sion lapidem, lapidem probatum, angularem, prætiosum, in fundamento fundatum. Je sçay bien comm'un grand personnage l'explique, mays il me semble que ce passage la d'Isaïe [89] se doit du tout interpreter sans sortir du chap. 16 de saint Mathieu, Evangile du jourdhuy. La donques Isaïe, se plaignant des Juifz et de leurs prestres en la personne de Nostre Seigneur, de ce que ils ne voudroyent pas croyre, Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s'ensuit, il adjouste : Idcirco hæc dicit Dominus, et partant le Seigneur a dict, Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem.

            Il dict in fundamentis, a cause qu'encores les autres Apostres estoyent fondements de l'Eglise : Et murus civitatis, dict l'Apocalipse, habens fundamenta duodecim, et in ipsis duodecim, nomina duodecim Apostolorum Agni, et ailleurs, Fundati super fundamenta Prophetarum et Apostolorum, ipso summo lapide angulari Christo Jesu, et le Psalmiste, Fundamenta ejus in montibus sanctis ; mais entre tous il y en a un lequel par excellence et superiorité est apellé pierre et fondement, et c'est celuy auquel Nostre Seigneur a dict : Tu es Cephas, id est, Lapis.

            Lapidem probatum. Escoutes saint Mathieu ; il dict que Nostre Seigneur y jettera une pierre esprouvëe : quelle preuve voules vous autre que cellela, Quem dicunt homines esse Filium hominis ? question difficile, a laquelle saint Pierre, expliquant le secret et ardu mistere de la communication des idiomes, respond si pertinement que rien plus, et faict preuve quil est vrayement pierre, disant, Tu es Christus, Filius Dei vivi.

            Isaïe poursuit et dict : lapidem prætiosum. Escoutes l'estime que Nostre Seigneur faict de saint Pierre : Beatus es, Simon Bar Jona.

            Angularem. Nostre Seigneur ne dict pas quil fondera une seule muraille de l'Eglise, mais toute, Ecclesiam meam. Il est donq angulaire in fundamento fundatum, fondé sur le fondement ; il sera fondement mais non pas premier, car il i aura ja un autre fondement, Ipso summo lapide angulari Christo. [90]

            Voila comme Esaïe explique saint Mathieu, et saint Mathieu, Isaïe. Je n'auroys jamais faict si je voulois dire tout ce qui me vient au devant de ce sujet.

 

Article II. L'Eglise Catholique est unie en un chef visible, celle des Protestans ne l'est point, et ce qui s'ensuit

 

 

            Je ne m'amuseray pas beaucoup en ce point. Vous sçaves que tous tant que nous sommes de Catholiques reconnoissons le Pape comme vicaire de Nostre Seigneur : l'Eglise universelle le reconneut dernierement a Trente, quand elle s'addressa a luy pour confirmation de ce qu'elle avoit resolu, et quand elle receut ses deputés comme presidens ordinaires et legitimes du Concile.

            Je perdrois tems aussi de vous [prouver que vous] n'aves point de chef visible ; vous ne le nies pas. Vous aves un supresme Consistoire, comme ceux de Berne, Geneve, Zurich et les autres, qui ne depend d'aucun autre. Vous estes si esloignés de vouloir reconnoistre un chef universel, que mesme vous n'aves point de chef provincial ; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prerogative au Consistoire, ains sont inferieurs, et en science et en voix, au president qui n'est pas ministre. Quant a vos evesques ou surveillans, vous ne vous estes pas contentés de les ravaler jusqu'aux rangs des ministres, mais les aves rendus inferieurs, affin de ne laisser rien en sa place. Les Anglois tiennent leur Reyne pour chef de leur eglise, contre la pure Parole de Dieu : si ne sont ilz pas si desesperés, que je sçache, qu'ilz veuillent qu'elle soit chef de l'Eglise Catholique, mais seulement de ces miserables pays. [91] Bref, il n'y a aucun chef parmi vous autres es choses spirituelles, ni parmi tout le reste de ceux qui font profession de contredire au Pape.

            Voicy maintenant la suite de tout cecy. La vraye Eglise doit avoir un chef visible en son gouvernement et administration, la vostre n'en a point, donques la vostre n'est pas la vraye Eglise. Au contraire, il y a une Eglise au monde, vraye et legitime, qui a un chef visible, il n'y en a point qui en aye un que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise. Passons outre.

 

 

 

Article III. De l'Unité de l'Eglise en la foy et creance. La vraye Eglise doit estre unie en sa doctrine

 

 

            Jesus Christ, est il divisé ? Non, pour vray, car il est Dieu de paix non de dissention, comme saint Pol enseignoit par toutes les eglises. Il ne se peut donques faire que la vraye Eglise soit en dissention ou division de creance et doctrine, car Dieu n'en seroit plus autheur ni espoux, et, comme royaume divisé en soy mesme, elle periroit. Tout aussi tost que Dieu prend un peuple a soy, comme il a faict l'Eglise, il luy donne l'unité de cœur et de chemin. L'Eglise n'est qu'un cors, duquel tous les fidelles sont membres, jointz et liés ensemble par toutes les jointures ; il n'y a qu'une foy et un esprit qui anime ce cors. Dieu est en son saint lieu, il rend sa maison peuplee de personnes de mesme sorte et intelligence ; donques la vraye Eglise de Dieu doit estre unie, liee, jointe et serree ensemble en une mesme doctrine et creance. [92]

 

 

 

Article IV. L'Eglise Catholique est unie en creance, la pretendue reformee ne l'est point

 

 

             « Il faut, » ce dict saint Irenee, « que tous les fidelles s'assemblent et viennent joindre a l'Eglise Romaine, pour sa plus puissante principauté. » « C'est la mere de la dignité sacerdotale, » ce disoit Julius premier. C'est « le commencement de l'unité de prestrise, » c'est « le lien d'unité, » ce dict saint Cyprien ; « Nous n'ignorons pas, » [dit] il encores, « qu'il y a un Dieu, qu'un Christ et Seigneur, lequel nous avons confessé, un Saint Esprit, un Evesque en l'Eglise Catholique. » Le bon Optatus disoit ainsy aux Donatistes : « Tu ne peux nier que tu ne sçaches qu'en la ville de Rome la principale chaire a esté premierement conferee a saint Pierre, en laquelle a esté assis le chef de tous les Apostres, saint Pierre, dont il fut appellé Cephas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardee, affin que les autres Apostres ne voulussent pas se pretendre et defendre chacun la sienne, et que des ores celuy la fust schismatique et pecheur, qui voudroit se bastir une autre chaire contre ceste unique chaire. Donques en ceste unique chaire, qui est la premiere des prerogatives, fut assis premierement saint Pierre. » Ce sont presque les paroles de cest ancien et saint Docteur. Tous tant qu'il y a de Catholiques en [93] cest aage sont en mesme resolution ; nous tenons l'Eglise Romaine pour nostre rendes vous en toutes nos difficultés, nous sommes tous ses humbles enfans et prenons nourriture du lait de ses mammelles, nous sommes tous branches de ceste tige si feconde et ne tirons autre suc de doctrine que de ceste racine. C'est ce qui nous tient tous parés d'une mesme livree de creance, car, sçachant qu'il y a un chef et lieutenant general en l'Eglise, ce qu'il resoult et determine avec l'advis des autres Prelatz, lhors qu'il est assis sur la chaire de saint Pierre pour enseigner le Christianisme, sert de loy et de niveau a nostre creance. Qu'on coure tout le monde, et par tout on verra mesme foy es Catholiques ; que s'il y a quelque diversité d'opinion, ou ce ne seroit pas en chose appartenant a la foy, ou tout incontinent que le Concile general ou le Siege Romain en aura determiné, vous verres chacun se ranger a leur definition. Nos entendemens ne s'esgarent point les uns des autres en leurs creances, ains se maintiennent tres estroittement unis et serrés ensemble par le lien de l'authorité superieure de l'Eglise, a laquelle chacun se rapporte en toute humilité, et y appuie sa foy comme sur la colomne et fermeté de verité ; nostre Eglise Catholique n'a qu'un langage et un mesme parler par toute la terre.

            Au contraire, Messieurs, vos premiers maistres n'eurent pas plus tost esté sus pied, ilz n'eurent pas plus tost pensé de se bastir une tour de doctrine et de science qui allast toucher a descouvert dans le ciel, et leur acquist la grande et magnifique reputation de reformateurs, que Dieu, voulant empescher cest ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de creance, qu'ilz commencerent a se cantonner qui ça qui la, si que toute leur besoigne ne fut qu'une miserable Babel et confusion. Quelles contrarietés a produit la reformation de Luther : je n'aurois jamais faict si je les voulois mettre sur ce papier ; qui les voudra voir qu'il lise le petit livre de Frederic Staphyl, De Concordia [94] discordi, Sander, livre 7e de sa Visible monarchie, et Gabriel de Preau, en la Vie des heretiques. Je diray seulement ce que vous ne pouves pas ignorer, et que je vois maintenant de mes yeux.

            Vous n'aves pas un mesme canon des Escritures ; Luther n'y veut pas l'Epistre de saint Jaques, que vous receves. Calvin tient estre contraire a l'Escriture qu'il [y] aye un chef en l'Eglise ; les Anglois tiennent le contraire. Les huguenotz françois tiennent que selon la Parole de Dieu les prestres ne sont pas moindres que les Evesques ; les Anglois ont des Evesques qui commandent aux prestres, et entre eux, deux Archevesques, dont l'un est appellé Primat, nom auquel Calvin veut si grand mal. Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foy qu'il n'est pas loysible de precher, baptizer, prier, es eglises qui ont esté autrefois aux Catholiques, mais on n'est pas si despiteux de deça : mais notes que j'ay dict qu'ilz le tiennent pour article de foy, car ilz souffrent et les prisons et les bannissemens plustost que de s'en desdire. Ne sçaves pas qu'a Geneve l'on tient pour superstition de celebrer aucune feste des Saintz ? et en Suisse on les fait, et vous en faites une de Nostre Dame. Il ne s'agit pas icy que les uns les fassent, les autres non, car ce ne seroit pas contrarieté de religion, mays ce que vous et quelques Suisses observes, les autres le condamnent comme contraire a la pureté de religion. Ne sçaves pas que l'un de vos plus grans ministres dict a Poissy que le Cors de Nostre Seigneur estoit « aussi loin de la cene que la terre du ciel » ? et ne sçaves pas encores que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres ? l'un de vos maistres n'a il pas confessé dernierement la realité du Cors de Nostre Seigneur en la cene, et les autres la nient ilz pas ? Me pourres vous nier, qu'au fait de la [95] justification vous soyes autant divisés entre vous autres comme vous Testes d'avec nous ? tesmoin l'Anonyme disputateur. Bref, chacun parle son langage a part, et de tant d'huguenotz auxquelz j'ay parlé, je n'en ay jamais trouvé deux de mesme creance.

            Mays le pis est que vous ne vous sçauries accorder ; car, ou prendres vous un arbitre asseuré ? Vous n'aves point de chef en terre pour vous addresser a luy en vos difficultés ; vous croyes que l'Eglise mesme peut s'abuser et abuser les autres ; vous ne voudries mettre vostre ame en main si peu asseuree, ou vous n'en tenes pas grand conte. L'Escriture ne peut estre vostre arbitre, car c'est de l'Escriture mesme dequoy vous estes en proces, voulans les uns l'entendre d'une façon, les autres de l'autre. Vos discordes et disputes sont immortelles si vous ne vous ranges a l'authorité de l'Eglise : tesmoin les colloques de Lunebourg, de Mulbrun, de Mombeliard, et celuy de Berne dernierement ; tesmoin Tilmann Heshusius et Eraste, tesmoin Brence et Bulinger. Certes, la division qui est entre vous au nombre des Sacremens [est remarquable] : maintenant, communement, parmi vous on ne met que deux Sacremens ; Calvin en a mis trois, adjoustant au baptesme et cene, l'ordre ; Luther y met la penitence pour troisiesme puys dit qu'il n'y en a qu'un ; en fin les protestans au colloque de Ratisbonne, auquel se trouva Calvin, tesmoin Beze en sa Vie, confesserent qu'il [y] avoit sept Sacremens. En l'article de la toute puissance de Dieu, comment est ce que vous y estes divisés ? pendant que les uns nient qu'un cors puisse estre, voire par la vertu divine, en deux lieux, les autres nient toute puissance absolue, les autres ne nient rien de tout cela. Que si je voulois vous monstrer les grandes contrarietés qui sont en la doctrine de ceux que de Beze reconnoit tous pour glorieux reformateurs de l'Eglise, a sçavoir, Hierosme de Prague, Jehan Hus, Wiclef, Luther, Bucer, Œcolampade, Zuingle, Pomeran et les autres, je n'aurois [96] jamais faict : Luther seul vous instruira asses de la bonne concorde qui est entre eux, en la lamentation qu'il faict contre les Zuingliens et Sacramentaires, qu'il appelle Absalons, et Judas, et espritz svermeriques, l'an mil cinq cens vingt sept. Feu son Altesse de tres heureuse memoire, Emmanuel Philibert, raconta au docte Anthoyne Possevin qu'au colloque de Wormace, quand on demanda aux protestans leur confession de foy, tous, les uns apres les autres, sortirent hors de l'assemblee, pour ne se pouvoir accorder ensemble. Ce grand Prince est digne de foy, et il raconte cecy pour y avoir esté present. Toute ceste division a son fondement au mespris que vous faites d'un chef visible en terre, car, n'estans point liés pour l'interpretation de la Parole de Dieu a aucune superieure authorité, chacun prend le parti que bon luy semble : c'est ce que dit le Sage, que les superbes sont tousjours en dissention, qui est une marque de vraye heresie. Ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne peuvent estre appellés du nom d'Eglise, parce que, comme dict saint Chrisostome, « le nom d'Eglise est un nom de consentement et concorde. »

            Mays quant a nous autres, nous avons tous un mesme canon des Escritures, et un mesme chef, et pareille regle pour les entendre ; vous aves diversité de canon, et en l'intelligence vous aves autant de testes et de regles que vous estes de personnes. Nous sonnons tous au ton de la trompette d'un seul Gedeon, et avons tous un mesme esprit de foy au Seigneur et a son lieutenant, l'espee des decisions de Dieu et de l'Eglise, selon la parole des Apostres, Visum est Spiritui Sancto et nobis. Ceste unité de langage est en nous un vray signe que nous sommes l'armee du Seigneur, et vous ne pouves estre reconneus que pour Madianites, qui ne faites en vos opinions que criailler et hurler chacun a sa mode, chamailler les uns sur les autres, vous entr'esgorgeans et [97] massacrans vous mesmes par vos dissentions, ainsy que dict Dieu par Isaïe : Les Egyptiens choqueront contre les Egyptiens, et l'esprit d'Egypte se rompra : et saint Augustin dict que « comme Donatus avoit tasché de diviser Christ, ainsy luy mesme par une journelle separation des siens estoit divisé en luy mesme. » Ceste seule Marque vous doit faire quitter vostre pretendue eglise, car, qui n'est avec Dieu est contre Dieu ; Dieu n'est point en vostre eglise, car il n'habite point qu'en lieu de paix, et en vostre eglise il n'y a ni paix ni concorde.

 

 

 

Article V. De la Sainteté de l'Eglise : Marque seconde

 

 

            L'Eglise de Nostre Seigneur est sainte : c'est un article de foy. Nostre Seigneur s'est donné pour elle, affin de la sanctifier ; c'est un peuple saint, dict saint Pierre ; l'Espoux est saint, et l'Espouse sainte ; elle est sainte estant dediee a Dieu, ainsy que les aisnés en l'ancienne Sinagogue furent appellés saintz, pour ce seul respect. Elle est sainte ençores parce que l'Esprit qui la vivifie est saint, et parce qu'elle est le cors mistique d'un chef qui est tres saint. Elle l'est encores parce que toutes ses actions interieures et exterieures sont saintes ; elle ne croit, ni espere, ni ayme que saintement ; en ses prieres, predications, Sacremens, Sacrifice, elle est sainte. Mais ceste Eglise a sa sainteté interieure, selon la parole de David, Toute la gloire de ceste fille royale est au dedans ; elle a encores sa sainteté exterieure, en franges d'or environnee de [98] belles varietés. La sainteté interieure ne se peut voir ; l'exterieure ne peut servir de Marque, parce que toutes les sectes s'en vantent, et qu'il est mal aysé de reconnoistre la vraye priere, predication et administration des Sacremens. Mais, outre tout cela, il y a des signes avec lesquelz Dieu faict connoistre son Eglise, qui sont comme parfums et odeurs, comme dict l'Espoux es Cantiques : L'odeur de tes vestemens comme l'odeur de l'encens ; ainsy pouvons nous, a la piste de ses odeurs et parfums, quester et trouver la vraye Eglise, et le giste du filz de la licorne.

 

 

 

Article VI. La vraye Eglise doit reluire en miracles

 

 

            L'Eglise, donques, a le lait et le miel sous sa langue, en son cœur, qui est la sainteté interieure laquelle nous ne pouvons voir ; elle est richement paree d'une belle robbe bien recamee et brodee a varietés, qui est la sainteté exterieure laquelle se peut voir. Mays, parce que les sectes et heresies desguisent leurs vestemens en mesme façon sous une fause estoffe, outre cela elle a des parfums et odeurs qui luy sont propres, et ce sont certains signes et lustres de sa sainteté, qui luy sont tellement propres qu'aucune autre assemblee ne s'en peut vanter, particulierement en nostre aage : car, premierement, elle reluit en miracles, qui sont tres souëfves odeurs et parfums, signes expres de la presence de Dieu immortel ; ainsy les appelle saint Augustin.

            Et de faict, quand Nostre Seigneur partit de ce monde, il promit que l'Eglise seroit suivie de miracles : Ces marques, dict il, suivront les croyans : en mon nom ilz chasseront les diables, ilz parleront nouveaux langages, ilz osteront les serpens, le venin ne leur [99] nuira point, et par l'imposition des mains ilz gueriront les malades. Considerons, je vous prie, de pres ses paroles. 1. Il ne dict pas que les seulz Apostres feroient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront. 2. Il ne dict pas que tous les croyans en particulier feroient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes. 3. Il ne dict pas que ce fust seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyans. Nostre Seigneur donques parle aux Apostres seulement, mais non pour les Apostres seulement ; il parle des croyans en cors et en general, a sçavoir, de l'Eglise ; il parle absolument, sans distinction de tems. Laissons ces saintes paroles en l'estendue que Nostre Seigneur leur a donnee : les croyans sont en l'Eglise, les croyans sont suivis de miracles, donques en l'Eglise il y a des miracles ; il y a des croyans de tous tems, les croyans sont suivis de miracles, donques en tous tems il y a des miracles.

            Mais voyons un peu pourquoy le pouvoir des miracles fut laissé en l'Eglise : ce fut sans doute pour confirmer la predication evangelique ; car saint Marc le tesmoigne, et saint Pol, qui dict que Dieu donnoit tesmoignage a la foy qu'il annonçoit, par miracles. Dieu mit en main de Moyse ces instrumens affin qu'il fust creu, dont Nostre Seigneur dict que s'il n'eust faict des miracles les Juifz n'eussent pas esté obligés de le croire. Or sus, l'Eglise doit elle pas tousjours combattre l'infidelité ? et pourquoy donques luy voudries vous oster ce bon baston que Dieu luy a mis en main ? Je sçay bien qu'elle n'en a pas tant de necessité qu'au commencement ; apres que la sainte plante de la foy a prins bonne racine on ne la doit pas si souvent arrouser ; mais aussi, vouloir lever en tout l'effect, la necessité et cause demeurant en bonne partie, c'est tres mal philosopher.

            Outre cela, je vous prie, monstres moy quelque saison en laquelle l'Eglise visible aye esté sans miracles, des qu'elle commença jusqu'a present. Au tems des Apostres [100] se firent infinis miracles, vous le sçaves bien ; apres ce tems la, qui ne sçait le miracle recité par Marc Aurele Anthonin, faict par les prieres de la legion des soldatz Chrestiens qui estoyent en son armee, laquelle pour cela fut appellee Fulminante ? Qui ne sçait les miracles de saint Gregoire Thaumaturge, saint Martin, saint Anthoyne, saint Nicolas, saint Hilarion, et les merveilles [qui arrivèrent] aux Theodose et Constantin ? dequoy les autheurs sont irréprochables, Eusebe, Rufin, saint Hierosme, Basile, Sulpice, Athanase. Qui ne sçait encores [ce] qui advint en l'invention de la sainte Croix, et au tems de Julien l'Apostat ? Au tems de saint Chrysostome, Ambroise, Augustin, on a veu plusieurs miracles qu'eux mesmes recitent. Pourquoy voules vous, donques, que la mesme Eglise cesse maintenant d'avoir des miracles ? quelle rayson y auroit il ? Pour vray, ce que nous avons tousjours veu, en toutes sortes de saisons, accompagner l'Eglise, nous ne pouvons que nous ne l'appellions proprieté de l'Eglise : la vraye Eglise donques faict paroistre sa sainteté par miracles. Que si Dieu rendoit si admirable et le Propitiatoire, et son Sinaï, et son buisson ardent, parce qu'il y vouloit parler avec les hommes, pourquoy n'a il rendu miraculeuse son Eglise, en laquelle il veut a jamais demeurer ?

 

 

 

Article VII. L'Eglise Catholique est accompagnee de miraracles et la pretendue ne l'est point

 

 

            Icy maintenant je desire que vous vous monstries raysonnables, sans chicaneries et opiniastreté. Informations prinses deüement et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siecle, saint François [101] de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des mortz ; on en trouve tout autant de saint Diegue d'Alcala : ce ne sont pas bruitz incertains, mais preuves assignees, informations prinses.

            Oseries vous nier l'apparition de la Croix faicte au vaillant et catholique capitaine Albuquerque et a toutes siennes gens, en Camarane, que tant d'historiens escrivent, et a laquelle tant de gens avoyent eu part ?

            Le devot Gaspard Berzee, es Indes, guerissoit les malades priant seulement Dieu pour eux a la Messe, et si soudainement qu'autre que la main de Dieu ne l'eust peu faire. Le bienheureux François Xavier a gueri des paralitiques, sourds, muetz, aveugles, a ressuscité un mort, son cors n'a peu estre consumé quoy qu'il eust esté enterré avec de la chaux, comme ont tesmoigné ceux qui l'ont veu entier quinze mois apres sa mort ; et ces deux derniers sont mortz des 45 ans en ça.

            En Meliapor on a trouvé une croix, incise sur une pierre, laquelle on estime avoir esté enterree par les Chrestiens du tems de saint Thomas : chose admirable neantmoins veritable, presque toutes les annees, environ la feste de ce glorieux Apostre, ceste croix-la sue abondance de sang, ou liqueur semblable au sang, et change de couleur, se rendant blanche pasle, puys noire, et tantost de couleur bleue resplendissante et tres aggreable, en fin elle revient a sa couleur naturelle ; ce que tout le peuple voit, et l'Evesque de Cocine en a envoyé une publique attestation, avec l'image de la croix, au saint Concile de Trente. Ainsy se font les miracles es Indes ou la foy n'est encores du tout affermie ; desquelz je laisse un monde, pour me tenir en la briefveté que je dois.

            Le bon Pere Louys de Grenade, en son Introduction sur le Symbole, recite plusieurs miracles recens et irreprochables. Entre autres, il produit la guerison que [102] les Roys de France catholiques ont faict, de nostre aage mesme, de l'incurable maladie des escrouelles, ne disant autre que ces paroles : « Dieu te guerit, le Roy te touche », n'y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour la.

            J'ay leu l'histoire de la miraculeuse guerison de Jaques, filz de Claude André, de Belmont, au balliage de Baulme, en Bourgogne : il avoit esté huit annees durant muet et impotent ; apres avoir faict sa devotion en l'eglise de saint Claude le jour mesme de la feste, huitiesme Juin 1588, il se trouva tout soudainement sain et gueri. Cela l'appelles vous pas miracle ? Je parle de chose voisine, j'ay leu l'acte public, j'ay parlé au notaire qui l'a receu et expedié, bien et deüement signé, Vion ; il n'y manqua pas de tesmoins, car il y avoit du peuple a milliades. Mays que m'arreste je faire a vous produire les miracles de nostre aage ? saint Malachie, saint Bernard et saint François estoyent ilz pas de nostre Eglise ? vous ne le sçauries nier ; ceux qui ont escrit leurs vies sont tres saintz et doctes, car mesme saint Bernard a escrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquelz ni la suffisance ni la conscience ne manquoyent point, et neantmoins ilz y racontent plusieurs grans miracles : mays sur tout les merveilles qui se font maintenant, a nos portes, a la veüe de nos Princes et de toute nostre Savoye, pres de Mondevis, devroyent fermer la porte a toutes opiniastretés.

            Or sus, que dires vous a cecy ? dires vous que l'Antichrist fera des miracles ? Saint Pol atteste qu'ilz seront faux, et pour le plus grand que saint Jan produit, c'est qu'il fera descendre le feu du ciel. Satan peut faire telz miracles, ains en a faict sans doute ; mais Dieu laissera un prompt remede a son Eglise, car a ces miracles la les serviteurs de Dieu, Helie, Enoch, comme tesmoignent [103] l'Apocalipse et les interpretes, opposeront des autres miracles de bien autre estoffe, car, non seulement ilz se serviront du feu pour chastier miraculeusement leurs ennemis, mais auront pouvoir de fermer le ciel a fin qu'il ne pleuve point, de changer et convertir les eaux en sang, et de frapper la terre du chastiment que bon leur semblera ; trois jours et demy apres leur mort ilz ressusciteront et monteront au ciel, la terre tremblera a leur montee. Alhors donq, par l'opposition de vrays miracles, les illusions de l'Antichrist seront descouvertes, et comme Moïse fit en fin confesser aux magiciens de Pharaon, Digitus Dei est hic, ainsy Helie et Enoch feront en fin que leurs ennemis dent gloriam Deo cœli. Helie fera en ce tems la de ses saintz tours de prophete, qu'il faisoit jadis pour dompter l'impieté des Baalites et autres religionnaires.

            Je veux donq dire, 1. que les miracles de l'Antichrist ne sont pas telz que ceux que nous produisons pour l'Eglise, et partant ne s'ensuit pas que, si ceux la ne sont pas Marque d'Eglise ceux cy ne le soyent pas aussi ; ceux la seront monstrés faux et combattus par des plus grans et solides, ceux cy sont solides, et personne n'en peut opposer de plus asseurés. 2. Les merveilles de l'Antichrist ne seront qu'une bouttade de trois ans et demy, mais les miracles de l'Eglise luy sont tellement propres que des qu'elle est fondee elle a tousjours esté reluisante en miracles ; en l'Antichrist les miracles seront forcement, et ne dureront pas, mais en l'Eglise ilz y sont naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ilz sont tousjours, et tousjours l'accompagnent, pour verifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront.

            Vous diries volontiers que les Donatistes ont faict miracles, au rapport de saint Augustin ; mais ce n'estoyent que certaines visions et revelations, desquelles ilz se vantoyent sans aucun tesmoignage : certes, l'Eglise ne peut estre prouvee vraye par ces visions particulieres ; au contraire, ces visions ne peuvent estre prouvees ou tenues pour vrayes sinon par le tesmoignage de l'Eglise, [104] dict le mesme saint Augustin. Que si Vespasien a gueri un aveugle et un boiteux, les medecins mesmes, au recit de Tacitus, trouverent que c'estoit un aveuglement et une perclusion qui n'estoyent pas incurables ; ce n'est donques pas merveille si le diable les sceut guerir. Un Juif estant baptizé se vint presenter a Paulus, evesque novatien, pour estre rebaptizé, dict Socrates ; l'eau des fons tout incontinent s'esvanouit : ceste merveille ne se fit pas pour la confirmation du Novatianisme, mays du saint Baptesme, qui ne devoit pas estre reiteré. Ainsy « Quelques merveilles se sont faictes », dict saint Augustin, « chez les payens » : non pas pour preuve du paganisme, mays de l'innocence, de la virginité et fidelité, laquelle, ou qu'elle soit, est aymee et prisee de Dieu son autheur. Or ces merveilles ne se sont faites que rarement ; donques on n'en peut rien conclure : les nuees jettent quelques fois des esclairs, mays ce n'est que le soleil qui a pour marque et pour proprieté d'esclairer.

            Fermons donques ce propos. L'Eglise a tousjours esté accompagnee de miracles solides et bien asseurés, comme ceux de son Espoux, donques c'est la vraye Eglise ; car, me servant en cas pareil de la rayson du bon Nicodeme, je diray : Nulla societas potest hæc signa facere quœ hæc facit, tam illustria aut tam constanter, nisi Dominus fuerit cum illa ; et comme disoit Nostre Seigneur aux disciples de saint Jan, Dicite, cæci vident, claudi ambulant, surdi audiunt, pour monstrer qu'il estoit le Messie, ainsy, oyant qu'en l'Eglise se font de si solemnelz miracles, il faut conclure que vere Dominus est in loco isto.

            Mais quant a vostre pretendue Eglise, je ne luy sçaurois dire autre sinon, Si potest credere, omnia possibilia sunt credenti ; si elle estoit la vraye Eglise elle seroit suivie de miracles. Vous me confesseres que ce n'est pas de vostre mestier de faire des miracles, ni de chasser les diables ; une fois il reussit mal a l'un de vos grans maistres qui s'en vouloit mesler, ce dict Bolsec : Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dict Tertullien, [105] isti de vivis mortuos faciunt. On faict courir un bruit que l'un des vostres a gueri une fois un demoniaque ; on ne dict toutefois point, ou, quand, comment, la personne guerie, ni quelque certain tesmoin. Il est aysé aux apprentifz d'un mestier de s'equivoquer en leur premier essay ; on faict souvent courir certains bruitz parmi vous pour entretenir le simple peuple en haleyne, mais n'ayans point d'autheur ne doivent avoir point d'authorité : outre ce que, au chassement du diable, il ne faut tant regarder ce qui se faict, comme il faut considerer la façon et la forme comme on le faict ; si c'est par oraisons legitimes et invocations du nom de Jesus Christ. Puys, une hirondelle ne faict pas le printems ; c'est la suite perpetuelle et ordinaire des miracles qui est Marque de la vraye Eglise, non accident : mais ce seroit se battre avec l'ombre et le vent, de refuter ce bruit, si lasche et si debile que personne n'ose dire de quel costé il est venu.

            Toute la responce que j'ay veüe chez vous, en ceste extreme necessité, c'est qu'on vous faict tort de vous demander des miracles : aussi faict on, je vous promets ; c'est se mocquer de vous, comme qui demanderoit a un mareschal qu'il mist en œuvre une emeraude ou diamant. Aussi ne vous en demande je point ; seulement je vous prie que vous confessies franchement que vous n'aves pas faict vostre apprentissage avec les Apostres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont esté maistres du mestier.

            Mays quand vous dites que vous n'aves besoin de miracles parce que vous ne voules establir une foy nouvelle, dites moy donq encores si saint Augustin, saint Hierosme, saint Gregoire, saint Ambroise et les autres preschoyent une nouvelle doctrine, et pourquoy donq se faisoit il tant de miracles et si signalés comme ilz produisent ? Certes, l'Evangile estoit mieux receu au monde qu'il n'est maintenant, il y avoit de plus excellens pasteurs, plusieurs martyres et miracles avoyent precedé, mays l'Eglise ne laissoit pas d'avoir encores ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la tres [106] sainte Religion. Que si les miracles doivent cesser en l'Eglise, c'eust esté au tems de Constantin le Grand, apres que l'Empire fut faict Chrestien, que les persecutions cesserent, et que le Christianisme estoit bien asseuré, mais tant s'en faut qu'ilz cessassent alhors, qu'ilz multiplièrent de tous costés. Au bout de la, la doctrine que vous presches n'a jamais esté annoncee, en gros, en detail ; vos predecesseurs heretiques l'ont preschee, auxquelz vous vous accordes avec chacun en quelque point et avec nul en tous, ce que je feray voir cy apres. Vostre eglise ou estoit elle, il y a 80 ans ? elle ne faict que d'esclore, et vous l'appelles vielle.

            Ha, ce dites vous, nous n'avons point faict nouvelle eglise, nous avons frotté et espuré ceste vielle monnoye, laquelle, ayant long tems demeuré couverte es masures, s'estoit toute noircie, et souïllee de crasse et moisi. Ne dites plus cela, je vous prie, [que] vous aves le metail et calibre ; la foy, les Sacremens, sont ce pas des ingrediens necessaires pour la composition de l'Eglise ? et vous aves tout changé, et de l'un et de l'autre ; vous estes donques faux monnoyeurs, si vous ne monstres le pouvoir que vous pretendes de battre sur le coin du Roy telz calibres. Mais ne nous arrestons pas icy : aves vous espuré ceste Eglise ? aves vous nettoyé ceste monnoye ? monstres nous, donques, les caracteres qu'elle avoit quand vous dites qu'elle cheut en terre, et qu'elle commença a se rouiller. Elle tomba, ce dites vous, au tems de saint Gregoire ou peu apres. Dites ce que bon vous semblera, mais en ce tems la elle avoit le caractere des miracles ; monstres le nous maintenant, car, si vous ne nous monstres bien particulierement l'inscription et l'image du Roy en vostre monnoye, et nous la vous monstrons en la nostre, la nostre passera comme loyale et franche, la vostre, comme courte et rognee, sera renvoyee au billon. Si vous nous voules representer l'Eglise en la forme qu'elle avoit au tems [107] de saint Augustin, monstres la nous non seulement bien disante mais bien faisante en miracles et saintes operations, comme elle estoit alhors. Que si vous voulies dire qu'alhors elle estoit plus nouvelle que maintenant, je vous respondrois, qu'une si notable interruption comme est celle que vous pretendes, de 900 ou mille ans, rend ceste monnoye si estrange que si on n'y voit en grosses lettres les caracteres ordinaires, l'inscription et l'image, nous ne la recevrons jamais. Non, non, l'Eglise ancienne estoit puissante en toute saison, en adversité et prosperité, en œuvres et en paroles, comme son Espoux, la vostre n'a que le babil, soit en prosperité ou adversité ; au moins qu'elle monstre maintenant quelques vestiges de l'ancienne marque, autrement jamais elle ne sera receue comme vraye Eglise, ni fille de ceste ancienne Mere. Que si elle s'en veut vanter davantage, on luy imposera silence avec ces saintes paroles : Si filii Abrahæ estis, opera Abrahæ facite: la vraye Eglise des croyans doit tousjours estre suivie de miracles, il n'y a point d'Eglise en nostre aage qui en soit suivie que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise.

 

 

 

Article VIII. L'esprit de prophetie doit estre en la vraye Eglise

 

 

            La prophetie est un tres grand miracle, qui consiste en la certaine connoissance que l'entendement humain a des choses sans experience ni aucun discours naturel, par l'inspiration surnaturelle ; et partant, tout ce que j'ay dit des miracles en general doit estre employé en cecy : mays, outre cela, le prophete Joël predict qu'au dernier tems, c'est a dire, au tems de l'Eglise evangelique, comme interprete saint Pierre, Nostre Seigneur [108] respandroit sur ses serviteurs et servantes de son Saint Esprit, et qu'ilz prophetiseroient ; comme Nostre Seigneur avoit dict : Ces signes suivront ceux qui croiront. Donques, la prophetie doit tousjours estre en l'Eglise, ou sont les serviteurs et servantes de Dieu, et ou il respand tousjours son Saint Esprit.

            L'Ange dict, en l'Apocalipse, que le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie : or, ce tesmoignage de l'assistance de Nostre Seigneur n'est pas seulement donné pour les infidelles, mais principalement pour les fidelles, ce dict saint Pol ; comme donques diries vous que Nostre Seigneur l'ayant donné une fois a son Eglise il le luy leva par apres ? le principal sujet pour lequel il luy a esté concedé y est encores, donques la concession dure tousjours. Adjoustes, comme je disois des miracles, qu'en toutes les saisons l'Eglise a eu des prophetes ; nous ne pouvons donques dire que ce ne soit une de ses proprietés et une bonne piece de son douaire. Jesus Christ, montant aux cieux, il a mené la captivité captive, il a donné des dons aux hommes ; car il a donné les uns pour apostres, les autres pour prophetes, les autres pour evangelistes, les autres pour pasteurs et docteurs : l'esprit apostolique, evangelique, pastoral et doctoral est tousjours en l'Eglise, et pourquoy luy levera on encores l'esprit prophetique ? c'est un parfum de la robbe de ceste Espouse.

 

 

 

Article IX. L'Eglise Catholique a l'esprit de prophetie, la pretendue ne l'a point

 

 

            Il n'y a presque point eu de Saintz en l'Eglise qui n'ayent prophetisé. Je nommeray seulement ceux cy plus recens : saint Bernard, saint François, saint Dominique, [109] saint Anthoyne de Padoue, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, qui furent tres asseurés Catholiques ; les Saintz desquelz j'ay parlé cy dessus sont du nombre, et en nostre aage, Gaspard Berzee et François Xavier. Il n'y a celuy de nos ayeux qui ne racontast tres asseurement quelque prophetie de Jehan Bourgeois, plusieurs desquelz l'avoyent veu et ouÿ. Le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie.

            Produises nous maintenant quelqu'un des vostres qui ait prophetisé pour vostre eglise. Nous sçavons que les Sybilles furent comme les prophetesses des Gentilz, desquelles parlent presque tous les Anciens ; Balaam aussi prophetisa, mais c'estoit pour la vraye Eglise ; et partant leur prophetie n'authorisoit pas l'eglise ; en laquelle elle se faisoit, mais celle pour laquelle elle se faisoit : quoy que je ne nie pas qu'entre les Gentilz il n'y eust une vraye Eglise de peu de gens, ayans la foy d'un vray Dieu et l'observation des commandemens naturelz en recommandation, par la grace divine ; tesmoin Job en l'ancienne Escriture, et le bon Cornelius, avec ces autres soldatz craignans Dieu, en la nouvelle. Ores, ou sont vos prophetes ? et si vous n'en aves point, croyes que vous n'estes pas du cors pour l'edification duquel Nostre Seigneur [les] a laissés, au dire de saint Pol ; aussi, Le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie. Calvin a voulu, ce semble, prophetiser, en la preface sur son Catechisme de Geneve, mais sa prediction est tellement favorable pour l'Eglise Catholique, que quand nous en aurons l'effect nous sommes contens de le tenir pour tel quel prophete. [110]

 

 

 

Article X. La vraye Eglise doit prattiquer la perfection de la vie Chrestienne

 

 

            Voici des rares enseignemens de Nostre Seigneur et de ses Apostres. Un jeune homme riche protestoit d'avoir observé les commandemens de Dieu des sa tendre jeunesse ; Nostre Seigneur, qui voit tout, le regardant l'ayma, signe qu'il estoit tel qu'il avoit dict, et neanmoins il luy donne cest advis : Si tu veux estre parfaict, va, vens tout ce que tu as, et tu auras un tresor au ciel, et me suis. Saint Pierre nous invite avec son exemple et de ses compaignons : Voici, nous avons tout laissé et t'avons suivi ; Nostre Seigneur recharge avec ceste solemnelle promesse : Vous qui m'aves suivi seres assis sur douze chaires, jugeans les douze tribus d'Israël, et quicomque laissera sa mayson, ou ses freres, ou ses sœurs, ou son pere, ou sa mere, ou sa femme, ou ses enfans, ou ses champs, pour mon nom, il en recevra le centuple, et possedera la vie eternelle. Voyla les paroles, voicy l'exemple. Le Filz de l'homme n'a pas lieu ou il puisse reposer sa teste ; il a esté tout pauvre pour nous enrichir ; il vivoit d'aumosnes, dict saint Luc : Mulieres aliquæ ministrabant ei de facultatibus suis ; en deux Psalmes qui touchent proprement sa personne, comme interpretent saint Pierre et saint Pol, il est appellé mendiant ; quand il envoye prescher ses Apostres, il les enseigne, Nequid tollerent in via nisi virgam tantum, et qu'ils ne portassent ni pochette, ni pain, ni argent a la ceinture, mays chaussés de sandales, et qu'ilz ne fussent affeublés [111] de deux robbes. Je sçay que ces enseignemens ne sont pas commandemens absolus, quoy que le dernier fust commandement pour, un tems ; aussi n'en veux je rien dire autre sinon que ce sont tres salutaires conseilz et exemples.

            En voicy encores d'autres semblables, sur un autre sujet. Il y a des eunuques qui sont ainsy nés du ventre de leur mere, il y a aussi des eunuques qui ont esté faitz par les hommes, et il y a des eunuques qui se sont chastrés eux mesmes pour le royaume des cieux ; qui potest capere, capiat. C'est cela mesmie qui avoit esté predict par Isaïe : Que l'eunuque ne dise point, voicy je suis un arbre sec, parce que le Seigneur dict ainsy aux eunuques : qui garderont mes Sabbatz, et choisiront ce que je veux, et tiendront mon alliance, je leur bailleray, en ma mayson et en mes murailles, une place et un nom meilleur que les enfans et les filles, je leur bailleray un nom sempiternel qui ne perira point. Qui ne voit icy que l'Evangile va justement joindre a la prophetie ? Et en l'Apocalipse, ceux qui chantoyent un cantique nouveau, qu'autre qu'eux ne pouvoit dire, c'estoyent ceux qui ne s'estoyent point souillés avec les femmes, parce qu'ilz estoyent vierges ; ceux la suivent l'Aigneau ou qu'il aille. C'est icy ou se rapportent les exhortations de saint Pol : Il est bon a l'homme de ne toucher point la femme. Or je dis â qui n'est pas marié, et aux vefves, qu'il leur sera bon de demeurer ainsy, comme moy. Quant aux vierges, je n'en ay point de commandement, mais j'en donne conseil, comme ayant receu misericorde de Dieu d'estre fidele. Voicy la rayson : Qui est sans femme, il est soigneux des choses du Seigneur, comme il plaira a Dieu, mais qui est avec sa femme, il a soin des choses du monde, comme il agreera a sa femme, et est divisé ; et la femme non mariee et la vierge pensent aux choses du Seigneur, pour estre saintes de cors et d'esprit, mais celle qui est mariee pense aux choses mondaines, comme elle [112] plaira a son mary. Au reste, je dis cecy pour vostre prouffit ; non pour vous mettre des laqs, mais [pour] ce qui est honneste, et qui vous facilite le moyen de servir Dieu sans empeschemens. Apres : Donq qui joint en mariage sa pucelle il faict bien, et qui ne la joint point faict mieux. Puys, parlant de la vefve : Qu'elle se marie a qui elle voudra, pourveu que ce soit en Nostre Seigneur, mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsy, selon mon conseil ; or pense je que j'ay l'esprit de Dieu. Voyla les instructions de Nostre Seigneur et des Apostres, et voicy l'exemple de Nostre Seigneur, de Nostre Dame, de saint Jan Baptiste, de saint Pol, saint Jan et saint Jaques, qui tous ont vescu en virginité, et, en l'Ancien Testament, Helie, Helisee, comme ont remarqué les Anciens.

            En fin, la tres humble obeissance de Nostre Seigneur, qui est si particulierement notee es Evangiles, non seulement a son Pere, a laquelle il estoit obligé, mays a saint Joseph, a sa Mere, a Cesar auquel il paya le tribut, et a toutes creatures, en sa Passion, pour l'amour de nous : Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Et l'humilité qu'il monstre d'estre venu enseigner, quand il dict : Le Filz de l'homme n'est pas venu pour estre servi, mays pour servir. Je suis entre vous comme celuy qui sert. Ne sont ce pas des perpetuelles repliques et expositions de ceste tant douce leçon, Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de courage ? et de ceste autre, Si quelqu'un veut venir apres moy, qu'il renonce a soy mesme, qu'il prenne sa croix tous les jours, et qu'il me suive ? Qui garde les commandemens il renonce asses a soy mesme pour estre sauvé, c'est bien asses s'humilier pour estre exalté, mais d'ailleurs il reste une autre obeissance, humilité et renoncement de soy mesme, auquel l'exemple et les enseignemens de Nostre Seigneur nous invitent. Il veut que nous apprenions de luy l'humilité, et il s'humilioit, non seulement a qui il estoit inferieur entant qu'il portoit [113] la forme de serviteur, mais encores a ses inferieurs mesmes ; il desire donques que, comme il s'est abaissé non jamais contre son devoir mais outre le devoir, ainsy nous obeissions volontairement a toutes creatures pour l'amour de luy : il veut que nous renoncions a nous mesmes par son exemple, mais il a renoncé si fermement a sa volonté qu'il s'est sousmis a la croix mesme, et a servi ses disciples et serviteurs, tesmoin celuy qui le trouvant estrange luy disoit : Non lavabis mihi pedes in æternum. Que reste il donques, sinon qu'en ces paroles et actions nous reconnoissions une douce invitation a une sousmission et obeissance volontaire, vers ceux auxquels d'ailleurs nous n'avons point d'obligation ? ne nous appuyans point tant peu soit il sur nostre propre volonté et jugement, selon l'advis du Sage, mais nous rendans sujetz et esclaves a Dieu et aux hommes, pour l'amour de Dieu. Ainsy les Rechabites sont loués magnifiquement, en Hieremie, parce qu'ilz obeirent a leur pere Jonadab en choses bien dures et estranges, auxquelles il n'avoit point d'authorité de les obliger ; comme estoit de ne boire vin, ni eux ni les leurs quelconques, ne semer, ne planter ni avoir vignes, ne bastir. Les peres, certes, ne peuvent pas si fort estreindre les mains de leur posterité si elle n'y consent volontairement ; les Rechabites toutefois sont loüés et benis de Dieu, en approbation de ceste volontaire obeissance avec laquelle ilz avoient renoncé a eux mesmes d'une extraordinaire et plus parfaicte renonciation.

            Or sus, revenons maintenant au chemin. Ces exemples et enseignemens si signalés de pauvreté, chasteté, abnegation de soy mesme, a qui ont ilz esté laissés ? a l'Eglise. Mays pourquoy ? Nostre Seigneur le declaire : Qui pot est capere capiat. Et qui le peut prendre ? celuy qui a le don de Dieu, et personne n'a le don de Dieu que celuy qui le demande : mays, comme invoqueront celuy auquel ilz ne croyent point ? comme croiront sans prèscheur ? et comme prescheront ilz s'ilz ne sont envoyés ? or il n'y a point [114] de mission hors l'Eglise, donques, Qui potest capere capiat ne s'addresse immediatement qu'a l'Eglise et pour ceux qui sont en l'Eglise, puysque hors de l'Eglise il ne peut estre en usage. Saint Pol le monstre plus clairement : Hoc, ce dit il, ad utilitatem vestram dico : Je dis cecy pour vostre prouffit ; non pour vous dresser des pieges et laqs, mais pour vous inciter a ce qui est honneste, et qui vous donne aysance et facilité de servir Dieu et l'honnorer sans empeschement. Et de faict, les Escritures et exemples qui sont en icelles ne sont que pour nostre utilité et instruction ; l'Eglise donques devoit prattiquer et mettre en œuvre ces si saintz advis de son Espoux, autrement c'eust esté en vain et pour neant qu'on les luy eust laissés et proposés : aussi les a elle bien sceu prendre pour soy et en faire son prouffit, et voicy dequoy.

            Nostre Seigneur ne fut pas plus tost monté au ciel, qu'entre les Chrestiens chacun vendoit son bien et apportoit le prix aux pieds des Apostres ; et saint Pierre, pratiquant la premiere regle, disoit : Aurum et argentum non est mihi. Saint Philippe avoit quatre filles vierges, qu'Eusebe tesmoigne avoir tousjours demeuré telles ; saint Pol garda la virginité ou le célibat, aussi firent saint Jan et saint Jaques ; et quand saint Pol reprend comme damnables certaines jeunes vefves quæ postquam lascivierint in Christum nubere volunt, habentes damnationem quia primam fidem irritam fecerunt, le Concile 4 de Carthage (auquel se trouva saint Augustin), saint Epiphane, saint Hierosme, avec tout le reste de l'antiquité, l'interpretent des vefves qui, s'estans voüees a Dieu de garder chasteté, rompoyent leur vœu, se lians au mariage contre la foy qu'au paravant elles avoyent donnee au celeste Espoux. De ce tems la donques, le conseil des eunuques et l'autre que saint Pol baille estoyent prattiqués en l'Eglise.

            Eusebe de Cesaree raconte que les Apostres instituerent deux vies, l'une selon les commandemens, l'autre selon les conseilz ; et qu'il soit ainsy il appert [115] evidemment, car, sur le modelle de la perfection de vie qu'ont tenue et conseillee les Apostres, une infinité de Chrestiens ont si bien formé la leur que les histoires en sont pleines. Qui ne sçait combien sont admirables les rapportz que faict Philon le Juif de la vie des premiers Chrestiens en Alexandrie, au livre intitulé De vita supplicum, ou Traitté de saint Marc et ses disciples ? comme tesmoignent Eusebe, Nicephore, saint Hierosme et, entre autres, Epiphane qui dict que Philon escrivant des Jesseens il parloit des Chrestiens, qui pour quelque tems apres l'Ascension de Nostre Seigneur, pendant que saint Marc preschoit en Egypte, furent ainsy appellés, ou a cause de Jessé, de la race duquel fut Nostre Seigneur, ou a cause du nom de Jesus, nom de leur Maistre et qu'ilz avoient tousjours en bouche : or, qui verra les livres de Philon, connoistra en ces Jesseens et therapeutes, guerisseurs ou serviteurs, une tres parfaicte renonciation de soy mesme, de sa chair et de ses biens. Saint Martial, disciple de Nostre Seigneur, en une epistre qu'il escrit aux Tholosains, raconte qu'a sa predication la bienheureuse Valeria, espouse d'un roy terrestre, avoit voué la virginité de cors et d'esprit au Roy celeste. Saint Denis, en son Ecclesiastique Hierarchie, raconte que les Apostres ses maistres appelloient les religieux de son tems therapeutes, c'est a dire, serviteurs ou adorateurs, pour le special service et culte qu'ilz faisoyent a Dieu, ou moynes, a cause de l'union a Dieu en laquelle ilz s'avançoyent. Voyla la perfection de la vie evangelique bien prattiquee en ce premier tems des Apostres et leurs disciples, lesquelz ayans frayé ce chemin du ciel si droit et montant, y ont esté suivis a la file de plusieurs excellens Chrestiens.

            Saint Cyprien garda la continence et donna tout son bien aux pauvres, au recit de Pontius diacre ; autant en firent saint Pol premier hermite, saint Anthoyne et saint Hilarion, tesmoin saint Athanase et saint [116] Hierosme. Saint Paulin Evesque de Nole, tesmoin saint Ambroise, issu d'illustre famille en Guyenne, donna tout son bien aux pauvres, et, comme deschargé d'un pesant fardeau, dit adieu a son pays et a son parentage, pour servir plus attentivement son Dieu ; de l'exemple duquel se servit saint Martin, pour quitter tout et pour inciter les autres a mesme perfection. Georges, Patriarche Alexandrin, recite que saint Chrysostome abandonna tout et se rendit moyne. Potitianus, gentilhomme africain, revenant de la cour de l'Empereur, raconta a saint Augustin qu'en Egypte il y avoit un grand nombre de monasteres et religieux, qui representoyent une grande douceur et simplicité en leurs mœurs, et comme il y avoit un monastere a Milan, hors ville, garni d'un bon nombre de religieux, vivans en grande union et fraternité, desquels saint Ambroise, Evesque du lieu, estoit comme abbé ; il leur raconta aussi, qu'aupres de la ville de Treves il y avoit un monastere de bons religieux, ou deux courtisans de l'Empereur s'estoyent rendus moynes, et que deux jeunes damoiselles, qui estoyent fiancees a ces deux courtisans, ayans ouÿ la resolution de leurs espoux, voüerent pareillement a Dieu leur virginité, et se retirerent du monde pour vivre en religion, pauvreté et chasteté : c'est saint Augustin qui faict ce recit. Possidius en raconte tout autant de luy, et qu'il institua un monastere, ce que saint Augustin luy mesme recite en une sienne epistre. Ces grans Peres ont esté suivis de saint Gregoire, Damascene, Bruno, Romuald, Bernard, Dominique, François, Louis, Anthoyne, Vincent, Thomas, Bonaventure, qui tous, ayans renoncé et dict un eternel adieu au monde et a ses pompes, se sont presentés en un holocauste parfaict a Dieu vivant.

            Maintenant, concluons : ces consequences me semblent inevitables. Nostre Seigneur a faict coucher en ses Escritures ces advertissemens et conseilz de chasteté, pauvreté et obeissance, il les a prattiqués et faict prattiquer en son Eglise naissante ; toute l'Escriture et [117] toute la vie de Nostre Seigneur n'estoit qu'une instruction pour l'Eglise, l'Eglise donques devoit en faire son prouffit, ce devoit donques estre un des exercices de l'Eglise que ceste chasteté, pauvreté et obeissance ou renoncement de soy mesme ; item, l'Eglise a tousjours faict cest exercice en tous tems et en toutes saisons, c'est donques une de ses proprietés : mays a quel propos tant d'exhortations si elles n'eussent deu estre prattiquees ? La vraye Eglise donques doit reluire en la perfection de la vie Chrestienne ; non ja que chacun en l'Eglise soit obligé de la suivre, il suffit qu'elle se trouve en quelques membres et parties signalees, affin que rien ne soit escrit ni conseillé en vain, et que l'Eglise se serve de toutes les pieces de la Sainte Escriture.

 

 

 

Article XI. La perfection de la vie evangelique est prattiquee en nostre Eglise, en la pretendue elle y est mesprisee et abolie

 

 

            L'Eglise qui est a present, suivant la voix de son Pasteur et Sauveur, et le chemin battu des devanciers, loue, approuve et prise beaucoup la resolution de ceux qui se rangent a la prattique des conseilz evangeliques, desquelz elle a un tres grand nombre. Je ne doute point que si vous avies hanté les congregations des Chartreux, Camaldulenses, Celestins, Minimes, Capucins, Jesuites, Theatins, et autres en grand nombre esquelles fleurit la discipline religieuse, vous ne fussies en doute si vous les devries appeller anges terrestres ou hommes celestes, et ne sçauries quoy plus admirer, ou en une si grande jeunesse une si parfaicte chasteté, ou parmi tant de doctrine une si profonde humilité, ou entre tant de [118] diversité une si grande fraternité ; et tous, comme celestes abeilles, menagent en l'Eglise et y brassent le miel de l'Evangile avec le reste du Christianisme, qui par predications, qui par compositions, qui par meditations et oraisons, qui par leçons et disputes, qui par le soin des malades, qui par l'administration des Sacremens sous l'authorité des pasteurs.

            Qui obscurcira jamais la gloire de tant de religieux de tous Ordres et de tant de prestres seculiers qui, laissans volontairement leur patrie, ou pour mieux dire leur propre monde, se sont [exposés] au vent et a la maree pour accoster les gens du Nouveau Monde, a fin de les conduire a la vraye foy et les esclairer de la lumiere evangelique ? qui, sans autre appointement que d'une vive confiance en la providence de Dieu, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autres pretentions que de l'honneur de Dieu et du salut des ames, ont couru parmi les cannibales, Canariens, negres, Bresiliens, Moluchiens, Japonnois et autres estrangeres nations, et s'y sont confinés, se bannissans eux mesmes de leurs propres pays terrestres, affin que ces pauvres peuples ne fussent bannis du Paradis celeste. Je sçay, quelques ministres y ont esté, mais ilz sont allés avec appointement humain, lequel quand il leur a failli, ilz s'en sont revenus sans faire autre, parce qu'un singe est tousjours singe ; mais les nostres y sont demeurés en perpetuelle continence, pour feconder l'Eglise de ces nouvelles plantes, en extreme pauvreté, pour enrichir ces peuples du traffiq evangelique, et y sont mortz en esclavage, pour mettre ce monde la en liberté chrestienne.

            Que si, au lieu de faire vostre prouffit de ces exemples et conforter vos cerveaux a la suavité d'un si saint parfum, vous tournes les yeux devers certains lieux ou la discipline monastique est du tout abolie, et n'y a plus rien d'entier que l'habit, vous me contraindres de dire que vous cherches les cloaques et voiries, non les jardins et vergers. Tous les bons Catholiques regrettent le malheur de ces gens, et detestent la negligence des pasteurs [119] et l'ambition des aises de laides ames, qui, voulans tout manier, disposer et gouverner, empeschent l'election legitime et l'ordre de la discipline pour s'attribuer le bien temporel de l'Eglise. Que voules vous ? le Maistre y avoit semé la bonne semence, mais l'ennemy y a sursemé la zizanie ; cependant l'Eglise, au Concile de Trente, y avoit mis bon ordre, mais il est mesprisé par ceux qui le devoient mettre en execution, et tant s'en faut que les docteurs Catholiques consentent a ce malheur, qu'ilz tiennent estre grand peché d'entrer en ces monasteres ainsy desbordés. Judas n'empescha point l'honneur de l'ordre apostolique, ni Lucifer de l'angelique, ni Nicolas du diaconat ; ainsy ces abominables ne doivent empescher le lustre de tant de devotz monasteres que l'Eglise Catholique a conservés, parmi toute la dissolution de nostre siecle de fer, affin que pas une parole de son Espoux ne demeurast en vain, sans estre prattiquee.

            Au contraire, Messieurs, vostre eglise pretendue mesprise et deteste tant qu'elle peut tout cecy ; Calvin, au Livre 4 de ses Institutions, ne vise qu'a l'abolissement de l'observation des conseilz evangeliques. Au moins, ne m'en sçauries vous monstrer aucun essay ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusques aux ministres chacun se marie, chacun trafique pour assembler des richesses, personne ne reconnoist autre superieur que celuy que la force luy faict advoüer ; signe evident que ceste pretendue eglise n'est pas celle pour laquelle Nostre Seigneur a presché, et tracé le tableau de tant de beaux exemples : car, si chacun se marie, que deviendra l'advis de saint Pol, Bonum est homini mulierem non tangere ? si chacun court a l'argent et aux possessions, a qui s'addressera la parole de Nostre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra, et l'autre, Vade, vende omnia, da pauperibus ? si chacun veut gouverner a son tour, ou se trouvera la prattique de ceste si solemnelle sentence, Qui [120] vult venire post me abneget semetipsum ? Si donq vostre eglise se met en comparaison avec la nostre, la nostre sera la vraye Espouse, qui prattique toutes les paroles de son Espoux, et ne laisse pas un talent de l'Escriture inutile ; la vostre sera fause, qui n'escoute pas la voix de l'Espoux, ains la mesprise : car il n'est pas raisonnable que, pour tenir la vostre en credit, on rende vaine la moindre syllabe de l'Escriture, laquelle, ne s'addressant qu'a la vraye Eglise, seroit vaine et inutile si en la vraye Eglise on n'employoit toutes ses pieces.

 

 

 

Article XII. De l'Universalité ou Catholicisme de l'Eglise : Marque troisiesme

 

 

            Ce grand Pere Vincent le Lirinois, en son tres utile Memorial, dict que sur tout on doit avoir soin de croire « ce qui a esté creu par tout [toujours, de tous. »]. ………………….............. ...........................................................................................................................................................

comme les fourbeurs et chaudronniers, car le reste du monde nous appelle Catholiques ; que si on y adj ouste Romaine, ce n'est sinon pour instruire les peuples du siege de l'Evesque qui est Pasteur general et visible de l'Eglise, et ja du tems de saint Ambroise, ce n'estoit autre chose estre Romains de communion qu'estre Catholiques.

            Mays quant a vostre eglise, on l'appelle par tout huguenote, calvinique, zuinglienne, heretique, pretendue, protestante, nouvelle ou sacramentaire ; vostre eglise n'estoit point devant ces noms, ni ces noms devant vostre eglise, parce qu'ilz luy sont propres : personne [121] ne vous appelle Catholiques, vous ne l'oses pas quasi faire vous mesmes. Je sçai bien que parmi vous vos eglises s'appellent reformees, mais autant ont de droit sur ce nom les lutheriens, ubiquitistes, anabaptistes, trinitaires et autres engences de Luther, et ne le vous quitteront jamais. Le nom de Religion est commun a l'eglise des Juifz et des Chrestiens, a l'ancienne Loy et a la nouvelle ; le nom de Catholique c'est le propre de l'Eglise de Nostre Seigneur ; le nom de reformee est un blaspheme contre Nostre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Eglise en son sang, qu'elle ne devoit jamais subir autre forme que d'espouse toute belle, de colomne et fermeté de verité. On peut reformer les peuples et particuliers, mais non l'Eglise ni la Religion, car, si elle estoit Eglise et Religion elle estoit bien formee, la difformation s'appelle heresie et irreligion ; la teinture du sang de Nostre Seigneur est trop vive et fine pour avoir besoin de nouvelles couleurs : vostre eglise donques, s'appellant reformee, quitte sa part a la formation que le Sauveur y avoit faitte. Mais je ne puis que je ne vous die ce que de Beze, Luther et Pierre Martyr en entendent : Pierre Martyr appelle les lutheriens, lutheriens, et dict que vous estes freres avec eux, vous estes donques lutheriens ; Luther vous appelle svermeriques et sacramentaires ; de Beze appelle les lutheriens, consubstantiateurs et chimiques, et neantmoins les met au nombre des eglises reformees. Voyla donques les noms nouveaux que ces reformateurs advoüent les uns pour les autres ; vostre eglise, donques, n'ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouves dire en bonne conscience le Symbole des Apostres, ou vous vous juges vous mesmes, qui, confessans l'Eglise Catholique et universelle, persistes en la vostre qui ne l'est pas. Pour vray, si saint Augustin vivoit maintenant, il se tiendroit en nostre Eglise laquelle, de tems immemorable, est en possession du nom de Catholique. [122]

 

 

 

Article XIII. La vraye Eglise doit estre ancienne

 

 

            L'Eglise pour estre Catholique doit estre universelle en tems, et pour estre universelle en tems il faut qu'elle soit ancienne ; l'ancienneté donques est une proprieté de l'Eglise, et en comparaison des heresies elle doit estre plus ancienne et precedente, parce que, comme dict tres bien Tertullien, la fauseté est une corruption de verité, la verité donques doit preceder. La bonne semence est semee devant l'ennemy, qui a sursemé la zizanie bien apres ; Moyse devant Abiron, Datan et Coré ; les Anges devant les diables ; Lucifer fut debout au jour avant qu'il cheut es tenebres eternelles ; la privation doit suivre la forme. Saint Jan dict des heretiques : Ilz sont sortis de nous, ilz estoyent donques dedans avant que de sortir ; la sortie, c'est l'heresie, l'estre dedans, la fidelité. L'Eglise donques precede l'heresie : ainsy la robbe de Nostre Seigneur fut entiere avant qu'on la divisast, et bien qu'Ismaël fust devant Isaac, cela ne veut dire que la fauseté soit devant la verité, mays l'ombre veritable du Judaïsme devant le cors du Christianisme, comme dict saint Pol.

 

 

 

Article XIV. L'Eglise Catholique est tres ancienne ; la pretendue, toute nouvelle

 

 

            Dites nous maintenant, je vous prie, cottes le tems et le lieu ou premierement nostre Eglise comparut des [123] l'Evangile, l'autheur et le docteur qui la convoqua : j'useray des mesmes paroles d'un Docteur et Martyr de nostre aage, dignes d'estre bien pesees. « Vous nous confesses, et n'oseries faire autrement, que pour un tems l'Eglise Romaine fut Sainte, Catholique, Apostolique : lhors qu'elle merita ces saintes loüanges de l'Apostre : Vostre foy est annoncee par tout le monde. Je fais sans cesse memoire de vous. Je sçay que, venant a vous, j'y viendray en abondance de la benediction de Jesus Christ. Toutes les eglises en Jesus Christ vous saluent. Car vostre obéissance a esté divulguee par tout le monde ; lhors que saint Pol, en une prison libre, y semoit l'Evangile ; lhors qu'en icelle saint Pierre gouvernoit l'Eglise ramassee en Babylone ; lhors que Clement, si fort loué par l'Apostre, y estoit assis au timon ; lhors que les Cesars prophanes, comme Neron, Domitien, Trajan, Anthonin, massacroyent les Evesques romains, et lhors mesme que Damasus, Siricius, Anastasius, Innocentius y tenoyent le gouvernail apostolique : mesme au tesmoignage de Calvin, car il confesse librement qu'en ce tems la ilz ne s'estoient encores point esgarés de la doctrine evangelique. Or sus donques, quand fut ce que Rome perdit ceste foy tant celebree ? quand cessa elle d'estre ce qu'elle estoit ? en quelle saison, sous quel Evesque, par quel moyen, par quelle force, par quel progres, la religion estrangere s'empara elle de la cité et de tout le monde ? quelles voix, quelz troubles, quelles lamentations engendra elle ? hé, chacun dormoit il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis je, forgeoit de nouveaux Sacremens, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines ? ne se trouve il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni estranger, qui ayt mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et memoires d'une chose si grande ? »

            Et certes, ce seroit grand cas si les historiens, qui ont esté si curieux de remarquer jusques aux moindres mutations des villes et peuples, eussent oublié la plus notable de toutes celles qui se peuvent faire, qui est de [124] la religion, en la ville et province la plus signalee du monde, qui est Rome et l’Italie. Je vous prie, Messieurs, si vous sçaves quand nostre Eglise commença l'erreur pretendu, dites le nous franchement, car c'est chose certaine que, comme dict saint Hierosme, Hæreses ad originem revocasse, refutasse est. Remontons le cours des histoires jusqu'au pied de la Croix, regardons deça et dela, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que ceste Eglise Catholique ait changé de face, c'est tousjours elle mesme en doctrine et en Sacremens.

            Nous n'avons pas besoin contre vous, en ce point, d'autres tesmoins que des yeux de nos peres et ayeux, pour dire quand vostre eglise commença. L'an 1517 Luther commença sa tragedie, l'an 34 et 35 on en joua un acte par deça, Zuingle et Calvin furent les deux principaux personnages. Voules vous que je cotte par le menu comment, par quelz succes et actions, par quelles forces et violences, ceste reformation s'empara de Berne, Geneve, Lausanne et autres villes ? quelz troubles et lamentations elle a engendrés ? vous ne prendries pas playsir a ce recit, nous le voyons, nous le sentons : en un mot, vostre eglise n'a pas 80 ans, son autheur est Calvin, ses effectz, le malheur de nostre aage. Que si vous la voules faire plus ancienne, dites ou elle estoit avant ce tems la : ne dites pas qu'elle estoit mais invisible, car, si on ne la voyoit point qui peut [savoir] qu'elle ait esté ? puys Luther vous contredit qui confesse qu'au commencement il estoit tout seul.

            Or, si Tertullien, ja de son tems, atteste que les Catholiques debouttoyent les heretiques par leur posteriorité et nouveauté, quand l'Eglise mesme n'estoit qu'en son adolescence (Solemus, disoit il, hæreticos, compendii gratia, de posterioritate præscribere), combien plus d'occasion avons nous maintenant ? Que si l'une de nos deux eglises doit estre la vraye, ce tiltre demeurera a la nostre qui est tres ancienne, et a vostre nouveauté, l'infame nom d'heresie. [125]

 

 

 

Article XV. La vraye Eglise doit estre perpetuelle

 

 

            Quoy que l'Eglise fust ancienne, si ne seroit elle pas universelle en tems si elle avoit manqué en quelque saison. L'heresie des Nicolaïtes est ancienne, mais non universelle, car elle n'a duré que bien peu, et comme une bourrasque qui semble vouloir deplacer la mer puys tout a coup se perd en elle mesme, et comme un champignon, qui naist en quelque mauvaise vapeur, en une nuict comparoist et en un jour se perd, ainsy toutes heresies, pour anciennes qu'elles ayent esté, se sont esvanouies, mais l'Eglise dure perpetuellement.

            Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur : Si je suis une fois eslevè de terre j'attireray toutes choses a moy ? a il pas esté levé en croix ? et comme donques auroit il laissé aller l'Eglise qu'il avoit attiree, a vau de route ? comme auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher ? Le diable, prince du monde, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans, pour par apres revenir maistriser mille ans ? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix ? voules vous si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre une alternative entre luy et le diable ? Pour vray, quand un fort et puissant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despouille. Ignores vous que Nostre Seigneur se soit acquis l'Eglise en son sang ? et qui pourra la luy lever, et oster d'entre ses mains ? Peut estre dires vous qu'il peut [126] la garder mais qu'il ne veut ; c'est donq sa providence que vous accuses.

            Dieu a donné des dons aux hommes, des apostres, prophetes, evangelistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saintz, en l'œuvre du ministere, pour l'edification du cors de Christ. La consommation des saintz estoit elle ja faicte il y a onze cens ans ? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee ? Ou cesses de vous appeller edificateurs, ou dites que non ; et si elle n'avoit esté achevee, pourquoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu, que dire qu'il ayt osté et levé aux hommes ce qu'il leur avoit donné ? Les dons et graces de Dieu sont sans penitence, c'est a dire, il ne les donne pas pour oster. Sa divine providence conserve perpetuellement la generation du moindre oysillon du monde, comment, je vous prie, eust il abandonné l'Eglise qui luy coste tout son sang et tant de peynes et travaux ? Dieu tira l'Israël de l'Egypte, des desers, de la mer Rouge, des calamités et captivités, comment croirons nous qu'il ayt laissé le Christianisme en l'incredulité ? s'il a tant aymé son Agar, comme mesprisera il Sara ?

            C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante : Dieu l’a fondee en eternité ; Son trosne (il parle de l'Eglise, trosne du Messie) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel ; Je mettray sa race es siecles des siecles ; Daniel l'appelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement ; l'Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n'aura point de fin ; Isaïe dict de Nostre Seigneur : S'il met et expose sa vie pour le peche il verra une longue race ; et ailleurs : Je feray une alliance perpetuelle avec eux ; ceux qui les verront les connoistront.

            N'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, a dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contre elle, et qui promit a ses Apostres, pour eux et leurs successeurs, Voyci que je suis avec vous jusques [127] a la consommation du siecle ? Si ce conseil, dict Gamaliel, ou ceste œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si elle est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre : l'Eglise est œuvre de Dieu, qui donques la dissipera ? Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantee sera arrachee, mays l'Eglise a esté plantee de Dieu et ne peut estre arrachee.

            Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun a son tour ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin : il n'y a point d'entre deux entre ceux qui sont de Christ et la fin, d'autant que l'Eglise doit durer jusques a la fin. Il falloit que Nostre Seigneur regnast au milieu de ses ennemis jusqu'a ce qu'il eust mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires, et quand les assujettira il tous sinon au jour du jugement ? mays ce pendant il faut qu'il regne parmi ses ennemis : ou sont ses ennemis sinon ça bas ? et ou regne il sinon en son Eglise ?

            Si ceste Espouse fust morte apres qu'elle eut receu la vie du costé de son Espoux endormi sur la Croix, si elle fust morte, dis je, qui l'eust resuscitee ? La resurrection d'un mort n'est pas moindre miracle que la création : en la creation Dieu dict, et il fut faict, il inspira l'ame vivante, et si tost qu'il l'eut inspiree l'homme commença a respirer ; mays Dieu voulant reformer l'homme il employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, et mourut sur l'œuvre. Qui donques dict que l'Eglise estoit morte et perdue, il accuse la providence du Sauveur ; qui s'en appelle reformateur ou restaurateur, comme Beze appelle Calvin, Luther et les autres, il s'attribue l'honneur deu a Jesus Christ, et se faict plus qu'apostre. Nostre Seigneur avoit mis le feu de sa charité au monde, les Apostres avec le souffle de leurs predications l'avoyent estendu et faict courir par l'univers : on dict qu'il estoit esteint par l'eau de l'ignorance et superstition ; qui le pourra rallumer ? le souffle n'y sert de rien ; il faudroit donques peut estre [128] rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesus Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu ? sinon que l'on veuille mettre Luther et Calvin pour pierre angulaire du bastiment ecclesiastique. « O voix impudente, » dict saint Augustin contre les Donatistes, « que l'Eglise ne soit point parce que tu n'y es pas. » « Non, non, » dict saint Bernard, « les torrens sont venus, les vens ont soufflé et l'ont combattue, elle n'est point tombee, parce qu'elle estoit fondee sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ. »

            Quoy donques ? tous nos devanciers sont ilz damnés ? ouy pour vray, si l'Eglise estoit perie, car hors l'Eglise il n'y a point de salut. O quel contrechange ; nos Anciens ont tant souffert pour nous conserver l'heritage de l'Evangile, et maintenant on se mocque d'eux et les tient on pour folz et insensés.

             « Que nous dites vous de nouveau ? » dict saint Augustin, « faudra il encores une fois semer la bonne semence, puysque des qu'elle est semee elle croist jusqu'a la moisson ? Que si vous dites que celle que les Apostres avoyent semee est par tout perdue, nous vous respondrons, lises nous cecy es Saintes Escritures, et vous ne le lires jamais que vous ne rendies faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semee au commencement croistroit jusqu'au tems de moissonner. » La bonne semence ce sont les en fans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c'est la fin du monde. Ne dites pas donques que la bonne semence soit abolie ou estouffee, car elle croist jusques a la fin du monde.

            L'Eglise donques ne fut pas abolie quand Adam et Eve pecherent ; car, ce n'estoit Eglise ains commencement d'Eglise : outre ce qu'ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.

            Ni quand Aaron dressa le veau d'or ; car, Aaron n'estoit pas encores sauverain Prestre ni chef du peuple, c'estoit Moyse, lequel n'idolatra pas, ni la race de Levi qui se joignirent a Moyse. [129]

            Ni quand Helie se lamentoit d'estre seul ; car, il ne parle que d'Israël, et Juda estoit la meilleure et principale partie de l'Eglise : et ce qu'il dict n'est qu'une façon de parler pour mieux exprimer la justice de sa plainte, car au reste il y avoit encores sept mille hommes qui ne s'estoyent encores point abandonnés a l'idolatrie. Ce sont donques certaines expressions et demonstrations vehementes, accoustumees es propheties, qui ne doivent [se] verifier sinon en general pour un grand desbordement, comme quand David disoit : Non est qui faciat bonum, et saint Pol : Omnes quærunt quæ sua sunt.

            Ni ce qu'il faut que la separation et devoyement vienne, lhors que le sacrifice cessera, et qu'a grand peyne le Filz de l'homme trouvera foy en terre ; car, tout cecy se verifiera es trois ans et demy que l'Antichrist regnera, durant lesquelz toutefois l'Eglise ne perira point, mays sera nourrie es solitudes et desers, comme dict l'Escriture.

 

 

 

Article XVI. Nostre Eglise est perpetuelle ; la pretendue ne l'est pas

 

 

            Je vous diray, comme j'ay dict cy dessus, montres moy une dizaine d'annees, des que Nostre Seigneur est monté au ciel, en laquelle nostre Eglise n'ayt esté : ce qui vous garde de sçavoir dire quand nostre Eglise a commencé, c'est parce qu'elle a tousjours duré. Que s'il vous plaisoit vous esclaircir a la bonne foy de cecy, Sanderus, en sa Visible Monarchie, et Gilbert Genebrard, en sa Chronologie, vous fourniroient asses de lumiere, et sur tous le docte Cesar Baron, en ses Annales. Que si vous ne voules pas de premier abord abandonner les livres de vos maistres, et n'aves point [130] les yeux sillés d'une trop excessive passion, si vous regardes de pres les Centuries de Magdebourg, vous n'y verres autre par tout que les actions des Catholiques ; car, dict tres bien un docte de nostre aage, « s'ilz ne les y eussent recueillies ilz eussent laissé mille et cinq cens ans sans histoire. » Je diray quelque chose de cecy cy apres.

            Or, quant a vostre eglise, supposons ce gros mensonge pour verité, qu'elle ayt esté du tems des Apostres, si ne sera elle pas pourtant l'Eglise Catholique : car, la Catholique doit estre universelle en tems, elle doit donques tousjours durer ; mais dites moy ou estoit vostre eglise il y a cent, deux cens, trois cens ans, et vous ne le sçauries faire, car elle n'estoit point ; elle n'est donques pas la vraye Eglise. Elle estoit, ce me dira peut estre quelqu'un, mais inconneüe : bonté de Dieu, qui ne dira le mesme ? Adamites, Anabaptistes, chacun entrera en ce discours ; j'ay ja monstré que l'Eglise militante n'est pas invisible, j'ay monstré qu'elle est universelle en tems, je vais monstrer qu'elle ne peut estre inconneüe.

 

Article XVII. La vraye Eglise doit estre universelle en lieux et en personnes

 

 

            Les Anciens disoyent sagement que sçavoir bien la difference des tems estoit un bon moyen d'entendre bien les Escritures, a faute dequoy les Juifz [errent,] entendant du premier avenement du Messie ce qui est bien souvent dict du second, et les ministres encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l'Eglise telle des saint Gregoire [131] en ça qu'elle doit estre au tems de l'Antichrist. Ilz tournent a ce biais ce qui est escrit en l'Apocalipse, que la femme s'enfuit en la solitude, dont ilz prennent occasion de dire que l'Eglise a esté cachee et secrette jusqu'a ce qu'elle s'est produicte en Luther et ses adherens. Mays qui ne voit que ce passage ne respire autre que la fin du monde et la persacution de l'Antichrist ? le tems y estant expressement determiné de trois ans et demy, et en Daniel aussi. Or, qui voudroit par quelque glosse estendre ce tems que l'Escriture a determiné, contrediroit au Seigneur qui dict qu'il sera plustost accourci, pour l'amour des esleuz. Comme donques osent ilz transporter ceste Escriture a une intelligence si contraire a ses propres circonstances ? Au contraire, l'Eglise est dicte semblable au soleil, a la lune, a l'arc en ciel, a une reyne, a une montaigne aussi grande que le monde : elle ne peut donques estre secrette ni cachee, mays doit estre universelle en son estendue.

            Je me contenteray de vous mettre en teste deux des plus grans Docteurs qui furent onques. David avoit dict : Le Seigneur est grand et trop plus loüable, en la cité de nostre Dieu, en la sainte montaigne d'iceluy. « C'est la cité, » dict saint Augustin, « assise sur la montaigne, qui ne se peut cacher, c'est la lampe qui ne peut estre couverte sous un tonneau, conneüe et celebre a tous, car il s'ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joye de l'univers. » Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous un muy, comme eust il mis tant de lumieres qui sont en l'Eglise pour les couvrir et cacher en certains coins ? « Voyci le mont qui remplit l'univers, voyci la cité qui ne se peut cacher. Les Donatistes rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plustost y choquent du front que d'y chercher une demeure. Isaïe, qu'on lisoit hier, cria : Il y aura es derniers jours un mont preparé sur le couppeau des montaignes, mayson du Seigneur, et toutes [132] gens s'y couleront a la file. Qu'y a il de si apparent qu'une montaigne ? mays il se faict des montz inconneuz parce qu'ilz sont assis en un coin de la terre. Qui d'entre vous connoit l'Olimpe ? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe ; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a rempli toute la face de la terre. La pierre taillee du mont sans œuvre manuelle, n'est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des Juifz sans œuvre de mariage ? et ceste pierre la ne fracassa elle pas tous les royaumes de la terre, c'est a dire, toutes les dominations des idoles et demons ? ne s'accreut elle pas jusqu'a remplir le monde ? C'est donq de ce mont qu'il est dit, preparé sur la cime des mons ; c'est un mont eslevé sur le sommet des mons, et toutes gens se rendront vers iceluy. Qui se perd et s'esgare de ce mont ? qui choque et se casse la teste en iceluy ? qui ignore la cité mise sur le mont ? mays non, ne vous esmerveilles pas qu'il soit inconneu a ceux cy qui haïssent les freres, qui haïssent l'Eglise, car, par ce, vont ilz en tenebres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l'univers, ilz sont aveugles de mal talent » : c'est saint Augustin qui a parlé.

            Maintenant oyes saint Hierosme, parlant a un schismatique converti : « Je me resjouis avec toy, » ce dict il, « et rends graces a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t'es reduit de bon cœur de l'ardeur de fausseté au goust de tout le monde ; ne disant plus comme quelques uns : O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie vide et avilit la gloire de la Croix, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret qui a esté proferé des pecheurs, il l'entend estre dict de tous les hommes. Mays ja n'advienne que Dieu soit mort pour neant, le puissant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie : Demande moy, et je te donneray les gens pour heritage, et les bornes de la terre pour ta possession. Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plustost trop prophanes, qui [133] font plus de sinagogues que d'eglises ? comme seront destruittes les cités du diable, et les idoles comme seront ilz abattus ? Si Nostre Seigneur n'a point eu d'Eglise, ou s'il l'a eue en la seule Sardigne, certes il est trop appauvri. Ha, si Satan possede une fois le monde, comment auront esté les trophees de la Croix ainsy accueillis et contraints en un coin de tout le monde ? »

            Et que diroit ce grand personnage s'il vivoit maintenant ? N'est ce pas bien avilir le trophee de Nostre Seigneur ? le Pere celeste, pour la grande humiliation et aneantissement que son Filz subit en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tous genoux se devoient plier en la reverence d'iceluy, et parce qu'il avoit livré sa vie a la mort, estant mis au rang des meschans et voleurs, il avoit en heritage beaucoup de gens ; mays ceux cy ne prisent pas tant les passions du Crucifix, levans de sa portion les generations de mille annees, si que a peyne durant ce tems il ait eu quelques serviteurs secretz, qui en fin ne seront qu'hypocrites et meschans ; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestiens, et qui aves esté en la vraye Eglise : ou vous avies la foy, ou vous ne l'avies pas ; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, que n'en laissies vous des memoires, que ne vous opposies vous a l'impieté ? Ne sçavies vous que Dieu a recommandé le prochain a un chacun ? et qu'on croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir salut il faut faire la confession de foy ? et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et partant j'ay parlé ? Vous estes encores miserables, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre. Mays si, au contraire, o Calvin et Luther, la vraye foy a tousjours esté publiee par l'antiquité, vous estes miserables vous mesmes qui, pour trouver quelque excuse a vos fantasies, accuses tous les Anciens ou d'impieté s'ilz ont mal creu, ou de lascheté s'ilz se sont teuz. [134]

 

 

 

Article XVIII. L'Eglise Catholique est universelle en lieux et en personnes ; la pretendue ne l'est point

 

 

            L'universalité de l'Eglise ne requiert pas que toutes les provinces ou nations reçoivent tout a coup l'Evangile, il suffit que cela se fasse l'une apres l'autre ; en telle sorte neantmoins que l'on voye tousjours l'Eglise, et qu'on connoisse que c'est celle la mesme qui a esté par tout le monde ou la plus grande partie, affin qu'on puisse dire : Venite ascendamus ad montem Domini. Car l'Eglise sera comme le soleil, dict le Psalme, et le soleil n'esclaire pas tousjours egalement en toutes les contrees, il suffit qu'au bout de l'an nemo est qui se abscondat a calore ejus ; ainsy suffira il qu'au bout du siecle la prediction de Nostre Seigneur soit verifiee, qu'il falloit que la penitence et remission des pechés fust preschee en toutes nations, commençant des Hierusalem.

            Or l'Eglise au tems des Apostres jetta par tout ses branches, chargees du fruict de l'Evangile, tesmoin saint Pol ; autant en dict saint Irenee en son tems, qui parle de l'Eglise Romaine ou Papale a laquelle il veut que tout le reste de l'Eglise se reduise « pour sa plus puissante principauté. » Prosper parle de nostre Eglise, non de la vostre, quand il dict  :

 

            « Par l'honneur pastoral, Rome, siege de Pierre,

            Est chef de l'univers ; ce qu'elle n'a par guerre

            Ou par armes reduict a sa sujettion,

            Ores lui est acquis par la religion ; » [135]

 

car vous voyes bien qu'il parle de l'Eglise qui reconnoissoit le Pape de Rome pour chef. Du tems de saint Gregoire il y avoit par tout des Catholiques, ainsy qu'on peut voir par les epistres qu'il escrit aux Evesques presque de toutes nations. Au tems de Gratien, Valentinien et Justinien, il y avoit par tout des Catholiques Romains, comme on peut voir par leurs lois. Saint Bernard en dict autant de son tems ; et vous sçaves bien ce qui en estoit au tems de Godefroy de Bouillon. Despuys, la mesme Eglise est venue a nostre aage, et tousjours Romaine et Papale, de façon qu'encores que nostre Eglise maintenant seroit beaucoup moindre qu'elle n'est, elle ne lairroit pas d'estre tres Catholique, parce que c'est la mesme Romaine qui a esté, et [qui a] possedé presque en toutes les provinces des nations et peuples innombrables. Mais elle est encores maintenant estendue sur toute la terre, en Transylvanie, Pologne, Hongrie, Bohesme et par toute l'Allemagne, en France, en Italie, en Sclavonie, en Candie, en Espagne, Portugal, Sicile, Malte, Corsique, en Grece, en Armenie, en Syrie, et tout par tout : mettray je icy en conte les Indes orientales et occidentales ? Dequoy qui voudroit voir un abregé, il faudroit qu'il se trouvast en un Chapitre ou assemblee generale des religieux de saint François appellés Observantins : il verroit venir de tous les coins du monde, viel et nouveau, des religieux a l'obeissance d'un simple, vil et abject ; si que ceux la seulz luy sembleroyent suffire pour verifier ceste partie de la prophetie de Malachie : In omni loco sacrificatur nomini meo.

            Au contraire, Messieurs, les pretendus ne passent point les Alpes de nostre costé ni les Pyrenees du costé d'Espagne, la Grece ne vous connoist point, les autres trois parties du monde ne sçavent qui vous estes, et n'ont jamais ouÿ parler de Chrestiens sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans chef, sans Croix, comme vous estes ; en Allemagne, vos compaignons lutheriens, brensiens, anabaptistes, trinitaires, rognent vostre portion, en Angleterre, les puritains, en France, les libertins : [136] comme donques oses vous plus vous opiniastrer de demeurer ainsy a part du reste de tout le monde a guise des Luciferiens et Donatistes ? Je vous diray, comme disoit saint Augustin a l'un de vos semblables, daignes, je vous prie, nous instruire sur ce point, comme il se peut faire que Nostre Seigneur ayt perdu son Eglise par tout le monde, et qu'il ayt commencé de n'en avoir qu'en vous seulement. Certes, vous appauvrisses trop Nostre Seigneur, dict saint Hierosme. Que si vous dites que vostre eglise a desja esté catholique au tems des Apostres, monstres donques qu'elle estoit en ce tems la, car toutes les sectes en diront de mesme ; comme enteres vous ce petit bourgeon de religion pretendue sur ce saint et ancien tige ? faites que vostre eglise touche par une continuation perpetuelle l'Eglise primitive, car si elles ne se touchent, comment tireront elles le suc l'une de l'autre ? ce que vous ne feres jamais. Aussi ne seres vous jamais, si vous ne vous ranges a l'obeissance de la Catholique, vous ne seres jamais, dis je, avec ceux qui chanteront : Redemisti nos in sanguine tuo, ex omni tribu, et lingua, et populo, et natione, et fecisti nos Deo nostro regnum.

 

 

 

Article XIX. La vraye Eglise doit estre feconde

 

 

            Peut estre dires vous, a la fin, que cy apres vostre Eglise estendra ses ailes, et se fera catholique par la succession du tems. Mays ce seroit parler a l'adventure ; car, si les Augustin, Chrysostome, Ambroise, Cyprien, Gregoire, et ceste grande trouppe d'excellens pasteurs, n'ont sceu si bien faire que l'Eglise n'ayt donné du nez en terre bien tost apres, comme [disent] Calvin, [137] Luther et les autres, quelle apparence y a il qu'elle se fortifie maintenant sous la charge de vos ministres, lesquelz ni en sainteté ni en doctrine ne sont comparables avec ceux la ? Si l'Eglise en son printems, esté et automne n'a point fructifié, comme voules vous qu'en son hiver l'on en recueille des fruictz ? si en son adolescence elle n'a cheminé, ou voules vous qu'elle coure maintenant en sa viellesse ?

            Mais, je dis plus. Vostre eglise non seulement n'est pas catholique, mais encores ne le peut estre, n'ayant la force ni vertu de produire des enfans, mais seulement de desrobber les poussins d'autruy, comme faict la perdrix ; et neantmoins c'est bien l'une des proprietés de l'Eglise d'estre feconde, c'est pour cela entre autres qu'elle est appellee colombe ; et si son Espoux quand il veut benir un homme rend sa femme feconde, sicut vitis abundans in lateribus domus suæ, et faict habiter la sterile en une famille, mere joyeuse en plusieurs enfans, ne devoit il pas avoir luy mesme une Espouse qui fust feconde ? Mesme que selon la sainte Parole, ceste deserte devoit avoir plusieurs enfans, ceste nouvelle Hierusalem devoit estre tres peuplee et avoir une grande generation : Ambulabunt gentes in lumine tuo, dict le Prophete, et reges in splendore ortus tui. Leva in circuitu oculos tuos et vide ; omnes isti congregati sunt, venerunt tibi ; filii tui de longe venient, et filiæ tuæ de latere surgent ; et : Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos. Or ceste fecondité de belles nations de l'Eglise se faict principalement par la predication, comme dict saint Pol : Per Evangelium ego vos genui : la predication donques de l'Eglise doit estre enflammee : Ignitum eloquium tuum Domine ; et qu'y a il de plus actif, vif, penetrant et prompt a convertir et bailler forme aux autres matieres que le feu ? [138]

 

 

 

Article XX. L'Eglise Catholique est feconde ; la pretendue, sterile

 

 

            Telle fut la predication de saint Augustin en Angleterre, de saint Boniface en Allemagne, de saint Patrice en Hibernie, de Willibrord en Frize, de Cyrille en Bohesme, dAdalbert en Pologne, dAstric en Hongrie, de saint Vincent Ferrier, de Jean Capistran ; telle la predication des Freres fervens, Henry, Anthoyne, Louis, de François Xavier et mille autres, qui ont renversé l'idolatrie par la sainte predication, et tous estoyent Catholiques Romains.

            Au contraire, vos ministres n'ont encores converti aucune province du paganisme, ni aucune contree : diviser le Christianisme, y faire des factions, mettre en pieces la robbe de Nostre Seigneur, ce sont les effectz de leurs predications. La doctrine Chrestienne Catholique est une douce pluie, qui fait germer la terre infructueuse ; la leur ressemble plustost a une gresle qui rompt et terrasse les moissons, et met en friche les plus fructueuses campaignes. Prenes garde a ce que dict saint Jude : Malheur, ce dict, a ceux qui perissent en la contradiction de Coré ; Coré estoit schismatique : ce sont des souilleures a un festin, banquetans sans crainte, se repaissans eux mesmes, nuees sans eaux qui sont transportees ça et la aux vens ; ilz ont l'exterieur de l'Escriture, mays ilz n'ont pas la liqueur interieure de l'esprit : arbres infructueuses de l'automne ; ilz n'ont que la feuille de la lettre, et n'ont point le fruict de l'intelligence : doublement mortz ; mortz quant a la charité par la division, et quant a la foy par l'heresie : desracinés, qui ne peuvent plus porter fruict ; flotz de mer agitee, escumans ses [139] confusions de desbatz, disputes et remuemens ; planetes errantes, qui ne peuvent servir de guide a personne, et n'ont point de fermeté de foy mays changent a tous propos. Quelle merveille donques si vostre prédication est sterile ? vous n'aves que l'escorce sans le suc, comme voules vous qu'elle germe ? vous n'aves que le fourreau sans espee, la lettre sans l'intelligence, ce n'est pas merveille si vous ne pouves dompter l'idolatrie » : ainsy saint Pol, parlant de ceux qui se separent de l'Eglise, il proteste sed ultra non proficient. Si donques vostre eglise ne se peut en aucune façon dire catholique jusques a present, moins deves vous esperer qu'elle le soit cy apres ; puysque sa predication est si flaque, et que ses prescheurs n'ont jamais entrepris, comme dict Tertullien, la charge ou commission ethnicos convertendi, mays seulement nostros evertendi. O quelle eglise, donques, qui n'est ni unie, ni sainte, ni catholique, et, qui pis est, ne peut avoir aucune raysonnable esperance de jamais l'estre.

 

 

 

Article XXI. Du titre d'Apostolique : Marque quatriesme

 

[140]

 

 

 

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Seconde partie. Les Règles de la foi

 

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Avant-Propos

 

 

            Si l'advis que saint Jan donne, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'esgale asseurance, demandent creance parmi la Chrestienté en vertu de la Parole de Dieu ; apres lesquelz on a veu tant de peuples s'escarter, [141] qui ça qui la, chacun a son humeur. Comme le vulgaire admire les cometes et feuz erratiques, et croit que ce soyent des vrays astres et vives planettes, tandis que les plus entenduz connoissent bien que ce ne sont que flammes qui se coulent en l'air le long de quelques vapeurs qui leur servent de pasture, et n'ont rien de commun avec les astres incorruptibles que ceste grossiere clarté qui les rend visibles ; ainsy le miserable peuple de nostre aage, voyant certaines chaudes cervelles s'enflammer a la suite de quelques subtilités humaines, esclairees de l'escorce de la Saint'Escriture, il a creu que c'estoyent des verités celestes et s'y est amusé, quoy que les gens de bien et judicieux tesmoignoient que ce n'estoyent que des inventions terrestres qui, se consumants peu a peu, ne laisseroyent autre memoyre d'elles que le ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit ordinairement ces apparences.

            O combien estoit il necessaire de ne s'abbandonner pas a ces espritz, et premier que de les suivre, esprouver s'ilz estoyent de Dieu ou non. Helas, il ne manquoit [142] pas de pierres de touche pour descouvrir le bas or de leurs happelourdes, car Celuy qui nous fait dire que nous esprouvions les espritz, ne l'eut pas fait s'il n'eut sçeu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le faint esprit. Nous en avons donques, et personne ne le nie, mays les seducteurs en produysent de telles quilz les puyssent faulser et plier a leurs intentions, affin qu'ayans les regles en main ilz se rendent recommandables, comme par un signe infallible de leur maistrise, sous pretexte duquel ilz puyssent former une foy et religion telle qu'ilz l'ont imaginee. Il importe donques infiniment de sçavoir quelles sont les vraÿes Regles de nostre creance, car on pourra aysement connoistre par la l'heresie d'avec la vraye Religion, et c'est ce que je pretens faire voir en ceste seconde Partie.

            Voyci mon projet. La foy Chrestienne est fondëe sur [143] la Parole de Dieu ; c'est cela qui la met au sauverain degré d'asseurance, comm'ayant a garend cest'eternelle et infallible verité ; la foy qui s'appuÿe ailleurs n'est pas Chrestienne : donques la Parole de Dieu est la vraÿe Regle de bien croire, puysqu'estre Fondement et Regle en cest endroit n'est qu'une mesme chose. Mays parce que ceste Regle ne regle point nostre croyance sinon quand ell'est appliquee, proposee et declairee, et que cecy se peut bien et mal faire, il ne suffit pas de sçavoir que la Parole de Dieu est la vraye et infallible Regle de bien croire, si je ne sçai quelle parole est de Dieu, ou ell'est, qui la doit proposer, appliquer et declairer. J'ay beau sçavoir que la Parole de Dieu est infallible, que pour tout cela je ne croiray pas que Jesus est le Christ Filz de Dieu vivant, si je ne suys asseuré que ce soit une parole revelee par le Pere celeste, et quand je sçauray cecy, encor ne seray je pas hors d'affaire, si je ne sçai comm'il le faut entendre, ou d'une filiation adoptive, a l'Arrienne, ou d'une filiation naturelle, a la Catholique.

            Il faut donques, outre ceste premiere et fondamentale Regle de la Parole de Dieu, un'autre seconde Regle par laquelle la premiere nous soit bien et deuement proposee, appliquee et declairee ; et affin que nous ne soyons sujetz a l'esbranslement et a l'incertitude, il faut [144] que non seulement la premiere Regle, a sçavoir, la Parole de Dieu, mays encor la seconde, qui propose et applique ceste Parole, soit du tout infallible, autrement nous demeurons tousjours en bransle et en doute d'estre mal regles et appuyés en nostre foy et croyance ; non ja par aucune defaute de la premiere Regle, mays par l'erreur et faute de la proposition et application d'icelle. Certes, le danger est egal, ou d'estre desreglé a faute d'une juste Regle, ou d'estre mal regle a faute d'un'application bien reglëe et juste de la Regle mesme. Mays cest'infallibilité, requise tant en la Regle qu'en son application, ne peut avoir sa source que de Dieu mesme, vive et premiere fontaine de toute verité. Passons outre.

            Or, comme Dieu revela sa Parole et parla pieça par la bouche des Peres et Prophetes, et finalement en son Filz, puys par les Apostres et Evangelistes, desquelz les langues ne furent que comme plumes de secretaires escrivans tres promptement, employant en ceste sorte les hommes pour parler aux hommes, ainsy, pour proposer, appliquer et declairer ceste sienne Parole, il emploÿe son Espouse visible comme son truchement et l'interprete de ses intentions. C'est donq Dieu seul qui regle nostre croyance Chrestienne, mais avec deux instrumens, en diverse façon : i. par sa Parole, comm'avec une regle formelle ; 2. par son Eglise, comme par la main du compasseur et regleur. Disons ainsy : Dieu est le peintre, nostre foy la peinture, les couleurs sont la Parole de Dieu, le pinceau c'est l'Eglise. Voyla donques deux Regle ordinaires et infallibles de nostre croyance : la Parole de Dieu qui est la Regle fondamentale et formelle, l'Eglise de Dieu qui est la Regle d'application et d'explication. Je consider'en ceste seconde Partie et l'un'et l'autre ; mays, pour en rendre le traitté plus clair et maniable, j'ay divisé ces deux Regles en plusieurs, en ceste sorte :

            La Parolle de Dieu, Regle formelle de nostre foy, ou ell'est en l'Escriture ou en la Tradition : je traitte premierement de l'Escriture, puys de la Tradition. [145]

            L'Eglise, qui est la Regle d'application, ou elle se declaire en tout son cors universel, par une croyance generale de tous les Chrestiens, ou en ses principales et nobles parties, par un consentement de ses pasteurs et docteurs ; et en ceste derniere façon, ou c'est en ses pasteurs assemblés en un lieu et en un tems, comm'en un Concile general, ou c'est en ses pasteurs divisés de lieux et d'aage mays assemblés en union et correspondance de foy, ou bien, en fin, ceste mesm'Eglise se declaire et parle par son chef ministerial : et ce sont quattre Regles explicantes et applicantes pour nostre foy, l'Eglise en cors, le Concile general, le consentement des Peres et le Pape ; outre lesquelles nous ne devons pas en rechercher d'autres, celles ci suffisent pour affermir les plus inconstans.

            Mays Dieu, qui se plait en la surabondance de ses faveurs, voulant ayder la foiblesse des hommes, ne laisse pas d'adjouster par fois a ces Regles ordinaires (je parle des l'establissement et fondation de l'Eglise), une Regle extraordinaire, trescertaine et de grand'importance ; c'est le Miracle, tesmoignage extraordinaire de la vraye application de la Parole divine.

            En fin, la Rayson naturelle peut encor estre ditte une Regle de bien croire, mays negativement, et non pas affirmativement ; car qui diroit ainsy, telle proposition est article de foy donques ell'est selon la rayson naturelle, ceste consequence affirmative seroit mal tiree, puysque presque toute nostre foy est hors et par dessus nostre rayson ; mays qui diroit, cela est un article de foy donques il ne doit pas estre contre la rayson naturelle, la consequence est bonne, car la rayson naturelle et la foy estans puysees de mesme source et sorties d'un mesm'autheur, elles ne peuvent estre contraires.

            Voyla donques 8 Regles de la foy : l'Escriture, la Tradition, l'Eglise, le Concile, les Peres, le Pape, les Miracles, la Rayson naturelle. Les deux premieres ne sont qu'une Regle formelle, les quattre suivantes ne [146] sont qu'une Regle d'application, la septieme est extraordinaire, et la huittiesme, negative. Au reste, qui voudroit reduire toutes ces regles en une seule, diroit que l'unique et vraye Regle de bien croire c'est la Parolle de Dieu, preschëe par l'Eglise de Dieu.

            Or, j'entreprens icy de monstrer, clair comme le beau jour, que vos reformateurs ont violé et forcé toutes ces Regles (et il suffiroit de monstrer quilz en ont violé l'une, puysqu'elles s'entretiennent tellement que qui en viole l'une viole toutes les autres) ; affin que, comme vous aves veu en la premiere Partie qu'ilz vous ont levés du giron de la vraye Eglise par schisme, vous connoissies en ceste seconde Partie quilz vous ont osté la lumiere de la vraye foy par l'heresie, pour vous tirer a la suitte de leurs illusions. Et me tiens tousjours sur une mesme posture, car je prouve premierement que les Regles que je produitz sont tres certaines et infallibles, puys je fais toucher au doigt que vos docteurs les ont violees. C'est icy ou je vous apelle au nom de Dieu tout puyssant, et vous somme de sa part de juger justement. [147]

 

 

Seconde partie

 

Que les ministres de la religion pretendue ont violé toutes les loix de la foi catholique

 

Avant Propos

 

            Si l'advis que St Jan donn'aux Chrestiens, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est encores maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'egale asseurance, demandent creance parmi le Christianisme en vertu de la Parole de Dieu ; apres lesquelz on a veu tant de peuples [141] s'escarter, qui ça qui la, chacun a son humeur. Par ce que, comm'on voit le vulgaire admirer les cometes et les feux erratiques, et croire fermement que ce soyent des vrays astres et vives planetes, tandis que les plus entenduz connoissent bien que ce ne sont que flammes qui se vont coulant en l'air le long de quelques vapeurs, pendant quil y a dequoy les nourrir, lesquelles neantmoins laissent toujours quelques mauvays effectz, et n'ont rien de commun avec ces astres incorruptibles que ceste grossiere clairté ; ainsy les miserables peuples de nostr'aage, voyans certaines chaudes cervelles s'enflammer a la suite de quelques subtilités humaynes, par ce quilz y voyoient quelques lueurs de l'escorce de la Parole de Dieu, ilz ont creu que c'estoyent des verités cælestes et sy sont amusés, quoy que les gens de bien descouvroyent et tesmoignoyent que ce n'estoyent que des inventions terrestres, et qui bien tost se dissiperoyent, ne layssans autre memoyre d'elles que le ressentiment des malheurs qui les suyvent.

            O combien donques estoit il necessaire de ne s'abandonner pas a ces espritz, et premier que de les suyvre, esprouver silz estoyent de [142] Dieu ou non. Helas, il ne manquoit pas de pierres de touche pour connoistre le bas or avec lequel ilz pipoyent le monde, car Celuy qui nous faict dire que nous esprouvions les espritz silz sont bons ou mauvais, ne l'eut pas faict sil n'eust sceu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le fainct esprit, le consolateur d'avec le desolateur. Nous avons donques en l'Eglise des Regles tres certaines pour connoistre la doctrine fause d'avec la vraye, et pour establir nostre foi ; et c'est icy ou je vous appelle et vous prie de juger justement : car je me prometz de vous monstrer tresclairement, que Calvin et tous vos ministres ont violé en leur doctrine toutes les Regles de la vraye foi et de la predication Chrestienne ; affin que, comme vous aves veu quilz vous ont levé du giron de la vraÿe Eglise, vous voyes encores quilz vous ont osté la lumiere de la vraye foi, pour vous faire suivre les illusions de leurs nouveautés.

            Voyci donq mon projet. || La foy Chrestienne est fondee sur la Parole de Dieu tout puyssant, sauveraine et supreme verité ; c'est cela qui la met au premier rang et degré d'asseurance et certitude, en quoy il ni a rien icy bas qui luy soit comparable. Or, ceste Parole a esté revelee || La foy Chrestienne est fondëe sur la Parolle [143] que Dieu luymesme a revelee ; c'est cela qui la met au supreme rang et degré d'asseurance et certitude, comm'ayant a tesmoin cest'eternelle et infallibl'authorité et verité premiere, qui ne peut non plus decevoir et mentir qu'elle peut estre deceüe et trompee ; la foy qui n'a son fondement et appuy sur la Parole de Dieu n'est pas une foy Chrestienne : donques la Parole de Dieu est la vraye Regle de bien croire aux Chrestiens, puisqu'estre Fondement et Regle n'est qu'une mesme chose en cest endroit. Mays parce que ceste infallible Regle ne peut regler nostre croyance sinon qu'elle nous soit appliquee, prechee, proposee et declairee, et qu'elle peut estre bien et mal appliquee, prechee, proposee et declairee, encor devons nous avoir ……………. [144] ………………………………

Or, je me tiendray tousjours sur une mesme demarche, car je monstreray, pnt, que les Regles que je produis sont vraÿes Regles, puys, comme vos docteurs les ont violëes : et par ce que je ne pourrois pas aysement prouver que nous autres Catholiques les avons gardé tres étroittement, sans faire des grandes interruptions et digressions, je reserveray ceste preuve pour la troysiesme Partie, qui servira encores d'une tres solide confirmation pour toute la seconde Partie. [147]

 

 

 

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Chapitre premier. Que les reformateurs prætendus ont violé la Sainte Escriture première Règle de nostre foi

 

 

 

Article premier. La Sainte Escriture est une vraÿe Regle de la foi Chrestienne

 

 

            Je sçai bien, Dieu merci, que la Tradition a esté devant tout'Escriture, puysque mesm'une bonne partie de l'Escriture n'est que Tradition reduitte en escrit avec un'infallible assistence du Saint Esprit ; mays parce que l'authorité de l'Escriture est plus aysement receüe par les reformateurs que celle de la Tradition, je commence par cest endroit, pour faire un'entree plus aysee a mon discours.

            La Sainte Escriture est tellement Regle a nostre creance Chrestienne, que qui ne croit tout ce qu'elle [148] contient, ou croit quelque chose qui luy soit tant soit peu contraire, il est infidele. Nostre Seigneur y a renvoyé les Juifz pour redresser leur foy ; les Sadduceens erroyent pour ignorer les Escritures : c'est donq un niveau tres asseuré, c'est un flambeau luysant es obscurités, comme parle saint Pierre, lequel ayant ouy luy mesme la voix du Pere en la Transfiguration du Filz, se tient neanmoins pour plus asseuré au tesmoignage des Prophetes qu'en ceste sienne experience. Mays je pers tems ; nous sommes d'accord en ce point, et ceux qui sont si desesperés que d'y contredire, ne sçavent appuyer leur contradiction que sur l'Escriture mesme, se contredisans a eux mesmes avant que de contredire a l'Escriture, se servans d'elle en la protestation quilz font de ne s'en vouloir servir. [149]

 

 

 

Que les ministres ont violé la Ste Escriture

1. Regle de nostre foi

 

La Ste Escriture est une vraye regle de la foi chrestienne

 

            L'Escriture Sainte est tellement Regle de la foi Chrestienne, que nous sommes obligés par toute sorte d'obligation de croire tresexactement [148] tout ce qu'elle contient, et de ne croire jamais ce qui luy est tant soit peu contraire ; car, si Nostre Sr mesme y a renvoyé les Juifz pour redresser leur foy, il faut que ce soit un niveau tresasseuré. Les Sadducæens erroyent, par ce quilz ne sçavoyent pas les Escritures ; ilz eussent mieux faict d'y estr'ententifz, comme a un flambleau esclairant es obscurités, selon l'advis de St Pierre, lequel ayant luymesme ouy la voix du Pere en la Transfiguration, se tient neantmoins pour plus asseuré es tesmoignages des Prophetes qu'en ceste sienne experience. Quand Dieu dict a Josué, Non recedat volumen legis bujus ab ore tuo, il monstre clairement quil vouloit quil l'eut tousjours en l'esprit, et que jamais il ny laissat entrer aucune persuasion contraire. Mays je pers le tems ; ceste dispute seroit propre contre les libertins, nous sommes a mon advis d'accord en ce point. [149]

 

Article II. Combien on doit estre jaloux de son integrité

 

 

            Je ne m'arresteray pas nomplus gueres en cest endroit. On appelle la Sainte Escriture, Livre du Viel et Nouveau Testament. Certes, quand un notaire a expedié un contract ou autr'escriture, personne n'y peut remuer, oster, adjouster un seul mot sans estre tenu pour faulsaire : voicy l'Escriture des testamentz de [150] Dieu, expediee par les notaires a ce deputés ; comme la peut on altérer tant soit peu sans impieté ?

            Les promesses ont esté dittes a Abraham, dict saint Pol, et a sa semence ; il n'est pas dict, et ses semences, comme en plusieurs, mais comm'en une, et a ta semence, qui est Christ : voyes, je vous prie, combien la variation du singulier au plurier eust gasté le sens misterieux de ceste parole. Nostre Seigneur met en conte les iota, voire les seulz petitz pointz et accens de ces saintes paroles ; combien donques est il jaloux de leur integrité ? Les Ephrateens disoyent sibolleth, sans oublier pas une seule lettre, mais par ce quilz ne prononçoyent pas asses grassement, les Galaadites les esgorgeoyent sur le quay du Jordain. La seule difference de prononciation en parlant, et en escrit la seule transposition d'un point sur la lettre scin, faysoit tout l'equivocque, et, changeant le jamin en semol, au lieu d'un espi de blé signifioit une charge ou fardeau. Qui change tant soit peu la sainte Parole [151] merite la mort, qui ose mesler le prophane au sacré. Les Arriens corrompoyent ceste sentence de l'Evangile, In principio erat Mot, et Mot erat apud Deum, et Deus erat Mot. Hoc erat in principio apud Deum, en remuant un seul point ; car ilz lisoyent ainsy : Et Mot erat apud Deum, et Deus erat. (Ici ilz mettoyent le point, puys recommençoyent la periode.) Mot hoc erat in principio apud Deum. Ilz mettoyent le point apres l'erat, au lieu de le mettr'apres le Mot ; ce qu'ilz faysoyent de peur d'estre convaincuz par ce texte que le Verbe est Dieu : tant il faut peu pour alterer ceste sacree Parole.

            Quand le vin est meilleur il se ressent plus tost du goust estranger, et la cimetrie d'un excellent tableau ne peut souffrir le meslange de nouvelles couleurs. Le sacré depost des Saintes Escritures doit estre gardé bien conscientieusement. [152]

 

 

 

Combien on doit estre zelateurs de leur integrite

 

 

            Quand un testament est confirmé par la mort du testateur, il ny faut adjouster, diminuer ni changer en façon que ce soit ; qui le feroit seroit tenu pour un faulsaire. Les Saintes Escritures ne sont ce pas le vray testament de Dieu æternel, bien scelé et signé en son sang, confirmé par la mort ? que sil est ainsy, combien se faut il garder d'y remuer aucune chose ? « Le testament, » dict ce grand Ulpien, « est une juste sentence de nostre volonté de ce que quelqu'un veut estre faict apres sa mort. » Nostre Sr, par ses Saintes Escritures, nous monstre ce quil nous faut croire, esperer, aimer et faire, et ce par une juste sentence de sa volonté : si nous y adjoustons, levons ou changeons, ce ne sera plus la juste sentence de la volonté de Dieu ; car Nostre Sr ayant adjusté l'Escriture a sa volonté, si nous y adjoustons du nostre nous ferons la sentence plus grande que la volonté du testateur, si nous en ostons nous la ferons plus courte, si nous y changeons nous la rendrons bossue, et ne pourra plus joindre a la volonté de l'autheur ni n'en sera plus la juste sentence. Quand deux choses sont bien justes ensemble, qui [150] remue l'une leve l'egalité et la justice d'entr'elles ; si c'est une juste sentence, a quoy faire l'altererons nous?

            Nostre Sr met en conte jusques au moindr'accent, au moindr'iota de l'Escriture, combien donques punira il ceux qui violeront leur integrité ? Mes freres, dict St Pol, je parle selon l'homme, mays personne ne mesprise le testament confirmé d'un homme, ni n'ordonne outre cela ; et pour monstrer combien il importe de laisser l'Escritur'en sa naiveté, il met un exemple : Abrahæ dictæ sunt promissiones et semini ejus ; non dicit, et seminibus, quasi in multis, sed quasi in uno, et semini tuo, qui est Christus : voyes vous, je vous prie, la variation du singulier au plurier combien ell'eust gasté le sens ? Les Ephrateens disoyent sibollet, et n'oublioient pas une seule lettre, mays par ce quilz ne le prononçoyent pas asses grassement, les Galaadites les egorgeoyent sur le quai du Jordain. La seule difference de prononciation faysoit l'equivoque en parlant, et en escrit la transposition d'un seul point sur la lettre scin faict le mesme equivoque, et, changeant le jamin en semol, au lieu d'un espi de blé signifie un pois ou charge : mays quicomque change, leve ou joint le moindre accent du monde en l'Escriture il est sacrilege, et merite la mort, [151] qui ose mesler le prophane au sacré. Les Arriens, comme raconte St Aug., corrompoyent ceste sentence du pr chapitre de St Jan, In principio erat Mot, et Mot erat apud Deum, et Deus erat Mot. Hoc erat, etc., sans y faire autre que remuer un point ; car ilz lisoyent ainsy, Et Mot erat apud Deum, et Deus erat. Mot boc erat in principio apud Deum, au lieu de lire, et Deus erat Mot. Hoc erat in principio apud Deum ; ce quilz faysoyent de peur d'accorder que le Verbe fut Dieu : tant il faut peu pour alterer ceste sacrée Parole.

            Qui manie des grains de verre, sil en pert un, deux, et trois, c'est peu de chose, mays sil en avoit autant perdu de perles orientales, la perte seroit grande. Quand le vin est meilleur il se ressent plus tost du goust estranger, et l'exquise cimetrie d'un excellent tableau ne peut souffrir le meslange de nouvelles coleurs. Tell'est la conscience avec laquelle nous devons contempler et manier le sacré depost des Escritures. [152]

 

 

Article III. Quelz sont les Livres sacrés de la Parole de Dieu

 

 

            Tous les Livres sacrés sont premierement divisés en deux, en ceux du Viel Testament et ceux du Nouveau : puys, autant les uns que les autres sont partagés en deux rangs ; car il y a des Livres, tant du Viel que du Nouveau Testament, desquelz on n'a jamais douté quilz ne fussent sacrés et canoniques, il y en a desquelz l'on a douté pour un tems, mais en fin ont estés receuz avec ceux du premier rang.

            Ceux du premier rang, de l'Ancien Testament, sont les cinq de Moyse, Josué, les Juges, Ruth, 4 des Rois, 2 de Paralipomenon, 2 d'Esdras et de Nehemie, Job, 150 Pseaumes, les Proverbes, l'Ecclesiaste, les Cantiques, les 4 Prophetes plus grans, les douze moindres. Ceux ci furent canonisés par le grand Sinode ou se trouva Esdras et y fut scribe, et jamais personne ne douta de leur authorité qui ne fut tenu peremptoirement heretique, comme nostre docte Genebrard va deduysant en sa Chronologie. Le second rang contient ceuxci : Hester, Baruch, une partie de Daniel, Tobie, Judith, la [153] Sapience, l'Ecclesiastique, les Macchabees, premier et second. Et quand a ceux ci il y [a] grand'apparence, au dire du mesme docteur Genebrard, qu'en l'assemblëe qui se fit en Hierusalem pour envoyer les 72 interpretes en Ægipte, ces Livres, qui n'estoyent encores en estre quand Esras fit le premier canon, furent alhors canonisés, au moins tacitement, puysqu'ilz furent envoyés avec les autres pour estre traduitz ; hormis les Machabees, qui furent receuz en un'autr'assemblee par apres, en laquelle les præcedens furent derechef approuvés : mays comme que ce soit, par ce que ce second canon ne fut pas faict si authentiquement que le premier, ceste canonisation ne leur peut acquerir un'entiere et indubitabl'authorité parmi les Juifz, ni les esgaler aux Livres du premier rang.

            Ainsy dirai je des Livres du Nouveau Testament, qu'il y en a du premier rang, qui ont tousjours esté reconneuz et receuz pour sacrés et canoniques entre les Catholiques : telz sont les 4 Evangiles, selon saint Mathieu, saint Marc, saint Luc, saint Jan, [les Actes des Apôtres,] toutes les Epistres de saint Pol hormis celle aux Hebrieux, une de saint Pierre, une de saint Jan. Ceux du second rang sont l'Epistre aux Hebrieux, celle de saint Jaques, la seconde de saint Pierre, la second'et troisiesme de saint Jan, celle de saint Jude, l'Apocalipse, et certaines parties de saint Marc, de saint Luc et de l'Evangile et Epistre premiere de saint Jan : et ceuxci ne furent pas d'indubitabl'authorité en l'Eglise au commencement, mais, avec le tems, en fin furent reconneuz comme ouvrage sacré du Saint Esprit, et non pas tout a coup, mais a diverses fois. Et premierement, outre ceux du premier rang tant du Viel [154] que du Nouveau Testament, environ l'an 364 on receut au Concile de Laodicee (qui depuis fut approuvé au Concile general sixiesme ), le livre d'Hester, l'Epistre de saint Jaques, la 2. de saint Pierre, la 2. et 3. de saint Jan, celle de saint Jude, et l'Epistre aux Hebreux comme la quatorsiesme de saint Pol. Puys, quelque tems apres, au Concile 3. de Cartage, auquel se trouva saint Augustin, et a esté confirmé au 6. general, de Trulles, outre les Livres precedens du second rang, furent receuz au canon comme indubitables, Thobie, Judith, deux des Macchabees, la Sapience, l'Ecclesiastique et l'Apocalipse ; mais avant tous ceux du second rang, le Livre de Judith fut receu et reconneu pour divin au premier general Concile de Nicee, ainsy que saint Hierosme en est tesmoin, en sa præface sur iceluy. Voyla comm'on assembla les deux rangs en un, et furent renduz d'esgale authorité en l'Eglise de Dieu ; mays avec progres et succession, comm'une bell'aube levante qui peu a peu esclaire nostr'hemisphere. Ainsy fut dressé au Concile de Cartage la mesme liste des [155] Livres canoniques qui a despuys tousjours esté en l'Eglise Catholique, et fut confirmee au sixiesme general, au grand Concile de Florence en l'Union des Armeniens, et en nostr'aage au Concile de Trente, et fut suivie par saint Augustin. [156]

            A peu que je n'ay oublié de dire, vous ne deves point entrer en scrupule sur ce que je viens de deduyre, encor que Baruch ne soyt pas nommément cotté au Concile de Carthage, mais seulement en celuy de Florence et de Trente ; car, d'autant que Baruch estoit secretaire de Jeremie, on mettoit en conte parmi les [157] Anciens le Livre de Baruch comm'un accessoire ou appendice de Jeremie, le comprenant sous iceluy, ainsy que cest excellent theologien Belarmin le prouve en ses Controverses. Mays il me suffit d'avoir dict cecy ; mon Memorial n'est pas obligé de s'arrester sur chasque particularité. Somme, tous les Livres, tant du premier que du second rang, sont egalement certains, sacrés et canoniques.

 

 

 

Quelz sont les Livres Sacres des Saintes Escritures

 

 

            Le Concile de Trente propose ces Livres icy pour sacrés, divins et canoniques : le Genese, Exode, Levitique, Nombres, Deuteronome, Josué, Juges, Ruth, quatre des Rois, deux de Paralipomenon, deux d'Esdras, le 1., et le 2. qui est appellé de Nehemie, Thobie, Judith, Hester, Job, cent cinquante Psalmes de David, les Paraboles, l'Ecclesiaste, le Cantique des Cantiques, la Sapience, l'Ecclesiastique, Isaïe, Hieremie avec Baruch, Ezechiel, Daniel, Ozëe, Joel, Amos, Abdias, Jonas, Micheas, Nahum, Abacuc, Sophonias, Aggæe, [153] Zacharie, Malachie, deux des Machabees, le 1. et 2. ; du Testament Nouveau, 4 Evangiles, selon St Mathieu, St Marc, St Luc et St Jan, les Actes des Apostres par St Luc, 14 Epistres de St Pol, aux Romains, deux aux Chorinthiens, aux Galathes, aux Ephesiens, aux Philip., aux Collos., deux aux Thessalo., deux a Timot., a Tit., [154] a Philem., aux Hebreux, deux de St Pierre, 3 de St Jan, une de St Jaq., une de St Jude et l'Apocalipse. Le Concile de Florence, il y a environ 160 ans, proposa et receut tous les mesmes du consentement de toute l'Eglise, tant grecque que latine ; mays long tems au paravant, il y a douze cens ans ou environ qu'au Concile 3 de Cartage, ou St Augustin se trouva, tous les mesmes Livres furent receuz.

            Avant le tems du Concile de Chartage ilz ne furent pas tous proposés pour canoniques par aucun decret de l'Eglise generale, mays y en a quelques uns de l'authorité desquelz les Anciens Peres ont douté ; a sçavoir, d'Hester, Baruc, Thobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Machabëes, l'Epistr'aux Hebrieux, celle de St Jaques, la 2. de St Pierre, la 2. et 3. de St Jan, de l'Epist. de St Jude [155] et de l'Apocalipse. Mesme en quelques uns des autres Livres, de l'authorité desquelz jamais on ne douta parmi l'Eglise, il y a certaines parties lesquelles les Anciens n'ont pas tous tenu pour authentiques, comme l'histoire de Susanne en Daniel, le cantique des trois enfans et l'histoire de la mort du dragon au 14. chap. ; aussy on douta pour un tems du dernier chapitre de St Marc, comme dict St Hieros., et de l'histoire de la sueur de N. S. au jardin d'Olivet, qui est en St Luc 22. chap., au recit du mesme St Hier. Au chap. 8 de St Jean on a douté de l'histoire de l'adultere, ou au moins quelques uns ont soupçon qu'on ayt douté ; et du verset 7 du dernier chap. de la pre de St Jan. Voyla tant que nous pouvons sçavoir les Livres et les parties desquelz on aÿe douté anciennement, dont nous ayons quelqu'apparence, et neantmoins tous ces Livres, avec toutes leurs parties, sont receuz en l'Eglise Catholique.

             Mais voici la difficulté. Si ces Livres ne furent pas des le commencement indubitables en l'Eglise, comm'est ce que le tems leur peut acquerir cest'authorité ? Pour vray, l'Eglise ne sçauroit rendre un Livre canonique sil ne l'estoit, mays l'Eglise peut bien declairer qu'un Livr'est canonique qui n'estoit pas tenu pour tel d'un chacun, et ainsi le mettr'en credt parmi le Christianisme, nom pas changeant la substance du Livre, qui de soy estoit canonique, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tres asseurëe de ce dont elle ne l'estoit pas. Mays l'Eglise mesme, comme se peut elle resoudre qu'un Livre soit canonique ? || car elle n'est plus conduite par nouvelles revelations, mays par les anciennes apostoliques, esquelles ell'a l'infallibilité d'interpretation ; que si les Anciens n'ont pas eu revelation de l'authorité d'un Livre, comme donques la peut elle sçavoir ? || Elle considere le tesmoignage de l'antiquité, la conformité que ce Livre a avec les autres ja receuz, et le commun goust [156] que le peuple Chrestien y prend : car, comm'on peut connoistre quell'est la propre viande et prouffitable des animaux quand on les y voit prendre goust et s'y nourrir saynement, ainsy quand l'Eglise voit que le peuple Chrestien savoure volontiers un Livre pour canonique, et y faict son prouffit, elle peut connoistre que c'est une pasture propre et saine aux espritz chrestiens ; et comme, quand on veut sçavoir si un vin est de mesme creu qu'un autre, l'on les apparie, regardant si la couleur, l'odeur et le goust est pareil en tous deux, ainsy quand l'Eglise a bien consideré un Livre avoir le goust, l'odeur et la couleur, la sainteté du stile, de la doctrine et des misteres, semblable aux autres canoniques, et que d'ailleurs ell'a le tesmoignage de plusieurs bons et irreprochables tesmoins de l'antiquité, elle peut declairer le Livre pour frere germain des autres canoniques. Et ne faut pas douter que le St Esprit n'assiste en ce jugement a l'Eglise, car vos ministres mesme confessent que Dieu luy a remis en garde les Saintes Escritures, et veulent dire que c'est a cest'intention que St Pol l'apelle colomne et fermeté de verite ; et comme les garderoit elle, si elle ne les sçait connoistre et tirer du meslange des autres livres ?

            Mais combien est il important a l'Eglise qu'elle puysse sçavoir en tems et lieu quell'escriture est sainte et quelle non ; car, si elle recevoit un'escriture non sainte pour ste elle nous conduiroit a la superstition, et si elle refusoit l'honneur et la creance qui est deüe a la Parole de Dieu a un'escriture sainte, ce seroit impieté. Si donques Nostre Sr defend son Eglise contre les portes d'enfer, si jamais le St Esprit luy assista pour luy de si pres qu'elle peut dire, Visum est Spiritui Sto et nobis, il faut fermement croire quil l'inspire en ces occasions de si grande consequence ; car ce seroit bien la laisser au besoin, sil la laissoit en ce cas, duquel depend non seulement un article ou deux de nostre foi, mays le gros de nostre religion. Quand donques l'Eglise a declairé qu'un Livr'est canonique, nous ne devons jamais douter quil ne le soit. Nous [sommes] en ce faict de pareille condition ; car Calvin, et les bibles mesme de Geneve, et [157] les Lutheriens, reçoivent plusieurs Livres pour saintz, sacrés et canoniques qui n'ont pas esté advoüez par tous les Anciens pour telz, et desquelz on a esté en doute : si l'on en a douté ci devant, quelle rayson peuvent ilz avoir pour les tenir asseurés et certains maintenant ? sinon celle qu'avoit St Augustin, Ego vero Evangelia non crederem nisi me Catholicæ Ecclesiæ commoveret authoritas ; ou comm'il dict ailleurs : Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctæ Ecclesiæ Catholicæ tradit authoritas.

 

 

 

Article IV. Premiere violation des Saintes Escritures faitte par les reformateurs, retranchans plusieurs pieces d'icelles

 

 

            Voyla les Livres sacrés et canoniques, que l'Eglise a receu et reconneu unanimement des douze centz ans en ça : et avec quell'authorité ont osé ces nouveaux reformeurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de [158] la Bible ? Ilz ont raclé une partie d'Hester, Baruch, Thobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Maccabees ; qui leur a dict que ces Livres ne sont pas legitimes et recevables ? pourquoy desmembrent ilz ainsy ce sacré cors des Escritures ?

            Voyci leurs principales raysons, ainsy que j'ay peu recueillir de la vielle præface, faicte devant les Livres prætenduz apocriphes imprimés a Neufchastel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et amy de Calvin, et encores de la plus nouvelle, faitte sur les mesmes Livres par les professeurs et pasteurs pretenduz de l'eglise de Geneve, l'an 1588. 1. « Ilz ne se trouvent ni en Ebreu ni en Caldee, esquelles langues jadis ont estés escritz (fors a l'adventure le Livre de Sapience), dont grande difficulté seroit de les restituer. » 2. « Ilz ne sont point receuz comme legitimes des Ebreux » ; 3. « ni de toute l'Eglise. » 4. Saint Hierosme dict quilz ne sont point estimés « idoines » pour « corroborer l'authorité des doctrines ecclesiastiques. » 5. Le Droit Canon « en profere son jugement » ; 6. et la Glose, « qui dict qu'on les lit mais non point en general, comme si elle vouloit dire que generalement par tout ne soyent point approuvés. » 7. « Ilz ont estés corrompuz et falsifiés, » comme dict Eusebe ; 8. « notamment les Macchabees, » 9. et specialement le second, que saint Hierosme dict « n'avoir trouvé en Ebreu. » Voyla les raysons d'Olivetanus. 10. Il y a en iceux « plusieurs choses fauses, » dict la nouvelle præface. Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches. [159]

            1. Et quand a la premiere : estes vous d'avis de ne recevoir pas ces Livres par ce quilz ne se trouvent pas en Hebreu ou Caldee ? receves donques Tobie, car saint Hierosme atteste quil l'a traduit de Caldee en Latin, en l'epistre que vous cités vous mesme, qui me fait croire que vous n'estes guere gens a la bonne foy ; et Judith, pourquoy non ? qui a aussi bien esté escrit en Caldee, comme dict le mesme saint Hierosme, au Prologue ; et si saint Hierosme dict quil n'a peu trouver le 2. des Machabees en Hebreu, qu'en peut mais le premier ? receves-le tousjours a bon conte, nous traitterons par apres du second. Ainsy vous diray je de l'Ecclesiastique, que saint Hierosme a eu et trouvé en Hebreu, comme il dict en sa preface sur les Livres de Salomon. Puys donques que vous rejettes esgalement ces Livres escritz en Hebreu et Caldee avec les autres qui ne sont pas escritz en mesme langage, il vous faut chercher un autre prætexte que celuy que vous aves allegué, pour racler ces Livres du canon : quand vous dittes que vous les rejettes par ce quilz ne sont escritz ni en Hebreu ni en Caldee, ce n'est pas cela, car vous ne rejetteries pas, [160] a ce conte, Tobie, Judith, le premier des Machabees, l'Ecclesiastique, qui sont escritz ou en Hebreu ou en Caldee. Mays parlons maintenant pour les autres Livres, qui sont escritz en autre langage que celuy que vous voules. Ou trouves vous que la regle de bien recevoir les Saintes Escritures soyt, qu'elles soyent escrittes en ces langages la plustost qu'en Grec ou Latin ? vous dittes quil ne faut rien recevoir en matiere de religion que ce qui est escrit, et apportes en vostre belle prefacé le dire des jurisconsultes : Erubescimus sine lege loqui ; vous semble il pas que la dispute qui se faict sur la validité ou invalidité des Escritures soyt une des plus importantes en matiere de religion ? sus donques, ou demeurés honteux, ou produises la Sainte Escriture pour la negative que vous soustenés : certes, le Saint Esprit se declaire aussi bien en Grec qu'en Caldee.

            On auroit, dittes vous, « grande difficulté de les restituer », puys qu'on ne les a pas en leur langue originaire. Est ce cela qui vous fasche ? Mais pour Dieu, dittes moy, qui vous a dict quilz sont perduz, corrompuz ou alterés, pour avoir besoin de restitution ? Vous præsupposes peut estre que ceux qui les auront traduitz sur l'originaire auront mal traduit, et vous voudries avoir l'original pour les collationner et les juger. Laissés vous donq entendre, et dittes quilz sont apocriphes par ce que vous n'en pouves pas estre vous mesme le traducteur sur l'original, et que vous ne vous pouves fier au jugement du traducteur : il ni aura donq [161] rien d'asseuré que ce que vous aures conterollé ? monstres moy ceste regle d'asseurance en l'Escriture. Plus, estes vous bien asseuré d'avoir les textes hebreux des Livres du premier rang ainsy purs et netz comm'ilz estoyent au tems des Apostres et des 70 ? Gardes de mesprendre ; certes, vous ne les suives pas tousjours, et ne sçauries en bonne conscience : monstres moy encor cecy en la Saint'Escriture. Voyla donques vostre premiere rayson bien desraysonnable.

            2. Quand a ce que vous dittes que ces Livres que vous appelles apocriphes ne sont point receuz par les Hebreux, vous ne dittes rien de nouveau ni d'important ; saint Augustin proteste bien haut : « Libros Machabeorum non Judæi sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet : Non les Juifz, mais l'Eglise Catholique tient les Livres des Machabees pour canoniques. » Dieu merci, nous ne sommes pas Juifz, nous sommes Catholiques : monstres moy par l'Escriture que l'Eglise Chrestienne [162] n'aye pas autant de pouvoir pour authoriser les Livres sacrés qu'en avoit la Mosaïque : il ni a en cela ni Escriture ni raison qui le monstre.

            3. Oüy, mais toute l'Eglise mesme ne les reçoit pas, dites vous. Et de quell'eglise entendes vous ? certes, l'Eglise Catholique, qui est la seule vraye, les reçoit, comme saint [Augustin] vient de vous attester maintenant, et le repete encores [ailleurs] ; le Concile de Carthage, celuy de Trulles, 6. general, [celuy] de Florence, et cent autheurs anciens, en sont [tesmoins] irreprochables, et saint Hierosme nommement, qui atteste [du Livre] de Judith quil fut receu au Concile premier [de Nicee]. Peut estre voules vous dire qu'anciennement quelques Catholiques douterent de leur authorité ; c'est selon la division que j'ay faitte ci dessus : mais quoy pour cela ? le doute de ceux la a il peu empecher la resolution de leurs successeurs ? est ce a dire que si on n'est pas tout au premier coup resolu, il faille tousjours demeurer en bransle, incertain et irresolu ? A l'on pas esté pour un tems incertain de l'Apocalipse et d'Ester ? vous ne l'oseries nier, j'ay de trop bons [163] tesmoins ; d'Ester, saint Athanase et saint Gregoire Nazianzene, de l'Apocalipse, le Concile de Laodicee : et néanmoins vous les receves ; ou receves-les tous, puysqu'ilz sont d'esgale condition, ou n'en receves point, par mesme rayson. Mays, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d'alleguer icy l'Eglise, l'authorité delaquelle vous tenes cent fois plus incertaine que ces Livres mesme, et que vous dittes avoir esté fautifve, inconstante, voire apocriphe, si apocriphe veut dire caché ; vous ne la prises que pour la mespriser et la faire paroistre inconstante, ores advouant ores desavouant ces Livres. Mais il y a bien a dire entre douter d'une chose si ell'est recevable, et la rejetter : le doute n'empeche pas la resolution suivante, ains en est un præallable ; rejetter præsuppose resolution. Estre inconstant ce n'est pas changer un doute en resolution, mais ouy bien changer de resolution en doute ; ce n'est pas instabilité de s'affermir apres l'esbranlement, mays ouy bien de s'esbransler apres l'affermissement. L'Eglise donques, ayant pour un tems laissés ces Livres en doute, en fin les a receu en resolution authentique ; et vous voules que de ceste resolution elle retourne au doute. C'est le propre de l'heresie et non de l'Eglise de proufiter ainsy de mal en pis ; mays de ceci ailleurs.

            4. Quand a saint Hierosme que vous allegués, ce n'est rien a propos, puysque de son tems l'Eglise n'avoit encor pas pris la resolution qu'ell'a prise despuys, touchant la canonisation de ces Livres, hormis pour celuy de Judith.

            5. Et le canon Sancta Romana, qui est de Gelaise premier, je crois que vous l'aves rencontré a tastons, car il est tout contre vous ; puysque, censurant les Livres apocriphes, il n'en nomme pas un de ceux que nous recevons, ains au contraire atteste que Tobie et les Maccabees estoyent receuz publiquement en l'Eglise.

            6. Et la pauvre Glosse ne merite pas que vous la [164] glossies ainsy, puysqu'elle dict clairement que « ces Livres sont leuz, mais non peut estre generalement. » Ce « peut estre » la garde de mentir, et vous l'aves oublié ; et si elle met en conte ces Livres icy dont est question, comm'apocriplies, c'est parce qu'elle croyoit que apocriphe, volut dire, n'avoir point de certain autheur, et partant y enroolle comm'apocriphe le Livre des Juges : et sa sentence n'est pas si authentique qu'elle passe en chose jugee ; en fin, ce n'est qu'une glosse.

            7. Et ces falsifications que vous allegues ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l'authorité de ces Livres, par ce qu'ilz ont esté justifiés et espurés de toute corruption avant que l'Eglise les receut. Certes, tous les Livres de la Saint'Escriture ont esté corrompuz par les anciens ennemis de l'Eglise, mais, par la providence de Dieu, ilz sont demeurés francz et netz en la main de l'Eglise comm'un sacré depost, et jamais on n'a peu gaster tant d'exemplaires quil n'en soit asses demeuré pour restaurer les autres.

            8. Mays vous voules sur tout que les Maccabees nous tumbe des mains, quand vous dittes qu'ilz ont estés corrompuz ; or, puysque vous n'avances qu'une simple affirmation, je n'y pareray que par une simple negation.

            9. Saint Hierosme dict [qu'il] n'a sceu trouver le 2. en Hebreu ; et bien, que [le premier y soit ;] le second n'est que comme une epistre que [les Anciens] d'Israel envoyerent aux freres Juifz qui estoyent hors la Judee, et si ell'est escritte au langage le plus cohneu et commun de ce tems-la, s'ensuit il qu'elle ne soit pas recevable ? Les Ægiptiens avoyent en usage le langage grec beaucoup plus que l'hebreu, comme monstra bien Ptolomee quand il procura la version des 72 ; voyla pourquoy ce 2. Livre des Maccabees, qui estoit comme une epistre ou commentaire envoyé pour la consolation des Juifz qui habitoyent en Egipte, a esté escrit en Grec plus tost qu'en Hebreu.

            10. Reste que les nouveaux præfaceurs monstrent ces fausetés desquelles ilz accusent ces Livres, ce qu'a [165] la verité ilz ne feront jamais ; mays je les voys venir :  ilz produiront l'intercession des Saintz, la priere pour les trepassés, le franc arbitre, l'honneur des reliques et semblables pointz, qui sont expressement confirmés es Livres des Maccabees, en l'Ecclesiastique et autres Livres quilz prætendent apocriphes. Prenes garde, pour Dieu, que vostre jugement ne vous trompe ; pourquoy, je vous prie, apelles vous faucetés ce que toute l'antiquité a tenu pour articles de foy ? que ne censures vous plus tost vos fantasies, qui ne veulent embrasser la doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, receuz de si long tems, par ce quilz ne secondent pas a vos humeurs ? parce que vous ne voules pas croire ce que ces Livres enseignent, vous les condamnes ; et que ne condamnes vous plustost vostre temerité, qui se rend incredule a leurs enseignemens?

            Voyla, ce me semble, toutes vos raysons esvanouÿes, et n'en sçauries produire d'autres ; mays nous sçaurons bien dire, que sil est ainsy loysible indifferemment de rejetter ou revoquer en doute l'authorité des Escritures desquelles on a douté pieça, quoy que l'Eglise en aÿe determiné, il faudra rejetter ou douter d'une grande partie du Viel et Nouveau Testament. Ce n'est donq pas un petit gain a l'ennemy du Christianisme, d'avoir de plein sault raclé en la Sainte Escriture tant de nobles parties. Passons outre. [166]

 

 

 

Combien les ministres ont viole l'integrite des escritures

 

 

            Maintenant, comme se pourroit tenir une bonne ame de donner ouverture a l'ardeur d'un saint zele, et d'entrer en une chrestienne cholere, sans peché, considerant avec quelle temerité ceux qui ne [158] font que crier, l'Escriture, l'Escriture, ont mesprisé, avily, prophané ce divin testament du Pere Eternel, comm'ilz ont falsifié ce sacré contract d'une si celebre alliance ? Comm'oses vous biffer, o ministres calvinistes, tant de nobles parties du sacré cors des Bibles ? Vous ostes Baruch, Thobie, Judith, Sapience, l'Ecclesiastique, les Machabëes ; pourquoy demembres vous ainsy la Ste Escriture ? qui vous a dict quilz ne sont point sacrés ? L'on en doute en l'ancienne [159] Eglise : et n'a on pas douté en l'ancienne Eglise d'Hester, de l'Epistr'aux Hebreux, de celle de St Jaques, de St Jude, de la seconde de St Pierre et des deux dernieres de St Jan, et sur tout de l'Apocalipse ? que ne rayes vous aussy bien ceux ci que vous aves faict ceux la ? Dites franchement que [ce que] vous en aves faict, ce n'a esté que pour contredire a l'Eglise :  il vous fachoit de voir es Machabees l'intercession des Saintz et la priere pour les trepassés, l'Ecclesiastique vous piquoit en ce quil attestoit du liberal arbitre et de lhonneur des reliques ; plus tost que de forcer vos cervelles, et les adjuster a l'Escriture, vous aves violé l'Escriture pour l'accommoder a vos cervelles, vous aves retranché la ste Parole pour ne retrancher point vos fantasies ; comme vous laveres vous jamais [160] de ce sacrilege ? Aves vous dégradé les Machabees, l'Ecclesiastique, Tobie et les autres par ce que quelques uns des Anciens ont douté de leur authorité ? pourquoy receves vous donques les autres Livres, desquelz on a douté autant que de ceux ci ? Que leur pouves vous opposer autre, sinon que leur doctrine vous est mal aysëe a concevoir ? ouvres le cœur a la foy, et vous concevres aysement ce dont vostre incredulité vous prive ; par ce que vous ne voules pas croire ce qu'ilz enseignent, vous les condamnes, condamnes plus tost vostre temerité, et receves l'Escriture. [161]

            Je veux mettre le faict sur les Livres qui vous fachent le plus. Clement Alexandrin, Cyprien, Ambroise, Augustin et le reste des Peres tiennent l'Ecclesiastique pour canonique ; St Cyp., St Amb., St Basile honorent Tobie pour Escriture Ste ; St Cyp. encores, St Greg. Nazianz., St Amb. en ont autant creu des Machabëes ; St Augustin proteste que Libros Machabœorum non Judœi sed Ecclesia Catholica. pro canonicis habet. Que dires vous a cela ? que les Juifz ne les avoient pas en leurs cathalogues ? St Augustin le confesse, mais estes vous Juifz ou Chrestiens ? et si vous voules estre appellés Chrestiens, contentes vous que l'Eglise Chrestienne les reçoive : la lumiere du St Esprit s'est elle estainte avec la Sinagogue ? N. S. et les Apostres n'ont ilz pas eu autant de pouvoir que la Sinagogue ? Et bien que l'Eglise n'ait pas pris l'authorité de ses Livres de la bouche des Scribes et Pharisiens, suffira il pas qu'elle l'ait prise du tesmoignage des Apostres ? Or, il ne faut pas penser que l'ancienn'Eglise et ces tres anciens Docteurs eussent pris la hardiesse de mettre ces Livres au roole des canoniques si elle n'en [162] eust eu quelque advis par la Tradition des Apostres et leurs disciples, qui pouvoyent sçavoir en quel rang le Maistre mesme les tenoit ; sinon que pour excuser nos fantasies, nous accusions de prophanation et sacrilege ces tant sts et graves Docteurs, avec toute l'Eglise ancienne. Je dis l'Eglis'ancienne, par ce que le Conc. de Cartage, Gelasius, in decreto de Libris canonicis quil fit avec le conseil de septante Evesques, Innocent Ir, en l'epistre ad Exuperium, St Augustin, ont vescu avant St Gregoire, avant lequel Calvin confesse que l'Eglise estoit encores en sa pureté ; et neantmoins ceux la font foi que tous les Livres que nous avions pour canoniques quand Luther comparut, estoyentja telz en ce tems la. Si vous voulies lever le credit a ces saintz Livres, que ne le levies vous a l'Apocalipse, delaquelle on a tant douté, et a l'Epistr'aux Hebrieux ? [163]

 

Article V. Seconde violation des Escritures par la regle que les reformeurs produisent pour discerner les Livres sacrés d'avec les autres, et de quelques menus retranchemens d'iceux qui s'en ensuivent

 

 

            Le marchand rusé tient en monstre les moindres pieces de sa boutique, et les offre les premieres aux acheteurs, pour essayer s'il les pourra deduire et vendre a quelque niais. Les raysons que les reformeurs ont avancees au chapitre precedent ne sont que biffes, comme nous avons veu, desquelles on se sert comme d'amusement, pour voir si quelque simple et foible cervelle s'en voudroit contenter : et de faict, quand on vient au joindre, ilz confessent que ni l'authorité de l'Eglise, ni de saint Hierosme, ni de la Glosse, ni du Caldee, ni de l'Hebreu, n'est pas cause suffisante pour recevoir ou rejetter quelque Escriture. Voicy leur protestation en la Confession de foy presentee au Roy de France par les François pretendus reformés : apres qu'ilz ont mis en liste, en l'Article troisiesme, les Livres qu'ilz veulent recevoir, ilz escrivent ainsy en l'Article quatriesme : « Nous connoissons ces Livres estre canoniques et regle tres certaine de nostre foy, non tant par le commun accord et consentement de l'Eglise, que par le tesmoignage et persuasion interieure du Saint Esprit, qui les nous faict discerner [167] d'avec les autres livres ecclesiastiques. » Quittans donques le champ des raysons precedentes pour se mettre a couvert, ilz se jettent dans l'interieure, secrette et invisible persuasion qu'ilz estiment estre faicte en eux par le Saint Esprit.

            Or, a la verité, c'est bien procedé a eux de ne vouloir s'appuyer en cest article sur le commun accord et consentement de l'Eglise ; puysque ce commun accord a canonisé l'Ecclesiastique, les [Livres des] Machabees, tout autant et aussitost que l'Apocalipse, et neantmoins ilz veulent recevoir [celuy ci] et rejetter ceux la : Judith, authorisé par le grand premier et irreprochable Concile de Nicee, est biffé par les reformeurs ; ilz ont donques rayson de confesser qu'en la reception des Livres canoniques, ilz ne reçoivent point l'accord et consentement de l'Eglise, qui ne fut onques plus grand ni plus solemnel qu'en ce premier Concile. Mais pour Dieu, voyes la ruse. « Nous connoissons, » disent ilz, « ces Livres estre canoniques, non tant par le commun accord de l'Eglise : » a les ouÿr parler, ne diries vous pas qu'au moins en quelque façon ilz se laissent guider a l'Eglise ? Leur parler n'est pas franc : il semble qu'ilz ne refusent pas du tout credit au commun accord des Chrestiens, mais que seulement ilz ne le reçoivent pas a mesme degré que leur persuasion interieure, et neantmoins ilz n'en tiennent aucun conte ; mais ilz vont ainsy retenus en leur langage pour ne paroistre pas du tout incivilz et desraysonnables. Car, je vous prie, s'ilz deferoient tant soit peu a l'authorité ecclesiastique, pourquoy recevroient ilz plustost l'Apocalipse que Judith ou les Machabees, desquelz saint Augustin et saint Hierosme nous sont fideles tesmoins qu'ilz ont esté receuz unanimement de toute l'Eglise Catholique ? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en asseurent. Pourquoy disent ilz donques, qu'ilz ne reçoivent pas les Livres sacrés « tant par le commun accord de l'Eglise que par l'interieure persuasion » ? puysque le commun accord de l'Eglise n'y a ni rang ni lieu. C'est leur coustume, quand ilz veulent [168] produire quelque opinion estrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser a penser aux lecteurs quelque chose de mieux.

            Maintenant, voyons quelle regle ilz ont pour discerner les Livres canoniques d'avec les autres ecclesiastiques : « Le tesmoignage, » disent ilz, « et persuasion interieure du Saint Esprit. » O Dieu, quelle cachette, quel brouillait, quelle nuict ; ne nous voyla pas bien esclaircis en un si important et grave different ? On demande comme l'on peut connoistre les Livres canoniques, on voudroit bien avoir quelque regle pour les discerner, et l'on nous produit ce qui se passe en l'interieur de l'ame, que personne ne voit, personne ne connoit, sinon l'ame mesme et son Createur.

            1. Monstres moy clairement que ces inspirations et persuasions que vous pretendes sont du saint et non du faint esprit ; qui ne sçait que l'esprit de tenebres comparoit bien souvent en habit de lumiere ?

            2. Monstres moy clairement que, lhors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en vostre conscience, vous ne mentes point, vous ne me trompes point. Vous dites que vous sentes ceste persuasion en vous, mais pourquoy suis je obligé de vous croire ? vostre parole est elle si puissante, que je sois forcé sous son authorité de croire que vous penses et sentes ce que vous dites ? je vous veux tenir pour gens de bien, mais quand il s'agit des fondemens de ma foy, comme est de recevoir ou rejetter les Escritures ecclesiastiques, je ne trouve ni vos pensees ni vos paroles asses fermes pour me servir de base.

            3. Cest esprit faict il ses persuasions indifferemment a chacun, ou seulement a quelques uns en particulier ? si a chacun, et que veut dire que tant de milliades de Catholiques ne s'en sont jamais aperceuz, ni tant de femmes, laboureurs et autres parmi vous ? si c'est a quelques uns en particulier, monstres les moy, je vous prie, et pourquoy a ceux la plus tost qu'aux autres ? quelle marque me les fera connoistre et trier de la presse du reste des hommes ? Me faudra il croire au [169] premier qui dira d'en estre ? ce seroit trop nous mettre a l'abandon et a la mercy des seducteurs : monstres moy donques quelque regle infallible pour connoistre ces inspirés et persuadés, ou me permettes que je n'en croye pas un.

            4. Mays en conscience, vous semble il que l'interieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Escritures, et mettre les peuples hors de doute ? Que veut donq dire que Luther racle l'Epistre de saint Jaques, laquelle Calvin reçoit ?  accordes un peu, je vous prie, cest esprit et sa persuasion, qui persuade a l'un de rejetter ce qu'il persuade a l'autre de recevoir. Vous dires peut estre que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous ; a qui croire ? Luther se moque de l'Ecclesiaste, il tient Job pour fable ; luy opposeres vous vostre persuasion ? il vous opposera la sienne : ainsy cest esprit, se combattant soy mesme, ne vous laissera autre resolution que de vous bien opiniastrer de part et d'autre.

            5. Puys, quelle rayson y a il que le Saint Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire a des je ne sçay qui, a Luther, a Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l'Eglise tout entiere ? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connoissance des vrays Livres sacrés ne soit un don du Saint Esprit, mays nous disons que le Saint Esprit la donne aux particuliers par l'entremise de l'Eglise. Certes, quand Dieu auroit revelé mille fois une chose a quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquast tellement que nous ne puissions plus revoquer en doute sa fidelité ; mays nous ne voyons rien de tel en vos reformeurs. En un mot, c'est a l'Eglise generale que le Saint Esprit addresse immediatement ses inspirations et persuasions, puys, par la prædication de l'Eglise, il les communique aux particuliers ; c'est l'Espouse en laquelle le laict est engendré, puys les enfans le succent [170] de ses mammelles : mays vous voules, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen a l'Eglise, que les enfans reçoivent le laict, et que la mere soit nourrie a leurs tetins ; chose absurde.

            Or, si l'Escriture n'est violee et sa majesté lezee par l'establissement de ces interieures et particulieres inspirations, jamais elle ne fut ni sera violëe ; car ainsy la porte est ouverte a chacun de recevoir ou rejetter des Escritures ce que bon luy semblera. Hé de grace, pourquoy permettra on plus tost a Calvin de racler la Sapience ou les Maccabees, qu'a Luther de lever l'Epistre de saint Jaques ou l'Apocalipse, ou a Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l'Evangile de saint Marc, ou a un autre, le Genese et l'Exode ? si tous protestent de l'interieure revelation, pourquoy croira l'on plustost l'un que l'autre ? Ainsy ceste Regle sacree, sous prætexte du Saint Esprit demeurera des reglee, par la temerité de chaque seducteur.

            Connoisses, je vous prie, le stratageme. On a levé tout'authorité a la Tradition, a l'Eglise, aux Conciles ; que demeure il plus ? l'Escriture. L'ennemy est fin ; s'il la vouloit arracher tout a coup il donneroit l'alarme ; [171] il establit un moyen certain et infallible pour la lever piece a piece tout bellement, c'est ceste opinion de l'interieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejetter ce que bon luy semble : et de faict, voyes un peu le progres de ce dessein. Calvin oste et racle du canon, Baruch, Tobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Maccabees : Luther leve l'Epistre de saint Jaques, de saint Jude, la 2. de saint Pierre, la 2. et 3. de saint Jan, l'Epistr'aux Hebreux ; il se mocque de l'Ecclesiaste, et tient Job pour fable. En Daniel, Calvin a biffé le cantique des trois enfans, l'histoire de Susane et celle du dragon de Bel ; item, une grande partie d'Hester. En l'Exode on a levé, a Geneve et ailleurs parmi ces reformeurs, le 22 verset du 2d chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l'auroyent jamais escrit sil n'eut esté es originaux. De Beze met en doute l'histoire de l'adultere, en l'Evangile de saint Jan (saint Augustin advise que [172] pieça les ennemis du Christianisme l'avoyent rayé de leurs livres, mais non pas de tous, comme dict saint Hierosme). Es misterieuses parolles de l'Eucharistie, ne veut on pas esbranler l'authorité de ces motz, Qui pro vobis funditur, par ce que le texte grec monstre clairement que ce qui estoit au calice n'estoit pas vin, mais le sang du Sauveur ? comme qui diroit en françois, Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera respandue pour vous ; car en ceste façon de parler, ce qui est en la coupe doit estre le vray sang, non le vin, puysque le vin n'a pas esté respandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut estre versee qu'a rayson de ce qu'elle contient. Qui est le couteau avec lequel on a faict tant de retranchemens ? l'opinion de ces inspirations particulieres ; qu'est ce qui faict si hardis vos reformeurs a racler, l'un ceste piece, l'autre celle la, et l'autre un'autre ? le pretexte de ces interieures persuasions de l'esprit, qui les rend sauverains, chacun chez soy, au jugement de la validité ou invalidité des Escrittures. [173]

             Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste : « Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicæ Ecclesiæ commoveret authoritas : Je ne croirois pas a l'Evangile si l'authorité de l'Eglise Catholique ne m'esmouvoit ; » et ailleurs : « Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctæ Ecclesiæ Catholicæ tradit authoritas : Nous recevons le Viel et Nouveau Testament au nombre de Livres que l'authorité de la saint'Eglise Catholique propose. » Le Saint Esprit peut inspirer que bon luy semble, mays quand a l'establissement de la foy publique et generale des fideles, il ne nous addresse qu'a l'Eglise ; c'est a elle de proposer quelles sont les vrayes Escritures, et quelles non : non qu'elle puysse donner verité ou certitude a l'Escriture, mays elle peut bien nous faire certains et asseurés de la certitude d'icelle. L'Eglise ne sçauroit rendre un livre canonique sil ne l'est, mais elle peut bien le faire reconnoistre pour tel, non pas changeant la substance du livre, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tout'asseuree de ce dont ell'estoit douteuse. Que si jamais nostre Redempteur defend son Eglise contre les portes d'enfer, si jamais le Saint Esprit l'inspire et conduit, c'est en ceste occasion ; car ce seroit bien la laisser du tout et au besoin, sil la laissoit en ce cas duquel depend le gros de nostre religion. Pour vray, nous serions tres mal asseurés si nous appuyions nostre foy sur ces particulieres inspirations interieures, que nous ne sçavons si elles sont ou furent jamais que par le tesmoignage de certains particuliers ; [174] et supposé qu'elles soyent ou ayent esté, nous ne sçavons si elles sont du vray ou faux esprit ; et supposé qu'elles soyent du vray esprit, nous ne sçavons si ceux qui les recitent les recitent fidellement ou non, puys qu'ilz n'ont aucune marque d'infallibilité. Nous meriterions d'estre abismés, si nous nous jettions hors le navire de la publique sentence de l'Eglise, pour voguer dans le miserabl'esquif de ces persuasions particulieres, nouvelles, discordantes ; nostre foy ne seroit plus Catholique, ains particuliere.

            Mais avant que je parte d'icy, je vous prie, reformeurs, dittes moy ou vous aves pris le canon des Escritures que vous suives. Vous ne l'aves pas pris des Juifz, car les Livres Evangeliques n'y seroyent pas, ni du Concile de Laodicee, car l'Apocalipse n'y seroit pas, ni du Concile de Cartage ou de Florence, car l'Ecclesiastique et les Maccabees y seroyent ; ou l'aves vous donq pris ? Pour vray, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous ; l'Eglise ne vit onques canon des Escritures ou il n'y eut ou plus ou moins qu'au vostre : quelle apparence i a il que le Saint Esprit se soit recelé a toute l'antiquité, et qu'appres 1500 il ait descouvert a certains particuliers le roolle des vrayes Escritures ? Pour nous, nous suyvons exactement la liste du Concile Laodicean, avec l'addition faitte au Concile [175] de Cartage et de Florence ; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles, pour suivre les persuasions des particuliers.

            Voyla donq la fontaine et la source de toute la violation qu'on a faict de ceste sainte Regle ; c'est quand on s'est imaginé de ne la recevoir qu'a la mesure et regle des inspirations que chacun croit et pense sentir.

 

 

Article VI. Combien la majesté des Saintes Escritures a esté violëe es interpretations et versions des hæretiques

 

 

            Affin que les religionnaires de ce tems desreglassent du tout ceste premiere et tressainte Regle de nostre foy, ilz ne se sont pas contentés de raccourcir et defaire de tant de belles pieces, mays l'ont contournee et détournee chacun a sa poste, et [au lieu] d'adjuster leur sçavoir a ceste regle, ilz l'ont reglëe elle mesme a l'esquerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande. L'Eglise avoit generalement receu, il y a plus de mill'ans, la version latine que l'Eglise Catholique produit, saint Hierosme, tant sçavant homme, en estoit l'autheur ou le correcteur ; quand voicy en nostr'aage s'eslever un espais brouillart [176] de l'esprit de tournoyement, lequel a tellement esblouy ces regrateurs de vielles opinions qui ont couru cy devant, que chacun a voulu tourner, qui d'un costé qui d'autre, et chacun au biais de son jugement, ceste sainte sacrëe Escriture de Dieu : en quoy, qui ne voit la prophanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservoit le precieux basme de la doctrine Evangelique ? Car, n'eust ce pas esté prophaner l'Arche de l'alliance, si quelqu'un eust voulu maintenir qu'un chacun la pouvoit prendre, la porter chez soy et la demonter toute et depecer, puys luy bailler telle forme quil eust voulu, pourveu quil y eust quelque apparence d'Arche ? et qu'est ce autre chose soustenir que l'on peut prendre les Escritures, les tourner et accommoder chacun selon sa suffisance ? Et neanmoins, des lors qu'on asseure que l'edition ordinaire de l'Eglise est si difforme quil la faut rebastir tout a neuf, et qu'un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte a la temerité : car si Luther l'ose faire, et pourquoy non Erasme ? et si Erasme, pourquoy non Calvin ou Melancthon ? pourquoy non Henricus [177] Mercerus, Sebastien Castalio, Beze, et le reste du monde ? pourveu qu'on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq motz d'Hebreu, au pres de quelques bons Tresors de l'une et l'autre langue. Et comme se peuvent faire tant de versions, par si differentes cervelles, sans la totale eversion de la sincerité de l'Escriture ?

            Que dites vous ? que l'edition ordinaire est corrompue ? Nous avoüons que les transcriveurs et les imprimeurs y ont layssé couler certains æquivocques, de fort peu d'importance (si toutefois il y a rien en l'Escriture qui puysse estre dict de peu d'importance), lesquelz le Concile de Trente commande estre levés, et que d'ores en avant on prene garde a la faire imprimer le plus correctement quil sera possible ; au reste, il n'y a rien qui ny soit tres sortable au sens du Saint Esprit qui en est l'autheur : comme ont monstré ci devant tant de doctes gens des nostres, qui se sont opposés a la temerité de ces nouveaux formateurs de religion, que ce seroit perdre tems d'en vouloir parler davantage ; outre ce que ce seroit folie a moy de vouloir parler de la naifveté des traductions, qui ne sceuz jamais bonnement lire avec les pointz en l'une des langues necessaires a ceste connoissance, et ne suys guere plus sçavant en l'autre. Mays quoy ? qu'aves vous faict de mieux ? chacun a prisé la sienne, chacun a mesprisé celle d'autruy ; on a [178] tournaïllé tant qu'on a voulu, mays personne ne se conte de la version de son compaignon : qu'est ce autre chose que renverser la majesté de l'Escriture, et la mettre en mespris vers les peuples, qui pensent que ceste diversité d'editions vienne plustost de l'incertitude de l'Escriture que de la bigarrure des traducteurs ?  bigarrure laquelle seule nous doit mettre en asseurance de l'ancienne traduction, laquelle, comme dict le Concile, l'Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvëe.

 

 

 

Article VII. De la prophanation es versions vulgaires

 

 

            Que sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s'est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues : et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l'ennemi du Christianisme et d'unité ait employé en nostr'aage pour attirer les peuples a ses cordelles ; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d'entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.

            Mays qui ne voit le stratageme ? il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s'altere, et perde son premier lustre. Le vin qu'on a beaucoup versé et reversé s'esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres ; [179] croyes aussy que l'Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu'elle ne s'altere. Que si aux versions latines il y a tant de varieté d'opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et maternelles d'un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller. C'est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés que par ceux de leur province mesme ; chaque province n'a pas tant d'yeux clairvoyans comme la France et l'Allemaigne. « Sçavons nous bien, » dict un docte prophane, « qu'en Basque et en Bretaigne il y ait des juges asses pour establir ceste traduction faicte en leur langue ? l'Eglise universelle n'a point de plus ardu jugement a faire. » C'est l'intention de Satan de corrompre l'integrité de cest testament ; il sçait ce quil importe de troubler la fontaine et de l'empoysonner, c'est gaster toute la troupe egalement.

            Mays disons candidement ; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes langues ? et que veut dire quilz n'escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu'en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l'Evangile de saint Matthieu, en Latin, comme quelques uns pensent de celuy de saint Marc, et en Grec, comm'on tient des autres Evangiles ; qui furent les trois langues choysies, des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la prædication du Crucifix ? Ne porterent ilz pas l'Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d'autre langage que ces trois la ? si avoit a la verité, et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz : qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l'imitation des Apostres ? || Dequoy nous avons une notable trace et piste en l'Evangile : car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David ; benedictus qui venit in nomine Domini ; osanna in excelsis ; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe [180] que c'estoit la mesme parole du peuple : or est il que Osanna, ou bien Osianna (et l'un vaut l'autre, disent les doctes en la langue), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117. Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l'Hebreu n'estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu'on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l'Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n'estre pas hebraiques pures mais siriaques, quoy qu'elles soient appellees hebraiques par ce que c'estoit le langage vulgaire des Hebreux des la captivité de Babiloyne. || Laquelle, outre le grand poids qu'elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je tiens pour tres bonne ; c'est que ces autres langues ne sont point reglëes, mays de ville en ville se changent en accens, en frases et paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle. Qu'on prenne en main les Memoyres du sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines ; on verra que nous avons du tout changé leur langage : qui neantmoins devoient [être] des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court. Si donques il nous failloit avoir (sur tout pour les services publiqs) des bibles chacun en son langage, de cinquant'ans en cinquante il faudroit remuer mesnage, et tousjours en adjoustant, levant ou changeant une bonne partie de la naifveté sainte de l'Escriture, qui ne se peut faire sans grande perte. Bref, c'est chose plus que raysonnable qu'une si sainte Regle comm'est la sainte Parole, soit conservëe es langues reglëes, car elle ne pourroit se maintenir en ceste parfaitte integrité es langues bastardes et desreglees.

            Mays je vous advise que le saint Concile de Trente ne rejette pas les traductions vulgaires imprimëes par l'authorité des ordinaires, seulement il commande qu'on [181] n'entreprene pas de les lire sans congé des superieurs ; ce qui est tres raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau, tant affilé et tranchant a deux costés, en la main de qui s'en pourrait esgorger soymesme, dequoy nous parlerons cy apres ; et partant il ne trouve pas bon que chacun qui sçait lire, sans autr'asseurance de sa capacité que celle quil prend de sa temerité, manie ce sacré memorial. « Ni n'est certes rayson, » me souviens je avoir leu en un essay du Sr de Montaigne, « de voir tracasser, » entre les mains de toutes personnes, « par une salle et par une cuysine, le saint Livre des sacrés misteres de nostre creance ; ce n'est pas en passant et tumultuairement quil faut manier un estude si serieux et venerable ; ce doit estre un'action destinee et rassise, alaquelle on doit tousjours adjouster ceste præface de nostr'office, Sursum corda, et y apporter le cors mesme, disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence. » Et « crois davantage, » dict il, « que la liberté a chacun de » le traduire, et « dissiper une parole si religieuse et importante a tant de sortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'utilité. »

 

 

 

Article VIII. De la prophanation qui se faict [en employant la langue vulgaire aux offices publics]

 

 

            Le Concile defend aussy que les services publiqs de l'Eglise ne se facent pas en vulgaire, mays en langue reglëe, chacun selon les anciens formulaires approuvés par l'Eglise. Ce desvit prend en partie ses raysons de ce que j'ay ja dict ; car, sil n'est pas expedient de traduire ainsy a tous propos de province en province le [182] texte sacré de l'Escriture, la plus grande partie, et quasi tout ce qui est es offices, estant pris de la Sainte Escriture, il n'est pas convenable de le mettre nomplus en françois : sinon quil y a d'autant plus de danger de reciter es services publiqs la Saint'Escriture en vulgaire, que non seulement les vieux mays les jeunes enfans, non seulement les sages mais les folz, non seulement les hommes mais les femmes, et, en somme, qui sçait et qui ne sçait lire, pourroyent tous y prendre occasion d'errer, chacun a son goust. Lises les passages de David ou il semble quil murmure contre Dieu de la prosperité des mauvais ; vous verres l'indiscret vulgaire s'en flatter en ses impatiences : lises la ou il semble demander vengeance sur ses ennemis ; et l'esprit de vengeance s'en affleublera : lises voir ces celestes et tresdivines amours es Cantiques des Cantiques ; qui ne sçaura les bien spiritualizer n'y prouffitera qu'en mal : et ce mot d'Osëe, Vade et fac tibi filios fornicationum, et ces actes des anciens Patriarches, ne donneroyent ilz pas licence aux idiotz ?

            Mays sachons un peu, de grace, pourquoy on veut avoir les Escritures et services divins en vulgaire. Pour y apprendre la doctrine ? mays certes, la doctrine ne s'en peut tirer si quelqu'un n'a ouvert l'escorce de la lettre, dans laquelle est contenue l'intelligence ; ce que je deduyray tantost en son lieu : la predication sert a ce point, non la recitation du service ; en laquelle la Parole de Dieu est non seulement recitëe, mays exposëe par le pasteur. Mays qui est celuy, tant houppé soit il et ferré, qui entende sans estude les Propheties d'Ezechiel et autres, et les Psalmes ? et que servira donques aux peuples de les ouir, sinon pour les prophaner et mettre en doute ? et quand au reste, nous autres Catholiques ne devons en aucune façon reduire nos offices sacrés aux langages particuliers, ains plus tost, comme nostr'Eglise est universelle en tems et en lieux, elle doit aussi faire ses services publicqs en un langage qui soit de mesme universel en tems et en lieux, tel qu'est le Latin en Occident, le Grec en [183] Orient ; autrement nos præstres ne sçauroyent dire Messe, ni les autres l'entendre, hors de leurs contrëes. L'unité et la grand'estendue de nos freres requiert que nous disions nos publiques prieres en un langage qui soit un a toutes nations ; en ceste façon nos prieres sont universelles, par le moyen de tant de gens qui en chaque province peuvent entendre le Latin ; et me semble en conscience que ceste seule rayson doit suffire, car, si nous contons bien, nos prieres ne sont pas moins entendues en Latin qu'en François. Car, divisons le cors d'une republique en trois parties, selon l'ancienne division françoise, ou, selon la nouvelle, en quatre. Il y a 4 sortes de personnes : les ecclesiastiques, les nobles, ceux de roubbe longue et le populas ou 38 estat ; les trois premiers entendent le Latin ou le doivent entendre, silz ne le font, leur damp. Reste le 38 estat, duquel encores une partie l'entend ; le reste, pour vray, si on ne parle le propre barragouin de leur contrëe, a grand peyne pourroit il entendre le simple recit des Escritures. Ce tresexcellent theologien Robert Belarmin raconte, pour l'avoir appris de lieu tres asseuré, qu'une bonne femme, ayant ouy en Angleterre un ministre lire le chap. 25 de l'Ecclesiastique (quoy quilz ne le tiennent si non pour ancien, non pour canonique), parce quil est, la, discouru de la mauvaistie des femmes, elle se leva, disant : « Et quoy ? c'est la parole de Dieu ? mays du diable. » Il recite encores, le prenant de Theodoret, un bon et juste mot de saint Basile le Grand : l'escuyer de cuysine de l'Empereur voulut faire l'entendu a produire certains passages de l'Escriture ; Tuum est de pulmento cogitare, non dogmata divina decoquere ; comme sil eust dict : mesles vous de gouster vos sauces, non pas de gourmander la divine Parole. [184]

 

 

 

Article IX. De la profanation des Psaumes en suivant la version de Marot et en les chantant partout indifféremment

 

 

            Mays entre toutes les prophanations, il me semble que cellecy se faict voir a travers des autres, qu'es temples, publiquement et tout par tout, aux champs, aux boutiques, on chante la rimaillerie de Marot comme Psalmes de David. La seule insuffisance de l'autheur, qui n'estoit qu'un ignorant, la lasciveté de laquelle il tesmoigne par ses escritz, sa vie tes prophane et qui n'avoit rien moins que du Chrestien, meritoit qu'on luy refusast la frequentation de l'eglise ; et neanmoins son nom et ses psalmes sont comme sacrés en vos eglises, et les chante l'on parmi vous autres comme s'ilz estoyent de David : la ou, qui ne voit combien est violëe la sacrëe Parole ? car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu'on suyve la proprieté des motz de l'Escriture, mais y mesle l'on du sien pour rendre le sens parfaict et comble, et a esté necessaire a cest ignorant rimeur de choisir un sens la ou il y en pouvoyt avoir plusieurs. Et quoy ? n'est ce pas une prophanation et violation extreme d'avoir laissé a ceste cervelle esventëe un jugement de si grande consequence, et puys suivre aussy estroittement le triage d'un basteleur, es prieres publiques, comm'on fit jamais jadis l'interpretation des 70, qui furent si particulierement assistés du Saint Esprit ? combien de motz, combien de sentences couche il la dedans, qui ne furent jamais en l'Escriture ; c'est bien autre que de prononcer mal scibolleth. Toutefois, on sçait bien quil ni a rien qui ayt tant chatouillé ces curieux, et surtout les femmes, que ceste authorité de [185] chanter en l'eglise et assemblëe. Certes, nous ne refusons pas a personne de chanter avec le chœur, modestement et decemment ; mays il semble plus convenable que les ecclesiastiques et deputés chantent pour l'ordinaire, comm'il fut faict a la dedicace du Temple de Salomon, 2 Parai. 7. v. 6. O que l'on se plaict a faire voir sa voix es eglises : mays vous trahit on pas en ces chantemens qu'on vous faict faire ? Je n'ay ni la commodité ni le loysir de poursuivre le reste ; quand vous cries ces vers du Psalme 8., ut sup.

            Et quand a ceste façon de faire chanter indifferemment, en tous lieux et en toutes occupations, les Psalmes, qui ne voit que c'est un mespris de religion ? N'est ce pas offencer la Majesté divine, de luy parler avec des paroles tant exquises comme celles des Psalmes sans aucune reverence ni attention ? dire des prieres par voye d'entretien, n'est ce pas se mocquer de Celuy a qui on parle ? Quand on voit, ou a Geneve ou ailleurs, un garçon de boutique se jouer au chant de ces Psalmes, et rompre le fil d'une tres belle priere pour dire, Monsieur, que vous plaict il ? ne connoist on pas bien qu'il faict un accessoire du principal, et que ce n'est sinon pour passetems quil chante ceste divine chanson, quil croit neantmoins estre du Saint Esprit ? Ne faict il pas bon voir ces cuysiniers chanter les Psalmes de la Pœnitence de David, et demander a chasque verset le lart, le chapon, la perdrix ? « Ceste voix, » dict des Montaignes, « est trop divine pour n'avoir autre usage que d'exercer les poulmons et plaire aux oreilles. » Je confesse qu'en particulier tous lieux sont bons a prier et toute contenance qui n'est pas peché, pourveu qu'on prie d'esprit, par ce que Dieu voit l'interieur, auquel gist la principale substance de l'orayson ; mays je crois que qui prie en publiq doit faire demonstration exterieure de la reverence que les paroles propres quil profere demandent ; autrement il scandalize le prochain, qui n'est pas tenu de penser quil ayt [186] de la religion en l'interieur, voyant le mespris en l'exterieur.

            Je tiens, donques, que tant pour chanter comme Psalmes divins ce qui est bien souvent fantasie de Marot, que pour le chanter irreveremment et sans respect, on peche tressouvent, en vostre tant reformëe eglise, contre ceste parole, Spiritus est Deus, et eos qui adorant eum in spiritu et veritate oportet adorare : car, outre ce qu'en ces psalmes vous attribues au Saint Esprit bien souvent les conceptions de Marot, contre la verité, la bouche aussy crie, par mi les rues et cuysines, o Seigneur, o Seigneur, que le cœur ni l'esprit n'y sont point, mays au traffiq et au gain ; et, comme dict Isaïe, vous vous eslances de bouche vers Dieu, et le glorifies de vos levres, mays vostre cœur est bien loin de luy, et vous le craignes selon les commandemens et doctrines des hommes. Pour vray, cest inconvenient de prier sans devotion arrive bien souvent aux Catholiques, mais ce n'est pas par l'adveu de l'Eglise, et je ne reprens pas maintenant les particuliers de vostre parti, mais le cors de vostre [église,] laquelle par ses traductions et libertés met en usage prophane ce qui devroit estre en tres grande reverence.

            Au chapitre 14 de la 1. aux Corinthiens, Mulieres in ecclesia taceant semble s'entendre aussy bien des cantiques que du reste : nos religieuses sunt in oratorio, non in ecclesia. [187]

 

 

 

Article X. De la prophanation des Escritures par la facilité qu'ilz prætendent estre en l'intelligence de l'Escriture

 

 

            L'imagination doit avoir grande force sur les entendemens huguenotz, puys qu'elle vous persuade si fermement ceste grande absurdité, que les Escritures sont aysëes a chacun, et que chacun les peut entendre : et de vray, affin de produire les traductions vulgaires avec honneur, il failloit bien parler ainsy. Mays dites la verité ; penses vous que la chose aille ainsy ? les trouves vous si aysëes ? les entendes vous bien ? si vous le penses, j'admire vostre creance, qui est non seulement sur l'experience, mays contre ce que vous voyes et sentes. Sil est ainsy, que l'Escriture soit si aysëe a entendre, a quoy faire tant de commentaires des Anciens et tant de commenteries de vos ministres ? a quel propos tant d'harmonies, et a quoy faire ces escoles de theologie ? Il ne faut, ce vous dit on, que la doctrine de la pure Parolle de Dieu en l'Eglise. Mays ou est ceste Parole de Dieu ? en l'Escriture ; et l'Escriture est ce quelque chose de secret ? non pas, ce dit on, aux fideles : a quoy faire donq ces interpreteurs, ces prædicans ? si vous estes fideles, vous y entendres autant qu'eux ; renvoyes les aux infideles, et gardes seulement quelques diacres pour vous donner le morceau de pain et verser le vin de vostre souper ; si vous pouves vous repaistre vous mesmes au champ de l'Escriture, qu'aves vous a faire de pasteurs ? quelque jeun'innocent et pur enfant qui sçaura lire en fera bien la rayson. Mays d'ou vient ceste discorde, si frequente et irreconciliable, qui est entre vous autres freres en Luther, sur ces seules paroles, Cecy est mon cors, et sur le point de la justification ? [188] Certes, saint Pierre n'est pas de vostre advis, qui admoneste, en sa 2. Epistre, que és Epistres de saint Pol il y a certains traictz difficiles, que les ignorans et remuans depravent, comme le reste de l'Escriture, a leur propre malheur. L'eunuche tresorier general d'Ethiopie estoyt bien fidele, puysqu'il estoit venu adorer au Temple de Hierusalem ; il lisoyt Isaïe, il entendoit bien les paroles, puys quil demandoit de quel Prophete s'entendoit ce quil avoit leu ; neantmoins il n'en avoit pas l'intelligence ni l'esprit, comme luy mesme confessoit : Et quomodo possum si non aliquis ostenderit mihi ? Non seulement il n'entend pas, mays confesse de ne le pouvoir sil n'est enseigné ; et nous verrons une lavandiere se vanter d'entendre aussy bien l'Escriture que saint Bernard. Ne connoisses vous pas l'esprit de division ? il faut s'asseurer que l'Escriture est aysëe, affin que chacun la tirasse, qui ça qui la, que chacun en face le maistre, et qu'elle serve aux opinions et fantasies d'un chacun. Certes, David la tenoyt pour malaysëe, quand il disoit : Da mihi intellectum ut discam mandata tua. Si on vous a laissé l'epistre de saint Hierosme, ad Paulinum, devant vos bibles, lises la ; car il empoigne ceste cause tout expres. Saint Augustin en parle en mille lieux, mais sur tout en ses Confessions ; en l'epistre 119 il confesse d'ignorer beaucoup plus en l'Escriture quil n'y sçait. Origene et saint Hierosme, celluyla en sa præface sur les Cantiques, celluyci en la sienne sur Ezechiel, recitent quil n'estoit pas permis aux Juifz devant l'aage de 30 ans, lire les 3 premiers chapitres de Genese, le commencement et la fin d'Ezechiel ni les Cantiques des Cantiques, pour la profondité de leur difficulté, en laquelle peu de gens peuvent nager sans s'y perdre ; et maintenant chacun en parle, chacun en juge, chacun s'en faict accroire.

            Or, combien soit grande la prophanation de ce costé personne ne le pourroit suffisamment penser qui ne [189] l'auroit veu : pour moy je diray ce que je sçay, et ne mens point. J'ay veu un personnage en bonne compaignie, auquel estant objectëe a un sien devis la sentence de Nostre Seigneur, Qui percutit te in maxillam, præbe ei et alteram, l'entendit incontinent en ce sens, que comme [pour] flatter un enfant qui estudie bien, on luy met legerement a petitz coups la main a la joue pour l'inciter a mieux, ainsy vouloit dire Nostre Seigneur, a qui te trouvera bien faysant et t'y consolera, fais si bien qu'il ait occasion a l'autre fois de consoler davantage et te flatter ou amadouer des deux costés. Ne voyla pas un beau sens et rare ? mays la rayson estoit encores plus belle, par ce qu'a l'entendre autrement ce seroit contre nature, et qu'il faut interpreter l'Escriture par l'Escriture, ou nous trouvons que Nostre Seigneur n'en fit pas de mesme quand le serviteur le frappa : c'est le fruict de vostre triviale theologie. Homme de bien, et qui a mon advis ne voudroit pas mentir, m'a raconté quil a ouy un'ministre en ce pais, traittant de la Nativité de Nostre Seigneur, asseurer quil n'estoit pas né en une creche, et exposer le texte, qui est expres au contraire, paraboliquement, disant : Nostre Seigneur dict bien quil est la vigne, et il ne l'est pas pour cela, de mesme, encor quil soit dict quil est né en une creche, il ny est pas né pour cela, mais en quelque lieu honnorable, qui en comparaison de sa grandeur se pouvoit appeller creche. La couleur de cest'interpretation me faict encor plus croire l'homme qui me l'a dict, car estant simple et sans sçavoir lire, a grand peyne quil l'eut controuvëe. C'est chose tres étrange de voir comme ceste suffisance prætendue faict prophaner l'Escriture.

 

            Hic adscribenda sunt ea verba c. 35 Vincentii Lirinensis : Nam videas eos, etc. Cecy n'est ce pas [190] faire ce que dict Dieu en Ezechiel, 34, v. 18 : Nonne satis vobis erat pascua bona depasci ? insuper et reliquias pascuarum vestrarum conculcastis pedibus.

            Ad hoc signum ☼ addendum est caput de prophanatione per Psalmos Davidis versibus redditos.

 

 

 

Article XI. Responce aux objections, et conclusion de ce premier article

 

 

            S'ensuyt ce que vous allegues pour vostre defence. Saint Pol semble vouloir qu'on face le service en langue intelligible, aux Corinthiens. Vous verres que pour cela il ne veut pas qu'on diversifie le service en toutes sortes de langages, mais seulement que les exhortations et cantiques qui se faysoyent par le don des langues soyent interpretés, affin que l'eglise ou on se trouve sache que l'on dict : Et ideo, qui loquitur lingua, oret ut interpretetur. Il veut donques que les louanges qui se faysoyent en Corinthe se fissent en Grec, car, puys quilz se faysoyent non ja comme services ordinaires, mays comme cantiques extraordinaires de ceux qui avoyent ce don, pour consoler le peuple, il estoyt raysonnable quilz se fissent en langue intelligible, ou que on les eust interpreté sur le champ ; ce quil semble monstrer quand plus bas il dict : Si ergo conveniat universa ecclesia in unum, et omnes linguis loquantur, intrent autem idiotæ aut infideles, nonne dicent quod insanitis ? et plus bas : [191] Sive lingua quis loquitur, secundum duos aut ut multum tres, et per partes, et unus interpretetur ; si autem non fuerit interpres, taceat in ecclesia, sibi autem loquatur et Deo. Qui ne voit quil ne parle pas des offices solemnelz en l'eglise, qui ne se faysoyent que par le pasteur, mays des cantiques qui se faysoyent par le don des langues, quil vouloyt estre entenduz ; car, de vray, ne l'estans pas, cela detournoyt l'assemblëe et ne servoit de rien. Or de ces cantiques parlent plusieurs Peres, mays entr'autres Tertulien, lequel deduysant la sainteté des agapes ou charités des Anciens dict : Post manualem aquam et lumina, ut quisque de Scripturis Sanctis vel de proprio ingenio potest, provocatur in medium Deo canere.

            Obj. Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum : cela s'entend de ceux qui chantent et prient, en quel langage que ce soit, et parlent de Dieu par maniere d'acquit, sans reverence et devotion ; non de ceux qui parlent un langage a eux inconneu mays conneu a l'Eglise, et neanmoins ont le cœur ravi en Dieu.

            Obj. Es Actes des Apostres on louoit Dieu en toutes langues : aussy faut il, mays es offices universelz et catholiques il y faut une langue universelle et catholique ; hors de la, que toute langue confesse que le Seigneur Jesus est a la dextre de Dieu le Pere.

            Au Deuteronome est il pas dict que les commandemens de Dieu ne sont pas secretz ni celés ? et le Psalmiste dict il pas : Præceptum Domini lucidum ; Lucerna pedibus meis Mot tuum ? Tout cela va bien, mays il s'entend estant prechëe et expliquëe et bien entendue, car, Quomodo credent sine prædicante ? et tout ce que David grand prophete a dict, ne doit estre tiré en consequence sur un chacun.

            Mays on m'objecte a tous propos : ne dois je pas chercher la viande de mon ame et mon salut ? pauvre homme, qui le nie ? mays si chacun va aux pasturages comme les vielles oÿes, a quoy faire les bergers ? cherche les pastiz, mays avec ton pasteur. Se mocqueroit [192] on pas du malade qui voudroit chercher sa santé en Hipocrate sans l'ayde du medecin ? ou de celuy qui voudroit chercher son droit en Justinien sans s'addresser au juge ? Cherchez, luy diroit on, vostre santé, mais par le moyen des medecins ; et vous, cherchez vostre droit et le procurez, mais par les mains du magistrat. Quis mediocriter sanus non intelligat Scripturarum expositionem ab iis esse petendam qui earum sunt doctores ? dict saint Augustin. Quoy ? si personne ne trouve son salut que qui sçait lire les Escritures, que deviendront tant de pauvres idiotz ? certes, ilz trouvent et cherchent leur salut asses suffisamment, quand ilz apprennent de la bouche du pasteur le sommaire de ce qu'il faut croire, esperer, aymer, faire et demander a Dieu. Croyes qu'encores selon l'esprit il est veritable ce que disoit le Sage : Melior est pauper ambulans in simplicitate sua quam dives in pravis itineribus ; et ailleurs : Simplicitas justorum diriget eos ; et : Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter. Ou je ne voudrois pas dire quil ne faille prendre peyne d'entendre, mays seulement qu'on ne se doit pas penser de trouver de soymesme son salut ni son pasturage, sans la conduicte de qui Dieu a constitué pour cest effect, selon le mesme Sage : Ne innitaris prudentiæ tuæ ; et, Ne sis sapiens apud temetipsum : ce que ne font pas ceux qui pensent en leur seule suffisance connoistre toute sorte de misteres, sans observer l'ordre que Dieu a establi, qui en a faict entre nous les uns docteurs et pasteurs, non tous, et un chacun pour soymesme. Certes, saint Augustin trouva que saint Anthoyne, homme indocte, ne layssoit pas de sçavoir le chemin de Paradis, et luy avec sa doctrine en estoit bien loin alhors, parmi les erreurs des Manicheens.

            Mays j'ay quelques tesmoignages de l'antiquité et quelques exemples signalés, que je vous veux laysser a la fin de cest article pour sa conclusion. [193]

            Saint Augustin : Admonenda fuit charitas vestra confessionem non esse semper vocem peccatoris ; quia mox ut hoc Mot sonuit [in ore] lectoris, secutus est etiam sonus tunsionis pectoris vestri. Audito, scilicet, quod Dominus ait, Confiteor tibi, Pater, in hoc ipso quod sonuit Confiteor, pectora vestra tutudistis : tundere autem pectus quid est, nisi arguere quod latet in pectore, et evidenti pulsu occultum castigare peccatum ? quare hoc fecistis, nisi quia audistis, Confiteor tibi, Pater ? Confiteor audistis, quis est qui confitetur non attendistis ; nunc ergo advertite. Voyes vous comme le peuple oyoyt la leçon publique de l'Evangile, et ne l'entendoit pas, sinon ce mot, Confiteor tibi, Pater ? qu'il entendoit par coustume, par ce qu'on le disoit tous au commencement de la Messe, comme nous faysons maintenant : c'est sans doute que la leçon s'en faysoit en Latin, qui n'estoit pas leur langage vulgaire.

            Mays qui veut voir le conte que les Catholiques font de la Sainte Escriture et le respect quilz luy portent, quilz admirent le grand cardinal Borromëe, lequel n'estudioit jamais sur les Saintes Escritures sinon a genoux, luy semblant quil oyoyt parler Dieu en icelles, et que telle reverence estoit deüe a une si divine audience. Jamais peuple ne fut mieux instruict, selon la malice du tems, que le peuple de Milan sous le cardinal Borromëe ; mays l'instruction du peuple ne vient pas a force de tracasser les saintes Bibles, et lisotter ceste divin'Escriture, ni chanter ça et la en forme de fantasies les Psalmes, ains de les manier, lire, ouyr, chanter et prier avec apprehension vive de la majesté de Dieu a qui on parle, de qui on lit ou escoute on la Parole, tousjours avec ceste præface de l'ancienn'Eglise, Sursum corda.

            Ce grand amy de Dieu, saint François, a la glorieuse et tressainte memoyre duquel on celebroit hier par tout le monde feste, nous monstroit un bel exemple de [194] l'attention et reverence avec laquelle on doit prier Dieu. Voyci ce qu'en raconte le saint et fervent docteur de l'Eglise, saint Bonaventure : Solitus erat vir sanctus horas canonicas non minus timorate persolvere quam devote ; nam licet oculorum, stomachi splenis et hepatis ægritudine laboraret, nolebat muro vel parieti inhærere dum psalleret, sed horas semper erectus et sine caputio, non gyrovagis oculis nec cum aliqua syncopa persolvebat ; si quando esset in itinere constitutus figebat tunc temporis gressum, hujusmodi consuetudinem reverentem et sacram propter pluviarum inundantiam non omittens ; dicebat enim : si quiete comedit corpus cibum suum, futurum cum ipso vermium escam, cum quanta pace et tranquillitate accipere debet anima cibum vitæ ?

 

 

 

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Chapitre II. Que l'Eglise des prætenduz a violé les Traditions Apostoliques, 2e Règle de la foy chrestienne

 

 

 

Article premier. Que c'est que nous entendons par Tradition Apostolique

 

 

            Voicy les paroles du saint Concile de Trente, parlant de la verité et discipline Chrestienne Evangelique : Perspiciens (sancta Sinodus) hanc veritatem et disciplinant contineri in Libris scriptis et sine scripto Traditionibus, quæ ab ipsius Christi ore ab Apostolis acceptæ, aut ab ipsis Apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditæ, ad nos usque pervenerunt ; orthodoxorum Patrum exempla secuta, omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, cum utriusque unus Deus sit auctor, nec non Traditiones ipsas, tum ad fidem tum ad mores pertinentes, tanquam vel oretenus a Christo vel a Spiritu Sancto dictatas, et continua successione in Ecclesia Catholica servatas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur. Voyla, a la verité, un decret digne d'une assemblëe qui puysse dire, [196] Visum est Spiritui Sancto et nobis ; car il ny a presque mot qui ne porte coup sur les adversaires et ne leur leve tous armes du poingt.

            Car, dequoy leur proufitera meshuy de crier : In vanum colunt me, docentes mandata et doctrinas hominum. Irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram. Ne intendas fabulis Judaicis. Æmulator existens paternarum mearum traditionum. Videte ne quis vos decipiat per philosophiam et inanem fallaciam, secundum traditionem hominum. Redempti estis de vana vestra conversatione paternæ traditionis ? Tout cecy n'est point a propos ; puysque le Concile proteste clairement que les Traditions quil reçoit ne sont ni traditions ni doctrines des hommes, ains, quæ ab ipsius Christi ore ab Apostolis acceptæ, vel ab ipsis Apostolis, Spiritu Sancto dictante, quasi per manus traditæ, ad nos usque pervenerunt : ce sont donques Parole de Dieu, doctrine du Saint Esprit, non des hommes. En quoy vous verres arrester quasi tous vos ministres, faysans des grandes harangues pour monstrer quil ne faut mettre en comparayson la tradition humayne avec l'Escriture ; mays a quel propos tout cela, sinon pour enjoler les pauvres auditeurs ? car jamais nous ne dismes cela.

            En cas pareil ilz produysent contre nous ce que saint Pol disoit a son bon Timothëe : Omnis scriptura divinitus inspirata utilis est ad docendum, ad corripiendum, ad erudiendum in justitia, ut perfectus sit homo Dei, ad omne bonum opus instructus. A qui en veulent ilz ? c'est une querelle d'Allemand. Qui nie la tres excellente utilité de l'Escriture, sinon les huguenotz qui en levent des plus belles pieces comme vaynes ? Elles sont tres utiles, certes ; ce n'est pas une petite faveur que Dieu nous a faict de les nous conserver parmi tant de persecutions : mays l'utilité de l'Escriture ne rend pas les saintes Traditions inutiles, nom plus que l'usage d'un œïl, d'une jambe, d'une oreille, d'une main, ne rend pas l'autre inutile ; [197] dont le Concile dict : Omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, nec non Traditiones ipsas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur. Belle façon de raysonner : la foy proufite, donques les oeuvres ne proufitent de rien.

            De mesme : Multa quidem et alia signa fecit Jesus quæ non sunt scripta in libro hoc ; hæc autem scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius [Dei], et ut credentes vitam habeatis in nomine ejus : donques il ny a rien autre a croire que cela ; belle consequence ! Nous sçavons bien que Quæcumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt ; mays cela empechera il que les Apostres præchent ? Hæc scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius Dei ; mays cela ne suffit pas, car, quomodo credent sine prædicante ? Les Escritures sont donnees pour nostre salut, mays nompas les Escritures seules, les Traditions y ont encor place : les oyseaux ont l'aisle droite pour voler ; donques l'aysle gauche ny sert de rien ? ains l'une ne va pas sans l'autre. Je laysse a part les responces particulieres, car saint Jan ne parle que des miracles quil avoyt a escrire, quil tient suffire pour prouver la divinité du Filz de Dieu.

            Quand ilz produysent ces paroles, Non addetis ad Mot quod ego præcipio vobis, nec auferetis ab eo ; Sed licet nos aut angelus de cælo evangelizet vobis præterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit, ilz ne disent rien contre le Concile, qui dict expressement que la doctrine Evangelique ne consiste pas seulement es Escritures, mays encores es Traditions. L'Escriture donques est Evangile, mais nom pas tout l'Evangile, car les Traditions sont l'autre partie : qui enseignera donques outre ce qu'ont enseigné les Apostres, maudict soit il ; mays les Apostres ont enseigné par escrit et par Tradition, et tout est Evangile. Que si vous consideres de pres comme le Concile apparie les Traditions aux Escritures, vous verres quil ne reçoit point de Tradition contraire a l'Escriture ; car il reçoit la Tradition et l'Escriture avec [198] pareil honneur, parce que l'une et l'autre sont ruysseauz tres doux et purs, qui sont partis d'une mesme bouche de Nostre Seigneur, comme d'une vive fontayne de sapience, et partant ne peuvent estre contraires, ains sont de mesme goust et qualité, et se joignans ensemble arrousent gayement cest arbre du Christianisme, quod fructum suum dabit in tempore suo.

            Nous appelions donques Tradition Apostolique la doctrine, soit de la foy soit des mœurs, que Nostre Seigneur a enseignëe de sa propre bouche ou par la bouche des Apostres ; laquelle n'estant point escritte es Livres canoniques, a esté ci devant conservëe jusqu'a nous comme passant de main en main, par continuelle succession de l'Eglise : en un mot, c'est la Parole de Dieu vivant, imprimëe non sur le papier mais dans le cœur de l'Eglise seulement. Et ny a pas seulement Tradition des ceremonies, et de certain ordre exterieur arbitraire et de bienseance, mays, comme dict le saint Concile, en doctrine qui appartient a la foy mesme et aux mœurs ; quoy que, quand aux Traditions des mœurs, il y en a qui nous obligent tres étroittement, et d'autres qui ne nous sont proposëes que par conseil et bienseance, et cellescy n'estans observëes ne nous rendent pas coulpables, pourveu qu'elles soyent approuvëes et prisëes comme saintes, et ne soyent mesprisëes.

 

 

 

Article II. Qu'il y a des Traditions Apostoliques en l'Eglise

 

 

            Nous confessons que la tressainte Escriture est tres excellente et tres utile ; elle est escrite affin que nous croyons ; rien ne luy peut estre contraire que le mensonge et l'impieté : mays pour establir ces verités il ne faut pas rejetter cellecy, a sçavoir, que les Traditions [199] sont tres utiles ; donnees affin que nous croyons ; rien ne leur est contraire que l'impieté et le mensonge ; car pour establir une verité il ne faut jamais destruire l'autre. L'Escriture est utile pour enseigner ; apprenes donques de l'Escriture mesme quil faut recevoir avec honneur et creance les saintes Traditions. S'il ne faut rien adjouster a ce que Nostre Seigneur a commandé, ou est ce quil a commandé qu'on condamnast les Traditions Apostoliques ? pourquoy adjoustes vous cecy a ses paroles ? ou est ce que Nostre Seigneur l'a jamais enseigné ? que tant s'en faut quil ait jamais commandé le mespris des Traditions Apostoliques, que jamais il ne mesprisa aucune tradition du moindre prophete du monde : coures tout l'Evangile, et vous n'y verres censurëes que les traditions humaynes et contraires a l'Escriture. Voyes la Nouvelle 146. Que si Nostre Seigneur ni ses Apostres ne l'ont jamais escrit, pourquoy nous evangelises vous ces choses cy ? au contraire, il est defendu de lever rien de l'Escriture, pourquoy voules [vous] lever les Traditions, qui y sont si expressement authentiquëes ?

            N'est ce pas la Saint'Escriture de saint Pol qui dict, Itaque, fratres, tenete traditiones quas accepistis, sive per sermonem sive per epistolam ? Hinc patet quod non omnia per epistolam tradiderunt Apostoli, sed multa etiam sine literis ; eadem vero fide digna sunt tam ista quam illa, dict saint Chrysostome, en son commentaire sur ce lieu. Ce que saint Jan mesme confirme : Multa habens scribere vobis, nolui per chartam et atramentum ; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui ; c'estoyent choses dignes d'estre escrites, neanmoins il ne l'a pas faict, mays les a dites, et au lieu d'Escriture en a faict Tradition.

            Formam habe sanorum verborum, quæ a me audisti : bonum depositum custodi, disoit saint Pol a son Timothee ; n'estoit ce pas luy recommander la Parole Apostolique non escritte ? et cela s'appelle Tradition. Et plus bas : Quæ audisti a me per [200] multos testes, hæc commenda fidelibus hominibus, qui idonei erunt et alios docere. Qu'y a il de plus clair pour la Tradition ? Voyla la forme : l'Apostre parle, les tesmoins le rapportent, saint Timothëe le doit enseigner a d'autres, et ceux la aux autres ; voyla pas une sainte substitution et fidecommis spirituel ?

            Le mesm'Apostre loue il pas les Corinthiens de l'observation des Traditions ? Quod per omnia, dict, mei memores estis, et sicut tradidi vobis præcepta mea servatis. Si c'estoit en la seconde des Corinthiens, on pourroit dire que par ses commandemens il entend ceux de la premiere, quoy que le sens y seroit forcé (mays a qui ne veut marcher tout ombre sert), mays cecy est escrit en la premiere ; il ne parle pas d'aucun Evangile, car il ne l'appelleroit pas præcepta mea : qu'estoit ce donques sinon une doctrine Apostolique non escritte ? cela nous l'appelions Tradition.        Et quand a la fin il leur dict, Cætera cum venero disponam, il nous laysse a penser quil leur avoyt enseigné plusieurs choses bien remarquables, et neanmoins nous n'en avons aucun escrit ailleurs : sera il donq perdu pour l'Eglise ? non certes, mais est venu par Tradition, autrement l'Apostre ne l'eust pas envié a la posterité et l'eust escrit.

            Et Nostre Seigneur dict : Multa habeo vobis dicere quæ non potestis portare modo. Je vous demande, quand leur dict il ces choses quil avoit a leur dire ? pour vray, ou ce fut apres sa resurrection les 40 jours quil fut avec eux, ou par la venue du Saint Esprit ; mais que sçavons nous que c'est quil comprenoit sous ceste parole, Multa habeo, et si tout est escrit ? il est bien dict quil fut 40 jours avec eux, les enseignant du royaume des cieux, mays nous n'avons ni toutes ses apparitions ni ce quil leur disoit en icelles. [201]

 

 

 

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Chapitre III. Que les Ministres ont violé l'authorité de l'Eglise, 3e Règle de nostre foy

 

 

 

Article premier. Que nous avons besoin de quelqu'autre Regle, outre la Parole de Dieu

 

 

            Quand Absalon voulut une fois faire faction contre son bon pere, il s'assit pres de la porte au chemin, et disoit aux passans : Il ny a personne constitué du Roy pour vous ouir, hé, qui me constituera juge sur terre, afin que qui aura quelque negotiation vienne a moy et que je juge justement ? ainsy sollicitoit il le courage des Israelites. Mays combien d'Absalons se sont trouvez en nostre aage, qui, pour seduyre et distraire les peuples de l'obeissance de l'Eglise, et solliciter les Chrestiens a revolte, ont crié sur les advenues d'Allemaigne et de France : il ny a personne qui soit establi du Seigneur pour ouyr et resouvre des differens sur la foy et religion ; l'Eglise n'y a point de pouvoir. Quicomque tient ce langage, Chrestiens, si vous le consideres bien vous verres quil veut estre [202] juge luy mesme, quoy quil ne le die pas a descouvert, plus rusé qu'Absalon.

            J'ay veu un des plus recens livres de Theodore de Beze, intitulé, Des vrayes, essentielles et visibles marques de la vraÿe Eglise Catholique : il me semble quil vise la dedans a se rendre juge, avec ses collateraux, de tout le different ou nous sommes. Il dict que la conclusion de tout son discours est « que le vray Christ est la seule, vraye et perpetuelle marque de l'Eglise Catholique, entendant du vray Christ tel, » dict il, « quil s'est tres parfaittement declaré dés le commencement, tant es escritz prophetiques qu'apostoliques, en ce qui appartient a nostre salut ; » plus bas il dict : « Voyla ce que j'avois a dire sur la vraye, unique et essentielle marque de la vraÿe Eglise, qui est la Parole escritte prophetique et apostolique, bien et deuement administrëe ; » et plus haut il avoit confessé quil y avoit des grandes difficultés es Escrittures Saintes, mays « nom pas es pieces qui touchent a nostre creance. » A la marge il met cest advertissement, quil a mis quasi par tout le texte : « L'interpretation de l'Escritture ne se doit puyser d'ailleurs que de l'Escritture mesme, en conferant les passages les uns avec les autres, et les rapportant a l'analogie de la foy ; » et en l'Epistre au Roy de France : « Nous demandons qu'on s'en rapporte aux Saintes Escrittures canoniques, et que, sil y a doute sur l'interpretation d'icelles, la convenance et le rapport qui doit estre tant entre les passages de l'Escriture qu'entre les articles de la foy en soyent juges. » Il y reçoit « les Peres, avec tout autant d'authorité quilz se trouveront de fondement es Escrittures ; » il poursuit : « Quand au point de la doctrine, nous ne sçaurions appeller a aucun juge non reprochable qu'au Seigneur mesme, qui a declaré tout son conseil touchant nostre salut par les [Apostres] et [203] Prophetes. » Il dict encores quilz sont « ceux qui n'ont desavoüé ni voudroyent desavoüer un seul Concile digne de ce nom, general ni particulier, ancien ni plus recent, » (notés) « pourveu, » dict il, « que la pierre de touche, qui est la Parole de Dieu, en face l'espreuve. »

            Voyla, en un mot, ce que veulent tous tant quil y a de reformayres, qu'on prenne l'Escriture pour juge. Mays a cela nous repliquons, Amen : mays nous disons que nostre different n'est pas la ; c'est qu'es differens que nous aurons sur l'interpretation, et qui s'y trouveront de deux motz en deux motz, nous avons besoin d'un juge. Ilz respondent, quil faut juger des interpretations de l'Escriture conferant passage avec passage et le tout au Simbole de la foy. Amen, amen, disons nous ; mais nous ne demandons pas comment on doit interpreter l'Escriture, mays qui sera le juge : car, apres avoir conferé les passages aux passages et le tout au Simbole de la foy, nous trouvons que par ce passage, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi non prævalebunt ; et tibi dabo claves regni cælorum, saint Pierre a esté chef ministerial et supreme œconome en l'Eglise de Dieu ; vous dites, de vostre costé, que ce passage, Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic, ou cest autre (car ilz sont tous si foibles que je ne sçay pas lequel vous peut estre fondemental), Nemo potest aliud fundamentum ponere, etc., conferé avec les autres passages et a l'analogie de la foy, vous faict detester un chef ministerial : nous suyvons tous deux un mesme chemin en la recherche de la verité de ceste question, a sçavoir, sil y a en l'Eglise un vicaire general de Nostre Seigneur, et neantmoins je suys arrivé en l'affirmative, et vous, vous estes logés en la negative ; qui jugera plus de nostre different ? || Certes, qui s'addressera a Theodore de Beze, il dira que vous aves mieux discouru que moy, mays ou se fondera il en ce jugement, sinon sur ce quil luy semble ainsy, selon le præjugé quil en a faict il y a si long tems ? et [204] quil dise ce quil voudra, car qui l'a establi juge entre vous et moy ? ||

            C'est icy le gros de nostre affaire, Chrestiens ; connoisses, je vous prie, l'esprit de division. On vous renvoye a l'Escriture ; nous y sommes devant que vous fussies au monde, et y trouvons ce que nous croyons, clair et net. Mays il la faut bien entendre, adjustant les passages aux passages, le tout au Simbole ; nous sommes en ce train il y a quinze centz ans et passent. Vous vous y trompes, respond Luther. Qui vous l'a dict ? l'Escriture. Quelle Escriture ? telle et telle, ainsy conferëe et appariëe au Simbole. Au contrayre, dis je, c'est vous, Luther, qui vous trompes ; l'Escriture me le dict en tel et tel passage, bien joint et adjusté a telle et telle piece de l'Escriture et aux articles de la foy. Je ne suys pas en doute sil faut adjouster foy a la sainte Parole ; qui ne sçait qu'elle est au supreme grade de certitude ? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de ceste Escriture, ce sont les consequences et conclusions qu'on y attache, lesquelles estans diverses, sans nombre et contraires bien souvent sur un mesme sujet, ou chacun prend parti, qui d'un costé qui d'autre, qui me fera voir la verité au travers de tant de vanités ? qui me fera voir ceste Escriture en sa naifve couleur ? car le col de ceste colombe change autant d'apparences que ceux qui le regardent changent de postures et distances. L'Escriture est une tres sainte et tres infallible pierre de touche ; toute proposition qui soustient cest essay je la tiens pour tres loyale et franche. Mays quoy, quand j'ay en main ceste proposition, le cors naturel de Nostre Seigneur est realement, substantiellement et actuellement au Saint Sacrement de l'autel ? Je la fays toucher, a tous biays et de tous costés, a l'expresse et tres pure Parolle de Dieu et au Simbole des Apostres ; [205] il ny a point d'endroit ou je ne la frotte cent fois si vous voules, et quand plus je regarde, tousjours je la reconnoys de plus fin or et de plus franc metail. Vous dites qu'en ayant faict de mesme vous y trouves du faux ; que voules vous que je face ? tant de maistres l'ont maniëe cy devant, et tous ont faict mesme jugement que moy, et avec tant d'asseurance quilz ont forclos, es assemblëes generales du mestier, quicomque y a voulu contredire : mon Dieu, qui nous mettra hors de doute ? Il ne faut plus dire la pierre de touche, autrement on dira, In circuitu impii ambulant : il faut que ce soit quelqu'un qui la manie, et face la preuve luymesme de la piece, puys, qu'il en face jugement, et que nous le subissions, et l'un et l'autre, sans plus contester ; autrement chacun en croira ce quil luy plaira. Prenes garde ; avec ces parades nous tirons l'Escriture apres nos fantasies, nous ne la suyvons pas. Si sal evanuerit, in quo salietur ? si l'Escriture est le sujet de nostre different, qui la reglera ?

            Ah, quicomque dict que Nostre Seigneur nous a embarqués en son Eglise, a la mercy des ventz et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui s'entende parfaittement en l'art nautique sur la charte et la bussole, il dict quil nous veut perdre. Quil y ayt mis la plus excellente bussole et la charte la plus juste du monde, mays dequoy sert cela si personne n'a le sçavoir d'en tirer quelque regle infallible pour conduire le navire ? dequoy servira il quil y ait un tresbon timon, sil ny a un patron pour le mouvoir a la mesure qu'enseignera la charte ? mays sil est permis a chacun de le tourner au fil que bon luy semblera, qui ne void que nous sommes perdus ? Ce n'est pas l'Escriture qui a besoin de regle ni de lumiere estrangere, comme Beze pense que nous croyons ; ce sont nos gloses, nos consequences, intelligences, interpretations, conjectures, additions et autres semblables mesnages du cerveau de l'homme, qui ne pouvant demeurer coy s'embesoigne [206] tousjours a nouvelles inventions : ni moins voulons nous un juge entre Dieu et nous, comm'il semble quil veuille inferer en son Epistre ; c'est entr'un homme tel que Calvin, Beze, Luther, et entr'un autre tel que Echius, Fischer, Morus ; car nous ne demandons pas si Dieu entend mieux l'Escriture que nous, mays si Calvin l'entend mieux que saint Augustin ou saint Cyprien. Saint Hilaire dict tresbien : De intelligentia hæresis est, non de Scriptura, et sensus, non sermo, fit crimen ; et saint Augustin : Non aliunde natæ sunt hæreses nisi dum Scripturæ bonæ intelliguntur non bene, et quod in eis non bene intelligitur etiam temere et audacter asseritur. C'est le vray jeu de Michol, de couvrir une statue faitte a poste dans le lict, des habitz de David ; qui regarde cela pense avoir veu David, mays il s'abuse, David ny est pas : l'heresie couvre au lict de son cerveau la statue de sa propre opinion des habitz de la Sainte Escritture ; qui voit ceste doctrine pense avoir veu la sainte Parole de Dieu, mays il se trompe, elle ny est point, les motz y sont mays non l'intelligence. Scripturæ, dict saint Hierosme, non in legendo sed in intelligendo consistunt ; sçavoir la loy n'est pas sçavoir les paroles, mays le sens.

            Et c'est icy ou je crois d'avoir fermement prouvé que nous avons besoin d'une autre Regle pour nostre foy outre la Regle de l'Escritture Sainte : Si diutius steterit mundus (dict une bonne fois Luther), iterum fore necessarium, propter diversas Scripturce interpretationes quæ nunc sunt, ut ad conservandam fidei unitatem Conciliorum decreta recipiamus, atque ad ea confugiamus ; il confesse qu'auparavant on la recevoit, et confesse que ci apres il le faudra faire. J'ay esté long, mays cecy une fois bien entendu, n'est pas un petit moyen de se resouvre a une tressainte deliberation.

            Autant en dis je des Traditions ; car si chacun veut [207] produyre des Traditions, et que nous n'ayons poinct de juge en terre, pour mettre en dernier ressort difference entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, a quoy, je vous prie, en serons nous ? L'exemple est clair : Calvin trouve recevable l'Apocalipse, Luther le nie, autant en est il de l'Epistre de saint Jaques ; qui reformera ces opinions des reformateurs ? l'une ou l'autre est mal formëe, qui y mettra la main ? Voyla une seconde necessité que nous avons d'une autre 3e Regle outre la Parole de Dieu.

            Il y a neanmoins tresgrande difference entre les premieres Regles et celle cy ; car la premiere Regle, qui est la Parole de Dieu, est Regle infallible de soy mesme, et tres suffisante pour regler tous les entendemens du monde, la seconde n'est pas proprement Regle de soymesme, mays seulement entant qu'elle applique la premiere, et qu'elle nous propose la droitture contenue en la Parole sainte : ainsy qu'on dict les loix estre une regle des causes civiles ; le juge ne l'est pas de soy mesme, puysque son jugement est obligé au reglement de la loy, neantmoins il est, et peut tresbien estre appellé, regle, par ce que l'application des loix estant sujette a varieté, quand il l'a une fois faicte il faut s'y arrester. La sainte Parole, donques, est la loy premiere de nostre foy ; reste l'application de ceste Regle, laquelle pouvant recevoir autant de formes quil y a de cerveaux au monde, nonobstant toutes analogies de la foy, encores faut il avoir une, seconde Regle pour le reglement de cest'application : il faut la doctrine, et quelqu'un qui la propose ; la doctrine est en la sainte Parole, mays qui la proposera ? Voyci comm'on deduit un article de foy : la Parole de Dieu est infallible, la Parole de Dieu porte que le Baptesme est necessaire a salut, donques le Baptesme est necessaire a salut. La premiere proposition est inevitable : nous sommes en difficulté de la 2e avec Calvin ; qui nous appointera ? qui determinera de ce doute ? si chacun a l'authorité de proposer le sens de la sainte Parole, la difficulté est immortelle ; si celuy qui a l'authorité de proposer peut [208] errer en sa proposition, tout est a refaire. Il faut donques qu'il y ait quelqu'infallible authorité, a la proposition de laquelle nous soyons obligés d'acquiescer : la Parole de Dieu ne peut errer, qui la propose ne peut errer, tout sera donques tres asseuré.

 

 

 

Article II. Que l'Eglise est une Regle infallible pour nostre foy

 

 

            Or, n'est il pas raysonnable qu'aucun particulier s'attribue cest infallible jugement sur l'interpretation ou explication de la sainte Parole ; car, a quoy en serions nous ? Qui voudroit subir le joug du jugement d'un particulier ? pourquoy plus tost de l'un que de l'autre ? quil parle tant quil voudra de l'analogie, de l'entousiasme, du Seigneur, de l'Esprit, tout cela ne pourra jamais brider tellement mon cerveau que, sil faut s'embarquer a l'adventure, je ne me jette plus tost dans le vaysseau de mon jugement que dans celuy d'un autre, quand il parleroit Grec, Hebrieu, Latin, Tartarin, Moresque et tout ce que vous voudres. S'il faut courir fortune d'errer, qui n'aymera mieux la courir a la suite de sa propre fantasie, que de s'esclaver a celle de Calvin ou Luther ? chacun donnera liberté a sa cervelle de courir a l'abandon ça et la, par les opinions tant diverses soyent elles, et de vray, peut estre rencontrera il aussy tost la verité qu'un autre. Mays c'est impieté de croire que Nostre Seigneur ne nous ayt layssé quelque supreme juge en terre, auquel nous puyssions nous addresser en nos difficultés, et qui fust tellement infallible en ses jugemens que suyvant ses decretz nous ne puyssions errer. Je soustiens que ce [209] juge n'est autre que l'Eglise Catholique, laquelle ne peut aucunement errer es interpretations et consequences qu'elle tire de la Sainte Escriture, ni es jugemens qu'elle faict sur les difficultés qui s'y presentent. Car, qui ouyt jamais deviser, etc. [210]

 

Chapitre IV. Que les Ministres ont violé l'authorité des Conciles, 4e Règle de nostre foy

 

 

 

Article premier. Et premierement des qualités d'un vray Concile

 

 

              On ne sçauroit mieux projetter un vray et saint Concile que sur le patron de celuy que les Apostres firent en Hierusalem. Or, voyons 1. qui l'assembla : et nous trouverons quil fut assemblé par l'authorité mesme des pasteurs : Conveneruntque Apostoli et seniores videre de verbo hoc. Et de vray, ce sont les pasteurs qui ont charge d'instruire le peuple, et de prouvoir a son salut par les resolutions des doutes qui surviennent touchant la doctrine Chrestienne ; les empereurs et les princes y doivent avoir zele, mais selon leur ministere, qui est par voÿe de justice, de police et de l'espëe, qu'ilz ne portent pas sans cause. Ceux donques qui voudroyent que l'Empereur eust ceste authorité, n'ont point de fondement en l'Escriture ni en la rayson ; [211] car, quelles sont les causes principales pour lesquelles on assemble les Conciles generaux, sinon pour reprimer et repouser l'heretique, le schismatique, le scandaleux, comme loups de la bergerie ? ainsy fut faicte ceste premiere assemblëe en Hierusalem pour resister a certains de l'heresie des Pharisæens : et qui a charge de repouser le loup sinon le berger ? et qui est berger que celuy a qui Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas ? trouves que semblable charge fut donnée a Tibere ? Qui a l'authorité de repaistre le troupeau a l'authorité d'assembler les bergers, pour cognoistre quelle pasture et quelles eaux sont saines aux ouaïlles ; cela est proprement assembler les pasteurs in nomine Christi, c'est a dire, par l'authorité de Nostre Seigneur, car qu'est ce autre chose assembler les estatz au nom du prince que les convoquer par authorité du prince ? et qui a cest'authorité que celuy qui comme lieutenant a receu les clefz du royaume des cieux ? Qui fit dire au bon pere Lucentius, Evesque vicaire du Saint Siege apostolique, que Dioscorus avoit eu tresgrand tort d'avoir assemblé un Concile sans l'authorité Apostolique : Sinodum, dict il, ausus est facere sine authoritate Sedis Apostolicæ, quod nunquam rite factum est, nec fieri licuit ; et dict ces paroles en la pleyne assemblee du grand Concile de Calcedoyne. Il est neanmoins necessaire que si la ville ou l'assemblëe se faict est sujette a l'Empereur, ou a quelque prince, et qu'on veuille faire quelque cueillette publique pour les frais d'un Concile, que le prince chez lequel on s'assemble ayt donné licence et authorisé l'assemblëe, et les cueillettes doivent estre avouëes par les princes riere les estatz desquelz elles se font : et quand l'Empereur voudroit assembler un Concile, pourveu que le Saint Siege y consentit pour rendre la convocation legitime...  Telles ont esté les assemblëes de quelques Conciles [212] tres authentiques, et celle qu'Herodes commanda en Hierusalem, pour sçavoir ubi Christus nasceretur, a laquelle les prestres et scribes consentirent ; mays qui la voudroit tirer en consequence, pour attribuer l'authorité aux princes de commander les convocations, auroit autant de rayson que de tirer en consequence sa cruauté sur saint Jan Baptiste et le meurtre sur les petitz enfans.

            2. Il succede que nous remarquions, en ce premier Concile chrestien qui fut faict par les Apostres, qui y fut apellé Convenerunt, dict le texte, Apostoli et presbiteri videre de verbo hoc ; les Apostres et les prestres, en un mot, les gens d'Eglise : la rayson le vouloit, car le vieux proverbe est par tout bon, Ne sutor ultra crepidam, et le mot du bon pere Hosius, rapporté par saint Athanase, quil escrivit a l'empereur Constantius, Tibi Deus imperium commisit, nobis quæ sunt Ecclesiæ concredidit. C'est donques aux Ecclesiastiques d'y estre convoqués, quoy que les princes, l'Empereur, les roys et autres y ayent lieu comme protecteurs de l'Eglise.

            Troysiesmement, qui y doit estre juge : et nous ne voyons pas que personne y portast sentence que 4 des Apostres, saint Pierre, saint Pol, saint Barnabas et saint Jaques, au jugement desquelz chacun acquiesça. Pendant qu'on deliberoit, les senieurs ou prestres parlerent, comm'il est probable selon ces paroles, cum autem magna conquisitio fieret, qui monstrent qu'on debatit bien fort ceste question ; mays quand il vint a resoudre et porter sentence, il ne se trouve personne qui parle qui ne soit Apostre : aussy ne trouve l'on pas es anciens Conciles et canoniques qu'autre que les Evesques ayt signé et defini ; qui fut la cause que les Peres du Concile de Calcedoyne, y voyans entrer les religieux et laicz, crierent plusieurs foys : Mitte foras superfluos, Concilium episcoporum est. Attendite, dict saint Pol, vobis et universo gregi ; mays qui doit fayre cecy, de penser a soy et pour le cors general ? in quo vos posuit Spiritus Sanctus Episcopos [213] regere Ecclesiam Dei : il appartient aux pasteurs de prouvoir de saine doctrine aux brebis.

            4. Si nous considerons qui y præsida, nous trouverons que ce fut saint Pierre qui y porte le premier la sentence, qui fut apres suyvie du reste, comme dict saint Hierosme ; aussy avoit il la principale charge de pasteur, Pasce oves meas, et estoit le grand œconome sur le reste, Tibi dabo claves regni cælorum, il estoit confirmateur des freres, office qui appartient proprement au præsident et surintendant. Ainsy despuys, le successeur de saint Pierre, Evesque de Rome, a tousjours præsidé aux Conciles par ses legatz. Au Concile de Nicëe, les premiers qui souscrivent ce sont Hosius, evesque, Vitus et Modestus, prestres, envoÿés par le Saint Siege : et de vray, quelle occasion pouvoit faire que deux prestres souscrivissent devant les Patriarches, si ce n'eust esté quilz estoyent en lieutenance du supreme Patriarche ? Que quand a saint Athanase, tant s'en faut quil y præsidast, quil ny fut pas assis ni ne souscrivit point, comme n'estant que diacre pour l'heure ; et le grand Constantin non seulement ny præsida pas, ains s'assit au bas des Evesques, et ny voulut point estre comme pasteur mays comme brebis. Au Concile de Constantinople, quoy quil ny fut pas ni aucun legat pour luy, par ce quil traittoit la mesme cause avec les Evesques occidentaux a Rome qui estoit traittëe a Constantinople par les orientaux, qui ne s'estoyent peu joindre qu'en esprit et deliberation, si est ce que par les lettres que les Peres de part et d'autre s'envoyerent, Damase, Evesque de Rome, est reconneu pour legitime chef et præsident. Au Concile d'Ephese, saint Cyrille y præsida comme legat et lieutenant de Cælestin, Pape : voyci les paroles de saint Prosper d'Aquitayne : Per hunc virum (il parle du Pape Cælestin) etiam orientales Ecclesiæ gemina peste purgatæ sunt, quando Cyrillo, Alexandrinæ urbis Antistiti, gloriosissimo fidei Catholicæ defensori, [214] ad exsecandam nestorianam impietatem apostolico auxiliatus est gladio ; ce que le mesme Prosper dict encores in Chronico : Nestorianæ impietati præcipua Cyrilli Alexandrini Episcopi industria et Papæ Cælestini repugnat authoritas. Au Concile de Calcedoyne, il ny a rien qui ne crie tout par tout que les legatz du Saint Siege Romain ny aient præsidé, Pascasinus et Lucentius ; il ny a que d'en lire les actes.

            Voyla donques l'Escriture, la rayson, la prattique des 4 plus purs Conciles qui furent onques, ou saint Pierre præside et ses successeurs quand ilz s'y sont trouvés ; j'en pourrois tout autant monstrer de tous les autres qui ont estés receuz en l'Eglise universelle comme legitimes, mays cecy suffira bien.

            Reste le consentement, reception et execution des decretz du Concile, qui fut faicte, comm'elle se doit encores faire a present, par tous ceux qui y assistent, dont il fut dict : Tunc placuit Apostolis et senioribus, cum omni Ecclesia, eligere viros ex eis, etc. ; mays quand a l'authorité en vertu delaquelle la promulgation du decret de ce Concile-la fut faicte, elle ne fut sinon des gens ecclesiastiques : Apostoli et seniores fratres, iis qui sunt Antiochiæ, Syriæ et Ciliciæ ; l'authorité des brebis ny est point cottëe, mais celle la seulement des pasteurs. Il peut bien y avoir des laicz au Concile s'il est expedient, mays non pas pour y tenir lieu de juges. [215]

 

 

 

Article II. Combien est sainte et sacrëe l'authorité des Conciles universelz

 

 

            Nous parlons donq icy d'un Concile tel que celuy la, ou se trouve l'authorité de saint Pierre, tant au commencement qu'a la conclusion, et des autres Apostres et pasteurs qui s'y voudront trouver, sinon de tous au moins d'une notable partie ; ou la discussion soit libre, c'est a sçavoir, que qui voudra y propose ses raysons sur la difficulté qui y est proposëe ; ou les pasteurs ayent voix judiciaire ; telz en fin qu'ont esté ces quatre premiers, desquelz saint Gregoire faisoit tant de conte, quil en fit ceste protestation : Sicut sancti Evangelii 4 Libros, sic 4 Concilia suscipere et venerari me fateor.

            Or sus, voyons un peu combien grande doit estre leur authorité sur l'entendement des Chrestiens ; et voicy comme les Apostres en parlent : Visum est Spiritui Sancto et nobis. L'authorité donques des Conciles doit estre reverëe comme appuyëe sur la conduitte du Saint Esprit ; car, si contre ceste heresie pharisaique, le Saint Esprit, docteur et conducteur de son Eglise, assista l'assemblëe, il faut croire encores qu'en toutes semblables occasions il assistera encores les assemblees des pasteurs, pour, par leur bouche, regler et nos actions et nos creances. C'est la mesm'Eglise, aussy chere au celest'Espoux qu'elle fut alhors, en plus de necessité qu'elle n'estoit alhors ; quelle rayson y a il quil ne luy fist la mesme assistence quil luy fit alhors en pareille occasion ? Consideres, je vous prie, l'importance de ces motz Evangeliques, Si quis Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus ; [216] et quand peut on jamais ouyr plus distinctement l'Eglise que par la voix d'un Concile general, ou les chefz de l'Eglise se trouvent tous ensemble pour dire et deduyre les difficultés ? le cors ne parle pas par ses jambes ni par ses mains, mays seulement par son chef ; ainsy, comme peut l'Eglise mieux prononcer sa sentence que par ses chefz ? Mays Nostre Seigneur s'explique : Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram de omni re quamcumque petierint, fiet illis a Patre meo qui in cælis est ; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum. Si deux ou troys, quand besoin en est, estans assemblés au nom de Nostre Seigneur, ont son assistence si particuliere quil est au milieu d'eux comm'un general emmy l'armee, comm'un docteur et regent au milieu de ses disciples, si le Pere les exauce infalliblement en ce quilz luy demandent, comme refuserait il son Saint Esprit a la generale assemblëe des pasteurs de l'Eglise ?

            Puys, si l'assemblëe legitime des pasteurs et chefz de l'Eglise pouvoit estre une fois saisie d'erreur, comme se verifierait la sentence du Maistre, Portæ inferi non prævalebunt adversus eam ? comme pourrait l'erreur et la force infernale s'emparer de l'Eglise a meilleures enseignes que d'avoir asservi les docteurs, pasteurs et cappitaines avec leur general ? Et ceste parole, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, que deviendroit elle ? Et l'Eglise comme sera elle colomne et pilier de verité, si ses bases et fondementz soustiennent l'erreur et fauseté ? les docteurs et pasteurs sont les visibles fondementz de l'Eglise, sur l'administration desquelz le reste s'appuÿe.

            En fin, quel plus estroit commandement avons nous que de prendre la pasture de la main de nos pasteurs ? saint Pol ne dict il pas que le Saint Esprit les a colloqués au bercail pour nous regir, et que Nostre Seigneur les nous a donnés affin que nous ne soyons point flottans et emportés a tout vent de doctrine ? quel respect donques devons nous porter aux ordonances [217] et canons qui partent de leur assemblëe generale ? Certes, pris a part l'un de l'autre, leurs doctrines sont encores sujettes a l'espreuve, mays quand ilz sont ensemble, et que toute l'authorité ecclesiastique est ramassëe en un, qui peut conteroller l'arrest qui en sort ? Si le sel s'esvanouÿt, en quoy le conservera-on ? si les chefz sont aveugles, qui conduira le reste ? si les colomnes tumbent, qui les soutiendra ?

            En un mot, l'Eglise de Dieu qu'a elle de plus grand, de plus asseuré et solide pour renverser l'hæresie que les arrestz des Conciles generaux ? L'Escriture, dira de Beze. Mays j'ay ja monstré cy devant que de intelligentia hæresis est, non de Scriptura ; sensus, non sermo, fit crimen. Qui ne sçait combien de passages l'Arrien produict ? que luy peut on opposer sinon qu'il les entend mal ? mays il a pleyne liberté de croire que c'est vous qui interpretes mal, non luy, que vous vous trompes, non luy, que son rapport a l'analogie de la foy est mieux cousu que le vostre, pendant quil ni a que les particuliers qui s'opposent a ses nouveautés. Que si l'on leve la souveraineté aux Concilés des decisions et declarations necessaires sur l'intelligence de la sainte Parole, la sainte Parole sera autant prophanëe que les textes d'Aristote, et nos articles de Religion seront sujetz a revision immortelle, et de Chrestiens resouluz et asseurés deviendrons miserables academiques. Athanase dit que Mot Domini per æcumenicam Niceæ Sinodum manet in æternum ; saint Gregoire Nazianzene, parlant des Apollinaristes, qui se ventoyent d'avoyr estés avoüés par un Concile Catholique, Quod si vel nunc, dict il, vel ante suscepti sunt, hoc ostendant et nos acquiescemus ; perspicuum enim erit eos rectæ doctrinæ assentiri, nec enim aliter se res habere potest ; saint Augustin dict que la celebre question du Baptesme, meüe par les Donatistes, fit douter plusieurs Evesques, donec, plenario totius orbis Concilio, quod saluberrime sentiebatur etiam remotis dubitationibus firmaretur ; Defertur, dict Ruffin, ad Constantinum [218] sacerdotalis Concilii (Nicæni) sententia ; ille tanquam a Deo prolatam veneratur, cui si quis tentasset obniti, velut contra divina statuta venientem in exilium se protestatur acturum. Que si quelqu'un pensoit, pour produire des analogies, des sentences de l'Escriture, des motz grecz et hebreux, quil luy fust permis de remettre en doute ce qui a desja esté determiné par les Conciles generaux, il faut quil produise des patentes du ciel bien signëes et scelees, ou quil die que chacun en peut autant faire que luy, et que tout est a la merci de nos subtiles temerités, que tout est incertain et sujet a la diversité des jugemens et considerations des hommes. Le Sage nous baille un autre advis : Parole sapientium sunt sicut stimuli, et sicut clavi in altum defixi, quæ per magistrorum consilium data sunt a pastore uno ; his amplius, fili mi, ne requiras.

 

 

 

Article III. Combien les Ministres ont mesprisé et violé l'authorité des Conciles

 

 

            Maintenant, demeureres vous endormis a ceste secousse que vos maistres ont donné a l'Eglise ? penses a vous, je vous prie. Luther, au livre quil a faict Des Conciles, || ne se contente pas d'esbranler les pierres descouvertes, mays va mettre la sappe jusques aux pierres fondamentales de l'Eglise. Qui croiroit cecy de Luther, tant grand et glorieux reformateur ? au dire de Beze. || comme traitte il le grand Concile de Nicee ? par ce que le Concile defend estre receuz au ministere clerical ceux qui se sont taillés eux mesmes, et defend quand et quand aux Ecclesiastiques de tenir en leurs maysons [219] autres femmes que leurs meres et leurs seurs, hic prorsus, dict Luther, non intelligo Spiritum Sanctum in hoc Concilio. Et pourquoy ? An debebit episcopus aut concionator illum intolerabilem ardorem et æstum amoris illiciti sustinere, et neque conjugio neque castratione se ab his periculis liberare ? An vero nihil aliud est negotii Spiritui Sancto in Conciliis, quam ut impossibilibus, periculosis, non necessariis legibus suos ministros obstringat et oneret ? Il n'excepte point de Concile, ains tient asseurement qu'un curé seul peut autant qu'un Concile : voyla l'opinion de ce grand reformateur.

            Mays qu'ay je besoin de courir loin ? de Beze dict, en l'Epistre au Roy de France, que vostre reformëe ne refusera l'authorité d'aucun Concile ; voyla qui est bon, mays ce qui s'ensuit gaste tout : « pourveü, » dict il, « que la Parole de Dieu en face l'espreuve. » Mays, mon Dieu, quand cessera on de brouiller ? les Conciles, apres toute consultation, espreuve faite a la sainte pierre de touche de la Parole de Dieu, jugent et determinent d'un article ; si apres tout cela il faut un'autre espreuve avant qu'on reçoive ceste determination, || n'en faudra il encores une autre ? qui ne voudra espreuver ? et quand finira on jamais ? apres l'espreuve faite par le Concile, de Beze et ses disciples veulent encores espreuver ; et qui gardera a un autre d'en demander autant? || pour sçavoir si l'espreuve du Concile a esté bien faite, pourquoy n'en faudra il une troysiesme pour sçavoir si la seconde est fidelle ? et puys une quatriesme pour la troysiesme ? tout sera a refaire, et la posterité ne se fiera jamais a l'antiquité, mays ira roulant et mettant ores dessus ores dessous les plus saintz articles de la foy en la roüe de l'entendement. Nous ne sommes pas en doute sil faut recevoir une doctrine a la volee, ou sil en faut faire l'espreuve a la touche de la Parole de Dieu ; mays nous disons que quand un Concile general en a faict l'espreuve, nos cerveaux n'y ont plus rien a revoir, mays seulement a croire : que si une fois on remet les canons des Conciles a l'espreuve des particuliers, [220] autant de particuliers autant d'espreuves, autant d'espreuves autant d'opinions. L'article de la realité du Cors de Nostre Seigneur au tressaint Sacrement avoit esté receu avec l'espreuve de plusieurs Conciles ; Luther a voulu faire un'autre espreuve, Zuingle un'autre espreuve sur celle de Luther, Brence un'autre sur celles cy, Calvin un'autre, autant d'espreuves ; autant d'espreuves autant d'opinions.

             Mays, je vous prie, si l'espreuve faite par un Concile general n'est asses authentique pour arrester le cerveau des hommes, comme l'authorité d'un quidam le pourra faire ? Voyci une grand'ambition. Des plus doctes ministres de Losanne, ces annëes passëes, l'Escriture et l'analogie de la foy en main, s'opposent a la doctrine de Calvin touchant la justification ; de soustenir l'effort de leurs raysons point de nouvelles, quoy qu'on face trotter certains petitz livretz morfonduz, sans goust ni pointe de doctrine : comme les traitte l'on ? on les persecute, on les faict absenter, on les faict menasser ; a quel propos cela ? par ce quilz enseignent une doctrine contrayre a la profession de foy de nostr'eglise. Bonté de Dieu ; on sousmet a l'espreuve de Luther, Calvin et Beze la doctrine du Concile de Nicee, apres treze cens ans d'approbation, et on ne veut pas qu'on face l'espreuve de la doctrine calvinesque, toute nouvelle, toute douteuse, rappetassee et bigarrëe. Que ne laissoit on a chacun faire son espreuve ? [221] si celle de Nicee n'a pas peu arrester vos cerveaux, pourquoy voules vous par vos discours mettre un arrest aux cerveaux de vos compaignons, aussi gens de bien que vous, aussi doctes et pertinentz ? Connoisses l'iniquité de ces juges : pour donner liberté a leurs opinions ilz avilissent les anciens Conciles, et veulent par les leurs brider celles des autres ; ilz cherchent leur gloire, connoisses-le bien, et tout autant quilz en levent aux Anciens, ilz s'en attribuent.

            Mays revenons au mespris quilz font aux Conciles, et combien ilz violent ceste sainte Regle de bien croire. De Beze, en l'Epistre au Roy de France et au Traitté mesme, dict que « le Concile de Nicëe a esté un vray et legitime Concile sil y en eut onques » ; il dict vray, jamays bon Chrestien n'en douta, ni des autres troys premiers : mays sil est tel, pourquoy est ce que Calvin apelle dure la sentence du Concile en son Simbole, Deum de Deo, lumen de lumine ? et que veut dire que ceste parole, ὅμοούσιον, deplaict tant a Luther, Anima mea odit hoc Mot, homoousion ? parole laquelle est si recommandable en ce grand Concile. Que veut dire que vous ne tenes conte de la realité du Cors de Nostre Seigneur au Saint Sacrement, que vous appelles superstition le tres saint Sacrifice qui se faict par les prestres, du mesme precieux Cors du Sauveur, et que vous ne voules point mettre difference entre l'Evesque et le prestre ? puysqu'en ce grand Concile tout y est si expressement non ja defini mays presupposé comme chose toute notoire en l'Eglise. Jamais Luther ni Pierre Martir ou Ochin n'eussent estés de vos ministres silz eussent eu en memoyre les actions du grand Concile de Calcedoyne ; car il y est defendu tres expres que les religieux et religieuses ne se marient point. O quil feroit bon voir le tour de ce vostre lac si on eust eu en reverence ce Concile de Calcedoyne, o que vos ministres se fussent bien souvent teuz, et bien a propos, car il y a expres commandement aux laicz. de ne toucher aucunement aux biens ecclesiastiques, a un chacun de ne faire aucune conjuration [222] contre les Evesques, et de ne calomnier en faitz ni en paroles les gens d'Eglise. Le Concile Constantinopolitain defere la primauté au Pape de Rome, et la presuppose comme notoire ; aussy faict bien celuy de Calcedoine. Mays i a il article auquel nous ayons different avec vous qui n'ait esté plusieurs fois condamné es saintz Conciles generaux ou particuliers generalement receus ? et neantmoins vos ministres les ont reveillés sans honte, sans scrupule, nom plus que si c'eussent estés quelques saintz depostz et tresors cachés a l'antiquité, ou que l'antiquité eust serrés bien curieusement affin que nous en eussions la jouissance en cest aage.

            Je sçai qu'es Conciles il y a des articles pour l'ordre et police ecclesiastique, qui peuvent estre changés et ne sont que temporelz, mays ce n'est pas aux particuliers d'y mettre la main : la mesm'authorité qui les a dressés les doit abroger, si quelqu'autre s'en mesle c'est pour neant ; et ce n'est pas la mesm'authorité si ce n'est un Concile, ou le chef general, ou la coustume de toute l'Eglise. Quand aux decretz de la doctrine de la foi, ilz sont invariables ; ce qui est une fois vray, l'est en eternité ; aussi les Conciles appellent Canons ce quilz en determinent, par ce que ce sont Regles inviolables a nostre creance. Mays tout cecy s'entend des vrays Conciles, ou generaux, ou provinciaux advoüés par les generaux ou par le Siege Apostolique : tel que ne fut pas celuy des 400 prophetes assemblés par Achab ; car il ne fut ni general, car ceux de Juda n'y furent point apellés, ni bien congregé, car il n'y eut point d'authorité sacerdotale, et ces prophetes n'estoyent pas legitimes et pour telz reconneuz par le roy de Juda, Josaphat, quand il dict : Non est hic propheta Domini, ut interrogemus per eum ? comme sil eust voulu dire que les autres n'estoyent pas prophetes du Seigneur. Tel ne fut pas nomplus l'assemblëe des prestres contre Nostre Seigneur, qui ne tint aucune [223] forme de Concile, mays fut une conspiration tumultuaire et sans aucune procedure requise, || et laquelle tant s'en faut qu'elle eust asseurance en l'Escriture de l'assistence du Saint Esprit, qu'au contrayre elle en avoit esté declairëe privëe par les Prophetes ; et de vray, la rayson vouloit que le Roy estant præsent les lieutenans perdissent l'authorité, et le grand Prestre præsent, la majesté du vicayre fut ravalëe a la condition des autres. || sans authorité du supreme chef de l'Eglise, qui estoit Nostre Seigneur, lhors present d'une præsence visible, et lequel ilz estoyent obligés de reconnoistre : a la verité, quand le grand Sacrificateur est præsent visiblement, le vicayre ne se peut appeller chef, quand le gouverneur d'une forteresse est præsent, c'est a luy de donner le mot, non a son lieutenant. Outre tout cela, la Sinagogue devoit estre changëe et transferëe en ce tems la, et ceste sienne faute avoit esté predicte, mays l'Eglise Catholique ne doit jamays estre transferëe pendant que le monde sera monde, nous n'attendons point de troysiesme legislateur ni aucun autre sacerdoce, mays doit estre æternelle. Et neanmoins, Nostre Seigneur fit cest honneur a la sacrificature d'Aaron, que non obstant toute la mauvaise intention de ceux qui la possedoyent, le grand Prestre prophetisa et prononça une sentence tres certayne, Quia expedit ut unus moriatur homo pro populo, ut non tota gens pereat ; ce quil ne dict pas de luy mesme et a cas, mays prophetiquement, dict l'Evangeliste, par ce quil estoit Pontife de ceste annëe la. Ainsy voulut Nostre Seigneur conduire ceste Sinagogue et l'authorité sacerdotale avec un remarquable honneur a la sepulture, pour luy faire succeder l'Eglise Catholique et le sacerdoce Evangelique ; et la, ou la Sinagogue prit fin, qui fut en la resolution de faire mourir Nostre Seigneur, l'Eglise fut fondëe par ceste mort mesme : Opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam, dict Nostre Seigneur aprës la cene, et en la cene Nostre Seigneur avoit institué le nouveau testament, si que le viel, avec ses ceremonies et son sacer [224] doce, perdit ses forces et ses privileges, quoy que la confirmation du nouveau ne se fit que par la mort du testateur, comme parle saint Pol. Il ne faut donq plus mettre en conte les privileges de la Sinagogue, qui estoient fondés sur un testament viel, et abrogé quand ilz disoyent ces cruelles paroles, Crucifige, ou ces autres, Blasphemavit, quid adhuc egemus testibus ? car ce n'estoyt autre qu'heurter a la pierre de choppement, selon les anciennes prædictions.

            J'ay voulu lever occasion a ces deux objections qu'on faict contre l'infallible authorité des Conciles et de l'Eglise ; les autres s'iront resoulvant cy apres, es essays particuliers que nous ferons de la doctrine Catholique : il n'y [a] chose si certayne qui n'ait des oppositions, mays la verité demeure ferme et glorieuse par les assautz de ses contraires. [225]

 

 

 

 

 

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 Chapitre V. Les Ministres ont violé l'authorité des anciens peres de l'eglise, 5e Règle de nostre foy

 

 

 

Article premier. Et I. combien l'authorité des anciens Peres est venerable

 

 

             Theodose le Viel ne trouva poinct de meilleur moyen de reprimer les contentions survenues de son tems au faict de la religion que, suyvant le conseil de Sisinnius, de faire venir les chefz des sectes, et leur demander silz tenoyent les anciens Peres, qui avoyent eu charge en l'Eglise avant toutes ces disputes, pour gens de bien, saintz, bons Catholiques et apostoliques ; a quoy les sectaires respondans qu'ouy, il leur repliqua : examinons donques vostre doctrine a la leur, et [si] elle se trouve conforme, retenons la, si moins, qu'on l'abolisse. Il ny a point de meilleur expedient au monde : ja que Calvin et Beze confessent que l'Eglise demeura pure les six premieres centeynes d'annees, [226] que nous regardions si vostre eglise est en mesme foy et doctrine que cellela ; et qui nous pourra mieux tesmoigner la foy que l'Eglise suyvoit en ces anciens tems, que ceux qui vivoyent alhors avec elle et en sa table ? qui pourra mieux desduire les deportemens de ceste celest'Espouse, en la fleur de son aage, que ceux qui ont eu cest honneur d'avoir les principaux offices chez Elle ? Et de ce costé, les Peres meritent qu'on leur ajouste foy non pour l'exquise doctrine dont ilz estoyent pourveuz, mays pour la realité de leurs consciences, et la fidelité avec laquelle ilz ont marché en besoigne.

            On ne requiert pas tant au tesmoin le sçavoir, que la preudhommie et bonne foy. Nous ne les voulons pas icy pour autheurs de nostre foy, mays seulement pour tesmoins de la creance en laquelle vivoyt l'Eglise de ce tems la ; personne n'en peut deposer plus pertinemment qu'eux qui y commandoyent, ilz sont irreprochables de tous costés ; qui veut sçavoir le chemin que l'Eglise a tenu en ce tems la, quil le demande a ceux qui l'ont tres fidelement accompagnee : Sapientiam omnium antiquorum exquiret sapiens, et in prophetis vacabit ; narrationem virorum nominatorum conservabit. Oyes ce que dict Hieremie : Hæc dicit Dominus : state super vias, et videte et interrogate de semitis antiquis quæ sit via bona, et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris ; et le Sage : Non te prætereat narratio seniorum, ipsi enim didicerunt a patribus suis. Mays nous ne devons pas seulement honorer leurs tesmoignages comme tres asseurés et irreprochables, ains encores bailler grand credit a leur doctrine sur toutes nos inventions et curiosités. Nous ne sommes pas en doute si les Peres anciens doivent estre tenuz pour autheurs de nostre foy, nous sçavons mieux que tous vos ministres que non ; ni ne sommes pas en dispute s'il faut recevoir pour certain ce qu'un ou deux Peres auront eu en opinion. Voicy nostre different : vous dites que vous aves reformé vostre eglise sur le patron [227] de l'Eglise ancienne ; nous le nions, et prenons a tesmoins ceux qui l'ont veüe, qui l'ont conservëe, qui l'ont gouvernëe ; n'est ce pas une preuve franche et nette de toute supercherie ? icy nous ne produysons que la preudhommie et bonne foy des tesmoins. Outre cela, vous dites que vostre eglise a estëe taillëe || a la regle et compas de l'Escriture ; nous le nions, et disons que vous aves accourcy, estressy et plié ceste regle, comme faysoyent ceux de Lesbos, pour l'accomoder a vostre cerveau, et... || et reformëe selon la vraye intelligence de l'Escriture ; nous le nions, et disons que les anciens Peres ont eu plus de suffisance et d'erudition que vous, et neantmoins ont jugé que l'intelligence des Escritures n'estoit pas telle que vous dittes ; n'est ce pas une preuve tres certaine ? Vous dites que selon les Escrittures il faut abolir la Messe ; tous les anciens Peres le nient : a qui croirons nous, ou a ceste troupe d'Evesques et Martirs anciens, ou a ceste bande de nouveaux venuz ? voyla ou nous en sommes. Or, qui ne voit qu'au premier cas c'est une impudence intolerable de refuser creance a ceste milliade de Martirs, Confesseurs, Docteurs qui nous ont præcedé ? et si la foy de ceste ancienne Eglise nous doit servir de Regle pour bien croire, nous ne sçaurions mieux trouver ceste Regle qu'es escritz et depositions de ces tressaintz et signalés ayeulz …………………………………………… [228]

 

Chapitre VI. Que les Ministres ont violé l'Autorité du Pape, 6e Règle de notre Foi

 

 

 

Article premier. Premiere promesse [faite à saint Pierre]

 

 

            Quand Nostre Seigneur impose un nom aux hommes, il leur faict tousjours quelque grace particuliere selon le nom quil leur baille : sil change le nom de ce grand pere des croyans, et d'Abram le faict Abraham, aussi de Pere eslevé il le faict Pere de multitude, apportant la rayson tout incontinent : Appellaberis Abraham, quia patrem multarum gentium constitui te ; et changeant celuy de Sarai en Sara, de Madame particuliere qu'elle estoit chez Abraham, il la rend Dame generale des nations et peuples qui devoyent naistre d'elle. Sil change Jacob en Israel, la rayson est en realité sur le champ : Par ce que si tu as esté puyssant contre Dieu, combien plus surmonteras tu les hommes ? Si que Dieu, par les noms quil impose, ne marque pas seulement les choses nommëes, mays nous instruit de leurs qualités et conditions : tesmoins [229] les Anges, qui ne portent point de noms que selon leurs charges, et saint Jan Baptiste, qui porte la grace en son nom quil annonça en sa prædication ; ce qui est ordinaire a ceste sainte langue des Israelites. Ainsy l'imposition de nom en saint Pierre n'est pas un petit argument de l'excellence particuliere de sa charge, selon la rayson mesme que Nostre Seigneur y attacha, Tu es Petrus, etc.

            Mays quel nom luy donne il ? nom plein de majesté, non vulgaire ni trivial, mays qui ressent sa superiorité et authorité, semblable a celuy d'Abraham mesme : car, si Abraham fut ainsy appelé par ce quil devoit estre pere de plusieurs peuples, saint Pierre a receu ce nom par ce que sur luy, comme sur une pierre ferme, devoit estre fondëe la multitude des Chrestiens ; et c'est a ceste ressemblance que saint Bernard appelle la dignité de saint Pierre, « Patriarchat d'Abraham. » Quand Isaïe veult exhorter les Juifz par l'exemple d'Abraham leur tige, il apelle Abraham, pierre : Attendite ad petram unde excisi estis, attendite ad Abraham patrem vestrum ; ou il faict voir que ce nom de Pierre rapporte fort bien a l'authorité paternelle.

            Ce nom est l'un de ceux de Nostre Seigneur ; car, quel autre nom trouvons nous attribué plus frequemment au Messie que celuy de pierre ? Ce changement donques, et ceste imposition de nom, est tres considerable, car les noms que Dieu donne sont moelleux et massifz : il communique son nom a saint Pierre, il luy a donques communiqué quelque qualité sortable au nom. Nostre Seigneur est apellé principalement pierre, parce quil est fondement de l'Eglise et pierre angulaire, l'appuy et la fermeté de cest edifice spirituel ; ainsy a il declairé que sur saint Pierre seroit edifiëe son Eglise, et quil l'affermiroit en la foy : Conferma [230] fratres tuos. Je sçai bien quil imposa nom aux deux freres Jan et Jaques, Boanerges, enfans de tonnerre, mays ni ce nom n'est point nom de superieurité ou commandement, ains d'obeissance, ni propre ou particulier, mays commun a deux ; ni ne semble pas quil leur fut permanent, puysque jamais ilz n'en sont appellés despuys, mays que ce fut plus tost un tiltre de louange, a cause de l'excellence de leur prædication. Mays en saint Pierre il donne un nom permanent, plein d'authorité, et qui luy est si particulier que nous pouvons bien dire, auquel des autres a il dict, tu es pierre ? pour monstrer que saint Pierre a esté superieur aux autres.

            Mays je vous adviseray que Nostre Seigneur n'a pas changé le nom de saint Pierre, mays a seulement joint un nouveau nom a l'ancien quil avoit ; peut estre affin quil se resouvint en son authorité de ce quil estoit de son estoc, et que la majesté du second nom fust attrempëe par l'humilité du premier, et que si le nom de Pierre le nous faisoit reconnoistre pour chef, le nom de Simon nous avisast quil n'estoit pas chef absolu, mays chef obeissant, subalterne et maistre valet. Il me semble que saint Basile donne atteinte a ce que je dis, quand il dict : Petrus ter abnegavit, et collocatus est in fundamento. Petrus jam antea dixerat, et beatus pronunciatus fuerat ; dixerat, Tu es Filius Dei excelsi, et vicissim audierat se esse Petram, ita laudatus a Domino. Licet enim Petra esset, non tamen Petra erat ut Christus ; ut Petrus, Petra erat. Nam Christus vere est immobilis Petra, Petrus vero propter Petram ; axiomata namque sua Christus largitur aliis, largitur autem ea non evacuatus, sed nihilo minus habens : Petra est et Petram fecit, quæ sua sunt largitur servis suis ; argumentum hoc est opulenti, habere videlicet et aliis dare. Ainsy parle saint Basile. [231]

            Qu'est ce qu'il [Notre-Seigneur] dict ? Trois choses ; mays il les faut considerer l'une apres l'autre : Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi non prævalebunt adversus eam ; || Et tibi dabo claves regni cælorum ; quodcumque, etc. || que il estoit pierre ou rocher, et sur ce rocher ou ceste pierre il edifieroit son Eglise. Mays nous voicy en difficulté : car on accorde bien que Nostre Seigneur ait parlé a saint Pierre et de saint Pierre jusques icy, et super hanc petram, mays que par ces paroles il ne parle plus de saint Pierre. Or, je vous prie, quelle apparence y a il que Nostre Seigneur eust faict ceste grande præface, Beatus es Simon Bar Jona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est ; et ego dico tibi, pour ne dire autre sinon, quia tu es Petrus, puys, changeant tout a coup de propos, il allast parler d'autre chose ? Et puys, quand il dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, ne voyes vous pas quil parle notoirement de la pierre delaquelle il avoit parlé præcedemment ? et de quell'autre pierre avoit il parlé que de Simon, au quel il avoit dict, Tu es Pierre ? Mays voicy tout l'equivoque qui peut faire scrupule a vos imaginations ; c'est que peut estre penses vous que comme Pierre est maintenant un nom propre d'homme, il le fut aussy alhors, et que Petrus ne soit pas la mesme chose que petra, et que, partant, nous passions la signification de Pierre a la pierre, par equivocque du masculin au feminin. Mays nous n'equivoquons point icy ; car ce n'est qu'un mesme mot, et pris sous la mesme signification, quand Nostre Seigneur a dict a Simon, Tu es Pierre, et quand il a dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise : et ce mot de pierre n'estoit pas un nom propre d'homme, mays seulement il fut approprié a Simon Bar Jona ; ce que vous entendres bien mieux si on le prend au langage auquel Nostre Seigneur le dict. Il ne parloit pas Latin, mays Syriac ; il l'appella, donques, nompas Pierre mays Cepha, en ceste façon, Tu es Cepha, et super hoc cepha ædificabo ; [232] comme qui diroit en Latin, Tu es Saxum, et super hoc saxum, ou en François, Tu es Roche, et sur ceste roche j'edifieray mon Eglise. Maintenant, quel doute reste il que ce n'est qu'un mesme duquel il a dict, Tu es Roche, et duquel il dict, et sur ceste roche ? certes, il ne s'estoit point parlé d'autre Cepha en tout ce chapitre la que de Simon ; a quel propos donques allons nous rapporter ce relatif, hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement præcedent ?

            Vous me dires : ouy, mais le Latin dict, Tu es Petrus, et non Tu es Petra ; or, ce relatif hanc, qui est feminin, ne se sçauroit rapporter a Petrus, qui est masculin. Certes, la [version] latine a asses d'autres argumentz pour faire connoistre que ceste pierre n'est autre que saint Pierre, et partant, pour accomoder le mot a la personne a qui on le bailloit pour nom, qui estoit masculine, il luy a baillé une terminayson de mesme, a l'imitation du Grec, qui avoit mis, Tu es πέτρος, et super hanc τῇ πέτρᾷ ; mays il ne reussit pas si heureusement en Latin qu'en Grec, par ce qu'en Latin, Petrus ne veut pas dire petra, mays en Grec πέτρος et petra n'est qu'une mesme chose ; comme en François rocher et roche [est le mesme,] toutefois, s'il me failloit approprier ou l'un ou l'autre a un homme, je luy appliqueroys plus tost le nom de rocher que de roche, pour la correspondance du mot masculin a la personne masculine. Il reste que je vous die sur ceste interpretation quil ni a personne qui doute que Nostre Seigneur n'ait appellé saint Pierre Cepha, car saint Jan le monstre tres expressement, et saint Pol, aux Galates, ni que Cepha veuille dire une pierre ou un roch, ainsy que dict saint Hierosme.

            En fin, pour vous monstrer que c'est bien de saint Pierre duquel il dict, et super hanc petram, je produis les paroles suivantes ; car c'est tout un de luy promettre les clefz du royaume des cieux, et de luy dire, super hanc petram ; et neantmoins nous ne pouvons pas douter que ce ne soit saint Pierre auquel il promet les [233] clefz du royaume des cieux, puys quil dict clairement, et tibi dabo claves regni cælorum : si donques nous ne voulons descoudre ceste piece de l'Evangile d'avec les paroles præcedentes et les suivantes, pour la joindre ailleurs a nostre poste, nous ne pouvons croire que tout cecy ne soit dict a saint Pierre et de saint Pierre, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam ; ce que la vraÿe et pure Eglise Catholique, mesme selon la confession des ministres, a avoüé haut et cler en l'assemblëe de 630 Evesques au Concile de Calcedoyne.

            Voyons maintenant combien valent ces paroles et ce qu'elles importent, 1nt. On sçait que ce que le chef est au cors d'un vivant, la racine en un arbre, le fondement l'est en un bastiment. Nostre Seigneur, donques, qui compare son Eglise a un ædifice, quand il dict quil l'edifiera sur saint Pierre il monstre que saint Pierre en sera la pierre fondamentale, la racine de ce precieux arbre, le chef de [ce] beau cors. || La pierre sur laquelle on releve l'edifice c'est la premiere, les autres s'affermissent sur elle, celles qu'elle ne soustient ne sont pas de l'edifice ; on peut bien remuer les autres pierres sans que le bastiment tumbe, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson. || Les François appellent, mayson, l'edifice et la famille encores ; par ceste proportion que, comme une mayson n'est autre qu'un assemblage de pierres et autres materieux faict avec ordre, dependance et mesure, ainsy une famille n'est autre qu'un assemblage de gens, avec ordre et dependance les uns des autres. C'est a ceste similitude que Nostre Seigneur appelle son Eglise ædifice, duquel faysant saint Pierre le fondement, il le faict chef et superieur de ceste famille.

            2nt. Par ces paroles, Nostre Seigneur monstre la perpetuité et immobilité de ce fondement. La pierre sur laquelle on releve l'edifice c'est la premiere, les autres s'affermissent sur elle ; on peut bien remuer les autres pierres sans ruyner l'edifice, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson : si donques les portes [234] d'enfer ne peuvent rien contre l'Eglise, elles ne peuvent rien contre son fondement et chef, lequel elles ne sçauroyent lever et renverser qu'elles ne mettent sans dessus dessous tout le bastiment. || Il monstre une des differences quil y a entre saint Pierre et luy : car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement et ædificateur de l'Eglise, mays saint Pierre n'en est que fondement ; Nostre Seigneur en est le Maistre et Seigneur en proprieté, saint Pierre en a seulement l'œconomie ; dequoy nous dirons cy apres. ||

            3nt. Par ces parolles, Nostre Seigneur monstre que les pierres qui ne sont posëes et arrestëes sur ce fondement ne sont point de l'Eglise, ni [n'appartiennent] a cest edifice.

 

 

 

Article II. Resolution sur une difficulté

 

 

            Mays une grande preuve au contraire, ce semble aux adversaires, c'est que selon saint Pol, Fundamentum aliud nemo potest ponere præter id quod positum est, quod est Christus Jesus ; et selon le mesme, nous sommes domestiques de Dieu, superædificati supra fundamentum Apostolorum et Prophetarum, ipso summo angulari lapide, Christo Jesu ; et en l'Apocalipse, la muraille de la sainte cité avoit douze fondemens, et en ces douze fondemens le nom des douze Apostres. Si donques, disent ilz, tous les douze Apostres sont fondemens de l'Eglise, comment attribues vous ce tiltre a saint Pierre en particulier ? et si saint Pol dict que personne ne peut mettre autre fondement que Nostre Seigneur, comme oses vous dire que par ces paroles, Tu es Pierre, et [235] sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, saint Pierre ayt esté estably pour fondement de l'Eglise ? que ne dites vous plustost, dict Calvin, que ceste pierre sur laquelle l'Eglise est fondëe n'est autre que Nostre Seigneur ? que ne dites vous plustost, dict Luther, que c'est la confession de foy que saint Pierre avoit faict ? Mays a la verité, ce n'est pas une bonne façon d'interpreter l'Escriture, que de renverser l'un des passages par l'autre, ou l'etirer par une intelligence forcëe a un sens estrange et mal advenant ; il faut y laisser tant qu'on peut la naifveté et suavité du sens qui s'y presente. En ce cas donques, puysque nous voyons que l'Escriture nous enseigne qu'il ni a point d'autre fondement que Nostre Seigneur, et que la mesme nous enseigne clairement que saint Pierre l'est encores, et plus outre encores que tous les Apostres le sont, il ne faut pas refuser le premier enseignement pour le second, ni le second pour le troysiesme, ains les laysser tous troys en leur entier ; ce qui se fera aysement si nous considerons ces passages a la bonne foy et franchement.

            Et pour vray, Nostre Seigneur est l'unique fondement de l'Eglise : c'est le fondement de nostre foy, de nostr'esperance et charité ; c'est le fondement de la valeur des Sacremens et de nostre fœlicité ; et c'est encores le fondement de toute l'authorité et l'ordre ecclesiastique, et de toute la doctrine et administration qui s'y faict ; qui douta jamays de cela ? Mays, me dict on, sil est unique fondement, comment est ce que vous mettes encores saint Pierre pour fondement ? 1. Vous nous faictes tort ; nous ne le mettons pas pour fondement, Celuy la outre lequel on n'en peut point mettre d'autre, l'a mis luy mesme ; si que, si Nostre Seigneur est vray fondement de l'Eglise, comm'il l'est, il faut croire que saint Pierre l'est encores, puysque Nostre Seigneur l'a mis en ce rang : que si quelqu'autre que Nostre Seigneur mesme luy eust donné ce grade, nous crierions tous avec vous : Nemo potest aliud fundamentum ponere præter id quod positum. [236] 2. Et puys, aves vous bien consideré les paroles de saint Pol ? Il ne veut pas qu'on reconnoisse aucun fondement outre Nostre Seigneur, mays ni saint Pierre ni les autres Apostres ne sont pas fondemens outre Nostre Seigneur, ains sous Nostre Seigneur ; leur doctrine [n'est] pas outre celle de leur Maistre, mays celle la mesme de leur Maistre. Ainsy la supreme charge qu'eut saint Pierre en l'Eglise militante, a raison de laquelle il est apellé fondement de l'Eglise, comme chef et gouverneur, n'est pas outre l'authorité de son Maistre, ains n'est qu'une participation d'icelle ; si que luymesme n'est pas fondement de ceste hiérarchie outre Nostre Seigneur, mays plus tost en Nostre Seigneur, comme nous l'appelions tressaint Pere en Nostre Seigneur, hors duquel il ne seroit rien. Certes, nous ne reconnoissons point d'authorité seculiere outre celle de son Altesse ; mays nous en reconnoissons bien plusieurs sous icelle, lesquelles ne sont pas proprement autres que celle de son Altesse, puysqu'elles en sont seulement certaynes portions et participations. 3. En fin, interpretons passage par passage. Saint Pol vous semble il pas se fayre asses entendre quand il dict : Vous estes suredifiés sur les fondemens des Prophetes et Apostres ? mays affin qu'on sceut que ces fondemens n'estoient pas outre celuy quil præchoit, il adjouste : Ipso summo angulari lapide, Christo Jesu.

            Nostre Seigneur donques est fondement, et saint Pierre aussi, mays avec une si notable difference, qu'au pris de l'un, l'autre peut estre dict ne l'estre point. Car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement sans autre fondement, fondement de l'Eglise Naturelle, Mosaique et Evangelique, fondement perpetuel et immortel, fondement de la militante et triomphante, fondement de soymesme, fondement de nostre foy, esperance et charité, et de la valeur des Sacremens. Saint Pierre est fondement non fondateur de toute l'Eglise, fondement, mays fondé sur un autre fondement qui est Nostre Seigneur, fondement de la seule Eglise Evangelique, fondement sujet a succession, fondement de la [237] militante non de la triomphante, fondement par participation, fondement ministerial, non absolu, enfin administrateur et non seigneur, et nullement fondement de nostre foy, esperance et charité, ni de la valeur des Sacremens. Ceste si grande difference faict qu'en comparayson, l'un ne soit pas apellé fondement au pris de l'autre, qui neanmoins pris a part peut estre appellé fondement, affin de laisser lieu a la proprieté des Parolles saintes : ainsy qu'encores quil soit le bon Pasteur il ne laysse de nous en donner sous luy, entre lesquelz et sa majesté il y a si grande difference, que luy mesme monstre quil est le seul Pasteur.

            Tout de mesme, ce n'est pas bien philosopher de dire, tous les Apostres en general sont appellés fondemens de l'Eglise, donques saint Pierre ne l'est que comme les autres. Au contraire, puys que Nostre Seigneur a dict en particulier et en termes particuliers a saint Pierre ce qui est dict par apres en general des autres, il faut conclure qu'il y a en saint Pierre quelque particuliere proprieté de fondement, et quil a esté luy en particulier ce que tout le college a esté ensemble. Toute l'Eglise a esté fondëe sur tous les Apostres, et toute sur saint Pierre en particulier ; c'est donq saint Pierre qui en est le fondement, pris a part, ce que les autres ne sont pas, car a qui a il jamays esté dict en particulier, Tu es Pierre, etc.? Ce seroit violer l'Escriture, qui diroit que tous les Apostres en general n'ont pas esté fondement de l'Eglise ; ce seroit aussy la violer, qui nieroit que saint Pierre ne l'eust esté particulierement : il faut que la parole generale sortisse son effect general, et la particuliere, le particulier, affin que rien ne demeure inutile et sans mistere en des si misterieuses Escritures.

            Voyons seulement a quelle rayson generale tous les Apostres sont apellés fondemens de l'Eglise : et c'est par ce que ce sont eux qui par leur prædication ont planté la foy et doctrine Chrestienne ; en quoy sil faut donner prærogative a quelqu'un des Apostres, ce sera a celuy la qui disoit : Abundantius illis omnibus [238] laboravi. Et c'est ainsy que s'entend le lieu de l'Apocalipse ; car les douze Apostres sont apellés fondemens de la celeste Hierusalem, par ce que ce ont esté les premiers qui ont converty le monde a la religion Chrestienne, qui a esté comme jetter les fondements de la gloire des hommes et la semence de leur bienheureuse immortalité. Mays le lieu de saint Pol semble ne s'entendre pas tant de la personne des Apostres que de leur doctrine ; car il n'est pas dict que nous soyons suredifiés sur les Apostres, mays, sur le fondement des Apostres, c'est a dire, sur la doctrine quilz ont annoncëe : ce qui est aysé a reconnoistre, puysqu'il ne dict pas seulement que nous sommes sur le fondement des Apostres, mays encores des Prophetes, et nous sçavons bien que les Prophetes n'ont pas autrement estés fondemens de l'Eglise Evangelique que par leur doctrine. Et en cest endroit, tous les Apostres semblent aller a pair, si saint Jan et saint Pol ne precedent pour l'excellence de leur theologie ; c'est donq de ce costé que tous les Apostres sont fondemens de l'Eglise. Mays en l'authorité et gouvernement saint Pierre a devancé tous les autres, d'autant que le chef surpasse les membres ; car il a esté constitué Pasteur ordinaire et supreme Chef de l'Eglise, les autres ont estés pasteurs delegués et commis, avec autant pleyn pouvoir et authorité sur tout le reste de l'Eglise que saint Pierre, sauf que saint Pierre estoit leur chef de tous, et leur pasteur comme de tout le Christianisme. Ainsy furent ilz fondemens de l'Eglise avec luy egalement, quand a la conversion des ames et par doctrine, mays quand a l'authorité et gouvernement ilz le furent inegalement, puysque saint Pierre estoit le chef ordinaire non seulement du reste de toute l'Eglise mays des Apostres encores ; car Nostre Seigneur avoit edifié sur luy toute son Eglise, de laquelle ilz estoyent non seulement parties, mays les principales et nobles parties. Licet super omnes Apostolos ex æquo Ecclesiæ fortitudo solidetur, dict saint Hierosme, tamen inter duodecim unus eligitur, ut capite [239] constituto schismatis tollatur occasio. Sunt quidem, dict saint Bernard parlant a son Eugene, et nous en pouvons autant dire de saint Pierre par mesme rayson, sunt alii cæli janitores et gregum pastores, sed tu tanto gloriosius quanto differentius nomen hæreditasti.

 

 

 

Article III. De la seconde promesse faicte a saint Pierre : Et je te donneray les clefz du royaume des cieux

 

 

            || Il fache tant aux adversaires qu'on leur propose le siege de saint Pierre comme une sainte pierre de touche, a laquelle il faille faire l'espreuve des intelligences, imaginations et fantasies quilz font es Escrittures, quilz renversent le ciel et la terre pour nous oster des mains les expresses parolles de Nostre Seigneur par les... ||

            Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre quil ædifieroit sur luy son Eglise, affin que nous sceussions plus particulierement ce quil vouloit dire, poursuit en ces termes : Et tibi dabo claves regni cælorum. On [ne] sçauroit parler plus clairement : il avoit dict, Beatus es Simon Barjona, quia caro, etc. Et ego dico tibi quia tu es Petrus, et tibi dabo, etc. ; ce tibi dabo se rapporte a celuy la mesme auquel il avoit dict, et ego dico tibi, c'est donq a saint Pierre. Mays les ministres tachent tant quilz peuvent de troubler si bien la clere fontayne de l'Evangile, que saint Pierre n'y puysse plus trouver ses clefz, et a nous degouster d'y boire l'eau de la sainte obeissance qu'on doit au Vicaire de Nostre Seigneur ; et partant ilz se sont avisés de dire que saint Pierre avoit receu ceste promesse de Nostre Seigneur au nom de toute l'Eglise, [240] sans quil y ait receu aucun privilege particulier en sa personne. Mays si cecy n'est violer l'Escriture, jamays homme ne la viola ; car n'estoit ce pas a saint Pierre a qui il parloit ? et comme pouvoit il mieux exprimer son intention que de dire, Et ego dico tibi ; Dabo tibi ? et puysque immediatement il venoit de parler de l'Eglise, ayant dict, portæ inferi non prævalebunt adversus eam, qui l'eust gardé de dire, et dabo illi claves regni, sil les eust voulu donner a toute l'Eglise immediatement ? or il ne dict pas illi, mays, dabo tibi. Que sil est permis d'aller ainsy devinant sur des paroles si claires, il ny aura rien en l'Escriture qui ne se puysse plier a tous sens : quoy que je ne nie pas que saint Pierre en cest endroit ne parlast en son nom et de toute l'Eglise, quand il fit ceste noble confession ; non ja comme commis par l'Eglise ou par les disciples (car nous n'avons pas un brin de marque de ceste commission en l'Escriture, et la revelation sur laquelle il fonde sa confession avoit esté faite a luy seul, sinon que tout le college des Apostres eut nom Simon Barjona), mays comme bouche, prince et chef des autres, selon saint Chrysostome et saint Cyrille, et « pour la primauté de son apostolat, » comme dict saint Augustin. Si que toute l'Eglise parla en la personne de saint Pierre comme en la personne de son chef, et saint Pierre ne parla pas en la personne de l'Eglise ; car le cors ne parle qu'en son chef, et le chef parle en luymesme, non en son cors. Et bien que saint Pierre ne fut pas encor chef et prince de l'Eglise, ce qui luy fut seulement conferé apres la resurrection du Maistre, il suffit quil estoit desja choisy pour tel et quil en avoit les erres ; comme aussi les Apostres n'avoyent pas encores le pouvoir Apostolique, cheminans toute ceste benite compaignie plus comme disciples avec leur regent, pour apprendre les profondes leçons quilz ont par apres enseignëes aux autres, que comme Apostres ou envoyés, ce quilz firent despuys, lorsque le son de leur voix retentit par tout le monde. Et ne nie pas nom plus que le reste des prælatz de l'Eglise n'ayent eu part [241] a l'usage des clefz ; et quand aux Apostres, je confesse quilz y ont eu tout'authorité : je dis seulement que la collation des clefz est icy promise principalement a la personne de saint Pierre, et a l'utilité de toute l'Eglise ; car encor que ce soit luy qui les ayt recettes, si est ce que ce n'est pas pour son prouffit particulier, mays pour celuy de l'Eglise. Le maniement des clefz est promis a saint Pierre en particulier et principalement, puys, en apres, a l'Eglise ; mays principalement pour le bien general de l'Eglise, puys, en apres, pour celuy de saint Pierre : comm'il advient en toutes charges publiques.

            Mays on me demandera quelle difference il y a entre la promesse que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre de luy donner les clefz, et celle quil fit aux Apostres par apres ; car, a la verité, il semble que ce n'estoit que la mesme, par ce que Nostre Seigneur explicant ce quil entendoit par les clefz, il dict : Et quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in cælis, et quodcumque solveris, qui n'est autre que ce quil dict aux Apostres en general, quæcumque alligaveritis. Si donques il promet au general ce quil promet a saint Pierre en particulier, il ni aura point de rayson de dire que saint Pierre soit plus qu'un des autres par ceste promesse.

            Je respons qu'en la promesse, et en l'execution de la promesse, Nostre Seigneur a tousjours præferé saint Pierre, par des termes qui nous obligent a croire quil a esté chef de l'Eglise.

            Et quand a la promesse, je confesse que par ces parolles, et quodcumque solveris, Nostre Seigneur n'a rien plus promis a saint Pierre quil fit aux autres par apres, quæcumque alligaveritis super terram, etc. ; car les paroles sont de mesme substance et signification en tous deux les passages. Je confesse aussy que par ces paroles, et quœcumque solveris, dites a saint Pierre, il explique les præcedentes, tibi dabo claves ; mays je nie que ce soit [242] tout un de promettre les clefz et de dire quodcumque solveris.

            Voyons voir donques que c'est que de promettre les clefz du royaume des cieux. Et qui ne sçait qu'un maistre partant de sa mayson, sil laisse les clefz a quelqu'un, que ce n'est sinon luy en laysser la charge et le gouvernement ? Quand les princes font leurs entrëes es villes, on leur presente les clefz, comme leur deferans la sauveraine authorité ; c'est donq la supreme authorité que Nostre Seigneur promet icy a saint Pierre. A la verité, quand l'Escriture veut ailleurs declairer une sauveraine authorité, elle a usé de semblables termes : en l'Apocalipse, quand Nostre Seigneur se veut faire connoistre a son serviteur, il luy dict : Ego sum primus et novissimus, et vivus et fui mortuus, et ecce sum vivens in secula seculorum ; et habeo claves mortis et inferni ; qu'entend il par les clefz de la mort et de l'enfer, sinon la supreme puyssance et sur l'un et sur l'autre ? et la mesme quand il est dict de Nostre Seigneur, Hæc dicit sanctus et verus, qui habet clavem David, qui aperit et nemo claudit, claudit et nemo aperit, que pouvons nous entendre que la supreme authorité en l'Eglise ? et ce que l'Ange dict a Nostre Dame, Dabit illi Dominus sedem David patris ejus et regnabit in domo Jacob in æternum ? le Saint Esprit nous faysant connoistre la royauté de Nostre Seigneur ores par le siege ou trosne, ores par les clefz.

            Mays sur tout, le commandement qui est faict en Isaie pour Eliakim, s'apparie de toutes pieces a celuy que Nostre Seigneur faict icy a saint Pierre. La, donques, est descritte la deposition d'un sauverain Prestre et gouverneur du Temple : Hæc dicit Dominus Deus exercituum : vade, ingredere ad eum qui habitat in tabernaculo, ad Sobnam, præpositum Templi, et dices ad eum : quid tu hic ? et plus bas : deponam te. Voila la deposition de l'un, voici maintenant l'institution de l'autre : Ecce in die illa vocabo servum meum Eliakim, filium Helciæ, et induam illum [243] tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam [dabo] in manu ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda ; et dabo clavem domus David super humerum ejus, et aperiet et non erit qui claudat, et claudet et non erit qui aperiat. I a il rien de plus coignant que ces deux Escrittures ? Car, Beatus es, Simon Barjona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est, ne vaut il pas bien pour le moins, Vocabo servum meum Eliakim filium Helciæ ? et, Ego dico tibi quia tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi, etc., ne vaut il pas tout autant, Induam illum tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam dabo in manu ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda ? et qu'est ce autre chose estre le fondement ou pierre fondamentale d'une famille, que d'y estre comme pere, y avoir la surintendence, y estre gouverneur ? Que si l'un a eu ceste asseurance, Dabo clavem David super humerum ejus, l'autre n'en a pas eu moins, qui a ceste promesse, Et tibi dabo claves regni cælorum ; que si quand l'un aura ouvert, personne ne fermera, quand il aura fermé personne n'ouvrira, aussi, quand l'autre aura deslié personne ne liera, quand il aura lié personne ne desliera. L'un est Eliakim, filz d'Helcias, l'autre Simon, filz de Jonas ; l'un est revestu de la robbe pontificale, l'autre, de la revelation cæleste ; l'un a la puyssance en sa main, l'autre est un fort rocher ; l'un est comme pere en Hierusalem, l'autre est comme fondement en l'Eglise ; l'un a les clefz du Temple de David, l'autre, celles de l'Eglise Evangelique ; quand l'un ferme personne n'ouvre, quand l'un lie personne ne deslie ; quand l'un ouvre personne ne ferme, quand l'un deslie personne ne lie. Que reste il plus a dire, sinon que si jamays Eliakim filz d'Helcias a esté chef au Temple Mosaique, Simon filz de Jonas l'a esté en l'Eglise Evangelique ? Eliakim representoit Nostre Seigneur comme figure, saint Pierre le repræsente [244] comme lieutenant ; Eliakim le repræsentoit a l'Eglise Mosaique, et saint Pierre, a l'Eglise Chrestienne.

            Voyla que c'est qu'importe ceste promesse de donner les clefz a saint Pierre, promesse qui ne fut onques faitte aux autres Apostres : mays je dis que ce n'est pas tout un de promettre les clefz du Royaume, et de dire, quodcumque solveris, quoy que l'un soit explication de l'autre. Et quelle difference y a il ? certes, toute telle quil y a entre la proprieté d'une authorité et l'usage : il se peut bien faire qu'un roy vivant, il ait ou la reyne ou son filz qui ait tout autant de pouvoir que le roy mesme a chastier, absoudre, donner, faire grace ; il n'aura pourtant pas le sceptre, mays l'usage seulement ; il aura bien la mesm'authorité, mays nom pas quand a la proprieté, ains seulement quand a l'usage et l'exercice ; tout ce quil aura faict sera faict, mays il ne sera pas chef ni roy, ains faudra quil reconnoisse que son pouvoir est extraordinaire, par commission et delegation, au lieu que le pouvoir du roy, qui ne sera point plus grand, sera ordinaire et par proprieté. Ainsy Nostre Seigneur promettant les clefz a saint Pierre, luy remet l'authorité ordinaire, et luy donne cest office en proprieté, duquel il declaire l'usage quand il dict, Quodcumque, etc. ; or, par apres, quand il faict la promesse aux Apostres, il ne leur donne pas les clefz ou l'authorité ordinaire, mays seulement les authorise en l'usage quilz feront, et en l'exercice des clefz. Ceste difference est prise des termes propres de l'Escriture, car solvere et ligare ne signifie que l'action et exercice, habere claves, l'habitude. Voyla combien est differente la promesse que Nostre Seigneur fit a saint Pierre, de celle quil fit aux autres Apostres ; les Apostres ont tous mesme pouvoir avec saint Pierre, mays nom pas en mesme grade, d'autant quilz l'ont comme deleguez et commis, et saint Pierre, comme chef ordinaire et officier permanent. Et a la verité, il fut convenable que les Apostres, qui devoyent par tout planter l'Eglise, eussent tous plein pouvoir et entiere authorité d'user des clefz et pour l'exercice d'icelles ; et fut tres necessaire [245] encores que l'un d'entr'eux en eust la garde par office et dignité, ut Ecclesia quæ una est, comme dict saint Cyprien, super unum, qui claves ejus accepit, voce Domini fundaretur.

Article IV. De la troysiesme promesse faicte a saint Pierre

 

 

            Auquel des autres fut il jamais dict : Ego rogavi pro te, Petre, ut non deficiat fides tua ; et tu aliquando conversus confirma fratres ? certes, ce sont deux privileges de grande consequence que ceux ci. Nostre Seigneur, qui devoit maintenir la foy en son Eglise, n'a point prié pour la foy d'aucun des autres en particulier, mays seulement de saint Pierre comme chef : car, quelle rayson penserions nous en ceste prærogative, Expetivit vos, tous tant que vous estes, ego autem rogavi pro te ? n'est ce pas le mettre luy tout seul en conte pour tous comme chef et conducteur de toute la troupe ? Mays qui ne voit combien ce lieu est pregnant a ceste intention ? Regardons ce qui precede, et nous y trouverons que Nostre Seigneur avoit declaré a ses Apostres quil y en avoit un entr'eux plus grand que les autres, qui major est inter vos, et qui præcessor ; et tout d'un train Nostre Seigneur luy va dire que l'adversaire cherchoyt de les cribler, tous tant quilz estoyent, et neantmoins quil avoit prié pour luy [en] particulier, affin que sa foy ne manquast. Je vous prie, ceste grace si particuliere et qui ne fut pas commune aux autres, tesmoin saint Thomas, ne monstre elle pas que saint Pierre estoit celluy la qui [246] major erat inter eos ? tous sont tentés, et on ne prie que pour l'un. Mays les paroles suivantes rendent tout cecy tres evident ; car quelque Protestant pourroit dire quil a prié pour saint Pierre en particulier pour quelque autre respect que l'on peut imaginer (car l'imagination fournit tousjours asses d'appuy a l'opiniastreté), non par ce quil fut chef des autres, et que la foy des autres fut maintenue en leur pasteur : au contraire, Messieurs, c'est affin que, aliquando conversus confirmet fratres suos ; il prie pour saint Pierre comme pour le confirmateur et l'appuy des autres, et cecy qu'est ce, que le declairer chef des autres ? On ne sçauroit, a la verité, donner commandement a saint Pierre de confirmer les Apostres, qu'on ne le chargeast d'avoir soin d'eux ; car, comme pourroit mettre ce commandement en faict, sans prendre garde a la foiblesse ou fermeté des autres pour les affermir et rasseurer ? N'est ce pas le redire encor une fois fondement de l'Eglise ? sil appuÿe, rasseure, affermit ou confirme les pierres mesme fondamentales, comme n'affermira il tout le reste ? sil a charge de soutenir les colomnes de l'Eglise, comme ne soustiendra il tout le reste du bastiment ? sil a charge de repaistre les pasteurs, ne sera il pas sauverain pasteur luy mesme ? Le jardinier qui voit les ardeurs du soleil continuelles sur une jeune plante, pour la præserver de l'assechement qui la menace, ne porte de l'eau sur chasque branche, mais ayant bien trempé la racine croit que tout le reste est en asseurance, par ce [247] que la racine va dispersant l'humeur a tout le reste de la plante : ainsy Nostre Seigneur ayant planté ceste saint'assemblëe de Disciples, pria pour le chef et la racine, affin que l'eau de la foy ne manquast point a celuy qui devoit en assaisonner tout le reste, et que par l'entremise du chef, la foi fust tousjours conservëe en l'Eglise ; il prie donques pour saint Pierre en particulier, mays au prouffit et utilité generale de toute l'Eglise.

            Mays il faut, avant que fermer ce propos, que je vous die que saint Pierre ne perdit pas la foy quand il nia Nostre Seigneur, mays la crainte luy fit desavouer ce quil croyoit ; c'est a dire, il ne s'oublia pas en la foy, mays en la confession de la foy ; il croyoit bien, mais il parloit mal, et ne confessoit pas ce quil croyoit. [248]

 

 

 

Article V. Dé l'exhibition de ces promesses

 

 

            Nous sçavons bien que Nostre Seigneur fit tres ample procure et commission a ses Apostres de traitter avec le monde, de son salut, quand il leur dict : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos ; accipite Spiritum Sanctum, quorum remiseritis, etc. : ce fut l'execution de sa promesse quil leur avoit faict en general, quæcumque alligaveritis. Mays au quel des autres dict il jamais en particulier, Pasce oves meas ? ce fut le seul saint Pierre qui eut ceste charge ; ilz furent egaux en l'apostolat, mays quand a la dignité pastorale saint Pierre seul en a eu ceste institution, Pasce oves meas. Il y a des autres pasteurs en l'Eglise ; chacun doit pascere gregem qui in se est, comme dict saint [249] Pierre, ou celuy in quo eum posuit Spiritus Sanctus Episcopum, selon saint Pol ; mays, Cui unquam aliorum sic absolute, sic indiscrete, dict saint Bernard, [totæ] commissæ sunt oves, Pasce oves meas ?

            Et que ce soit bien a saint Pierre a qui ces paroles s'addressent, je m'en rapporte a la sainte Parole. Ce n'est que saint Pierre qui s'appelle Simon Joannis, ou Jonæ (que l'un vault l'autre, et Jona n'est que l'abbregé de Joannah), et affin qu'on sache que ce Simon Joannis est bien saint Pierre, saint Jan atteste que c'estoit Simon Petrus : Dicit Jesus Simoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus his ? c'est donq saint Pierre en particulier auquel Nostre Seigneur dict, Pasce oves meas. Mesme, que Nostre Seigneur en ceste parole met saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson : diligis me, voyla saint Pierre d'un costé, plus his ? voyla les Apostres de l'autre ; et quoy que tous les Apostres ny fussent pas, si est ce que les principaux y estoyent, saint Jaques, saint Jan, saint Thomas et autres. Ce n'est que saint Pierre qui fut fasché, ce n'est que saint Pierre auquel la mort est præditte ; quelle occasion donques y peut il avoir [250] de douter si ceste parolle, Pasce oves meas, qui est jointte a toutes ces autres, s'addresse a luy seul ?

            Or, que repaistre les brebis soit avoir la charge d'icelles, il appert clairement ; car qu'est ce qu'avoir la charge de paistre les brebis que d'en estre pasteur et berger ? et les bergers ont pleyne charge des brebis, non seulement ilz les conduysent aux pasturages, mays les rameynent, les establent, les conduisent, les gouvernent, les tiennent en crainte, chastient et defendent. En l'Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comm'il [est] aysé a voir en Ezechiel, au second des Rois ; et es Psalmes en plusieurs endroitz, la ou, selon l'original, il y a pascere, nous avons regere, comme au Psalme second, Reges eos in virga ferrea, et de faict, entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer il ny a pas difference ; au Psalme 22, Dominus regit me, c'est a sçavoir, me gouverne comme pasteur ; et quand il est dict que David avoit esté esleu pascere Jacob servum suum, et Israel hæreditatem suam ; et pavit eos in innocentia cordis sui, c'est tout de mesme que sil disoit, regere, gubernare, præesse ; et c'est avec la mesme façon de parler que les peuples sont appellés brebis de la [251] pasture de Nostre Seigneur, si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n'est autre que d'en estre le regent et pasteur.

            Maintenant, il est aysé a voir quelle authorité Nostre Seigneur baille a saint Pierre par ceste parole, Pasce oves meas ; car, a la verité, 1. le commandement y est si particulier quil ne s'addresse qu'a saint Pierre ; 2. la charge, si generale qu'elle comprent tous les fideles, de quelle condition quilz soyent. Qui veut avoir cest honneur d'estre brebis de Nostre Seigneur, il faut quil reconnoisse saint Pierre, ou celuy qui tient sa place, pour son berger : Si me amas, dict saint Bernard, pasce oves meas. Quas ? illius vel illius populos civitatis, aut regionis, aut certe regni oves meas, induit. Cui non planum est non designasse aliquas, sed assignasse omnes ? nihil excipitur ubi distinguitur nihil : et forte præsentes cæteri condiscipuli erant cum, committens uni, unitatem omnibus commendaret in uno grege et uno pastore, secundum illud : Una est columba mea, formosa mea, perfecta mea ; ubi unitas, ibi perfectio. [252] Quand Nostre Seigneur disoit, Cognosco oves meas, il entendoit de toutes ; quand il dict, Pasce oves, il entend encores de toutes : et qu'est ce autre chose dire, Pasce oves meas, que, aÿe soin de mon bercail, de ma bergerie, ou de mon parc et troupeau ? or, Nostre Seigneur n'a qu'un troupeau, il est donq totalement sous la charge de saint Pierre. Mays sil luy a dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes, ou quelques unes seulement : si il n'en recommandoit que quelques unes, et quelles ? je vous prie ; n'eust ce pas esté ne luy en recommander point, de luy en recommander seulement quelques unes sans luy dire lesquelles, et luy donner en charge des brebis meconneües ? si toutes, comme la parole le porte, donques il a esté le general pasteur de toute l'Eglise ; et la chose va bien ainsy sans doute, c'est l'interpretation ordinayre des Anciens, c'est l'execution de ses promesses. Mays il y a du mistere en ceste institution, que nostre saint Bernard ne permet pas que j'oublie, ja que je l'ay pris pour guide en ce point. C'est que par trois fois Nostre Seigneur luy recharge de faire office de pasteur, luy disant, pnt, Pasce agnos meos, 2nt, oviculas, 3nt oves ; non seulement affin de rendre ceste [253] institution plus solemnelle, mays pour monstrer quil luy donnoit en charge non seulement les peuples, mays les pasteurs et Apostres mesme, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres.

            Et ne faict rien contre ceste verité que saint Pol et les autres Apostres ayent repeu beaucoup de peuples de la doctrine Evangelique ; car estans tous sous la charge de saint Pierre, ce quilz ont faict luy revient encores, comme la victoire au general, quoy que les cappitaines ayent combatu.

            Ni ce que saint Pol receut la main d'association de saint Pierre ; car ilz estoyent compaignons en la predication, mays saint Pierre estoit plus grand en l'office pastoral, et les chefz appellent les soldatz et cappitaines compaignons.

            Ni ce que saint Pol est apellé l'Apostre des Gentilz, et saint Pierre, des Juifz ; par ce que ce n'estoit pas pour diviser le gouvernement de l'Eglise, ni pour empecher l'un ou l'autre de convertir et les Gentilz et les Juifz indifferemment, mays pour leur assigner les quartiers ou ilz devoyent principalement travailler a la [254] predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost rempli du son de l'Evangile.

            Ni ce quil semble quil ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de Nostre Seigneur, qui luy estoit commise ; car ce quil dict au bon Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce quil avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prædiction quil avoit expliquëe, In semine tuo benedicentur omnes familiæ terræ ; mays il n'estoit pas asseuré du tems auquel il failloit commencer la reduction des Gentilz, suyvant la sainte parole du Maistre, Eritis mihi testes in Hierusalem, et in omni Judæa, et Samaria, et usque ad ultimum terræ, et celle de saint Pol, Vobis quidem oportebat primum loqui Mot Dei, sed quoniam repellitis, ecce convertimur ad Gentes : [255] mesme que Nostre Seigneur avoit desja ouvert le sens des Apostres a l'intelligence de l'Escriture, quand il leur dict que oportebat prædicari in nomine ejus pænitentiam et remissionem peccatorum in omnes gentes, incipientibus a Hierosolima.

            Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de saint Pierre, es Actes des Apostres ; car saint Pierre y estant authorisoit asses cest acte : outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pleyne administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de saint Pierre.

            Ni ce que les Apostres envoyerent Pierre et Jan en Samarie ; car le peuple envoya bien Phinëes, grand Præstre et superieur, aux enfans de Ruben et Gad, et le Centurion envoya les senieurs et principaux des Juifz quil estimoit plus que luy mesme ; et saint Pierre se trouvant au conseil luy mesme, il y consentit et authorisa sa mission propre.

            Ni, en fin, ce qu'on faict sonner si haut, que saint Pol a repris en face saint Pierre ; car chacun sçait quil est permis au moindre de reprendre le plus grand et de l'admonester quand la charité le requiert : tesmoin [256] nostre saint Bernard en ses Livres De Consideratione ; et sur ce propos le grand saint Gregoire dict ces paroles toutes dorëes : Factus est sequens minoris sui, ut in hoc etiam præiret ; quatenus qui primus erat in apostolatus culmine, esset primus [et] in humilitate.

 

 

 

Preuve cinquiesme : Par l'exhibition de ces promesses

 

 

            Il ne fut jamais dict a pas un des autres Apostres, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise ; ainsy ne fut il jamais dict a aucun des autres, Pasce oves meas : ilz furent egaux en l'apostolat, mays St Pierre a eu luy seul ceste institution de la generale dignité pastorale. Il y a des autres pasteurs en l'Eglise ; chacun doit repaistre le troupeau qui est en luy, Pascite gregem qui in vobis est, dict saint [249] Pierre, ou celuy auquel le St Esprit l'a mis Evesque, In quo, dict St Pol, vos posuit Spiritus Sanctus Episcopos ; mays auquel des autres fut il onques dict tant absolument et indifferemment : Repais mes brebis ? Cui unquam aliorum, dict saint Bernard, sic absolute, sic indiscrete commissœ sunt oves, Pasce oves meas ?

            C'est St Pierre seul auquel ceste charge s'addresse ; Dicit Jesus Simoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus bis ? c'est donq St Pierre auquel N. Sr parle ; car pas un de la trouppe ne s'appelloit Simon Pierre, ou Simon Joannis, si ce n'est St Pierre, filz de Jonas ou Johannah (que l'un n'est qu'un abbregé de l'autre). Mesme, que N. Sr met icy saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson : M'aymes tu, voyla St Pierre d'un costé, plus que les autres ? voyla les Apostres de l'autre ; et quoy que tous n'y fussent pas, les principaux y estoyent, St Jaques, St Jan, St Thomas. [250]

            Or, que repaistre les brebis soit en avoir la charge, il appert de ce que les bergers non seulement conduisent le troupeau aux pasturages, mays le ramenent, gouvernent, defendent, chastient et establent ; et de faict, en l'Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comme il est aysé a voir en Ezechiel, au second des Rois, et es Psalmes en plusieurs endroitz. Au Psalme second, la ou, selon l'original, il y a pascere, nous avons regere, Reges eos in virga ferrea ; aussi ny a il pas grande difference entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer. Au Psalme 22, Dominus regit me, c'est a dire, me gouverne comme berger ; et quand il est dict que David avoit esté choisi pascere Jacob servum suum, et Israel hæreditatem suam ; et pavit eos in innocentia cordis sui, c'est tout de mesme que s'il y avoit regere, gubernare, prœesse ; ainsy les peuples sont appellés brebis de la pasture du Seigneur, [251] si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n'est autre que de les gouverner et regir.

            Mais, sur tout, l'authorité qui est donnee a St Pierre par ces paroles, Pasce oves meas, est si generale qu'elle s'estend sur tous les fideles mortelz, et le commandement y est si particulier quil ne s'addresse qu'a St Pierre. Qui veut avoir cest honneur d'estre brebis de Jesus Christ, il faut qu'il reconnoisse St Pierre, ou son successeur, pour berger et pasteur : Si me amas, dict St Bernard, pasce oves meas. Quas ? illius vel illius populos civitatis, aut regionis, aut certe regni ? oves meas, inquit. Cui non planum est non designasse aliquas, sed assignasse omnes ? nihil excipitur ubi distinguitur nihil : et forte præsentes cœteri condiscipuli erant cum, committens uni, unitatem omnibus commendaret in uno grege et uno pastore, secundum illud : Una est columba mea, formosa mea, perfecta mea ; ubi unitas, ibi perfectio. Quand [252] Nostre Sr disoit, Cognosco oves meas, il parloit de toutes ; quand il dict, Pasce oves meas, il entend encores de toutes : car N. Sr n'a qu'un bercail, qu'une bergerie, qu'un parc et un troupeau, il est donq totalement sous la charge de St Pierre. Et de faict, quand il luy dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes ou quelques unes seulement ; si quelques unes, n'eust ce pas esté ne luy en recommander point, puysqu'il ne luy specifioit pas lesquelles luy estoyent commises, et luy donner charge de brebis inconneues ? Il les luy a donques recommandees toutes, le faisant pasteur general de toute l'Eglise ; et la chose va bien ainsy, c'est l'interpretation ordinaire des Anciens, c'est l'execution des promesses. Mays nostre St Bernard ne me permet pas que j'oublie que N. Sr fit trois repetitions ou recharges a St Pierre ; luy disant, pnt, Pasce agnos meos, 2nt, oviculas, 3nt, oves ; non seulement affin de rendre ceste [253] institution plus solemnelle, mays encores pour monstrer qu'il luy donnoit en charge non seulement les peuples, qui sont comme agneaux et brebiettes, mays encores les pasteurs et Apostres, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres.

            Et ne faict rien contre ceste verité que saint Pol et les autres Apostres ayent repeu le troupeau chrestien du saint Evangile ; car St Pierre estant leur chef, ce qu'ilz ont faict luy revient encores, comme la victoire au general, quoy que les cappitaines ayent combattu.

            Ni ce que St Pol receut la main d'association de St Pierre ; car ilz estoyent compaignons en la predication et charge apostolique, mays St Pierre estoit plus grand et premier en la charge pastorale.

            Ni ce que St Pol estoit l'Apostre des Gentilz, et St Pierre, des Juifz ; car ce ne fut pas une division du gouvernement de l'Eglise, mays une assignation des quartiers ou ilz devoyent principalement travailler [254] en la predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost reduit a l'obeissance du Sauveur : et cela n'empechoit point que l'un et l'autre ne peust prescher parmi les Gentilz et les Juifz indifferemment, et que l'un ne fust chef en authorité.

            Ni ce quil semble que St Pierre ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de N. Sr; car ce qu'il dict au bon capitaine Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce qu'il avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prediction qu'il avoit expliquee, In semine tuo benedicentur omnes familæ terræ. Ce qui le tenoit en doute, c'estoit le tems et le point auxquelz il failloit mettre la faucille en ceste moisson du gentilisme ; suivant la sainte parole du Maistre, Eritis mihi testes in Hierusalem, et in omni Judæa, et Samaria, et usque ad ultimum terræ, et celle de saint Pol, Vobis quidem oportebat primum loqui Mot Dei, sed quoniam repellitis, ecce convertimur ad Gentes. [255]

            Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de St Pierre ; car St Pierre y estant authorisoit asses cest acte : outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pas pleine administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de St Pierre ; et nos Evesques, en l'union du Saint Siege de Rome, ordonnent et des diacres et des prestres sans autre particulier commandement.

            Ni ce que les Apostres envoyerent Pierre et Jan en Samarie : car le peuple envoya bien Phinees, grand Prestre et superieur, aux enfans de Ruben et de Gad ; le Centurion envoya les senieurs et principaux des Juifz pour parler a Nostre Seigneur, et toutefois il les estimoit plus que soy mesme ; et St Pierre se trouvant au conseil y consentit, et authorisa sa mission propre.

            Ni, en fin, ce qu'on faict sonner si haut, que St Pol a repris en face St Pierre ; car chacun sçait qu'il est permis au moindre de reprendre le plus grand, et de l'admonester avec charité et sousmission : tesmoin [256] St Bernard en ses Livres ad Eugenium ; et sur ce propos le grand St Gregoire dict ces paroles toutes dorees : Factus est sequens minoris sui, ut in hoc etiam præiret ; quatenus qui primus erat in apostolatus culmine, esset primus in humilitate.

 

 

 

Article VI. Par l'ordre avec lequel les Evangelistes nomment les Apostres

 

 

            Il C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment les Apostres ensemble avec saint Pierre, quilz ne le mettent tousjours au haut bout, tousjours en teste de la troupe : ce qui ne peut estre faict a cas et fortune ; tant par ce que c'est une observation perpetuelle es Evangiles, et que ce ne sont pas quatre ou cinq fois quilz sont nommés ensemble, mays tres souvent ou tous ou une partie, qu'aussi qu'es autres Apostres, les Evangelistes [257] n'observent point d'ordre : Duodecim Apostolorum nomina sunt hæc, dict saint Mathieu : primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philip pus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus, et Judas Iscariotes qui tradidit eum. Saint Marc met saint Jaques second, saint Luc le met troysiesme ; saint Mathieu met... ||

            C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux ensemble, quilz ne mettent tousjours saint Pierre au haut bout, tousjours en teste de la trouppe : ce qu'on ne sçauroit penser estre faict a cas fortuit, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont nommés ainsy ensemble, mays tressouvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz n'observent point d'ordre : Duodecim Apostolorum nomina hœc sunt, dict saint Mathieu : primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philippus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus et Judas Iscariotes. Il nomme saint André le second, saint Marc le nomme le 4., et, pour mieux monstrer quil [n']importe, saint Luc qui l'a mis en un lieu le 2., le met en l'autre le 4. ; saint Mathieu met saint Jan le 4., saint Marc le met le 3., saint Luc en un lieu le 4., en un autre le 2. ; saint Mathieu met saint Jaques 3., saint Marc le met 2d: bref, il ni a que saint Philippe, saint Jaques Alphæi et Judas qui ne soient tantost plus haut tantost plus bas. Quand les Evangelistes [258] nomment tous les Apostres ensemble, ailleurs, il ni a du tout point d'observation, sinon en saint Pierre qui va devant par tout. Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblëes, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray [est] il encor plus certain que si nous l'avions veu ; quand nous verrions par tout saint Pierre le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et saint Pierre, le chef et cappitaine ?

            Mays, outre cela, bien souvent quand les Evangelistes parlent de la compaignie Apostolique, ilz ne nomment que Pierre, et mettent les autres en conte par accessoire et suite : Prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant. Dixit Petrus, et qui cum illo erant. Petrus vero, et qui cum illo erant, gravati erant somno. Vous sçaves bien que nommer une personne et mettre les autres en un bloc avec luy, c'est le rendre le plus apparent, et les autres, ses inferieurs.

            Bien souvent encores on le nomme a part des autres ; comme l'Ange : Dicite discipulis ejus, et Petro. Stans autem Petrus, cum undecim. Dixerunt ad Petrum, et ad reliquos Apostolos. Respondens [259] autem Petrus et Apostoli, dixerunt. Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cæteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas ? Qu'est ceci a dire, Dicite discipulis ejus, et Petro ? Pierre estoit il pas Apostre ? Ou il estoit moins ou plus que les autres, ou il estoit esgal : jamais homme, sil n'est du tout desesperé, ne dira quil fut moins ; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part ? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Andreæ, ou Joanni ? Certes, il faut que ce soit quelque particuliere qualité qui soit en luy plus qu'es autres, et quil ne fut pas simple Apostre ; de maniere qu'ayant dict, Dicite discipulis, ou, Sicut cæteri discipuli, on peut encor demeurer en doute de saint Pierre, comme plus qu'Apostre et disciple.

            Seulement une fois en l'Escriture saint Pierre est nommé apres saint Jaques : Jacobus, Cephas et Joannes dextras dederunt societatis. Mays a la verité, il y a trop d'occasion de douter si en l'original et anciennement Pierre estoit nommé le premier ou le second, pour vouloir tirer aucune conclusion valable de ce seul lieu : car saint Augustin, saint Ambroise, saint Hierosme, tant au Commentaire qu'au texte, ont escrit [260] Pierre, Jaques, Jan, ce quilz n'eussent jamais faict silz n'eussent trouvé en leurs exemplaires ce mesm'ordre, autant en a faict saint Chrysostome, au Commentaire ; ce qui monstre la diversité des exemplaires, qui rend la conclusion de part et d'autre douteuse. Mays quand bien ceux que nous avons maintenant seroyent originaires, on ne sçauroit que deduyre de ce seul passage contre l'ordre de tant d'autres ; car il se peut faire que saint Pol tient l'ordre du tems auquel il a receu la main d'association, ou que, sans s'amuser a l'ordre, il ait escrit le premier qui luy revint. Mays saint Mathieu nous monstre clairement quel ordre il y avoit entre les Apostres, c'est a sçavoir, quil y en avoit un premier, tout le reste egal, sans second ni troysiesme : Primus, dict il, Simon, qui dicitur Petrus ; il ne dict poinct, secundus Andreas, tertius Jacobus, mays les va nommant simplement, pour nous faire connoistre que pourveu que saint Pierre fut premier, tout le reste estoient a mesme, et qu'entr'eux il ni avoit point de præseance. Primus, dit il, Petrus, et Andreas : d'icy est tiré le nom de primauté ; car sil estoit primus, sa place estoit primiere, son rang, primier, et ceste sienne qualité, primauté. [261]

            On respond a cecy que si les Evangelistes ont nommé saint Pierre le premier, ç'a esté par ce quil estoit le plus avancé en aage entre les Apostres, ou pour quelques privileges qui estoyent en luy. Mais qu'est cecy, je vous prie ? dire que saint Pierre fut le plus viel de la troupe, c'est chercher a credit une excuse a l'opiniastreté : on voit les raysons toutes cleres en l'Escriture, mays par ce qu'on est resolu de maintenir le contrayre, on en va chercher avec l'imagination ça et la. Pourquoy dict on que saint Pierre fut le plus viel, puysque c'est une pure fantasie, qui n'a point de fondement en l'Escriture et est contraire aux Anciens ? que ne dict on plus tost quil estoit celuy sur lequel Nostre Seigneur fondoit son Eglise, auquel il avoyt baillé les clefz du royaume des cieux, qui estoit le confirmateur des freres ? car tout cecy est de l'Escriture : ce qu'on veut soustenir est soustenu, sil a fondement en l'Escriture ou non, il n'importe. Et quand aux autres privileges, qu'on me les cotte par ordre, on n'en trouvera point de particuliers en saint Pierre que ceux qui le rendent chef de l'Eglise. [262]

Preuve sixiesme : Par l'ordre avec lequel les evangelistes nomment les apostres

 

 

            C'est chose bien digne de consideration a ce propos, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux, quilz ne mettent tousjours St Pierre au haut bout, tousjours [257] en teste de la compaignie : ce qu'on ne sçauroit penser estre faict sans mistere, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont ainsy nommés, mays tres souvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz [258] n'observent point d'ordre. Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblees, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray il est encor plus certain ; quand nous verrions par tout et en toutes occasions St Pierre marcher le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et St Pierre, le chef et cappitaine ?

            Mays, outre cela, bien souvent quand les Evangelistes parlent de la compaignie des Apostres, ilz ne nomment que Pierre, et mettent les autres en conte par accessoire et suite : Prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant. Dixit Petrus, et qui cum illo erant. Petrus vero, et qui cum illo erant, gravati sunt somno. Vous sçaves bien que nommer une personne a part et mettre les autres en bloc avec luy, c'est le rendre le plus apparent, et les autres, ses inferieurs.

            Bien souvent encores on le nomme a part des autres ; comme l'Ange : Dicite discipulis ejus, et Petro. Stans autem Petrus, cum undecim, Dixerunt ad Petrum, et ad reliquos Apostolos. Respondens [259] autem Petrus et Apostoli, dixerunt. Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cœteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas ? Qu'est ceci a dire, je vous prie, Dites aux disciples, et a Pierre, Pierre et les Apostres respondirent ? comment ? Pierre n'estoit il pas Apostre ? Ou il estoit moins, ou esgal, ou plus que les autres ; jamais homme ne dira, sil n'est du tout desesperé, quil fut moins ; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part ? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Jacobo, ou Joanni ?

            Seulement une fois St Pierre est nommé apres St Jaques : Jacobus, Cepbas et Joannes dextras dederunt societatis. Mays a la verité, il y a trop de quoy douter que l'original ne fust pas de la façon, pour tirer aucune conclusion valable de ce seul passage : car St Augustin, St Ambroise, St Hierosme, tant en leurs Commentaires qu'au texte, [260] n'ont pas escrit Jaques, Pierre et Jan, mays Pierre, Jaques, Jan, autant en a faict St Chrysostome, au Commentaire ; qui monstre la diversité des exemplaires, et rend la conclusion de part et d'autre douteuse. Mays que pourroit on deduire de ce seul passage contre l'ordre de tant d'autres ? car il se peut faire que St Pol tient l'ordre du tems auquel il a receu la main d'association, et qu'il l'ait receue premierement de St Jaques, ou que, sans s'amuser a l'ordre, il ait mis le premier celuy qui le premier luy revint. Au reste, St Mathieu nous monstre clairement quel ordre il y avoit entre les Apostres, a sçavoir, quil y en avoit un premier et tout le reste egal, sans second ni troysiesme : Primus, dict il, Simon, qui dicitur Petrus ; il ne dict poinct, secundus Andreas, tertius Jacobus, mays les va nommant simplement, pour nous faire connoistre que pourveu que St Pierre fut premier, tout le reste estoient a mesme, et ny avoit plus de precedence. D'icy est tiré le nom de primauté, car sil estoit primus, son rang estoit primier, sa place primiere, et sa dignité estoit primauté, [261]

            Dignité laquelle on ne peut rejetter sur la viellesse de St Pierre, car ce seroit une pure fantasie, et une trop grosse excuse a l'opiniastreté, qui n'a point de fondement en l'Escriture, et est contraire a la tradition des Anciens ; et qu'il ne fut pas le plus ancien Apostre, l'Escriture le monstre ouvertement qui tesmoigne que St André l'amena a N. Sr; et quand aux autres qualités et conditions de St Pierre, on n'en trouvera point de particulieres qui le puissent avancer plus que les autres, sinon celles qui le rendent chef de l'Eglise. [262]

 

 

 

Article VII. De quelques autres marques, qui sont semëes es Escritures, de la Primauté de saint Pierre

 

 

            Si je voulois apporter icy tout ce qui s'en trouve, je ferois aussi grande ceste preuve que je veux faire toute ceste Partie ; et ne me cousteroit guere, car cest excellent theologien Robert Belarmin me mettroit beaucoup de choses en main, mays sur tout le docteur Nicolas Sander a traité ce sujet si solidement et amplement, qu'il est malaysé d'en dire rien quil n'ayt dict et escrit en ses Livres De la Visible Monarchie : j'en præsenteray quelques pieces.

            Si l'Eglise est comparee a un bastiment, comm'elle l'est, son rocher et son fondement ministerial en est sainct Pierre.

            Si vous la dites semblable a une famille, il ny a que [263]

            Nostre Seigneur qui paie tribut, comme chef de mayson, et apres luy saint Pierre, comme son lieutenant.

            Si a une nasselle, saint Pierre en est le patron, et en celle la Nostre Seigneur enseigne.

            Si a une pesche, saint Pierre y est le premier, les vrays disciples de Nostre Seigneur ne peschent qu'avec luy.

            Si aux retz et filetz, c'est saint Pierre qui les jette en mer, c'est saint Pierre qui les tire, les autres disciples y sont coadjuteurs ; c'est saint Pierre qui les met a port, et presente les poissons a Nostre Seigneur.

            Dites vous qu'ell'est semblable a une legation ? saint Pierre y est le premier.

            Dites vous que c'est une fraternité ? saint Pierre y est le premier, le gouverneur et confirmateur des autres.

            Aimes vous mieux que ce soit un royaume ? saint Pierre en porte les clefz.

            Voules vous que ce soit un parc ou bercail de brebis et d'aigneaux ? et saint Pierre en est le pasteur et berger general. [264]

            Dites maintenant, en conscience, comme pouvoit Nostre Seigneur tesmoigner plus vivement son intention ? l'opiniastreté ne voit goutte parmi tant de lumieres ? Saint André vint le premier a la suite de Nostre Seigneur, ce fut luy qui y amena son frere saint Pierre, et saint Pierre præcede par tout ; que veut dire cela, sinon que l'avantage que l'un avoit en tems, l'autre l'avoit en dignité ?

            Mays passons outre. Nostre Seigneur est il monté au ciel, toute la sainte brigade Apostolique se retire chez saint Pierre, comme chez le commun pere de famille ; saint Pierre se leve entr'eux et parle le premier, enseigne l'interpretation d'une grave prophetie, a le premier soin de la restauration et creüe du nombre Apostolique, comme chef et colomnel. C'est luy qui le premier proposa de faire un Apostre ; qui n'estoit pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays saint Pierre, enseignant l'Eglise, monstre, et que Judas avoit perdu son apostolat, [265] et quil en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de cest'authorité, qui continue es autres apres la mort, et delaquelle ilz feront encor exercice au jour du jugement, lhors quilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel.

            Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le Saint Esprit, que saint Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onse compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salut aux Juifz en Hierusalem : c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la pœnitence ; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays saint Pierre seul respond pour tous, comme chef de tous.

            Sil faut mettre la main au tresor des miracles concedé a l'Eglise, quoy que saint Jan y soit et soit invoqué, saint Pierre seul y met la main.

            Faut il donner commencement a l'usage du glaive spirituel de l'Eglise, pour chastier le mensonge ? c'est saint Pierre qui assigne le premier coup, sur Ananie et Saphire : de la vient la haine que tous les menteurs [266] portent a son Saint Siege, par ce que, comme dict saint Gregoire, Petrus mentientes verbo occidit.

            C'est le premier qui reconnoit l'erreur et refute l'heresie, en Simon Magus ; de la vient la hayne irreconciliable de tous heretiques a son Siege.

            C'est le premier qui resuscita les morts, quand il prie pour la devote Tabite.

            Est il tems de mettre la main a la moyson du paganisme ? c'est saint Pierre a qui s'en addresse la revelation, comm'au chef de tous les ouvriers et l'œconome de la metairie. Le bon cappitaine italien Cornelius est il prest a recevoir la grace de l'Evangile ? on le renvoÿe a saint Pierre, affin que par ses mains fust dedié et beny le Gentilisme. C'est le premier qui commande qu'on baptise les payens.

            Se trouve l'on en un Concile general ? saint Pierre, comme præsident, y ouvre la porte au jugement et a la definition, et sa sentence [est] suyvie des autres, sa particuliere revelation y sert de loy.

            Saint Paul confesse quil est venu expres en Hierusalem [267] voir saint Pierre, et demeura quinze jours pres de luy ; il y vit saint Jaques, mays il n'estoit pas venu pour le voir, ains seulement saint Pierre. Qu'est ce a dire cecy ? que n'alloit il aussi bien pour voir le grand apostre et si signalé saint Jaques, que saint Pierre ? par ce qu'on regarde les gens en teste et en face, et saint Pierre estoit le chef de tous les Apostres.

            Estant en prison, toute l'Eglise faict prieres continuelles pour luy.

            Si cecy n'est pas estre le premier et chef des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, les pasteurs, pasteurs, ni les docteurs, docteurs ; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre un pasteur, un docteur, un Apostre, que celles que le Saint Esprit a mis es Escritures pour faire reconnoistre saint Pierre pour chef de l'Eglise ? [268]

 

 

 

De quelques'autres marques de la primaute de saint Pierre semees es Escritures : Preuve septiesme

 

 

            Ce grand docteur Nicolas Sanderus a traité ce sujet si doctement et amplement, en ses Livres De la Visible Monarchie de l'Eglise, qu'il est malaysé d'en dire rien qu'il n'ayt escrit, et ne cousteroit guere de m'y estendre bien avant : j'en presenteray quelques pieces. Qui lira attentivement les Escritures verra par tout ceste primauté de St Pierre.

            Si l'Eglise y est comparee a un bastiment, son rocher et son fondement en est St Pierre.

            Si vous la dites semblable a une famille, il ny a que Nostre [263] Seigr qui paie tribut, comme chef de mayson, et apres luy St Pierre, comme son lieutenant.

            Voules vous que ce soit une nacelle ? St Pierre en est le patron, et en celle la seule Nostre Seigr enseigne.

            Aimes vous mieux que ce soit une pesche ? St Pierre y est le premier et guide, les vrays disciples de Nostre Sr ne peschent qu'avec luy.

            Si vous l'accompares aux retz et filetz, c'est St Pierre qui les jette en mer, c'est St Pierre qui les tire, qui les met a port, et presente les poissons a Nostre Seigr ; les autres disciples n'y sont que coadjuteurs.

            Dites vous qu'elle est semblable a une legation ? St Pierre y est le premier.

            Si vous dites que ce soit une fraternité, St Pierre y est le premier, gouverneur et confirmateur des autres.

            Si c'est un royaume, St Pierre en a les clefz.

            Si c'est une bergerie ou bercail de brebis et d'aigneaux, St Pierre en est le pasteur et berger general. [264]

            Dites maintenant, en conscience, comme pouvoit Nostre Sr tesmoigner plus vivement son intention et nostre creance ? se peut il faire que l'opiniastreté ne voye goutte parmi tant de lumieres ? St André vint le premier a la suite de N. S., ce fut luy qui amena St Pierre son frere, mays ce dernier venu precede par tout ; que veut dire cela, sinon que l'avantage que l'un avoit en tems, l'autre l'avoit en dignité ?

            Mays passons outre. Nostre Seigr est il monté au ciel, toute la sainte brigade Apostolique se retire chez St Pierre, comme chez le commun pere de famille ; St Pierre se leve entr'eux, parle le premier, et y enseigne l'interpretation d'une grave prophetie. Il a le premier soin de la restauration et creüe de la compaignie Apostolique, comme chef et general : c'est luy qui le premier propose de faire un nouvel Apostre ; qui ne fut pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays St Pierre, enseignant l'Eglise, monstra, et que Judas avoit perdu son apostolat [265] et qu'il en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de ceste authorité, qui continue es autres apres la mort, et de laquelle ilz feront exercice au jour du jugement, lhors qu'ilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel.

            Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le St Esprit, que St Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onze compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salvation aux Juifz en Hierusalem : c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la penitence ; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays St Pierre seul respond pour tous, comme chef de la troupe.

            Sil faut mettre la main au tresor des miracles concedé a l'Eglise, quoy que St Jan y soit et soit invoqué, St Pierre seul y met la main.

            Faut il donner commencement a l'usage du glaive spirituel pour chastier le mensonge ? c'est St Pierre qui assigne le premier coup, sur Ananie et Saphire : de la vient la haine que les faux [266] docteurs portent a son Saint Siege et succession, par ce que, comme dict S4 Gregoire, Petrus mentientes verbo occidit.

            C'est le premier qui reconnoit l'erreur et refute l'heresie, en Simon le Magicien ; et c'est pourquoy les heretiques ont inimitié irreconciliable avec son Siege.

            C'est le premier qui resuscita les morts, priant pour la devote Tabite.

            Est il tems de recueillir la moysson du paganisme ? c'est a saint Pierre auquel s'addresse la revelation, comme au chef de tous les ouvriers et l'econome de la metairie : ainsy, quand le bon cappitaine italien Cornelius fut prest a recevoir la grace de l'Evangile, on le renvoya a St Pierre, affin que par ses mains le Gentilisme fust consacré et dedié. C'est le premier qui commande qu'on baptise les payens.

            Assemble on un Concile general ? St Pierre, comme president, y ouvre la porte au jugement et a la definition ; sa sentence est suivie des autres, et sa particuliere revelation y sert de loy.

            Saint Paul confesse quil est venu expres en Hierusalem voir [267] St Pierre, et demeura quinze jours pres de luy ; il y vit bien St Jaques, mays ce fut par accessoire. Que n'alloit il aussi bien voir les autres Apostres ? parce, a la verité, qu'on regarde les gens a la teste et a la face, et St Pierre estoit le chef et teste de tous les Apostres.

            St Pierre et St Jaques estans en prison, l'Evangeliste tesmoigne que des prieres continuelles furent faictes en l'Eglise pour St Pierre, comme pour le chef general et magistrat commun.

            Si tout cecy mis ensemble ne nous faict reconnoistre St Pierre pour chef de l'Eglise et des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, ni les pasteurs, pasteurs ; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre l'authorité d'un Apostre et pasteur sur le peuple, que celles que le St Esprit a mis es Escritures pour faire paroistre St Pierre au dessus des Apostres, des pasteurs et de toute l'Eglise ? [268]

 

 

 

Article VIII. Le tesmoignage de l'Eglise sur ce faict

 

 

            Pour vray, l'Escriture suffit, mays considerons qui la force et viole. Si nous commencions a la tirer [en] consequence pour la primauté de saint Pierre, on pourroit croire que nous la forçons ; mays quoy ? ell'est tres claire en ce faict, et a esté entendue de toute l'Eglise premiere en ce sens. Ceux la donques la forcent, qui y apportent un sens nouveau, qui la tirent contre la nature de ses paroles et contre le sens de l'antiquité : ce que sil est loysible a chacun, l'Escriture ne servira plus que de jouët aux cerveaux fantasques et opiniastres.

            Que veut dire que l'Eglise ancienne n'a jamais tenu pour sieges patriarchaux sinon ceux de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche ? on peut faire mille fantasies, mays il ni a point d'autre rayson que celle que produit saint Leon, par ce que saint Pierre a fondé ces trois sieges ilz ont estés appellés et tenus pour patriarchaux ; comme tesmoignent le Concile de Nicëe et celuy de [269] Calcedoyne, ou on faict grande difference entre ces trois sieges et les autres. Que quand a celuy de Constantinople et de Hierusalem, qui lira ces Conciles verra la difference en laquelle on les tient d'avec ces trois autres, fondés par saint Pierre ; non que le Concile de Nicëe parle du siege de Constantinople, car Constantinople n'estoit encores rien en ce tems la, n'ayant esté eslevëe que par le grand Constantin, qui la dedia et nomma l'an 25 de son Empire, mays le Concile de Nicëe traitte du siege de Hierusalem, et celuy de Calcedoine, de celuy de Constantinople. Par la preseance et preeminence de ces trois sieges, l'Eglise ancienne a asses tesmoigné qu'elle tenoit saint Pierre pour son chef, qui les avoit fondés ; autrement, que ne mettoit elle encor en semblable rang le siege d'Ephese, fondé par saint Pol, confirmé et affermi par saint Jan, ou le siege de Hierusalem, auquel saint Jaques avoit conversé et præsidé ?

            Que tesmoignoit elle autre, quand, es lettres publiques et patentes quilz appelloyent anciennement formëes, apres la premiere lettre du Pere, Filz, et Saint Esprit, [270] on y mettoit la premiere lettre de Petrus, sinon qu'apres Dieu tout puyssant, qui est le Roy absolu, l'authorité du lieutenant est en grand pris vers ceux qui sont bons Chrestiens ?

            Quand au consentement des Peres sur ce faict, Sanderus a levé tout'occasion a la posterité d'en douter ; je produiray seulement les noms avec lesquelz les Peres l'ont appellé, qui monstrent asses leur creance.

            Ilz l'ont appellé Chef de l'Eglise, comme saint Hierosme, et saint Chrysostome, Hom. 56. in Matheum.

            Optatus Milevïtanus appellat Caput, l. 2. contra Parmen.

            Fælix Ecclesiæ fundamentum, comme St Hilaire, et Cæli janitorem.

            Primum Apostolorum, comme saint Augustin, apres saint Mathieu. [271]

            Apostolorum os et verticem, comme Origene et saint Chrysostome.

            Os et principem Apostolorum, comme le mesme saint Chrysostome, Hom. 88. in Joann.

            Curatorem fratrum et orbis terrarum, Idem, ibid.

            Ecclesiæ pastorem et caput adamante firmius, Id., Hom. 55. in Math.

            Basis Ecclesiæ, Chrysost. Hom. 4. in c. 6. Isaiæ.

            Petram indelebilem, crepidinem immobilem, Apostolum magnum, primum discipulorum, primum vocatum et primum obedientem, [Idem,] Hom. 9. de Pœnitentia.

            Ecclesiæ firmamentum, Christianorum ducem et magistrum, spiritalis Israelis columnam, fluctuantium gubernatorem, cælorum magistrum, Christi os, summum Apostolorum verticem, Idem, Sermone in adoratione venerabilium catenarum et gladii sancti et Apostolorum principis Petri.

            Ecclesiæ principem, Idem, Homil. in SStos Pet. et Paul, et Heliam, portum fidei, orbis terrarum magistrum. [272]

            Primum in Apostolatus culmine, Greg., Hom. 18. in Ezech.

            Christianorum primum Pontificem, Euseb., in Chronico anni 44.

            Magister militiæ Dei, Idem, l. 2. Hist. c. 14.

            Cæteris prælatum discipulis, Bas., Serm. de Judicio Dei.

            Orbis terrarum præpositus, Hom. 56. in Math., Chrysost.

            Dominum domus Domini et principem omnis possessionis ejus, Bernard., ep. 237, ad Eugenium.

            Qui osera s'opposer a ceste societé? ilz parlent ainsy, ilz entendent ainsy l'Escriture. [273]

 

 

 

Preuve huitiesme : Par le tesmoignage de l'Eglise

 

 

            Nostre cause est si clairement deduitte en l'Escriture, que c'est presque chose vaine d'y rien adjouster : mays affin que vous sçachies que nous n'y apportons point d'interpretation forcee ou controuvee, je produiray ce qu'en a pensé toute l'Eglise premiere.

            Que veut dire que l'Eglise ancienne n'a jamais tenu pour sieges patriarchaux sinon celuy de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche ? on peut faire mille fantasies, mays il ni a point d'autre rayson que celle que dict St Leon, par ce que St Pierre a fondé ces trois sieges. Et partant le Concile de Nicee et celuy de [269] Calcedoyne ont faict une grande difference entre ces trois sieges et les autres, et quand a celuy de Constantinople et Hierusalem, qui lira ces Conciles verra bien qu'il n'y a point de comparaison ; non que le Concile de Nicee parle du Siege de Constantinople, car Constantinople n'estoit encores rien en ce tems la, n'ayant esté eslevee que par le grand Constantin, qui la dedia et nomma l'an 25 de son Empire, mays le Concile de Nicee traitte du siege de Hierusalem, et le Concile de Calcedoine, de celuy de Constantinople. Donques, par la preseance et preeminence de ces trois sieges, l'Eglise ancienne a asses tesmoigné qu'elle tenoit St Pierre pour son chef, qui en estoit le fondateur ; autrement, que ne mettoit elle en semblable rang le siege d'Ephese, fondé par St Pol, continué par St Jan, ou celuy de Hierusalem, ou St Jaques avoit presidé ?

            Que tesmoignoit elle autre, quand, es lettres publiques et patentes qu'on appelloit anciennement formees, apres les premieres lettres du Pere, Filz, et St Esprit, on y mettoit la premiere [270] lettre de Petrus, sinon qu'apres Dieu tout puissant, les bons Chrestiens honnorent son Vicaire ?

            Quand au consentement des Peres sur ce faict, Sanderus et mille autres ont levé toute occasion a la posterité d'en douter ; mais je produiray seulement les noms avec lesquelz les Peres ont appellé St Pierre, qui monstrent asses leur creance touchant son authorité.

            St Chrysostome, St Hierosme et St Optatus l'appellent Chef de l'Eglise.

            St Hilaire : Heureux fondement de l'Eglise, et Huissier du ciel.

            St Augustin : Premier des Apostres. [271]    Origene et St Chrysostome l'appellent Bouche, couppeau et prince des Apostres.

             [S. Chrysostome :] Curateur des freres et de l'univers ; Pasteur et chef de l'Eglise, plus ferme que le diamant ; Petram indelebilem, crepidinem immobilem, Apostolum magnum, primum discipulorum ; Ecclesiæ firmamentum, Christianorum ducem et magistrum, spiritalis Israelis columnam, fluctuantium gubernatorem, cælorum magistrum, Christi os, summum Apostolorum verticem ; Ecclesiæ principem, portum fidei, orbis terrarum magistrum. [272]

            Et St Gregoire : Primum in Apostolatus culmine.

            Eusebe : Christianorum primum Pontificem, et Magistrum militiæ Dei.

            St Basile : Cæteris prælatum discipulis.

            St Chrysostome : Orbis terrarum præpositum.

            Et St Bernard : Dominum domus Domini et principem omnis possessionis ejus.

            Qui osera maintenant s'opposer a ceste sainte societé ? ilz parlent ainsy, ilz entendent ainsy l'Escriture, et pensent, selon icelle, que tous ces noms et tiltres soyent deus a St Pierre. L'Eglise donques fut laissee en terre par son Sauveur et Espoux avec un chef visible, vicaire et lieutenant du Maistre et Seigneur ; l'Eglise donques doit estre unie en un chef visible ministerial. [273]

 

Article IX. Que saint Pierre a eu des successeurs au vicariat general de Nostre Seigneur

 

 

            J'ay fermement prouvé cy dessus que l'Eglise Catholique estoit une monarchie, en laquelle un chef ministerial gouvernoit tout le reste : ce n'a donq pas esté saint Pierre seulement qui en a esté le chef, mais faut que comme l'Eglise n'a pas manqué par la mort de saint Pierre, ainsy l'authorité d'un chef n'y ait pas manqué ; autrement elle ne seroit pas une, ni au train auquel son fondateur l'avoit mise.

            Et de vray, toutes les raysons pour lesquelles Nostre Seigneur mit un chef en ce cors, ne demandent pas tant quil y fust en ce commencement, ou les Apostres qui gouvernoyent l'Eglise estoyent saints, humbles, charitables, amateurs d'unité et concorde, qu'au progres et suite d'icelle, quand la charité rafredie chacun s'ayme soymesme, personne ne veut se tenir au dire d'autruy ni subir la discipline. Je vous prie, si les [274] Apostres, a l'entendement desquelz le Saint Esprit esclairoit de si pres, si fermes et puyssans, avoient besoin de confirmateur et de pasteur pour la forme de leur union, combien plus maintenant l'Eglise en a necessité, quand il y a tant d'infirmités et foiblesses es membres de l'Eglise ? la rayson de saint Hierosme a bien autrement lieu maintenant qu'au tems des Apostres, Inter omnes unus eligitur, ut capite constituto schismatis tollatur occasio. La bergerie de Nostre Seigneur doit durer jusqu'a la consummation du monde en unité, l'unité donques d'un pasteur y doit encores durer, tout cecy a esté bien preuvé cy dessus : dont il s'ensuit manifestement que saint Pierre a eu des successeurs, en a encores, et aura jusqu'a la consummation du siecle. [275]

 

 

 

Que saint Pierre a eu des successeurs en sa charge

 

 

            Ce n'a pas esté St Pierre seulement qui a esté chef de l'Eglise, mais comme l'Eglise n'a pas defailli par la mort de St Pierre, ainsy l'authorité d'un chef n'y a pas manqué ; autrement l'Eglise ne seroit plus une, ni au train auquel Nostre Seigneur l'avoit mise.

Et toutes les raysons pour lesquelles N. S. mit un chef en ce cors, demandent quil y soit non seulement pour un tems, mais en tout le progres et succession de l'Eglise. Je vous prie, si les [274] Apostres, a l'entendement desquelz le St Esprit esclairoit de si pres, si fermes et puissans, avoyent besoin de confirmateur et pasteur pour la forme et entretenement visible de leur union, et de toute l'Eglise, combien plus maintenant en avons nous necessité, quand il y a tant d'infirmités et foiblesses es membres de l'Eglise ? et si les volontés des Apostres, si fermement liees par la charité, eurent besoin d'une liaison exterieure de l'authorité d'un chef, combien plus par apres, quand la charité s'est tant rafroidie, a l'on eu besoin de ceste liaison d'une authorité et d'un magistrat visible ? Que si, comme dict St Hierosme, au tems des Apostres Unus inter omnes eligitur, ut capite constituto schismatis tollatur occasio, combien plus maintenant, pour la mesme rayson, est il necessaire qu'il y ait un chef en l'Eglise ? La bergerie Chrestienne doit durer en unité visible jusqu'a la consummation du monde, donques l'unité de gouvernement exterieur y doit demeurer encores, et personne n'a l'authorité de changer la forme d'administration que Nostre Seigneur y a mise : dont il s'ensuit notoirement que St Pierre a eu des successeurs, en a encores, et en aura jusqu'a la fin du siecle. [275]

 

Article X. Des conditions requises pour succeder

 

 

            Je ne fais pas ici profession de traitter les difficultés a fons de cuve, il me suffit d'avancer quelques principales raysons, et mettre au net nostre creance ; que si je voulois m'amuser aux objections qu'on faict sur ce point, j'aurois plus d'ennuy que de peyne, et la pluspart sont si legeres qu'elles ne meritent pas qu'on y perde le tems. Voyons quelles conditions sont requises pour succeder a une charge.

            On ne succede qu'a celuy qui cede et quitte sa place, soit par deposition ou par la mort ; qui faict que Nostre Seigneur est tousjours Chef et sauverain Pontife de l'Eglise, et auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n'a cedé ou quitté ce sacerdoce [ou] pontificat, quoy quil l'exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l'Eglise militante : [276] mays ces ministres et lieutenantz, tout tant quil y a de pasteurs, peuvent ceder et cedent, soit par deposition ou par la mort, leurs offices et dignités.

            Or nous avons monstré que saint Pierre a esté supreme chef ministeriel de l'Eglise, et que cest office ou dignité ne luy a pas esté baillé pour luy seulement, mays pour le bien et prouffit de toute l'Eglise, si que ce doit estre un office perpetuel en l'Eglise militante. Mays comme seroit il perpetuel si saint Pierre n'avoit point de successeur ? car on ne peut pas douter que saint Pierre ne soit plus pasteur de l'Eglise, puysquil n'est plus en l'Eglise militante, ni mesme homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l'Eglise visible. Reste a sçavoir comm'il a faict ceste cession, comm'il a quitté ce sien pontificat, si c'est ou par deposition faicte entre vivantz, ou par la mort naturelle ; puys on verra qui luy a succedé et par quel droit.

            Et d'un costé, personne ne doute que saint Pierre n'ait continué en sa charge toute sa vie ; car ceste parole de Nostre Seigneur, Pasce oves meas, luy fut non seulement une institution en ceste supreme [277] charge pastorale, mais un commandement absolu, qui n'avoit point d'autre limitation que par le terme de sa vie, non plus que cest autre, Prædicate Evangelium omni creaturæ, a quoy les Apostres vacquerent jusques a la mort. Pendant donques que saint Pierre vesquit ceste vie mortelle, il n'eut point de successeur, et ne deposa point sa charge, ni n'en fut point deposé ; car il ne le pouvoit estre sinon par l'heresie, qui n'eut jamais acces chez les Apostres beaucoup moins chez leur chef, sinon que le Maistre de la bergerie l'en eust levé, ce que non.

            Ce fut donques la mort qui le leva de ceste sentinelle et de ce guet general quil faisoit, comme pasteur ordinaire, sur toute la bergerie de son Maistre : mays qui succeda en sa place ? Et quand a ce point, toute l'antiquité est d'accord que c'est l'Evesque de Rome, avec ceste rayson : saint Pierre mourut Evesque de Rome, donques l'evesché de Rome fut le dernier siege du chef de l'Eglise, donques l'Evesque de Rome, qui fut apres la mort de saint Pierre, succeda au chef de l'Eglise, et, par consequent, fut chef de l'Eglise. Quelqu'un [278] pourroit dire quil succeda au chef de l'Eglise quand a l'evesché de Rome, mays non quand a la monarchie du monde ; mays celuy la devroit monstrer que saint Pierre eut deux sieges, dont l'un fut pour Rome, l'autre pour l'univers, ce qui n'est point. Il eut bien, a la verité, un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que saint Pierre vesquit long tems apres, et n'avoit pas deposé ceste charge ; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement, et s'assit en son siege qui estoit siege general de tout le monde et de l'evesché de Rome en particulier, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise et successeur de saint Pierre : ce que je vais prouver maintenant si solidement qu'autre que les opiniastres n'en pourra douter. [279]

 

 

 

Des conditions requises pour succeder a saint Pierre

 

 

            Ce n'est ici qu'un Memorial, et n'est pas rayson que je m'amuse a toutes sortes d'objections ; on en faict sur ce point qui sont si legeres et vaines qu'elles ne meritent pas qu'on s'y amuse. Voyons comme on peut succeder en charge a une personne.

            On ne succede qu'a celuy qui quitte et cede sa place, soit par deposition ou par la mort ; qui faict que N. S. est tousjours Chef et sauverain Pontife de l'Eglise, auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n'a cedé ou quitté son sacerdoce ou pontificat, quoy quil l'exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l'Eglise militante, outre ce quil a une authorité si excellente qu'elle n'est pas en tout communicable : [276] mays ces ministres et vicaires cedent necessairement leurs offices et dignités, ou par deposition ou par la mort.

            Or nous avons monstré que St Pierre a esté chef ministeriel de l'Eglise, et que ceste charge luy a esté baillee pour le bien et utilité publique du Christianisme, si que, le Christianisme durant tousjours, ceste mesme charge et authorité doit estre perpetuelle en l'Eglise militante ; mays St Pierre n'est plus pasteur de l'Eglise, puysqu'il n'est plus en l'Eglise militante, ni homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l'Eglise visible. Reste a voir comme il a quitté et cédé son pontificat, si c'est ou par deposition faicte entre vivans, ou par la mort naturelle ; puys on verra qui luy a succedé et par quel droit.

            Et d'un costé, c'est chose certaine que St Pierre a continué en sa charge toute sa vie ; car ceste parole de N. Sr, Repais mes brebis, luy fut non seulement une institution en ceste supreme [277] charge pastorale, mais un commandement absolu, qui n'avoit point d'autre limitation que par le terme de sa vie, non plus que cestuy la, Prædicate Evangelium omni creaturæ, a quoy les Apostres vacquerent jusques a la mort. Pendant donques que St Pierre vesquit ceste vie mortelle, il n'eut point de successeur, et ne ceda ou quitta point sa charge, ni n'en fut point deposé ; car il ne le pouvoit estre que par l'heresie, laquelle n'eut jamais acces chez les Apostres beaucoup moins chez leur chef, sinon que le Maistre de la bergerie l'en eust levé, ce que non.

            Ce fut donques la mort qui le leva de ceste sentinelle generale quil faisoit, comme pasteur ordinaire, sur toute la bergerie du Maistre : mays qui succeda en sa place ? Et quand a ce point, toute l'antiquité dict que c'est l'Evesque de Rome. Voicy sa rayson : St Pierre mourut Evesque de Rome, Rome donques fut le dernier siege du chef de l'Eglise, l'Evesque donques de Rome, qui fut apres la mort de St Pierre, succeda a St Pierre, et, par consequent, [278] fut chef de l'Eglise. Quelqu'un dira quil succeda au chef de l'Eglise quand a l'evesché de Rome, mays non pas quand a la primauté et charge generale ; mays celuy la devroit monstrer que St Pierre eut deux sieges, l'un pour Rome, l'autre pour l'univers, ce qui n'est point. Il eut un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que St Pierre vesquit longuement apres, qui n'avoit quitté ceste charge generale ; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement et purement, et s'assit en son siege, qui estoit siege de l'evesché de Rome et de tout le monde, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise pour Nostre Seigneur, et successeur de St Pierre : ce que je vais prouver si fermement, qu'autre qu'un opiniastre n'en pourra douter. [279]

 

 

 

Article XI. Que l'Evesque de Rome est vray successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise militante

 

 

            J'ay præsupposé que saint Pierre ayt esté Evesque de Rome et soit mort tel ; ce que tous les adversaires nient, mesme que plusieurs d'entr'eux nient quil ayt jamais esté a Rome, les autres, que sil y a esté, quil y soit mort. Mays je n'ay que faire de combattre toutes ces negatives par le menu, puysque, quand j'auray bien preuvé que saint Pierre a esté et est mort Evesque de Rome, j'auray suffisamment prouvé que l'Evesque de Rome est successeur de saint Pierre ; outre ce que tous mes raysons et mes tesmoins portent en termes expres que l'Evesque de Rome a succedé a saint Pierre, qui est mon intention, delaquelle neantmoins reussira une claire certitude que saint Pierre a esté a Rome et y est mort.

            Et voici mon premier tesmoin : saint Clement, disciple de saint Pierre, en Fepistre premiere quil a escrit ad Jacobum fratrem Domini, laquelle est si authentique que Ruffin en a esté traducteur il y a environ [280] douze cens ans ; or il dict ces paroles : Simon Petrus, Apostolus primus, Regem seculorum usque ad Romance urbis notitiam, ut etiam ipsa salvaretur, invexit ; hic pro pietate pati volens, apprehensa manu mea in conventu fratrum, dixit : Clementem hunc Episcopum vobis ordino, cui soli meæ prædicationis et doctrinæ Cathedram trado ; (et peu apres) Ipsi trado a Domino mihi traditam potesatem ligandi et solvendi. Et quand a l'authorité de cest'epistre, Damasus, in Pontificali, en la vie de Clement, en parle ainsy : In epistola quæ ad Jacobum scripta est, qualiter Clementi commissa est a beato Petro Ecclesia reperies ; et Rufin, en la præface sur les Livres Des Reconnaissances de saint Clement, en parle fort honorablement, et dict quil l'avoit mise en Latin, et que saint Clement y tesmoignoit de son institution, et quod eum reliquerit successorem Cathedræ. Ce tesmoignage faict voir, et que saint Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque ; car sil n'y eust esté Evesque, comme eust il baillé la chaire a saint Clement quil n'y eust pas eüe ? [281]

            Le 2. saint Irenëe, l. 3. c. 3 : Maximæ et antiquissimæ et omnibus cognitæ, a duobus gloriosissimis Apostolis Petro et Paulo Romæ fundatæ Ecclesiæ, etc. ; et peu apres : Fundantes igitur et instruentes beati Apostoli Ecclesiam, ejus administrandæ episcopatum Lino tradiderunt ; succedit ei Anacletus, post eum, tertio ab Apostolis loco, episcopatum sortitur Clemens.

            Le 3. Tertullien, de Præscript. : Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat ; et au mesme livre : Fœlix Ecclesia, cui totam doctrinam Apostoli cum sanguine suo profuderunt, et parle de l'Eglise Romayne, ubi Passioni Dominicæ Petrus adæquatur : ou vous voyes que saint Pierre est mort a Rome, et y a constitué saint Clement, si que, joignant ce tesmoignage aux autres, on voit quil y a esté Evesque et y est mort enseignant.

            Le 4. saint Cyprien, ep. 55, ad Cornelium : Navigare audent ad Petri Cathedram, atque ad Ecclesiam principalem, unde unitas sacerdotalis exorta est, et parle de l'Eglise Romaine.

            Eusebe, in Chronico anni 44 : Petrus, natione [282] Galilæus, Christianorum Pontifex primus, cum primum Antiochenam Ecclesiam fundasset, Romam proficiscitur ; ubi Evangelium prædicans 25 annis, ejusdem urbis Episcopus perseverat.

            Epiphanius, Hær. 27 : Episcoporum in Roma successio hanc habuit consequentiam : Petrus et Paulus, Linus, Cletus, Clemens, etc.

            Dorotheus, in Sinopsi  : Linus, post choripheum Petrum, Romæ Episcopus fuit.

            Optatus Milevitanus : Negare non potes scire te, in urbe Roma Petro primo Cathedram episcopalem esse collatam, in qua sederit omnium Apostolorum caput Petrus ; et peu apres : Sedit prior Petrus, cui succedit Linus, Lino successit Clemens.

            Hieronymus, ad Damasum Cum successore piscatoris et discipuli Crucis loquor ; ego Beatitudini tuæ, id est, Cathedræ Petri, communione consocior.

            Sanctus Augustinus, ep. 165, ad Generosum : Petro successit Linus, Lino, Clemens. [283]

            Au 4. Concile general de Calcedoine, Act. 3 , quand les legatz du Saint Siege veulent porter sentence contre Dioscorus, ilz disent en ceste façon : Unde sanctissimus et beatissimus magnæ et senioris Romæ Leo, per nos et præsentem sanctam Sinodum, una cum ter beatissimo et omni laude digno beato Petro Apostolo, qui est petra et crepido Ecclesiæ Catholicæ, nudavit eum tam episcopatus dignitate quam etiam ab sacerdotali alienavit ministerio. Notes un peu ces traitz : que le seul Evesque de Rome le prive par ses legatz et par le Concile, que ilz joignent l'Evesque de Rome avec saint Pierre ; car ilz monstrent que l'Evesque de Rome tient le lieu de saint Pierre.

            Le Sinode d'Alexandrie, ou estoit Athanase, en sa lettre a Fcelix 2d , dict merveilles a ce propos, et entr'autres choses raconte, qu'au Concile de Nicëe on avoit determiné quil n'estoit loisible de celebrer aucun Concile sans l'authorité du Saint Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent estés faictz a ce propos avoyent estés bruslés par les hæretiques arriens. Et de faict, Jules 1., in Rescripto contra Orientales pro [284] Athanasio, c. 2. et c. 3., recite deux canons du Concile de Nicëe qui tirent sur ce propos ; lequel escrit de Jules 1. a esté cité par Gratien il y a 400 [ans], et par Isidore il y en a 900 , et le grand Pere Vincent Lirinois en faict mention il y a environ mill'ans : ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicëe ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que vingt ; mays tant de graves autheurs en citent tant d'autres outre les vingt que nous avons, que nous avons a croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart.

            Pour Dieu, jettons l'œil sur ceste tresancienne et trespure Eglise des six premieres centeynes, et la regardons de toutes pars ; que si nous la voyons croire fermement que le Pape fut successeur de saint Pierre, quelle temerité sera ce de le nier ? Voicy, ce me semble, une rayson qui ne demande plus aucun credit, mays consiste en beau content : saint Pierre a eu des successeurs en son vicariat ; et qui a jamais esté en reputation en l'Eglise ancienne, d'estre successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise, que l'Evesque de Rome ? Certes, tout tant quil y a d'autheurs anciens [285] donnent tous ce tiltre au Pape, et jamais aux autres, et comme donques dirons nous quil ne le soit pas ? certes, c'est nier la verité conneüe. Ou quilz nous dient quel autre Evesque est chef de l'Eglise et successeur de saint Pierre : au Concile de Nicëe, en celuy de Constantinople et de Calcedoyne, on ne voit pas qu'aucun Evesque s'usurpe la primauté ; ell'est deferëe selon l'ancienne coustume au Pape, autre quelconque ny est nommé en pareil grade. Bref, jamays il ne fut dict ni douté d'aucun Evesque, es premiers cinq cens ans, quil fut chef ou superieur aux autres, que de celuy de Rome, duquel on ne douta voirement jamais, mays a on tenu pour tout resolu quil estoit tel : a quel propos donques, apres quinze cens ans passés, veut [on] mettre cest'ancienne tradition en compromis ? Je n'aurois jamais faict si je voulois apporter sur table toutes les asseurances et recharges que nous avons de ceste verité es escritz des Anciens ; cecy cependant suffira, de ce costé, pour prouver que l'Evesque de Rome est successeur de saint Pierre, et que saint Pierre a esté et est mort Evesque a Rome. [286]

 

 

 

Que l'Evesque de Rome est vray successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise

 

 

            Voici mon premier tesmoin : St Clement, disciple de St Pierre, en l'epistre premiere quil a escrit ad Jacobum fratrem Domini, laquelle est si authentique que Ruffin en a esté traducteur il y [280] a environ douze cens ans, dict ces paroles : Simon Petrus, Apostolus primus, Regem seculorum usque ad Romance urbis notitiam, ut etiam ipsa salvaretur, invexit ; hic pro pietate pati volens, apprehensa manu mea in conventu fratrum, dixit : Clementem hunc Episcopum vobis ordino, cui soli meœ prædicationis et doctrinæ Cathedram trado ; et peu apres : Ipsi trado a Domino mihi traditam potestatem ligandi et solvendi. De quoy parlant Damasus, in Pontificali, en la vie de Clement, In epistola, dict il, quæ ad Jacobum scripta est, qualiter Clementi commissa est a B. Petro Ecclesia reperies ; et Rufin, en la preface sur les Livres Des Reconnaissances de St Clement, en parle fort honorablement, et dict quil l'avoit traduitte en Latin, et que St Clement y tesmoignoit de son institution, et quod eum reliquerit Petrus successorem Cathedræ. Ce tesmoignage faict voir que St Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque, car autrement, comment eust il baillé le siege a St Clement quil n'y eust pas eu ? [281]

            Mon 2d tesmoin est St Irenee : Maximæ, dict il, et antiquissimæ et omnibus cognitœ a duobus gloriosissimis Apostolis Petro et Paulo Romæ fundatœ Ecclesiæ, etc. ; et peu apres : Fundantes igitur et instruentes beati Apostoli Ecclesiam, ejus administrandæ episcopatum Lino tradiderunt ; succedit ei Anacletus, post eum episcopatum sortitur Clemens.

            Le 3. Tertullien, es Prescriptions : Romanorum Ecclesia, dict il, Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat ; et au mesme livre : Fœlix Ecclesia, ubi Passioni Dominicœ Petrus adæquatur, parlant de l'Eglise Romaine.

            Le 4. St Cyprien : Navigare audent ad Petri Cathedram, atque ad Ecclesiam principalem, unde unitas sacerdotalis exorta est, et parle de l'Eglise Romaine.

            Le 5. Eusebe, in Chronico : Petrus, natione Galilæus, Christianorum [282] Pontifex primus, cum primum Antiochensem Ecclesiam fundasset, Romam proficiscitur ; ubi Evangelium prædicans, viginti quinque annis ejusdem urbis Episcopus perseverat.

            Le 6. Epiphane : Episcoporum in Roma successio banc babuit consequentiam : Petrus et Paulus, Linus, Cletus, Clemens, etc.

            Le 7. Optatus Milevitanus : Negare non potes scire te, in urbe Roma Petro primo Cathedram episcopalem esse collatam, in qua sederit omnium Apostolorum caput Petrus ; et peu apres : Sedit prior Petrus, cui succedit Linus, Lino, Clemens.

            Le 8. St Hierosme, ad Damasum : Cum successore piscatoris et discipuli Crucis loquor ; ego Beatudini tuæ, id est, Cathedræ Petri, communione consocior.

            Le 9. St Augustin, ad Generosum : Petro successit Linus, Lino, Clemens. [283]

            Au grand Concile de Calcedoine, quand les legatz du Saint Siege veulent porter sentence contre Dioscorus, ilz disent en ceste façon : Unde sanctissimus et beatissimus magnce et senioris Romœ Episcopus Leo, per nos et præsentem sanctam Sinodum, una cum ter beatissimo et omni laude digno B. Petro Apostolo, qui est petra et crepido Ecclesiœ Catholicœ, nudavit eum tam episcopatus dignitate, etc. Notes un peu ces traitz : que le seul Evesque de Rome prive Dioscorus de son evesché, qu'il le prive par ses legatz et par le Concile, qu'ilz joignent l'Evesque de Rome avec St Pierre ; car ilz monstrent par la que l'Evesque de Rome tient le lieu de St Pierre.

            Le Sinode d'Alexandrie, avec son Athanase, en la lettre a Fælix 2d, dict merveilles a ce propos, et entre autres raconte qu'au Concile de Nicee il n'estoit pas loisible de celebrer aucun Concile sans l'authorité du Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent esté faictz a ce propos avoyent esté bruslés par les Arriens. Et de faict, Julius 1., in Rescripto contra Orientales pro [284] Athanasio, recite deux canons du Concile de Nicee qui tirent sur ce propos ; lequel escrit de Julius 1. a esté cité par Gratien il y a 400 ans, et par Isidore il y en a 900, de quoy le grand Pere Vincent Lirinois faict mention il y a environ mille ans : ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicee ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que 20, mays tant de graves autheurs en citent plusieurs autres outre les 20 que nous avons, que nous devons croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart. Le Sinode donques d'Alexandrie et le Concile de Nicee tiennent le Pape pour chef de l'Eglise et successeur de St Pierre.

            Voicy en fin, ce me semble, une rayson qui ne demande point de credit, mays consiste en beau content : St Pierre a eu des successeurs, jamais en l'Eglise ancienne aucun Evesque ne fut en reputation de l'estre sinon celuy de Rome, donques celuy de [285] Rome l'est. Au Concile de Nicee, de Constantinople et de Calcedoyne, la primauté est deferee au Pape, selon l'ancienne coustume ; autre quelconque ny est nommé en pareil grade. Bref, jamais il ne fut douté d'aucun autre Evesque, es premiers cinq cens ans de l'Eglise, s'il estoit chef ou superieur aux autres ; on tenoit pour tout resolu que c'estoit celuy la seul de Rome : a quel propos donques mettrons nous maintenant ceste ancienne resolution en compromis ? Cecy cependant suffira pour prouver que l'Evesque de Rome est successeur de St Pierre. [286]

 

 

 

Article XII. Briefve description de la vie de saint Pierre et de l'institution de ses premiers successeurs

 

 

            Il ny a point de question ou les ministres s'exercent si fort pour combattre l'antiquité qu'en cellecy, car ilz taschent, a force de conjectures, præsomptions, dilemmes, explications et par tous moyens, de monstrer que saint Pierre ne fut onques a Rome ; sauf Calvin, qui voyant que c'estoit dementir toute l'antiquité, et que cela n'estoit pas requis pour son opinion, se contente de dire qu'au moins saint Pierre ne fut pas long tems Evesque a Rome : Propter scriptorum consensum, non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo. Mays a la verité, quoy quil n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession : [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que saint Pierre est mort a Rome, et quil y estoit Evesque quand il mourut ; et quand aux autres, nous avons asses prouvé cy dessus que saint Pierre est mort Evesque a Rome.

            Les discours que l'on faict au contraire sont plus ennuyeux que difficiles, et par ce que qui aura le vray discours de la vie de saint Pierre devant les yeux, aura asses dequoy respondre a toutes ces objections, j'en diray briefvement ce que j'en crois estre plus probable ; en quoy je suyvray l'opinion de ces excellents theologiens, Gilbert Genebrard, Archevesque d'Aix, en sa Chronologie, et Robert Belarmin, Jesuite, en ses Controverses, qui suivent de pres saint Hierosme et Eusebe, in Chronico.

            Nostre Seigneur donques monta au ciel l'annëe 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem douze ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe et comme semble vouloir inferer saint Pol, et saint Barnabas, car saint Pierre fut en Lydde et Joppé avant que les [288] douze ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz. Saint Pierre donques demeura en Judëe environ cinq ans apres l'Ascension, præchant et annonçant l'Evangile, et sur la fin de la premiere annëe, ou bien tost apres, saint Pol fut converti, lequel, trois ans apres, vint en Hierusalem voir saint Pierre, avec lequel il demeura quinze jours. Saint Pierre donques, ayant preché cinq ans environ en Judee, sur la fin de la cinquieme annëe il vint en Antioche, ou il demeura Evesque environ sept ans, c'est a dire, jusqu'a l'annëe 2de de Claudius, ne laissant pour cela de faire des courses evangeliques en Galatie, en Asie, Cappadoce et ailleurs pour la conversion des peuples ; de la, l'annëe 7e de son pontificat en Antioche, ayant remis sa charge episcopale au bon Evodius, il revint en Hierusalem, ou estant arrivé, il fut emprisonné de la part d'Herodes en faveur des Juifz, environ le jour de Pasque. Mays sortant de prison bien tost apres par la conduitte de l'Ange, il vint ceste mesme annëe la, qui estoit la 2de de Claudius, a [289] Rome, ou il posa son siege quil tint environ 25 [ans], pendant lesquelz il ne layssa de visiter plusieurs provinces selon le besoin de la chose publicque Chrestienne, mays entr'autres, environ l'an 18 de la Passion et Ascension du Sauveur, qui fut le 9. de Claudius, il fut chassé, avec le reste des Hebreux, de Rome, et s'en vint en Hierusalem, ou le Concile Hierosolimitain fut celebré, auquel saint Pierre præsida. Puys, Claudius estant mort, saint Pierre s'en revint a Rome, recommençant son premier train d'enseigner et visiter par fois diverses provinces, la ou, en fin, Neron le poursuivant a mort avec son compaignon saint Pol, pour s'eschapper, selon les saintes importunations des fideles, il voulut sortir de nuict de la ville, et rencontrant pres la porte Nostre Seigneur, il luy dict : Domine, quo vadis ? Seigneur, ou alles vous ? Jesus Christ respondit : Je viens a Rome, pour y estre derechef crucifié ; responce laquelle saint Pierre conneut bien viser a sa croix : de façon qu'apres avoir esté cinq ans environ en Judëe, 7 ans en Antioche, 25 ans a Rome, l'annëe 14 de l'empire de Neron il fut [290] crucifié les pieds contremont, et au mesme jour saint Pol eut la teste tranchee.

            Mays avant que mourir, empoignant par la main son disciple saint Clement, il le constitua son successeur ; charge a laquelle saint Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de saint Pierre en l'administration de l'evesché Romaine ; si que, qui voudra sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent le premier au rang, apres saint Pierre, saint Clement, et quelques autres, saint Linus, je luy feray respondre par saint Epiphane, autheur digne de foy, et voicy ses paroles : Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum. assumpserunt, cum sub Apostolis hic fuerit contemporaneus Petro et Paulo, nam et illi contemporanei Apostolorum fuerunt ; sive igitur adhuc ipsis superstitibus a Petro accepit impositionem manuum episcopatus, et eo recusato remoratus est, sive post Apostolorum successionem a Cleto Episcopo hic constituitur, non ita clare scimus. Parce donques que saint Clement avoit esté choisy par saint Pierre, comme luy [291] mesmé tesmoigne, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par saint Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4e. Au reste, saint Epiphane peut avoir eu [occasion] de douter de l'election de saint Clement faite par saint Pierre, faute d'en avoir eu des preuves suffisantes, et se peut faire encores que Tertullien, Damase, Rufin et autres aient eu occasion de n'en douter point ; qui faict parler ainsy sans resolution, touchant ce faict, a saint Epiphane, et par contraire rayson faict si fermement asseurer a Tertullien, plus ancien, que, Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat. Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent : par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur ; au contrayre, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne sçait pas tout, ce [292] quil a confessé premieement luy mesme doutant, car douter n'est autre que ne sçavoir pas fermement la verité d'une chose.

            Maintenant, ja que par ce petit discours de la vie de saint Pierre, qui est tres probable, vous aves veu que saint Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a Rome, mays y ayant son siege n'a pas layssé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de saint Pol n'auront plus acces en vos jugemens ; car, si on dict que saint Pol ait escrit a Rome et dés Rome, et quil n'ait point faict de mention de saint Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure saint Pierre ny estoit pas alhors. Ainsy est il tout certain que la premiere Epistre de saint Pierre a esté escritte a Rome, comme atteste saint Hierosme : Petrus, dict il, in prima Epistola, sub nomine Babilonis figuraliter Romam significans, Salutat vos, inquit, Ecclesia quæ est in Babilone coelecta ; ce qu'au paravant avoit declaré le tres ancien Papias, disciple des Apostres, au recit d'Eusebe. Mays la [293] consequence seroit elle bonne : saint Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que saint Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome ? Ceste Epistre ne dict pas tout, et si elle ne dict pas quil y fut, aussi ne dict elle pas quil n'y fut pas ; il est probable quil n'y estoit pas lhors, ou que sil y estoit, quil ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson : autant en dis je de celles de saint Pol.

            En fin, pour adjuster le tems de la vie de saint Pierre aux empires de Tiberius, Caius Caligula, Claudius et Nero, on pourra les desduire a peu pres de ce qui en est, en ceste façon : au dixhuictiesme de Tibere, Nostre Seigneur monta au ciel ; cinq ans apres, qui fut en la derniere annëe de l'empire de Tibere, saint Pierre vint en Antioche, ou ayant demeuré environ sept ans, c'est a sçavoir, ce qui resta du tems de Tibere, 4 ans de Caius Caligula et 2 de Claudius, sur la fin du 2d de Claudius il vint a Rome, ou il demeura environ 7 ans, a sçavoir jusqu'au 9. de Claudius, auquel les Juifz furent chassés de Rome, qui fit retirer saint Pierre en Judëe ; environ cinq ans apres, Claudius estant mort, l'an 14 de son empire, Neron luy estant succedé, saint Pierre revint a Rome, ou il demeura jusqu'au martire, lequel il subit l'an 14 et dernier de Néron. Sont environ 37 ans que saint Pierre vesquit apres la mort de son Maistre, desquelz il demeura environ douze, qu'en Judëe qu'en Antioche, et 25 quil demeura Evesque de Rome. [294]

 

 

 

Briefve description de la vie de saint Pierre et de l'institution de ses premiers successeurs

 

 

            Les ministres s'exercent infiniment en ceste question pour combattre l'antiquité, et taschent, a force de conjectures, presomptions, dilemmes, explications et par tous autres moyens, de monstrer que St Pierre ne fut onques a Rome. Vray est que Calvin, voyant qu'il importoit peu pour son opinion, et que c'estoit dementir toute l'antiquité a descouvert, se contente de dire qu'au moins St Pierre ne fut pas longuement Evesque a Rome : Propter, ce dict il, scriptorum consensum non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo. Mays quoy qu'il n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession : [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que St Pierre est mort a Rome, et que quand il mourut il en estoit Evesque ; mays quand a ceux qui le nient, nous avons asses prouvé que St Pierre est mort Evesque a Rome.

            Toutes les fantasies que l'on faict au contraire peuvent estre rejettees par le vray discours de la vie de St Pierre ; j'en diray donques icy ce qu'il me semble de plus probable, suivant l'advis de Gilbert Genebrard, Archevesque d'Aix, et de Robert Belarmin.

            Donques N. Sr monta aux cieux l'an 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem 12 ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe comme semble vouloir inferer St Pol, et St Barnabas, dont St Pierre fut en Lydde et Joppé [288] avant que les 12 ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz. St Pierre donques demeura environ cinq ans apres l'Ascension de Nostre Seigr en Judee, preschant l'Evangile, et sur la fin de la premiere annee, ou bien tost apres, St Pol fut converti, qui vint trois ans apres en Hierusalem, ou il demeura quinze jours aupres de St Pierre. Mais St Pierre ayant preché cinq ans ou environ en Judee, sur la fin de la cinquieme annee vint en Antioche, ou il demeura Evesque environ sept ans, c'est a dire, jusqu'a l'annee 2de de Claudius, ne laissant pour cela de faire des courses evangeliques en Galatie, en Asie, Cappadoce et ailleurs pour la conversion des peuples ; de la, l'annee 7e de son pontificat en Antioche, ayant remis sa charge episcopale au bon Evodius, il revint en Hierusalem, ou il fut emprisonné de la part d'Herodes en faveur des Juifz, environ le jour de Pasque. Puys, sortant de prison bien tost apres par la conduitte de l'Ange, il vint la mesme annee, qui estoit la 2de de Claudius, a Rome, ou [289] il posa son siege quil tint environ 25 ans, pendant lesquelz il visita plusieurs provinces selon le besoin de la chose publicque Chrestienne ; entre autres, environ l'an 18 de la Passion et Ascension du Sauveur, qui fut le 9. de Claudius, il fut chassé, avec le reste des Hebreux, de Rome, et s'en vint en Hierusalem, ou le Concile Hierosolimitain fut celebré, auquel St Pierre presida. Puys, Claudius estant mort, St Pierre s'en revint a Rome, recommençant son premier train d'enseigner et visiter par fois diverses provinces, la ou, en fin, Neron le poursuivant a mort avec son compaignon St Pol, incité par les fideles de s'eschapper, il voulut sortir de nuict de la ville, mays rencontrant pres la porte Nostre Seigneur, il luy dict : Domine, quo vadis ? Seigneur, ou alles vous ? a quoy Nostre Seigr respondit : Je vais a Rome, pour y estre l'autre fois crucifié : Vado Romam iterum crucifigi ; responce laquelle saint Pierre conneut bien viser a sa croix : de façon qu'apres avoir esté environ 5 ans en Judee, 7 ans en Antioche, 25 ans a Rome, l'annee 14 de l'empire de Neron il [290] fut crucifié les pieds contremont, et le mesme jour St Pol eut la teste tranchee.

            Or, avant que mourir, il empoigna par la main son disciple St Clement, et le constitua son successeur ; a quoy St Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de St Pierre en l'administration de l'Eglise Romaine ; partant, qui veut sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent en rang St Clement apres St Pierre, et quelques autres, St Linus, je luy feray respondre par St Epiphane : Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum assumpserunt, cum sub Apostolis hic fuerit contemporaneus Petro et Paulo, nam et illi contemporanei Apostolorum fuerunt ; sive igitur adhuc ipsis superstitibus a Petro accepit impositionem manuum episcopatus, et eo recusato remoratus est, sive post Apostolorum successionem a Cleto Episcopo hic constituitur, non ita clare scimus. Parce donques que St Clement avoit esté choisi par [291] St Pierre, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par St Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4e. Au reste, St Epiphane peut avoir eu doute de l'election de St Clement, faute d'en avoir eu des preuves suffisantes, et se peut faire encores que Tertullien, Damase, Rufin et autres aient eu occasion de n'en douter point ; qui faict parler ainsy St Epiphane touchant ce faict, et par contraire rayson [Tertullien assure que], Romanorum Ecclesia Clementem a Petro ordinatum edit, id est, per instrumenta et rationes publicas demonstrat. Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent et affirment : par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur ; au contraire, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne [292] sçait pas tout, ce quil a confessé luy mesme doutant, car douter n'est autre chose que ne sçavoir rsolument la verité.

            Maintenant que par ce petit discours vous aves veu que St Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a eRome, mays y ayant son siege n'a pas laissé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de St Pol n'auront plus acces en vos jugemens ; car, si on vous dict que St Pol ait escrit a Rome et dés Rome sans faire mention de St Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure St Pierre ny estoit pas alhors. Ainsy est il tout certain que la pre Epistre de St Pierre a esté escritte de Rome, comme tesmoigne St Hierosme : « Pierre, » dict il, « en sa premiere Epistre, sous le nom de Babilone signifiant figurement Rome, Salutat vos, inquit, Ecclesia quæ est in Babilone coelecta ; » ce qu'au paravant avoit declaré le tres ancien Papias, disciple des Apostres, tesmoin Eusebe. Mays la [293] consequence seroit elle bonne : St Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que St Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome ? Ceste Epistre ne dict pas tout ; il est probable quil n'estoit pas alhors a Rome, ou que sil y estoit, il ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson : autant en dis je des Epistres de St Pol. [294]

 

 

 

Article XIII. Confirmation de tout ce que dessus par les noms que l'ancienneté a donnés au Pape

 

 

            Oyes en peu de paroles ce que les Anciens pensoyent sur ce faict, et en quel rang ilz tenoyent l'Evesque de Rome. Voyci comm'ilz apellent, ores le Siege de Rome et son Eglise, ores le Pape, car tout revient en un.

Petri Cathedram

Ecclesiam principalem

Exordium unitatis sacerdotalis

- Cyp., l. 1. ep. 3. [aliter] ep. 55, ad Cornelium.

Unitatis vinculum - l. 3. ep. 13.

Sacerdotii sublime fastigium - l. 4. ep. 2.

Ecclesia in qua est potentior principalitas - Ir., l. 3. c. 3. [295]

Ecclesiæ radix et matrix - Cyp. l. 4. ep. 8.

Sedes super quam Dominus universam construxit Ecclesiam - Anacletus, ep. 1, Ad omnes episcopos et cunctos fideles.

Cardo et caput omnium ecclesiarum - Idem, ep. 3, Ad omnes episcopos et sacerdotes.

Episcoporum refugium - Marcellus, ep. 1, Ad episcopos Antiochenæ provinciæ.

Summa sedes Apostolica - Sinodus Alexandrina, ep. ad Fœlicem ; ubi Athanasius.

Caput pastoralis honoris - Prosper, De Ingratis.

Apostolicæ Cathedræ principatus - Aug., ep. 162 .

Principatus Apostolici sacerdotii - Prosp., De vocat. gent. l. 2. c. 16. In præfatione Concilii Calcedonensis, Valentinianus Imperator.

Caput omnium ecclesiarum - Victor Uticensis, De persec. Vand. l. 2. Imperator Justinianus, c. de Summa Trinitate. [296]

Caput orbis et mundi religione - Leo, in nat. Srum. PP. ; et Prosp., De Ingratis.

Cæteris prælata ecclesiis - Sinod. Rom. sub Gelas.

Ecclesia præsidens - Ignatius, ep. ad Romanos, in inscriptione.

Prima sedes, a nemine judicanda - Sinodus Sinuessana, 300 episcop., tom. I. Concil.

Prima sedes omnium - Leo, ep. 63.

Tutissimus communionis Catholicæ portus - Hier., ep. 16.

Fons Apostolicus - Innocent., ad patres Concil. Milevit., inter epistolas Aug., 93.

Sanctissimæ Catholicæ Ecclesiæ Episcopum - Cyp., l. 3. ep. 11.

Sanctissimus et beatissimus Patriarcha  

Universalis Patriarcha

- Conc. Calced., act. 3.

Caput Concilii Calcedonensis. - Ibidem, in relatione.

Caput universalis ecclesiæ - In Conc. Calced., act. 16. [297]

Beatissimus Dominus

Apostolico culmine sublimatus

Pater patrum

Summus omnium præsulum Pontifex

- Stephanus archiepisc. Carthaginensis, in epistola ad Damasum, nomine Concilii Carthaginensis.

Summus sacerdos - Hier., præfatione Evangeliorum, ad Damasum.

Princeps sacerdotum - Id testatur tota antiquitas apud Valentinianum, ep. ad Theodosium, initio Conc. Calcedon.

Rector domus Domini - Amb., [in] I. Timot. 3 .

Custos vineæ Dominicæ - Concil. Calced., ep. ad Leonem.

Christi vicarius - Cyp., l. I. ep. 3.

Fratrum confirmator - Bernard., ep. 190.

Sacerdos magnus

Summus Pontifex

Princeps episcoporum

Hæres Apostolorum

Primatu Abel

Gubernatu Noe

Patriarchatu Abraham

Ordine Melchisedech

Dignitate Aaron

- Bernard., l. 2. De Consid. ad Eug. c. 8. [298]

Authoritate Moises

Judicatu Samuel

Potestate Petrus

Unctione Christus

Ovilis Dominici Pastor

Claviger Domus Domini

Pastorum omnium Pastor

In plenitudinem potestatis vocatus

- Bernard., l. 2. De Consid. ad Eug. c. 8.

            Je n'aurois jamais faict, si je voulois entasser les tiltres que les Anciens ont donné au Saint Siege de Rome et a son Evesque. Cecy doit suffire aux cerveaux mesme les plus bigearres, pour faire voir le magnifique mensonge que de Beze continue a dire, apres son maistre Calvin, en son traitté Des Marques de l'Eglise, ou il dict que Phocas a esté le premier qui a donné authorité a l'Evesque de Rome sur les autres et l'a mis en primauté. Mays a quoy faire, dire un si gros mensonge ? Phocas vivoyt au tems de saint Gregoire le Grand, et tout tant que j'ay allegué d'autheurs sont plus anciens que saint Gregoire, hormis saint Bernard, lequel j'ay allegué aux Livres [299] De Consideratione, par ce que Calvin les a pour si veritables quil luy semble que la verité mesme y ait parlé.

            On objecte que saint Gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel : mays Evesque universel se peut entendre, ou d'un qui soit tellement Evesque de l'univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n'est point, car les Evesques sont vrayement princes spirituelz, chefz et Evesques, non lieutenantz du Pape mais de Nostre Seigneur, dont il les apelle freres ; ou on peut entendre d'un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans en particulier, sont inferieurs voirement mays non pas vicaires ni substitués, et c'est ainsy que les Anciens l'ont appellé Evesque universel.

            On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle Princeps sacerdotum ; mays c'est faute d'avoir autre entretien qu'on allegue cecy, car qui ne sçait que c'estoit un Concile provincial qui touche les Evesques de ceste province la, de laquelle l'Evesque de Rome n'estoit pas, la mer Mediterranëe est entredeux. [300]

            Restoit le nom de Pape, lequel j'ay reservé pour fermer ce discours, et qui est l'ordinaire duquel nous appelions l'Evesque de Rome. Ce nom estoit commun aux Evesques, tesmoin saint Hierosme, qui appelle ainsy saint Augustin, en une epistre, au bout : Incolumem te tueatur Omnipotens, domine vere sancte et suscipiende papa ; mays il a esté rendu particulier au Pape, par excellence, a cause de l'universalité de sa charge, dont il est appellé au Concile de Calcedoine, « Pape universel, » et « Pape, » tout court, sans addition ni limitation ; et ne veut dire autre ce mot que ayeul ou grand pere :

 

            Pappos aviasque trementes

            Anteferunt patribus seri nova cura nepotes.

 

Et affin que vous sachies combien est ancien ce nom parmi les gens de bien, saint Ignace, disciple des Apostres, Epistola ad Mariam Zarbensem, Cum esses, dict il, Romæ, apud Papam Linum ; ja de ce [301] tems la il y avoit des Papistes, et de quelle sorte ? Nous l'appelions Sa Sainteté ; et nous trouvons que saint Hierosme l'appelloit desja en ceste façon : Obtestor Beatitudinem tuam per Crucem, etc., Ego nullum primum nisi Christum sequens, Beatitudini tuæ, id est, Cathedræ Petri, communione consocior. Nous l'appelions Saint Pere ; mais vous aves veu que saint Hierosme appelle ainsy saint Augustin. Au reste, ceux qui, expliquans le second chapitre de la 2e aux Thessaloniciens, pour vous faire croire que le Pape est Antichrist vous auroyent dict quil se faict appeller Dieu en terre, ou Filz de Dieu, sont les plus grans menteurs du monde ; car tant s'en faut que les Papes prenent aucun tiltre ambitieux, que des le tems de saint Gregoire se sont pour le plus appellés Serviteurs des serviteurs de Dieu. Certes, ilz ne se sont jamais appellés de la façon sinon au pris ordinaire, comme chacun le peut estre sil garde les commandemens de Dieu, selon le pouvoir concedé iis qui credunt in nomine ejus ; bien s'appellent, autant vaut il, enfans du diable, ceux qui mentent si puamment comme font vos ministres. [302]

 

 

 

Confirmation de tout ce qui a esté dict cy dessus par les noms que les anciens ont donnés au Pape

 

 

            Oyes en peu de paroles ce que les Anciens pensoyent sur ce faict, et en quel rang ilz tenoyent l'Evesque de Rome. Voyci comme ilz apellent, ores son Siege et son Eglise, ores l'Evesque mesme, car tout revient en un.

Petri Cathedram, Ecclesiam principalem, Exordium unitati sacerdotalis

Unitatis vinculum

Sacerdotii sublime fastigium

Ecclesiam in qua est potentior principalitas [295]

Ecclesiæ radicem et matricem

Sedem super quam Dominus universam construxit Ecclesiam

Cardinem et caput omnium ecclesiarum

Episcoporum refugium

Summam sedem Apostolicam

Caput pastoralis honoris

Apostolicæ Cathedræ principatum

Principatum Apostolici sacerdotii

Caput omnium ecclesiarum [296]

Caput orbis et mundi religione

Cæteris prælatam ecclesiis

Ecclesiam præsidentem

Primam sedem a nemine judicandam

Primam sedem omnium

Tutissimum communionis Catholicæ portum

Fontem Apostolicum

 

            C'est ainsy qu'ilz nomment l'Eglise Romaine. Voicy comme on a appelle le Pape :

 

Sanctissimæ Catholicæ Ecclesiæ Episcopum

Sanctissimum et beatissimum Patriarcham, Universalem Patriarcham

Caput Concilii Calcedonensis

Caput universalis Ecclesiæ [297]

Beatissimum Dominum, Apostolico culmine sublimatum, Patrem patrum, Summum omnium præsulum Pontificem

Summum sacerdotem

Principem sacerdotum

Rectorem domus Domini

Custodem vineæ Dominicæ

Christi vicarium

Fratrum confirmatorem

Sacerdotem magnum, Summum Pontificem, Principem Episcoporum, Hæredem Apostolorum, Primatu Abel, Gubernatu Noe, Patriarchatu Abraham, Ordine Melchisedech, Dignitate Aaron, [298] Authoritate Moisen, Judicatu Samuel, Potestate Petrum, Unctione Christum, Ovilis Dominici Pastorem, Clavigerum domus Domini, Pastorum omnium Pastorem, In plenitudinem potestatis vocatum.

 

            Je n'aurois jamais faict, si je voulois entasser les tiltres que les Anciens ont donné au Siege de Rome et a son Evesque. Cecy doit suffire aux cerveaux mesme les plus bigearres, pour faire voir le magnifique mensonge que de Beze dict, apres son maistre Calvin, quand il asseure que Phocas a esté le premier qui a mis en credit et primauté l'Evesque de Rome. A quoy faire, je vous prie, un si gros mensonge ? Phocas vivoit au tems de St Gregoire le Grand, et tous les autheurs que j'ay allegués sont plus anciens que St Gregoire, hormis St Bernard, lequel [299] j'ay allegué aux Livres De Consideratione, par ce que Calvin les reçoit en credit.

            On objecte que St Gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel : mays Evesque universel se peut entendre, ou d'un qui soit tellement Evesque de l'univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n'est point, car les Evesques sont vrayement princes spirituelz, chefz et pasteurs, non lieutenans du Pape mais de Nostre Seigr, dont le Pape les apelle freres ; ou on peut entendre d'un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans particuliers, sont inferieurs, mays non vicaires ni substitués ; et c'est ainsy que les Anciens ont appellé le Pape Evesque universel, et St Gregoire le nie en l'autre façon.

            On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle « Prince des prestres ; » mays c'est faute d'autre entretien qu'on allegue cecy, car le Concile de Carthage estoit provincial, qui ne touche que les Evesques de ceste province la, de laquelle Rome n'est pas, la mer Mediterranee est entredeux. [300]

            Restoit le nom de Pape, que j'ay reservé pour fermer ce discours, et qui est l'ordinaire duquel nous appelions l'Evesque de Rome. Ce nom estoit commun a tous les Evesques, tesmoin St Hierosme, qui appelle ainsy St Augustin en une epistre : Incolumem, dict il au bout, tueatur te Omnipotens, domine vere sancte et suscipiende papa ; mays il a esté rendu particulier au Pape, par excellence, a cause de la generalité de sa charge, dont il est appellé au Concile de Calcedoine, « Pape universel, » et « Pape » simplement, tout court, sans addition ni limitation ; et ne veut dire autre ce mot que ayeul ou grand pere :

 

            Pappos aviasque trementes

            Anteferunt patribus seri nova cura nepotes.

 

Et affin que vous sachies combien ce nom est ancien parmi les gens de bien, St Ignace, disciple des Apostres, en la lettre quil escrit a Marie Zarbense, Cum esses, dict il, Romæ, apud Papam [301] Linum ; ja de ce tems la il y avoit des Papistes, et de quelle sorte ? Au reste, ceux qui, expliquans le second chapitre de la 2e aux Thess., pour vous faire croire que le Pape est Antichrist vous auroyent dict quil se faict appeller Dieu en terre, ou Filz de Dieu, sont eux mesmes enfans du diable, qui mentent si puamment ; car tant s'en faut que les Papes prenent aucun tiltre ambitieux, que des le tems de St Gregoire ilz se sont pour le plus appellés Serviteurs des serviteurs de Dieu. Pour vray, nous ne les appelions jamais filz de Dieu sinon au pris ordinaire, comme chacun le peut estre sil garde les commandemens, selon le pouvoir concedé iis qui credunt in nomine ejus. Nous l'appelions par fois Sa Sainteté, mais St Hierosme l'appelloit desja ainsy : Obtestor Beatitudinem tuam, etc., Beatitudini tuæ, id est, Cathedræ Petri, communione consocior. On l'appelle encores Saint Pere, mais vous aves veu que St Hierosme appelloit ainsy St Augustin, qui n'estoit qu'un simple Evesque. [302]

 

 

 

Article XIV. Combien d'estat on doit faire de l'Authorité du Pape

 

 

            Ce n'est pour vray pas sans mistere, que souvent en l'Evangile ou il est question que le general des Apostres parle, saint Pierre seul parle pour tous. En saint Jan, ce fut luy qui dict pour tous : Domine, ad quem ibimus ? verba vitæ æternæ habes, et nos credimus et cognovimus quia tu es Christus, Filius Dei. Ce fut luy, en saint Mathieu, qui, au nom de tous, fit comme chef ceste noble confession : Tu es Christus, Filius Dei vivi. Il demanda pour tous, Ecce nos reliquimus omnia, etc. En saint Luc : Domine, ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? C'est l'ordinaire que le chef parle pour tout le cors, et ce que le chef dict, on le tient dict par tout le reste. Ne voyes vous pas qu'en l'election de saint Matthias c'est luy seul qui parle et determine ? Les Juifz demanderent a tous les Apostres : Quid faciemus viri fratres ? saint Pierre seul respond pour tous : Pænitentiam agite, etc. Et c'est a ceste rayson que saint Chyrsostome et Origene l'ont appellé Os et verticem Apostolorum, comme nous avons veu cy dessus, par ce quil souloit parler pour tous les Apostres ; et le mesme saint Chrysostome l'appelle Os Christi, par ce que ce quil dict pour toute l'Eglise et a toute l'Eglise, comme chef et pasteur, ce n'est pas tant parole humaine que de Nostre Seigneur : Amen, dico vobis, qui accipit si quem misero, me accipit ; dont ce quil disoit et determinoit ne pouvoit estre faux. Et de vray, si le confirmateur fut tumbé, tout le reste fut il pas tumbé ? si le confirmateur tumbe ou chancele, qui le confirmera ? si le confirmateur n'est [303] pas ferme et stable quand les autres s'affoybliront, qui les affermira ? car il est escrit : Si l'aveugle conduict l'aveugle, tumberont tous deux en la fosse ; si l'instable et le foible veut soustenir et rasseurer le foible, ilz donneront tous deux en terre. Si que Nostre Seigneur donnant l'authorité et commandant a saint Pierre de confirmer les autres, il luy a quand et quand donné le pouvoir et les moyens de ce faire, autrement pour neant luy eut il commandé chose impossible. Or, les moyens necessaires pour confirmer les autres, de rasseurer les foibles, c'est de n'estre point sujet a la foiblesse soymesme, mays d'estre solide et ferme, comme une vraye pierre et un roch : tel estoit saint Pierre, entant que pasteur general et gouverneur de l'Eglise.

            Ainsy quand saint Pierre fut mis au fondement de l'Eglise, et que l'Eglise fut asseurëe que les portes d'enfer ne prævaudroyent point contre elle, ne fut ce pas asses dire que saint Pierre, comme pierre fondamentale du gouvernement et administration ecclesiastique, ne pouvoit se froisser et rompre par l'infidelité ou erreur, qui est la principale porte d'enfer ? car, qui ne sçait que si le fondement renverse, si l'on y peut porter la sappe, que tout l'edifice renversera ? || Et quoy ? si le pasteur mettoit ses brebis es pasturages venimeux, le parc se perdroit il pas incontinent ? Les brebis vont suyvant le pasteur ; s'il erre, tout se perd. Et n'est pas raysonnable que les brebis... || De mesme, si le pasteur supreme ministerial peut conduire ses brebis es pasturages veneneux, on voit clairement que le parc est pour estre bien tost perdu ; car, si le supreme pasteur ministerial conduit a mal, qui le redressera ? sil s'egare, qui le ramenera ? a la verité, il faut que nous ayons a le suivre simplement, non a le guider, autrement les brebis seroyent pasteurs. Et de faict, [304]

l'Eglise ne peut pas tousjours estre ramassëe en un Concile general, et les trois premieres centeynes d'annëes il ne s'en fit point ; es difficultés donques qui surviennent journellement, a qui se pourroit on mieux adresser, de qui pourroit on prendre loy plus asseurëe, regle plus certaine que du chef general et du Vicaire de Nostre Seigneur ?

             Or tout cecy n'a pas eu lieu seulement en saint Pierre, mais en ses successeurs, car la cause demeurant l'effect demeure encores ; l'Eglise a tousjours besoin d'un confirmateur infallible auquel on puysse s'addreser, d'un fondement que les portes d'enfer, et principalement l'erreur, ne puysse renverser, et que son pasteur ne puysse conduire a l'erreur ses enfans : les successeurs donques de saint Pierre ont tous ces mesmes privileges, qui ne suivent pas la personne, mays la dignité et la charge publique.

            Saint Bernard apelle le Pape un autre « Moise en authorité » : or, combien grande fut l'authorité de Moise il ni a personne qui l'ignore, car il s'assit et jugea de tous les differens qui estoyent parmi le peuple, et de toutes les difficultés qui survenoyent au service de Dieu ; il constitua des juges pour les affaires de peu d'importance, mays les grans doutes estoyent reservés a sa connoissance ; si Dieu veut parler au peuple, c'est par sa bouche et par son entremise. Ainsy donques le supreme pasteur de l'Eglise nous est juge competent et suffisant en toutes nos plus grandes difficultés, autrement nous serions de pire condition que cest ancien peuple, qui avoyt un tribunal auquel il pouvoit s'addresser pour la resolution de ses doutes, specialement en matiere de religion. Que si quelqu'un veut respondre que Moise n'estoit pas præstre ni pasteur ecclesiastique, je le renvoyeray a ce que j'en ay dict ci dessus, car ce seroit estre enuyeux de faire ces repetitions. [305]

            Au Deuteronome : Facies quodcumque dixerint qui præsunt loco quem elegerit Dominus, et docuerint te juxta legem ejus ; sequerisque sententiam eorum, nec declinabis ad dextram nec ad sinistram : qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. Que dira on icy ? Il falloit subir le jugement du sauverain Pontife ; qu'on estoit obligé de suivre le jugement qui estoit jouxte la loy, non l'autre ? ouy, mays en cela il failloit suivre la sentence du præstre, autrement si on ne l'eust pas suivie, ains examinee, c'eust esté pour neant qu'on fut allé a luy, et la difficulté et ambiguité n'eust jamais esté resolue parmi les opiniastres ; dont il est dict simplement, qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur ; et en Malachie : Labia sacerdotis custodiunt scientiam, et legem requirent ex ore ejus ; dont il s'ensuit que chacun ne pouvoit pas se resouvre es poins de la religion, ni produire la loy a sa fantasie, mais selon la proposition du Pontife. Que si Dieu a eu une si grande prouvoyance a la religion et tranquillité de conscience des Juifz, que de leur establir un juge sauverain a la sentence duquel ilz devoyent acquiescer, il ne faut pas douter quil ne nous aÿe prouveu, au Christianisme, d'un pasteur qui ayt ceste mesm'authorité, pour nous lever les doutes et scrupules qui pourroyent survenir sur les declarations des Escritures.

            Que si le grand Præstre portoit le Rational du jugement en la poitrine, ou estoyt le Urim et Thummim, doctrine et verité comme interpretent les uns, ou les illuminations et perfections comme disent les autres, qui n'est presque qu'une mesme chose, puysque la perfection consiste en verité et la doctrine n'est qu'illumination, penserons nous que le grand Præstre de la Loy nouvelle n'en ayt pas encores les effectz ? a la verité, tout ce qui fut concedé de bon a l'ancienne Eglise et a la chambriere Agar, aura esté donné en beaucoup meilleure façon a Sara et a [306] l'Espouse : nostre grand Præstre donques a encores le Urim et Thummim en sa poitrine.  Or, soit que ceste doctrine et verité ne fust autre que ces deux motz escritz au Rational, comme semble croire saint Augustin, et Hugues de saint Victor l'asseure, ou que ce fust le nom de Dieu, comme veut Rabbi Salomon, au récit de Vatable et Augustin Evesque d'Eugubbium, ou que ce fussent les seules pierres du Rational par lesquelles Dieu tout puyssant reveloit ses volontés au Prestre, comme veut ce docte homme François Ribera, la rayson pour laquelle le grand Præstre avoyt au Rational sur sa poitrine la doctrine et la verité, estoit sans doute par ce que judicabat judicii veritatem ; mesme que par le Urim et Thummim les prestres estoyent instruitz du bon plaisir de Dieu, et leurs entendemens esclairés et perfectionnés par la revelation divine, comme le bon de Lyra l'a entendu, et Ribera l'a asses suffisamment prouvé, a mon advis : dont quand David voulut sçavoir sil devoit poursuivre les Amalecites, il dict au Præstre Abiathar, Applica ad me ephod, ou, le superhumeraire ; ce quil fit sans doute pour reconnoistre la volonté de Dieu au Rational qui y estoit joint, comme va deduysant doctement ce docteur Ribera. Je vous prie, si en l'ombre il y avoit des illuminations de doctrine et des perfections de verité en la poitrine du Prestre, pour en repaistre et raffermir le peuple, qu'est ce que nostre grand Prestre n'aura pas ? de nous, dis je, qui sommes au jour et au soleil levé ? Le grand Prestre ancien n'estoit que vicaire et lieutenant de Nostre Seigneur, nomplus que le nostre, mays il semble quil præsidoit a la nuict, par ses illuminations, et le nostre præside au jour, par ses instructions ; ministeriellement tous deux, et par la lumiere du Soleil de justice, lequel, bien quil soit levé, est neanmoins voilé a nos yeux par nostre propre mortalité, car le voir face a face ordinairement [307] n'appartient qu'a ceux qui sont delivrés du cors qui se corrompt.

            Ainsy a creu toute l'Eglise ancienne, laquelle en ses difficultés a tousjours eu recours au Rational du Siege de Rome, pour y voir la doctrine et verité. C'est sur ce sujet que saint Bernard a appellé le Pape, Dignitate Aaron et « Hæritier des Apostres », et saint Hierosme, le Saint Siege, Tutissimum communionis Catholicæ portum ; car il porte le Rational pour en esclairer tout le Christianisme, comme les Apostres et Aaron, de doctrine et verité. C'est a ce propos que saint Hierosme dict au Pape Damase : Qui tecum non colligit, spargit ; hoc est, qui Christi non est, Antichristi est ; et saint Bernard dict quil faut rapporter les scandales qui se font, « principalement en la foy, » au Siege de Rome : Dignum namque arbitror ibi potissimum resarciri damna fidei, ubi non possit fides sentire defectum : cui enim alteri sedi dictum est aliquando, Ego pro te rogavi, ut non deficiat fides tua ? Saint Cyprien : Navigare audent ad Cathedram Petri, atque ad Ecclesiam principalem ; nec cogitare eos esse Romanos, ad quos perfidia habere non possit accessum. Ne voyes vous pas quil parle des Romains a cause de la Chaire de saint Pierre, et dict que l'erreur n'y peut rien ?

            Les Peres du Concile Milevitain, avec le bienheureux saint Augustin, demandent secours et implorent l'authorité du Siege Romain contre l'hæresie pelagienne, escrivans au Pape Innocent en ceste sorte : Magnis periculis infirmorum membrorum Christi, pastoralem diligentiam, quæsumus, adhibere digneris ; nova quippe hæresis, et nimium perniciosa tempestas, surgere inimicorum gratiæ Christi cæpit. Que si vous voules sçavoir pourquoy ilz s'addressent a luy, Quia, disent ilz, te Dominus, gratiæ suæ præcipuo munere, in Sede Apostolica collocavit. Voyla ce que croyoit ce saint Concile avec son grand saint Augustin ; auquel Innocent respondant, en une epistre [308] qui suit la præcedente parmi celles de saint Augustin : Diligenter et congrue, dict il, Apostolico consulitis honori ; honori, inquam, illius quem, præter illa quæ sunt extrinsecus, solicitudo manet omnium ecclesiarum super anxiis rebus quæ sit tenenda sententia : antiquæ scilicet regulæ formant secuti, quam toto semper ab orbe mecum nostis esse servatam. Verum hæc missa facto, neque enim hoc vestram credo latere prudentiam. Quid etiam actione firmastis, nisi scientes quod per omnes provincias de Apostolico fonte petentibus responsa semper emanent ? Præsertim quoties fidei ratio ventilatur, arbitror omnes fratres et coepiscopos nostros non nisi ad Petrum, id est, sui nominis et honoris authorem, referre debere, velut nunc retulit vestra dilectio, quod per totum mundum possit omnibus ecclesiis in commune prodesse. Voyes vous l'honneur et le credit auquel estoit le Siege Apostolique vers les Anciens les plus doctes et saints, voire mesme vers les Conciles entiers ? on y alloit comme au vray Ephod et Rational de la nouvelle Loy : ainsy y alla saint Hierosme, du tems de Damasus, auquel, apres avoir dict que l'Orient rompoit et mettoit en pieces la roubbe, entiere et tissue par dessus, de Nostre Seigneur, et que les renardeaux gastoyent la vigne du Maistre, Ut inter lacus contritos, dict il, qui aquam non habent, difficile ubi fons signatus et hortus ille conclusus sit possit intelligi, ideo mihi Cathedram Petri et fidem Apostolico ore laudatam censui consulendam, etc.

            Je n'aurois jamais faict si je voulois produire les belles sentences que les Anciens ont dictes sur ce faict ; qui voudra, les lise fidellement cottëes au grand Catechisme de Pierre Canisius, ou elles ont estëes estendues au long par Busæus. Saint Cyprien rapporte toutes les hæresies et schismes au mespris qu'on faict de ce chef ministerial, aussi faict bien saint Hierosme. Saint Ambroise tient pour une mesme chose, communicare et convenire cum Episcopis [309] Catholicis et convenire cum Ecclesia Romana ; il proteste de suivre en tout et par tout la forme de l'Eglise Romaine. Saint Irenëe veut que chacun vienne joindre a ce Saint Siege, propter potentiorem principalitatem. Les Eusebiens y portent les accusations contre saint Athanase ; saint Athanase qui estoit en Alexandrie, siege principal et patriarchal, vint respondre a Rome, y estant appellé et cité ; les adversaires n'y voulurent pas comparoistre, sachans, dict Theodoret, mendacia sua manifesto fore detecta : les Eusebiens confessent l'authorité du Siege de Rome quand ilz y appellent saint Athanase, et saint Athanase quand il s'y præsente ; mays sur tout les Eusebiens, hæretiques arriens, confessent asses combien son jugement est infallible, quand ilz n'y osent comparoistre de peur d'y estre condamnés. Mays qui ne sçait que tous les anciens hæretiques taschoyent a se faire avouer par le Pape ; tesmoins les Montanistes ou Cataphryges, qui deceurent tellement le Pape Zephyrin (sil faut croire a Tertullien, nomplus celuy d'autrefois mays devenu hæretique en son faict propre) quil lascha des lettres de reunion en leur faveur, lesquelles neantmoins il revoca promptement par l'advis de Praxeas. En fin, qui mesprisera l'authorité du Pape, remettra sus les Pelagiens, Priscilliens et autres, qui n'ont estés condamnés que par les Conciles provinciaux avec l'authorité du Saint Siege de Rome.

            Que si je voulois m'amuser a vous monstrer combien Luther en faysoit estat au commencement de son hæresie, je vous ferois esbahy d'une si grande mutation de ce vostre grand pere. Voyes le chez Cocleus : Prostratum me pedibus tuæ Beatitudinis offero, cum omnibus quæ sum et habeo ; vivifica, occide, voca, revoca, approba, reproba, vocem Christi in te præsidentis et loquentis agnoscam : ce sont ses paroles, en l'Epistre dedicatoire quil escrit au Pape Leon 10, sur certaines siennes Resolutions, l'an 1518. Mays je ne puys laisser en arriere ce que ce grand archiministre escrivit l'an 1519, en certaines autres [310] Resolutions d'autres propositions ; car, en la 13me, non seulement il reconnoit l'authorité du Saint Siege Romain, mays la prouve par 6 raysons quil tient pour demonstrations : je le mettray en sommaire. La 1re, le Pape ne pourroit estre venu a ce grade et a ceste monarchie sans le vouloir de Dieu ; mays le vouloir de Dieu est tousjours venerable, donques il ne faut pas contredire a la primauté du Pape. La 2e, il faut plus tost ceder a son adversaire que de rompre l'union de charité ; donques il vaut mieux obeir au Pape que de se separer de l'Eglise. La 3e, par ce quil ne faut pas resister a Dieu qui nous veut presser et charger de plusieurs princes, selon le dire de Salomon en ses Proverbes. La 4e, Il ny a point de puissance qui ne soit de Dieu ; donques celle du Pape, qui est tant establie, est de Dieu. La 5e n'est que la mesme. La 6e, par ce que tous les fidelles le croyent ainsy, entre lesquelz il est impossible que Nostre Seigneur ne soit : or il faut arrester avec Nostre Seigneur et les Chrestiens en tout et par tout. Il dict par apres que ces raysons sont insolubles, et que toute l'Escriture y vient battre. Que vous semble de Luther ? est il pas Catholique ? et neanmoins c'estoit au commencement de sa reformation.

            Calvin vient a ce point, quoy quil aille embrouillant la matiere tant quil peut ; car, parlant du Siege de Rome, il confesse que les Anciens l'ont tous honnorëe et reverëe, qu'elle a esté le refuge des Evesques, et plus constante en la foy que les autres sieges ; ce quil attribue a faute de vivacité d'entendement. [311]

 

 

 

Article XV. Combien les Ministres ont violé ceste Authorité

 

 

            En l'ancienne Loy le grand Prestre ne portoit pas le Rational sinon quand il estoit revestu des habitz pontificaux, et quil entroit devant le Seigneur : ainsy ne disons nous pas que le Pape en ses opinions particulieres ne puysse errer, comme fit Jean 22, ou estre du tout heretique, comme peut estre fut Honorius. Or, quand il est heretique expres, ipso facto il tumbe de son grade hors de l'Eglise, et l'Eglise le doit ou priver, comme dient quelques uns, ou le declairer privé, de son Siege Apostolique, et dire, comme fit saint Pierre, Episcopatum ejus accipiat alter. Quand il erre en sa particuliere opinion, il le faut enseigner, adviser, convaincre, comm'on fit a Jean 22, lequel tant s'en faut quil mourust opiniastre, ou que pendant sa vie il determinast aucune chose touchant son opinion, que pendant quil faysoit l'inquisition requise pour determiner en matiere de foy, il mourut, au recit de son successeur en l'Extravagante qui se commence, Benedictus Deus. Mays quand il est revestu des habitz pontificaux, je veux dire, quand il enseigne toute l'Eglise comme pasteur es choses de la foy et des mœurs generales, alhors il ny a que doctrine et verité. Et de vray, tout ce que dict un roy n'est pas loy ni edict, mays seulement ce que le roy dict comme roy, et determinant juridiquement ; ainsy tout ce que dict le Pape n'est pas Droit canon ni loy, il faut quil veuille determiner et donner loy aux brebis, et quil y garde l'ordre et forme requise. Ainsy disons nous quil faut avoir recours a luy non comme a un docte homme, car en cela il est ordinairement devancé par plusieurs [312] autres, mays comme au chef et Pasteur general de l'Eglise, et, comme tel, honnorer, suivre et embrasser fermement sa doctrine, car alhors il porte en sa poitrine le Urim et Thummim, la doctrine et verité.

            Et ne faut pas nomplus penser qu'en tout et par tout son jugement soit infallible, mays lhors seulement quil porte sentence en matiere de foy ou des actions necessaires a toute l'Eglise ; car es cas particuliers, qui dependent du faict humain, il y peut errer sans doute, quoy que nous autres ne devions le contreroller en cest endroit qu'avec toute reverence, submission et discretion. Les theologiens ont dict tout en un mot, quil peut errer in quæstionibus facti, non juris, quil peut errer extra Cathedram, hors la chaire de saint Pierre, c'est a dire, comme homme particulier, par escritz et mauvais exemples, mays non pas quand il est in Cathedra, c'est a dire, quand il veut faire une instruction et decret pour enseigner toute l'Eglise, quand il veut confirmer les freres comme supreme pasteur, et les veut conduyre es pasturages de la foy : car alhors ce n'est pas tant l'homme qui determine, resoult et definit, que c'est le benit Saint Esprit par l'homme, lequel, selon la promesse faicte par Nostre Seigneur a ses Apostres, enseigne toute verité a l'Eglise, ou, comme dict le Grec et semble que l'Eglise l'entende en une collecte de Pentecoste, conduict et meyne son Eglise en toute verité : Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem, ou, deducet vos in omnem veritatem. Et comment est ce que le Saint Esprit conduict l'Eglise, sinon par le ministere et office de prædicateurs et pasteurs ? mays si les pasteurs ont des pasteurs encores, ilz les doivent suivre ; ainsy tous doivent suivre celuy qui est le supreme pasteur, par le ministere duquel nostre Dieu veut conduire, non les aigneaux seulement et brebiettes, mays les brebis et meres des aigneaux, c'est a dire, non les peuples seulement, mays les autres pasteurs encores, celuy qui succede a saint Pierre qui eut ceste charge, Pasce oves meas. [313] C'est ainsy que Dieu conduit son Eglise es pasturages de sa sainte Parole, et en l'exposition d'icelle ; qui cherche la verité sous autre conduite, la pert. Le Saint Esprit est conducteur de l'Eglise, il la conduict par son pasteur ; qui donques ne suit le pasteur, ne suit pas le Saint Esprit.

            Mays le grand Cardinal Toletus remarque tresbien a propos sur ce lieu, quil n'est pas dict, portabit Ecclesiam in omnem veritatem, mays, deducet, pour monstrer que quoy que le Saint Esprit esclaire a l'Eglise, si veut il qu'elle use de la diligence requise a tenir le bon chemin ; comme firent les Apostres, qui ayans a respondre sur une question d'importance, debattirent de part et d'autre, conferant les Escritures ensemble, ce qu'ayans faict diligemment, ilz conclurent par le Visum est Spiritui Sancto et nobis, c'est a dire, le Saint Esprit nous a esclairé, et nous avons marché, il nous a guidé, nous l'avons suivi jusques a ceste verité ; il faut employer les moyens ordinaires pour la recherche de la verité, et neanmoins reconnoistre la treuve et l'abord en icelle de l'assistence du Saint Esprit. Ainsy est conduit le troupeau Chrestien par le Saint Esprit, mays sous la charge et conduite de son pasteur ; lequel, neanmoins, ne court pas a la volëe, mays selon la necessité convoque les autres pasteurs, ou en partie ou generalement, regarde soigneusement la piste des devanciers, considere le Urim et Thummim de la Parole de Dieu, entre devant son Dieu par ses prieres et invocations, et s'estant ainsy diligemment enquesté du vray chemin, se met en campaigne hardiment et faict voile de bon cœur : heureux qui le suit et se range a la discipline de sa houlette, heureux qui s'embarque en son navire ; car il repaistra de verité, il surgira au port de la sainte doctrine.

            Ainsy ne faict il jamais commandement general a toute l'Eglise es choses necessaires, qu'avec l'assistence du Saint Esprit, lequel ne manquant mesme pas aux especes des animaux es choses necessaires, par ce quil [314] les a establies, ne manquera pas aussi au Christianisme en ce qui luy est necessaire pour sa vie spirituelle. Et comment seroit l'Eglise une et sainte, telle que les Escritures et simboles la descrivent ? car, si elle suivoit un pasteur et que le pasteur errast, comme seroit elle sainte ? si elle ne le suivoit pas, comme seroit elle une ? et quelle desbauche verroit on parmi le Christianisme, pendant que les uns trouveroient et jugeroient une loy mauvayse, les autres, bonne, et que les brebis, au lieu de paistre et s'engraisser es pasturages de l'Escriture et sainte Parole, s'amuseroyent a conteroller les jugemens du superieur ? Reste donq que selon la divine providence nous tenions pour fermé ce que saint Pierre fermera avec ses clefz, et pour ouvert ce quil ouvrira, estant assis en la chaire instruisant toute l'Eglise.

            Que si les ministres eussent tansé les vices, remonstré l'inutilité de quelques censures et decretz, emprunté quelques saints advis des livres moraux de saint Gregoire, et de ceux de saint Bernard, De Consideratione, produit quelque bon moyen de lever les abuz qui sont survenuz en la prattique beneficiaire pour la malice du tems et des hommes, et se fussent adressés a Sa Sainteté avec humilité et reconnoissance, tous les bons les eussent honnorés, et caressé leurs desseins : les bons Cardinaux Contareno, Theatino, Sadolet et Polus, avec ces autres grans personnages qui præsenterent le Conseil de reformer les abus en ceste sorte, en ont merité une immortelle recommandation de la posterité. Mays remplir l'air et la terre d'injures, invectives, outrages, calomnier le Pape, et non seulement en sa personne, ce qui ne se doit jamais faire, mays en sa dignité, attaquer le Siege que toute l'antiquité a honnoré, le vouloir juger contre le conseil de toute l'Eglise, apeller la dignité mesme antichristianisme, qui sera celuy qui le pourra trouver bon ? Le grand Concile de Calcedoine trouva si estrange que Dioscorus, Patriarche, excommuniast le Pape Leon ; et qui pourra souffrir l'insolence de [315] Luther, qui fit une bulle ou il excommunie et le Pape, et les Evesques, et toute l'Eglise ? Toute l'Eglise luy donne des tiltres honnorables, luy parle avec reverence : que dirons nous de ce beau commencement de livre que Luther addressa au Saint Siege ? Martinus Lutherus, Sanctissimæ Sedi Apostolicæ et toti ejus parlamento, meam gratiam et salutem. Imprimis, Sanctissima Sedes, crepa et non frangere ob novam istam salutationem, in qua nomen meum primo et in supremo loco pono. Et apres avoir recité la bulle contre laquelle il escrivoit, il commence par ces ciniques et vilaines paroles : Ego autem dico, ad Papæ et bullæ hujus minas, istud : qui præ minis moritur, ad ejus sepulturam compulsari debet crepitibus ventris. Et quand, escrivant contre le Roy d'Angleterre, Vivens, dict il, papatus hostis ero, exustus tuus hostis ero. Que dites vous de ce grand pere ? sont ce pas des paroles dignes d'un tel reformateur ? j'ay honte de lire, et ma main se fache de præsenter ces vilaynies ; mays qui les vous cachera vous ne croires jamais quil soit tel quil est. Et quand il dict : Nostrum est non judicari ab ipso, sed ipsum judicare.

             Mays je vous entretiens trop sur un sujet qui ne demande pas grande inquisition. Vous lises les escritz de Calvin, de Zuingle, Luther ; je vous supplie, tries en les injures, calomnies, opprobres, mesdisances, risëes, bouffonneries qui y sont contre le Pape et le Saint Siege de Rome, et vous verres quil ny demeurera rien : vous oÿes vos ministres ; imposes leur silence quand aux injures, mocqueries, mesdisances, calomnies contre le Saint Siege, et vous aures vos preches la moitié plus cours. On dict mille folies sur cecy, c'est le rendes vous de tous vos ministres ; silz composent des livres, a tous propos, comme las et recreuz du travail, ilz s'arrestent sur les vices des Papes, disans bien souvent ce quilz sçavent bien n'estre [316] point. De Beze, qui dict que des long tems il ny a eu aucun Pape qui se soit soucié de la religion ni qui ayt esté theologien, veut il pas tromper quelqu'un ? car il sçait bien qu'Adrien, Marcel et ces cinq derniers ont estés tres grans theologiens : a quoy faire, mentir ? Mays disons quil y ait du vice et de l'ignorance : Cathedra tibi, vous dict saint Augustin, quid fecit Ecclesiæ Romanæ, in qua Petrus sedit et in qua hodie Anastasius sedet ? quare appellas cathedram pestilentiæ Cathedram Apostolicam ? Si propter homines, quos putas legem loqui et non facere, numquid Dominus Noster Jesus Christus propter Pharisæos, de quibus ait, Dicunt et non faciunt, cathedræ in qua sedebant ullam fecit injuriam ? nonne illam cathedram Moisi commendavit, et illos servato cathedræ honore redarguit ? ait enim : Super cathedram, etc. Hæc si cogitaretis, non propter homines quos infamatis blasphemaretis Cathedram Apostolicam cui non communicatis ; sed quid est aliud quam nescire [quid] dicere, et tamen non posse nisi maledicere ? [317]

 

 

 

 

 

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Chapitre VII. Que les Ministres ont violé l'Autorité des Miracles, 7e Règle de notre Foi

 

 

 

Article premier. Combien les Miracles sont pregnans pour asseurer de la Foi

 

 

            Affin que Moyse fust creu, il [Dieu] luy donna le pouvoir des miracles ; Nostre Seigneur, dict saint Marc, confirmoit ainsy la prædication Apostolique ; si Nostre Seigneur n'eust faict tant de miracles, on n'eust pas peché de ne le croire pas, dict le mesme Seigneur ; saint Pol tesmoigne que Dieu confirmoit la foy par miracles : donques le miracle est une juste rayson de croire, une juste preuve de la foy, et un argument pregnant pour persuader les hommes a creance ; car si ainsy n'estoit, nostre Dieu ne s'en fut pas servi. Et ne sert de rien de respondre que les miracles ne sont pas necessaires apres la foy semëe, car, outre ce que j'ay monstré le contraire cy devant, je ne dis pas maintenant quilz soyent necessaires, mays [318] seulement que la ou il plaict a la bonté de Dieu d'en fayre pour confirmation de quelqu'article, nous sommes obligés de le croire. Car, ou le miracle est une juste persuasion et confirmation, ou non : si non, donques Nostre Seigneur ne confirmoit pas justement sa doctrine ; si c'est une juste persuasion, donques en quel tems quilz se facent ilz nous obligent a les prendre pour une tres ferme rayson, aussy le sont ilz. Tu es Deus qui facis mirabilia, dict David au Dieu tout puyssant, donques ce qui est confirmé par miracles est confirmé de la part de Dieu ; or Dieu ne peut estre autheur ni confirmateur du mensonge, ce donques qui est confirmé par miracles ne peut estre mensonge, ains pure verité.

            Et affin de couper chemin a toutes fantasies, je confesse quil y a des faux miracles et des vrais miracles, et qu'entre les vrays miracles il y en a qui font argument evident que la puyssance de Dieu y est, les autres, non, sinon par leurs circonstances. Les miracles que l'Antichrist fera seront tous faux, tant par ce que son intention sera de decevoir, que par ce que une partie ne seront qu'illusions et vaynes apparences magiques, l'autre partie ne seront pas miracles en nature mays seulement miracles devant les hommes, c'est a dire, ne surpasseront pas les forces de nature, mays pour estre extraordinaires sembleront miracles aux simples. Telz seront la descente quil fera faire du feu qui descendra in conspectu hominum, et ce quil fera parler l'image de la beste, et guerira une plaïe mortelle ; desquelz la descente du feu en terre et le parler de l'image semble que ce seront illusions, dont il adjouste, in conspectu hominum ; ce seront magies. La guerison de la plaÿe mortelle sera un miracle populaire, non philosophique ; car ce que le peuple croit estre impossible, il le tient pour miracle quand il le voit, mays il tient plusieurs choses impossibles en nature qui ne le sont, telles sont plusieurs guerisons. Or plusieurs playes sont mortelles en presence de quelques medecins, et incurables, qui [319] ne le seront pas en præsence des autres qui sont plus suffisans et ont quelque remede plus exquis ; ainsy la plaïe sera mortelle selon le cours ordinaire de la medecine, mays le diable, qui a plus de suffisance en la connoissance des vertus des herbes, odeurs, minerales et autres drogues, que les hommes, fera ceste cure la par l'application secrette des medicamens inconneuz aux hommes : et semblera miracle a qui ne sçaura discerner entre la science humayne et diabolique, entre la diabolique et divine, en ce que la diabolique devance l'humayne de grande traitte, et la divine surpasse la diabolique d'une infinité ; l'humayne ne sçait qu'une petite partie de la vertu qui est en nature, la diabolique sçait beaucoup davantage mays dans les confins de nature, la divine n'a point d'autre limite que son infinité.

            Je disoys qu'entre les vrays miracles il y en a qui font une certaine science et rayson que le bras de Dieu y opere, les autres non, sans la consideration et secours des circonstances. Cela apert par ce que j'ay dict ; et par exemple, les merveilles que firent les magiciens d'Egipte estoyent, quand a l'apparence exterieure, toutes semblables aux miracles que faysoit Moise, mays qui considerera les circonstances, connoistra bien ayseement que les uns estoyent vrays miracles, les autres faux, comme le confesserent les magiciens quand ilz dirent : Digitus Dei est hic. Ainsy pourrois je dire, si Nostre Seigneur n'eust jamays faict autre miracle que de dire a la Samaritayne que l'homme qui habitoit avec elle n'estoit pas son mari, et que de convertir l'eau en vin, on eust peu penser quil y avoit de l'illusion et magie ; mays ces merveilles partant de la mesme main qui faysoit voir les aveugles, parler les muetz, ouir les sourds, vivre les mortz, il ny eschoit plus aucun scrupule. Car, ramener la privation en son habitude, le non estre a l'estre, et donner les operations vitales aux hommes, sont choses impossibles a toutes les puyssances humaynes, ce sont des coups du sauverain [320] Maistre ; lequel quand puys apres il luy plaict faire des cures par sa toute puyssance, ou des mutations es choses, ne laysse pas de les faire reconnoistre pour miraculeuses, quoy que la nature secrette en peut faire tout autant, parce qu'ayant faict ce qui surpasse nature, il nous a ja rendus asseurés de sa qualité et de la valeur de la [merveille] : ainsy que quand un homme a faict un chef d'ceuvre, quoy quil face puys apres plusieurs ouvrages communs, on ne laisse pas de le tenir pour maistre.

            En somme, le miracle est une tres asseurëe preuve et confirmation en la creance quand c'est un vray miracle, et en quel tems quil soit faict ; autrement il faudroit renverser toute la prædication Apostolique. Il estoit raysonnable qu'estant la foy de choses qui surmontent nature, elle fust averëe par œuvres qui surpassent nature, et qui monstrent que la prædication ou parole annoncëe part de la bouche et authorité du Maistre de nature, le pouvoir duquel n'est point limité, lequel se rend par le miracle comme tesmoin de la verité, soussigne et met son sceau a la parole portëe par le prædicateur. Or, semble il que les miracles soyent tesmoignages generaux pour les simples et plus rudes : car chacun ne peut pas sonder l'admirable convenance quil y a entre les Propheties et l'Evangile, la grande sapience de l'Escriture, et semblables marques illustres qui sont en la Religion Chrestienne, c'est un examen a faire aux doctes ; mays il ni a celuy qui n'apprehende le tesmoignage d'un vray miracle, chacun entend ce langage entre les Chrestiens. Il semble que les miracles ne soyent pas necessaires, mays ilz le sont a la verité ; et n'est pas sans cause que la suavité de la divine providence en fournit a son Eglise en toutes les saysons, car en toutes saysons il y a des heresies, lesquelles bien qu'elles soyent suffisamment rabbatues, voire a la capacité des moindres, par l'antiquité, majesté, unité, catholicisme, sainteté de l'Eglise, si est ce que chacun ne sçait pas priser ces « doüaires, » comme parle Optatus, a leur vraye [321] valeur, chacun n'entend pas et ne penetre pas ce langage : mays quand Dieu parle par œuvres, chacun l'entend, c'est une parole commune a toutes nations ; comme l'escriture d'une sauvegarde n'est conneüe d'un chacun, mays si on y voit la croix blanche, les armes du Prince, chacun connoit que le tesmoignage et l'authorité sauveraine y court.

 

 

 

Article II. Combien les Ministres ont violé la foy deüe au tesmoignage des Miracles

 

 

            Il ni a presqu'article de nostre Religion qui n'ait esté approuvé de Dieu par miracle. Les miracles qui se font en l'Eglise, monstrans ou est la vraye Eglise, font suffisante preuve de toute la creance de l'Eglise ; car Dieu ne porteroit jamays tesmoignage a une eglise qui n'eust la vraÿe foy et fust errante, idolatre, trompeuse :  mays ceste bonté supreme ne s'arreste pas la ; elle a confirmé presque tous les pointz de la foy Catholique par tres illustres miracles, et, par une speciale providence de Dieu, nous trouvons que quasi sur tous les articles esquelz nous sommes en different avec les ministres, Nostre Seigneur a rendu tres illustre tesmoignage de la verité que nous prechons, par miracles irreprochables. Je mettray, sil vous plaict, quelques exemples.

            Dum Agapitus, sanctæ Romanæ Ecclesiæ Pontifex, dict saint Gregoire, ad Justinianum principem proficisceretur in Græciarum partibus, [322] propinqui cujusdam muti et claudi obtulerunt eum Agapito curandum, dicentes se, in virtute Dei, ex auctoritate Petri, fixam salutis illius spem habere. Voila la creance de ces bonnes gens ; ilz tenoyent le Pape pour successeur en l'authorité de saint Pierre, et partant quil avoyt quelque eminente authorité : un de vos ministres les eust tenuz pour superstitieux, l'Eglise Catholique eust tousjours dict, comm'elle faict maintenant, que leur creance estoit juste. Voyes ce qu'en tesmoigna Nostre Seigneur : Protinus venerandus vir, poursuit saint Gregoire, orationi incubuit, et Missarum solemnia exorsus, sacrificium in conspectu Dei omnipotentis immolavit ; quo peracto, ab altari exiens claudi manum tenuit, atque assistente et aspiciente populo eum mox a terra in propriis gressibus erexit ; cumque ei Dominicum Corpus in os mitteret, illa diu muta ad loquendum lingua soluta est. Mirati omnes, flere præ gaudio cæperunt, eorumque gentes illico metus et reverentia invasit, cum videlicet cernerent quid Agapitus facere in virtute Domini ex adjutorio Petri potuisset : ce sont les paroles de saint Gregoire. || Que dites vous ? si vous me demandes qui a faict ce miracle, je vous respondray par les propres paroles de Nostre Seigneur : Cæci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizantur. || Quelle foy l'a demandé ? la foy que le Pape est successeur de saint Pierre, et en a l'eminente authorité. Par quelles actions a il esté obtenu ? par le tressaint Sacrifice de la Messe, et par la realité de l'exhibition du Cors de Nostre Seigneur en la bouche du patient. En quoy s'est faict le miracle ? en ce que ce patient a esté remis de la privation a l'habitude, et une operation vitale luy a esté rendue, qui est l'ouÿe, car encor quil n'est pas dict quil fut sourd, si l'estoit il neanmoins, car le muet naturel est tousjours sourd. Que peut donques conclure sinon que, Digitus Dei est, que Dieu a signé et scellé la creance en laquelle [323] nous sommes pour l'article de la succession du Pape en l'authorité de saint Pierre, et pour l'article de la tressainte Messe ? qu'opposera on ? En quel tems s'est faict ce miracle ? en la plus pure et sainte Eglise, car, et Calvin et les Lutheriens confessent que la pureté de l'Eglise a duré jusqu'apres saint Gregoire. Qui raconte ceste histoire ? un tressaint et docte personnage, par l'aveu mesme des adversaires qui le font le dernier bon Pape. Ou a esté faict le miracle ? en præsence de tout un peuple, Grec et non passionné pour le Saint Siege.

            Ainsy nous prechons la realité du Cors de Nostre Seigneur et de son Sang au Sacrement de l'autel : Nostre Seigneur l'a authorisé par la miraculeuse experience quil en fit voir a un Juif et une Juifve qui assistoyent a la messe de saint Basile, tesmoin saint Amphilochius qui vivoit environ l'an 380. Une femme aussy qui avoit petri le pain qu'on devoit consacrer, venant a la sainte Communion, comm'elle vit saint Gregoire, tenant non plus le pain mais le tressaint Sacrement, venir a elle pour la communier, et dire, Corpus Domini Nostri Jesu Christi custodiat animam, etc., elle se prit a rire ; saint Gregoire l'interroge pourquoy elle rioyt, elle respond que c'estoit parce qu'elle avoit petri le pain duquel saint Gregoire avoit dict que c'estoit le Cors de Nostre Seigneur ; saint Gregoire impetra par prieres que la sainte Eucharistie apparut au dehors ce qu'elle estoit au dedans, dont ceste pauvre femme fut reduite a la foy, et tout le peuple confirmé : c'est une histoire racontëe par le bon Paulus Diaconus.

            Nous prechons quil faut adorer Nostre Seigneur qui est realement au tressaint Sacrement : Gorgonia, seur de saint Gregoire Nazianzene, le fit, et incontinent elle guerit d'une maladie incurable, au rapport de son [324] frere mesme. Saint Chrysostome en raconte deux belles apparitions, ou une multitude d'Anges furent veus au tour du saint Sacrifice de l'autel, sic capite inclinatorum ut si quis milites, præsente rege, stantes videat ; id quod facile mihi ipse persuadeo, dict ceste bouche d'or.

            Nous prechons la Transsubstantiation : et les experiences que j'ay rapportees de saint Amphilochius et de Paulus Diaconus en font foy.

            Nous prechons que c'est non seulement Sacrement, mais Sacrifice : et saint Augustin, parlant d'un lieu inhabitable par la violence des espritz malins, qui estoit a Hesperius, au territoire Fussalense, Perrexit unus, dict [il], ex presbiteris, obtulit ibi Sacrificium Corporis Christi, orans quantum potuit ut cessaret illa vexatio, Deoque protinus miserante cessavit. Ce que j'ay rapporté de Agapitus vient joindre icy.

            Nous prechons la sainte communion des Saintz, en la priere quilz font pour nous et en l'honneur que nous leur deferons : mays quand aurois je faict a vous produire les miracles qui se sont faict sur ceste creance ? Theodoret, De curandis Græc. aff., en faict un long discours ; saint Gregoire Nazianzene en raconte un tres certain miracle, en la conversion de saint Cyprien par l'intercession de Nostre Dame.

            Nous honnorons leurs reliques : voyes comme saint Augustin faict un long discours de tres certains miracles faictz aux reliques de saint Estienne ; et la mesme encores en raconte il un, faict aux reliques de saint Gervais a Milan, d'un aveugle gueri, dequoy luy mesme faict le recit encores en ses Confessions, et sainct Ambroise.

            Nous produisons le signe de la Croix contre le diable : et saint Gregoire Nazianzene tesmoigne que Julien l'Apostat, en un sacrifice faict aux idoles, voyant le diable, s'y signa de ce signe ; le diable s'en fuit, le sorcier et magicien dict a l'apostat que le diable s'en fuyoit non par crainte mais par abomination ; [325] Abominationi, dict il, illis fuimus, non terrori. Vincit quod pejus est. Eusebe faict foy des merveilles que Dieu a faict par ce saint signe au tems de Constantin le Grand.

            En nos eglises nous avons des vases sacrés : et saint Chrysostome raconte que Julien, oncle de Julien empereur, avec un certain tresorier, les desroba et prophana, mays Julien mourut incontinent, rongé par les vers, le tresorier creva sur la place.

            Nous faysons conte du saint Chresme dont on oint les baptisés pour la sainte Confirmation : et saint Optatus Milevitain raconte que la phiole ou ampoulle du saint Chresme estant jettëe par les Donatistes sur des pierres, non defuit manus angelica quæ ampullam spiritali subvectione deduceret ; projecta casum sentire non potuit.

            Nous confessons humblement nos pechés aux superieurs ecclesiastiques : et saint Jan Climacus raconte que comme une personne tres vicieuse confessoit ses fautes, on vit un grand et terrible, qui rayoit d'un livre de contes les pechés, a mesure que cestuy ci les confessoit ; par ce, dict le mesme Climacus, que la confession bien delivre de l'eternelle confusion.

            Nous avons des images en nos eglises : mays qui ne sçait les grans miracles qui furent faitz au crucifiement d'une image de Nostre Seigneur, que les Juifz firent en Syrie en la ville de Berite ? non seulement le sang en sortit, mays ce sang guerit quicomque en fut touché, de toutes sortes de maladies ; c'est le grand saint Athanase qui le raconte.

            Nous y avons de l'eau beniste et du pain benit : mays saint Hierosme raconte que plusieurs pour guerir les malades prenoyent du pain benit par saint Hilarion ; et saint Gregoire dict que saint Fortunat guerit un homme qui en une cheute de cheval s'estoit rompu la jambe, par la seule aspersion de l'eau benite. C'est asses. [326]

            Or quel mespris est ce de tant de miracles, de se mocquer et gauser de toute ceste doctrine, et de l'Eglise qui la præche ? Si vous ne voules priser le tesmoignage de l'antiquité, Testimonium Dei majus est. Qu'est ce que vous respondres ? Quand a moy, j'ay escrit icy les premiers miracles qui me sont venus en main ; que j'ay pris neanmoins des autheurs qui ont estés en la pure Eglise, car si je vous eusse apporté les miracles faictz au tems de saint Bernard, de saint Malachie, de Bede, de saint François, vos ministres eussent incontinent crié que c'estoyent des prodiges de l'Antichrist, mays puysque tous tant quilz sont confessent que l'Antichrist n'a point comparu sinon quelque tems apres saint Gregoire, et que ce que je produis a tout esté faict auparavant, ou au tems de saint Gregoire, il n'y eschoit point de difficulté. Les Arriens nioyent [le miracle sur] l'aveugle qui fut gueri par l'atouchement du bord du drap qui couvroit les reliques de saint Gervais et Protais, et disoyent quil n'avoyt pas esté gueri ; saint Ambroise respond : Negant cæcum illuminatum, sed ille non negat se sanatum. Sed quæro, dict il peu apres, quid non credant ? utrum a Martiribus possint aliqui visitari ? hoc est Christo non credere, ipse enim dixit : Et majora horum facietis. Et plus bas il dict : Neque aliter Martirum operibus inviderent, nisi fidem in iis fuisse eam quam isti non habent judicarent, fidem illam Majorum traditione firmatam, quam dæmones ipsi negare non possunt, sed Arriani negant : non accipio a diabolo testimonium sed confessionem. Quelles circonstances ne rendent ces miracles irreprochables ? une partie sont restitutions des operations vitales, qui ne se peut faire par autre puyssance que la divine ; le tems auquel ilz se sont faitz estoit tout voysin a celuy de Nostre Seigneur, l'Eglise toute pure et sainte ; il ni avoit point d'Antichrist au monde, comme dient les ministres ; [327] les personnes par la priere desquelles ilz se faysoyent, tres saintes ; la foy qui en estoit confirmëe estoit generale et tres Catholique ; les autheurs qui les recitent, tres asseurés.

            Je veux icy mettre une piece empruntëe  : « Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de saint Hilaire, passe ; son credit n'est pas asses grand pour nous oster la licence d'y contredire : mais de condamner d'un train toutes pareilles histoires me semble singuliere impudence. Ce grand saint Augustin tesmoigne avoir veu, sur les reliques saint Gervais et Protais a Milan, un homme aveugle recouvrer la veüe ; une femme a Carthage avoir esté guerie d'un cancer par le signe de la Croix qu'une femme nouvellement baptizëe luy fit ; Hesperius, un sien familier, avoir chassé les espritz qui infestoyent sa mayson, avec un peu de terre du Sepulchre de Nostre Seigneur, et ceste terre despuys transportëe a l'eglise, un paralitique y estant apporté avoir esté soudain gueri ; une femme en une procession ayant touché a la chasse saint Estienne d'un bouquet, et de ce bouquet s'estant frottëe les yeux, avoir recouvré la veüe qu'elle avoit pieça perdue ; et plusieurs autres miracles ou il dict luy mesme avoir assisté. De quoy accuserons nous et luy et deux Evesques, Aurelius et Maximinus, quil apelle pour ses recors ? sera ce d'ignorance, simplesse, facilité ? ou de malice et imposture ? est il homme, en nostre siecle, si impudent qui pense leur estre comparable, soit en vertu, soit en sçavoir, jugement et suffisance ? »

            Autant en diray je des deux saints Gregoire que j'ay produit, de saint Amphiloche, de saint Hierosme, saint Chrysostome, Athanase, Climacus, Optatus, Ambroise, Eusebe. Dites, pour Dieu, ce quilz racontent est il pas tres possible a Dieu ? et sil est possible, comme oserons nous nier quil n'ait esté faict, puysque [328] tant de grans personnages en tesmoignent ? On m'a dict plus d'une fois, est ce article de foy de croire ces contes ? Ce n'est voirement pas article de foy, mays article de sagesse et discretion ; car c'est une bestise trop notoire et une tres sotte arrogance de donner des dementies a ces anciens et graves personnages, sans autre fondement que parce que ce quilz disent n'est pas sortable a nos conceptions : sera il donq dict que nostre petite cervelle bornera la verité et mensonge, et fera loy a l'estre et au non estre ? [329]

 

 

 

 

 

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Chapitre VIII. Que les Ministres ont violé la Raison naturelle, 8e Règle de notre Foi

 

 

 

Article premier. En quelle façon la Rayson naturelle est une Regle de bien croire, et l'experience

 

 

            Dieu est autheur en nous de la rayson naturelle, et ne hait rien de ce quil a faict, si que, ayant marqué nostre entendement de ceste sienne lumiere, il ne faut pas penser que l'autre lumiere surnaturelle quil depart aux fidelles, combatte et soit contraire a la naturelle ; elles sont filles d'un mesme Pere, l'une par l'entremise de nature, l'autre par l'entremise de moyens plus hautz et eslevés, elles donques peuvent et doivent demeurer ensemble comme seurs tres affectionnëes. Soit en nature soit sur nature, la rayson est tousjours rayson, et la verité, verité ; aussy n'est ce que le mesme œïl qui voit es obscurités d'une nuict bien sombre a deux pas devant luy, et celuy qui voit au beau jour de mydi tout le cercle de son horison, mays ce sont diverses lumieres qui luy esclairent : ainsy est il certain que la verité, et sur nature et en [330] nature, est tousjours la mesme, ce sont seulement diverses lumieres qui la monstrent a nos entendemens ; la foy nous la monstre sur nature, et l'entendement en nature, mays la vérité n'est jamais contraire a soymesme.

            || Item, Dieu, qui a donné a nos sens leurs propres sentimens et connoissances, pour seconder nature ne permet que jamais ilz soyent trompés quand ilz sont en une droitte application, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne bronche point. || Item, nos sens ne se trompent pas sur leur propre object quand l'application est bien faitte, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne peut estre deceüe : ce sont propositions de la philosophie, qui ont ceste rayson bien asseurëe, c'est que Dieu est autheur de nos sens, et les dresse, comme saint ouvrier et infallible, a leur propre fin et but ; ce sont certes premiers principes, que ceux qui les leveroyent nous leveroyent tout discours et rayson. L'exemple nous fera bien entendre ces propositions. Mon œil se peut tromper, jugeant une chose plus grande qu'elle n'est ; mays la grandeur n'est pas le propre object de mon œil, car il est commun au toucher et a la main : et se peut tromper, estimant le mouvement estre ou il n'est point, comme ceux qui navigent le long de la rive voient, ce leur semble, les arbres et tours se remuer ; mays le mouvement n'est pas propre object de la veüe, le toucher y a part encores : il se peut encores tromper si l'application n'est pas pure ; car, sil y a du verre vert ou rouge en l'entredeux, il pensera vert ou rouge ce qui ne le sera pas.

            Au reste, si au jugement du sens et a l'experience vous y adjoustes du discours et de la consequence, si vous vous y trompes ne vous en prenes plus au sentiment ni a l'experience, car elle n'est plus pure ni simple, qui est une des conditions que j'ay mises en mes propositions ; c'est le discours et la consequence que vous y aves attachüe qui vous a trompé. Ainsy les yeux ni l'experience ne trompoyent pas ceux qui [331] voyoient et experimentoyent en Nostre Seigneur la forme et maniere humayne, car tout cela y estoit, mays quand ilz tiroient de la, consequence quil n'estoit pas Dieu, ilz se trompoyent. Le sens qui juge qu'a l'autel il y a la rondeur, la blancheur, le goust et saveur du pain, juge bien, mays le discours qui deduit de la que la substance du pain y est encores, tire une tres mauvaise et fause conclusion ; delaquelle le sens ne peut mais, qui ne prend point de connoissance sur la substance des choses, mais sur les accidens. De mesme, l'experience qui nous monstre que nous ne sçavons pas comme ces accidens sont sans leur naturelle substance, est tres veritable, mays si nostre jugement tire conclusion de la quil n'en soit rien, il se trompe et nous trompe encores ; et nostre experience n'en peut mais, qui n'a point touché a ceste consequence.

            L'experience donques et la connoissance des sens est tres veritable, mays les discours que nous en tirons nous trahissent : hors de la, qui combat la connoissance des sens et la propre experience, combat la rayson et la renverse, car le fondement de tout discours depend de la connoissance des sens et de l'experience. Or, combien vos ministres ayent combattu l'experience, la connoissance des sens et la rayson naturelle, je vous le feray paroistre tout maintenant, pourveu que vous mesmes ne veuilles combattre vostre propre jugement. [332]

 

 

 

Article II. Combien les Ministres ont combattu la Rayson et l'experience

 

 

            Quand Luther, en la præface de l'Assertion des articles condamnés par Leon, dict que « l'Escriture est tres aysëe, intelligible et claire a chacun », et que chacun y peut connoistre la verité, et discerner entre les sectes et opinions quelle est la vraye, quelle est la fausse, dites, je vous prie, combat il pas la propre experience de tout le monde ? et quand vous aves creu ceste sottise, connoisses vous pas tout ouvertement le contraire ? Je ne sache homme si versé qui osast jurer, sil a point de conscience, quil sçait le vray sens, je ne dis pas de toute l'Escriture, mays de quelque partie d'icelle ; et si, n'ay je jamais veu homme entre vous qui entende le sens d'un chapitre tout entier.

            Quand Calvin et Bucer nient que nous ayons aucune liberté en nostre volonté, non seulement pour les actions surnaturelles, mays encores pour les naturelles et es commerces purement humains, n'attaque il pas la rayson naturelle et toute la philosophie, comme luy mesme confesse, et tout d'un train l'experience, et de vous, si vous parles franchement, et de tout le reste des hommes ?

            Et quand Luther dict que le croire, esperer, aymer ne sont pas operations et actions de nostre volonté, mais pures passions sans aucune activité de nostre volonté, ne perd il pas tout en un coup le croire, l'esperer, l'aymer, et les change en estre creu, esperé et aymé, et combat le cœur de l'homme, qui connoist [333] bien que c'est luy qui croit, ayme, espere, par la grace de Dieu ?

             Item, quand Luther dict que les enfans au Baptesme ont l'usage de l'entendement et rayson, et quand le sinode de Wittemberg dict que les enfans au Baptesme ont des mouvemens et inclinations semblables aux mouvemens de la foy et charité, et ce sans entendre, n'est ce pas se mocquer de Dieu, de nature, et de l'experience ?

            Et quand on dict que nous pechons « incités, poussés, necessités, par la volonté, ordonance, decret et predestination de Dieu, » n'est ce pas blasphemer contre toute rayson et contre la majesté de la supreme bonté ? Ah, voyla la belle theologie de Zuingle, Calvin et Beze : At enim dices, dict Beze, dices, non potuerunt resistere Dei voluntati, id est, decreto : fateor ; sed sicut non potuerunt, ita etiam noluerunt. Verum non poterant aliter velle : fateor quoad eventum et energiam, sed voluntas tamen Adami coacta non fuit. Bonté de Dieu, je vous appelle a garant : vous m'aves poussé a mal faire, vous l'aves ainsy decreté, ordonné, voulu, je ne pouvois faire autrement, je ne pouvois vouloir autrement, qu'y a il de ma faute ? O Dieu de mon cœur, chastiés mon vouloir sil peut ne vouloir pas le mal et quil le veüille, mays sil luy est impossible de ne le vouloir pas, et vous luy soÿes cause de ceste impossibilité, qu'y peut il avoir de sa faute ? Si cecy n'est contre rayson, je confesse quil ny a point de rayson au monde.

             « La loy de Dieu est impossible, » selon Calvin et les autres : que s'ensuit il de la, sinon que Nostre Seigneur soit tiran, qui commande chose impossible ? si ell'est impossible, pourquoy la commande on ?

             « A considerer exactement, les œuvres pour bonnes qu'elles soyent meritent plus l'enfer que le Paradis : » la justice donques de Dieu, qui donnera a chacun selon ses œuvres, donnera a chacun l'enfer ? [334]

            C'est asses. Mays l'absurdité des absurdités, et la plus horrible deraison de toutes, c'est celle la, que, tenans que l'Eglise tout'entiere aÿe erré mill'ans durant en l'intelligence de la Parole de Dieu, Luther, Zuingle, Calvin puyssent s'asseurer de la bien entendre ; bien plus, qu'un simple ministrot, prechant comme parole de Dieu que toute l'Eglise visible a erré, que Calvin et tous les hommes peuvent errer, ose trier et choysir entre les interpretations de l'Escriture celle qui luy plaict, et l'asseurer et maintenir comme parole de Dieu ; encores plus, que vous autres qui oyans dire que chacun peut errer au faict de la religion , et toute l'Eglise mesme, sans vouloir vous en chercher d'autre parmi mille sectes qui toutes se vantent de bien entendre la Parole de Dieu et la bien precher, croÿes si opiniastrément a un ministre qui vous preche, que vous ne voules rien ouir autre. Si chacun peut errer en l'intelligence de l'Escriture, pourquoy non vous et vostre ministre ? J'admire que vous n'alles tousjours tremblantz et branslantz ; j'admire comme vous pouves vivre avec autant d'asseurance en la doctrine que vous suives, comme si vous ne pouvies [tous] errer, et que neanmoins vous tenes pour asseuré que chacun a erré et peut errer.

            L'Evangile vole bien haut sur toutes les plus eslevees raysons de nature ; jamais il ne les combat, jamais ne les gaste ni défaict : mays ces fantasies de vos evangelistes ruynent et obscurcissent la lumiere naturelle. [335]

 

 

 

Article III. Que l'analogie de la foy ne peut servir de regle aux Ministres pour establir leur doctrine

 

 

            C'est une voix pleyne de fast et d'ambition entre vos ministres, et qui leur est ordinaire, quil faut interpreter l'Escriture et esprouver les expositions par l'analogie de la foy. Le simple peuple, quand il entend parler de l'analogie de la foy, pense que ce soit certain mot de secrette vigueur et force, et cabalistique, et admire tout'interpretation qui se faict, pourveu qu'on mette ce mot icy en campaigne. Ilz ont rayson, pour vray, quand ilz disent quil faut interpreter l'Escriture et esprouver les expositions d'icelle par l'analogie de la foy, mays ilz ont tort quand ilz ne font point ce quilz disent. Le pauvre peuple n'entend autre ventance que de ceste analogie de la foi, et les ministres n'ont faict autre que la corrompre, violer, forcer et mettre en pieces. Disons, je vous prie : vous dites que l'Escriture est aysëe d'entendre, pourveu qu'on l'adjuste a la regle et proportion ou analogie de la foy ; mays quelle regle de la foy peuvent avoir ceux [qui] n'ont point d'Escriture que toute glossee, toute estirëe et contournee d'interpretations, metaphores, metonimies ? si la regle est sujette au desreglement, qui la reglera ? et quelle analogie ou proportion de foy y peut il avoir, si on proportionne les articles de foy aux conceptions les plus esloignëes de leur naïfveté ? Voules vous que la proportion des articles de foy vous serve pour vous resoudre sur la doctrine et religion ? laysses les articles de foy en leur naturelle taille, ne leur bailles point d'autre forme que celle quilz ont receüe des Apostres. [336]

            Je vous laysse a penser a quoy me servira le Simbole des Apostres pour interpreter l'Escriture, puysque vous le glosses en telle façon, que vous me mettes en autant de difficulté de son sens que je fus jamais de l'Escriture mesme.  Si on demande comm'il se peut faire que le mesme cors de Nostre Seigneur soit en deux lieux, je diray que cela est aysé a Dieu, suyvant le dire de l'Ange, Non est impossibile apud Deum omne Mot, et le confirmeray par la rayson de la foy, Credo in Deum Patrem omnipotentem ; mays si vous glosses, et l'Escriture et l'article de foy mesme, comme confirmeres vous vostre glosse ? a ce conte la il ny aura point de premier principe sinon vostre cervelle. Si l'analogie de la foy est sujette a vos glosses et opinions, il le faut dire franchement, affin qu'on sache vostre intention ; ainsy ce sera interpreter Escriture par l'Escriture et par l'analogie, le tout adjusté a vos interpretations et conceptions.

            J'applique le tout a l'analogie de la foy. Ceste explication joint fort bien a la premiere parole du Simbole, la ou Credo nous oste toute la difficulté du discours humain. L'omnipotentem me confirme, la creation m'y recrëe ; car, qui ex nihilo fecit omnia, quare ex pane non faciet Corpus Christi ? Le nom de Jesus m'y conforte, car sa misericorde et magnifique volonté y est exprimëe ; ce quil est Filz consubstantiel au Pere monstre son pouvoir illimité. Sa conception d'une Vierge hors le cours naturel, ce quil n'a point dedaigné de s'y loger pour nous, ce quil est né avec penetration de dimension, action qui surmonte et outrepasse la nature d'un cors, m'asseure et de la volonté et du pouvoir. Sa mort m'affermit, car, qui est mort pour nous, que ne fera il pas pour nous ? Son sepulchre me console, et sa descente aux enfers, car je ne douteray point quil ne descente en l'obscurité de mon cors, etc. [337] Sa resurrection me ravive, car la nouvelle penetration de la pierre, l'agilité, subtilité, clarté, impassibilité de son cors n'est plus sujette aux loix trop grossieres de nos cervelles. Son ascension me faict monter a ceste foy ; car si son cors penetre, s'esleve par sa seule volonté, et se place sans place a la dextre du Pere, pourquoy ne sera il encor ça bas ou bon luy semble, sans y occuper autre place qu'a sa volonté ? Ce qu'il sied a la dextre du Pere, me monstre que tout luy est sousmis, le ciel, la terre, les distances, les lieux et les dimensions : ce que de la il viendra juger les vivans et les morts, me pousse a la creance de l'illimitation de sa gloire, et que partant sa gloire n'est pas attachëe au lieu, mays ou quil soit il la porte avec soy ; dont au tressaint Sacrement il y est sans laysser sa gloire ni ses perfections. Le Saint Esprit, par l'operation duquel il a esté conceu et est né d'une Vierge, pourra bien encores avec son operation fayre ceste admirable besoigne de la Transubstantiation. L'Eglise, qui estant sainte ne peut induire a l'erreur, estant catholique n'est pas astreinte a ce miserable siecle, mays doit avoir son estendue en long des les Apostres, en large par tout le monde, en profondité jusqu'au Purgatoire, en hauteur jusqu'au ciel, a sçavoir, toutes nations, tous les siecles passés, les Saints canonizés et nos ayeulz desquelz nous avons esperance, les Prelatz, les Conciles recens et anciens, tout par tout chantent Amen, amen, a ceste sainte creance. C'est icy la parfaite Communion des Saintz, car c'est la viande commune des Anges et saintes ames du Paradis et de nous autres, c'est le vray pain duquel tous les Chrestiens participent. La Remission des pechés, l'Autheur de la remission y estant, est confirmëe, la semence de nostre Resurrection jettëe, la Vie æternelle conferëe.

            Ou trouves vous de la contrarieté a ceste sainte analogie de la foy ? tant s'en faut, que vrayement ceste creance du tressaint Sacrement, qui contient en verité, realité et substance le vray et naturel Cors de Nostre [338] Seigneur, est vrayement l'abbregé de nostre foy, suyvant le dire du Psalmiste, Memoriam fecit. O saint et parfaict memorial de l'Evangile, o admirable recueil de nostre foy : qui croit, o Seigneur, vostre præsence en ce tressaint Sacrement, comme preche vostre sainte Eglise, a recueilly et suce le doux miel de toutes les fleurs de vostre sainte Religion, a grand peyne quil puysse jamais mescroire.

            Mays je reviens a vous, Messieurs, et demande que c'est qu'on m'opposera plus a ces passages si clairs, Cecy est mon cors. Que la chair ne prouffite de rien ? non pas la vostre ou la mienne qui ne sont que charoignes, ni nos sentimens charnelz ; nom pas une chair simple, morte, sans esprit ni vie : mays celle du Sauveur, qui est tousjours garnie de l'Esprit vivifiant et de son Verbe, je dis qu'elle proufite a tous ceux qui la reçoivent dignement pour la vie æternelle. Que dires vous ? que les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie ? qui le nie, sinon vous qui dites que ce ne sont que tropes et figures ? Mays a quel propos ceste consequence : les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie, donques elles ne se doivent pas entendre de son cors ? Et quand il dict, Filius hominis tradetur ad illudendum et flagellandum, etc. (car je metz pour exemple les premieres venues), ses paroles n'estoyent ce pas esprit et vie ? dites donques qu'il a esté crucifié en figure. Quand il dict, Si ergo videritis Filium hominis ascendentem ubi erat prius, s'ensuit il quil ny soit monté qu'en figure ? et toutes elles sont comprises avec les autres, dont il dict, spiritus et vita sunt. En fin, au Saint Sacrement, aussi bien qu'es saintes paroles de Nostre Seigneur, l'esprit y est, qui vivifie la chair, autrement elle ne proufiteroit de rien, mays la chair ne laisse pas d'y estre avec sa vie et son esprit. Que dires vous plus ? que ce Sacrement est appellé pain ? aussy est il, mays comme Nostre Seigneur l'explique : Ego sum panis vivus. C'est bien asses pour cest exemple.

            Quand a vous, que produires vous de semblable ? [339] je vous monstre un est, monstres moy le non est que vous pretendes, ou le significat ; je vous ay monstré le corpus, monstres moy le signe effectueux. Cherches, vires, revires, mettes vous sur vostre esprit de tournoyement a grand randon, et vous ne le trouveres jamais. A tout rompre vous monstreres que qui voudroit un peu estirer ces paroles, il trouveroit quelques semblables phrases en l'Escriture que celle que vous pretendes estre icy, mays ad esse a posse c'est une lourde consequence ; je nie que vous le puyssies faire joindre, je dis que si chacun les manie a sa main, la pluspart les prendront a gauche. Mays bien, layssons voir un peu faire. Vous produises pour vostre creance : Parole quæ ego loquor spiritus et vita sunt, et y joignes, Quotiescumque manducabitis panem hunc ; vous y adjoustes, Hoc facite in meam commemorationem ; vous y apportes, Mortem Domini annunciabitis donec veniat ; Me autem semper non habebitis ; mays consideres un peu quel rapport ont ces paroles les unes aux autres. Vous adjustes tout cecy a l'anormalogie de vostre foy, et comment ? Nostre Seigneur est assis a la dextre, donq il n'est pas icy. Monstres moy le fil avec lequel vous couses ceste negative avec ceste affirmative : par ce qu'un cors ne peut estre en deux lieux. Ah, vous disies que vous joindries vostre negative avec l'analogie par le fil de l'Escriture ; ou est cest'Escriture, qu'un cors ne puysse estre en deux lieux ? voyes un peu comme vous mesles la prophane apprehension d'une rayson purement humaine avec la sacree Parole. Ah, ce dites vous, Nostre Seigneur viendra juger les vivans et les morts des la dextre. Quoy pour cela ? sil estoit besoin quil vint pour se trouver present au Saint Sacrement, vostre analogie auroit de l'apparence ; mays non encores de la realité, car alhors quil viendra juger, personne ne dict quil soit en terre, le feu precedera.

            Voyla vostre analogie ; a sçavoir mon, qui a mieux travaillé, ou vous ou moy ? Si on vous laisse interpreter la descente de Nostre Seigneur aux enfers, du [340] sepulcre, ou de l'apprehension de l'enfer et peyne des damnés, la sainteté de l'Eglise, d'une Eglise invisible et inconneüe, son universalité, d'une Eglise secrette et cachëe, la communion des Saintz, d'une seule bienveuillance generale, la remission des pechés, d'une seule non imputation, quand vous aures ainsy proportionné le Simbole a vostre jugement, il sera quand et quand bien proportionné au reste de vostre doctrine ; mays qui ne voit l'absurdité ? le Simbole, qui est l'instruction des plus simples, seroit la plus obscure doctrine du monde, et devant estre regle a la foy, il auroit besoin d'estre reglé par une autre regle ; In circuitu impii ambulant. Voicy une regle infallible de nostre foy : Dieu est tout puyssant ; qui dict tout n'exclud rien, et vous voules regler ceste regle, et la limiter a ce qu'elle ne s'estende pas a la puyssance absolue, ou a la puyssance de placer un cors en deux lieux, ou le placer en un lieu sans quil y occupe l'espace exterieur. Dites moy donques, si la regle a besoin de reglement, qui la reglera ? Ainsy le Simbole dict que Nostre Seigneur est descendu en enfer, et Calvin le veut regler a ce quil s'entende d'une descente imaginaire, l'autre le rapporte au sepulcre : n'est ce pas traitter ceste regle a la Lesbienne, et plier le niveau sur la pierre au lieu de tailler la pierre au niveau ? Pour vray, comme saint Clement et saint Augustin l'appellent regle, aussy saint Ambroise l'appelle clef, mays sil faut une autre clef pour ouvrir ceste clef, ou la trouverons nous ? monstres la nous ; sera [ce] le cerveau des ministres, ou quoy ? sera ce le Saint Esprit ? mays chacun se ventera d'en avoir sa part. Bon Dieu, en quelz laberinthes tumbent ceux qui s'escartent de la trace des Anciens.

            Je ne voudrois pas que vous pensassies que j'ignorasse que le seul Simbole n'est pas la totale regle et mesure de la foy ; car, et saint Augustin et le grand [341] Lirinensis appellent encores regle de nostre foy, le sentiment ecclesiastique. Le Simbole seul ne dict rien a descouvert de la Consubstantialité, des Sacremens, et autres articles de la foy, mays comprend toute la foy radicalement et fondamentalement ; principalement quand il nous enseigne de croire l'Eglise estre sainte et catholique, car par la il nous renvoÿe a ce qu'elle proposera. Mays comme vous mesprisés toute la doctrine ecclesiastique, aussi mesprises vous ceste noble partie et si signalëe qui est le Simbole, luy refusant creance sinon apres que vous l'aures reduit au petit pied de vos conceptions. Ainsy violes vous ceste sainte mesure et proportion, que saint Pol propose pour estre suivie, voyre aux Prophetes mesme.

 

Article IV. Conclusion de toute ceste 2e partie par un brief recueil de plusieurs excellences qui sont en la doctrine catholique, au pris de l'opinion des heretiques de nostre aage

 

 

            Vous vogues donques ainsy, sans aiguille, bussole et timon, en l'ocean des opinions humaynes ; vous ne pouves attendre autre qu'un miserable naufrage. Ah de grace, pendant que ce jourdhuy dure, pendant que Dieu vous præsente l'occasion, jettes vous en l'esquif d'une serieuse pœnitence, et venes vous rendre en l'heureuse navire, laquelle a plein voyle va surgir au port de gloire. Quand il ny auroit autre, ne connoisses vous pas quelz advantages et combien d'excellences la doctrine Catholique a sur vos opinions ? [342]

            || La doctrine Catholique se fonde immediatement sur la Parole de Dieu, ou escritte ou layssëe de main en main ; vos opinions ne sont fondëes que dessus vos interpretations. ||

            La doctrine Catholique rend plus glorieuse et magnifie la bonté et misericorde de Dieu ; vos opinions la ravalent. Par exemple, ny a il pas plus de misericorde d'exhiber la realité de son Cors pour nostre viande, que de n'en donner que la figure, commemoration et manducation fiduciaire ? n'est ce pas plus de justifier l'homme embellissant son ame par la grace, que sans l'embellir le justifier par une simple connivence ou non imputation ? n'est ce pas une plus grande faveur de rendre l'homme et ses œuvres aggreables et bonnes, que de tenir seulement l'homme pour bon sans quil le soit en realité ? n'est ce pas plus d'avoir layssé sept Sacremens pour la justification et sanctification du pecheur, que de n'en avoir laissé que deux, dont l'un ne serve de rien et l'autre de peu ? n'est ce pas plus d'avoir laissé la puyssance d'absouvre en l'Eglise, que de n'en avoir point laissé ? n'est ce pas plus d'avoir laissé une Eglise visible, universelle, signalëe, remarquable et perpetuelle, que de l'avoir layssé petite, secrette, dissipëe, sujette a corruption ? n'est ce pas plus priser les travaux de Nostre Seigneur, de dire qu'une seule goutte de son sang suffisoit a racheter le monde, que de dire que s'il n'eut enduré les peynes des damnés il ni avoit rien de faict ? la misericorde de Dieu n'est elle pas plus magnifiëe, de donner a ses Saintz la connoissance de ce qui se faict cy bas, le credit de prier pour nous, se rendre exorable a leurs intercessions, les avoir rendu glorieux des leur mort, que de les faire attendre et tenir « en suspens », comme parle Calvin, jusqu'au jugement, les rendre sourds a nos prieres et se rendre inexorable aux leurs ? Cecy se verra plus clair en nos essais.

            Nostre doctrine rend plus admirable le pouvoir de Dieu, au Sacrement de l'Eucharistie, en la justification [343] et justice inhærente, es miracles, en la conservation infallible de l'Eglise, en la gloire des Saintz.

            La doctrine Catholique ne peut partir d'aucune passion, puysque personne ne s'y range sinon avec ceste condition, de captiver son intelligence sous l'authorité des pasteurs ; elle n'est point superbe, puysqu'elle apprend a ne se croire pas soymesme mays l'Eglise.

            Que diray je plus ? connoisses la voix de la colombe au pres de celle du corbeau. Voyes vous pas ceste Espouse qui n'a autre que miel et laict sous sa langue, qui ne respire que la plus grande gloire de son Espoux, son honneur et son obeissance ? Sus donques, Messieurs, voules vous estre mis comme pierres vivantes es murailles de la celeste Hierusalem ? leves vous des mains de ces bastisseurs desreglés, qui n'adjustent pas leurs conceptions a la foy, mais la foy a leurs conceptions ; venes et vous presentes a l'Eglise, qui vous posera, si a vous ne tient, en ce celeste bastiment, a la vraye regle et proportion de la foy : car, jamais personne n'aura place la haut, qui n'aura esté poli et mis en œuvre sous la regle et l'esquierre cy bas. [344]

 

Troisième partie. Les Règles de la foi sont observées dans l'Église Catholique

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Avant-Propos

 

 

            Ces deux fautes fondamentales esquelles vos ministres vous ont conduit, d'avoir abandonné l'Eglise et d'avoir violé toutes les vrayes Regles de la Religion Chrestienne, vous rendent du tout inexcusables, Messieurs : car elles sont si grosses que vous ne pouvies pas les mesconnoistre, et sont si importantes que l'une des deux suffit pour vous faire perdre le vray Christianisme ; puysque la foy hors de l'Eglise, ni l'Eglise sans la foy, ne vous sçauroit sauver, nomplus que l'œil hors la teste, ni la teste sans l'œil, ne sçauroit voir la lumiere. Quicomque vous vouloit separer de l'union de l'Eglise vous devoit estre suspect, et qui mesprisoit si fort les saintes Regles de la foy devoit estre fuy et mesprisé, quelle contenance quil tint, quoy quil allegast. [345]

            Mays, ce me dires vous, ilz protestoyent de ne rien dire qui ne fut expres en la pure, simple et naifve Parole de Dieu. || Ah mon Dieu, comme creutes vous si legerement ? Il ny eut onques heresie qui alleguast plus hors de propos la Parole de Dieu que celle cy, et qui en tirast des conclusions moins sortables, particulierement es principales disputes. Vous l'aures desja peu remarquer cy devant es deux premieres Parties de ce Memorial, mays je desire que vous le touchies au doigt, affin quil ne vous demeure aucune excuse de reste. || Vous ne devies pas croire si legerement ; si vous eussies bien advisé a vos affaires, vous eussies veu que ce n'estoit pas la Parole de Dieu quilz avançoyent, mais leurs propres conceptions voylëes des motz de l'Escritture, et eussies bien connu que jamais un si riche habit ne fut faict pour couvrir un si vilain cors comme est ceste heresie.

            Car, par supposition, faysons que jamais il ny eust Eglise, ni Concile, ni Pasteurs, ni Docteurs, des les Apostres, et que l'Escriture Sainte ne contient que les Livres quil plaict a Calvin, Beze et Martyr d'avouer, quil ny a point de Regle infallible pour la bien entendre, mays qu'elle est a la merci des conceptions de quicomque voudra maintenir quil interprete l'Escriture par l'Escriture et par l'analogie de la foy, comme on veut entendre Aristote par l'Aristote et par l'analogie de la philosophie ; confessons seulement que ceste Escriture est divine, et je maintiens devant tous juges equitables que, si non tous, au moins ceux d'entre vous qui avoyent quelque connoissance et suffisance sont inexcusables, et ne sçauroyent garentir leur religion de legereté et temerité. Et voicy ou je me reduis. Les ministres ne veulent combattre qu'avec l'Escriture, je le veux ; ilz ne veulent de l'Escriture que les parties qu'il leur plaict, je m'y accorde : au bout de tout cela, je dis que la creance de l'Eglise Catholique l'emporte de tous pris, qu'elle a plus de passages pour soy que l'opinion contraire, et ceux qu'elle a, plus clairs, purs et simples, plus raysonnablement interpretés, mieux [346] concluans et sortables. Ce que je crois estre si certain, que chacun le peut sçavoir et connoistre, mays de monstrer cecy par le menu, ce ne seroit jamais faict ; il suffira bien, ce me semble, de le monstrer en quelques principaux articles.

            C'est donques ce que je pretens faire en ceste troysiesme Partie, ou j'attaqueray vos ministres sur les Sacremens en general, et en particulier sur celuy de l'Eucharistie, de la Confession et Mariage, sur l'honneur et invocation des Saintz, sur la convenance des ceremonies en general, puys en particulier, sur la puyssance de l'Eglise, sur le merite des bonnes œuvres et la justification, et sur les indulgences ; ou je n'employeray que la pure et simple Parole de Dieu, avec laquelle seule je vous feray voir, comme par essay, vostre faute si a descouvert, que vous aures occasion de vous en repentir. Et toutefois, je vous supplie que si vous me voyes combattre, abattre et en fin surmonter l'ennemy avec la seule Escriture, vous vous representies alhors ceste grande et honnorable suite de Martyrs, Pasteurs et Docteurs, qui ont tesmoigné par leur doctrine et au prix de leur sang que la doctrine pour laquelle nous combattons maintenant estoit la sainte, la pure, l'Apostolique, qui sera comme une surcharge de victoire : car, quand nous nous trouverions en pareille fortune avec nos ennemis, par la seule Escriture, l'ancienneté, le consentement, la sainteté de nos autheurs nous feroit tousjours triompher. Et a ceste occasion j'adjusteray tousjours le sens et la consequence que je produiray des Escritures, aux Regles que j'ay produites en la seconde Partie ; quoy que mon dessein principal ne soit que de vous faire essayer la vanité de vos ministres, qui ne faysans que crier, la Sainte Escriture, la Sainte Escriture, ne font rien plus que d'en violer les plus asseurëes sentences. En l'assemblëe des princes qui se fit a Spire l'an 1526, les ministres protestans portoyent ces lettres en la manche droitte [347] de leurs vestemens : V. D. M. I. Æ. ; par lesquelles ilz vouloyent protester : Mot Domini Manet In Ætternum. Ne diries vous pas que c'est bien eux qui seulz et sans compaignon manient l'Escriture Sainte ? Ilz en citent, a la verité, des morceaux, et a tous propos, « en public, en privé, » dict le grand Lirinensis, « en leurs discours, en leurs livres, es rues, es banquetz. Lises les opuscules de Paulus Samosatenus, de Priscillien, d'Eunomius, Jovinien, et de ces autres pestes ; vous verres un grand amas d'exemples, et presque pas une pagëe qui ne soit fardëe et colorëe de quelques sentences du Viel et Nouveau Testament. Ilz font comme ceux qui veulent faire prendre quelque breuvage amer aux petitz enfans : ilz frottent et couvrent de miel le bord du gobelet, affin que ce simple aage, sentant premierement le doux, n'apprehende point l'amer. » Mays qui sondera au fons de leur doctrine, verra clair comme le jour que ce n'est qu'une happelourde saffranëe, telle que celle que le diable produisoit quand il tentoit Nostre Seigneur, car il avançoit l'Escriture pour son intention. « O Dieu, » dict le mesme Lirinensis, « que fera il a l'endroit des miserables hommes, puysqu'il ose attaquer avec l'Escriture le Seigneur mesme de majesté ? Pensons de pres a la doctrine de ce passage ; car, comm'alors le chef d'un parti parla au chef de l'autre, ainsy maintenant les membres parlent aux membres, a sçavoir, les membres du diable aux membres de Jesus Christ, les perfides aux fideles, les sacrileges aux religieux, en fin les hæretiques aux Catholiques. » Mays comme le chef respondit au chef, ainsy pouvons nous faire, nous autres membres, aux membres : nostre Chef repousa leur chef avec les passages mesme de l'Escriture ; repousons les en semblable façon, et par des consequences solides et naifves, deduites de la Sainte Escriture, monstrons la vanité et piperie avec laquelle ilz veulent couvrir leurs conceptions des paroles de l'Escriture.

            C'est ce que je pretens icy, mays briefvement ; et [348] proteste que je produyray tresfidelement tout ce que je cuyderay estre de plus apparent de leur costé, puys par l'Escriture mesme les convaincray, affin que vous voyes que quoyque et eux et nous manions et nous armons de l'Escriture, nous en avons neanmoins la realité et droit usage, eux n'en ayant qu'une vayne apparence par maniere d'illusion ; ainsy que non seulement Moise et Aaron, mays encores les magiciens animerent leurs verges et les convertirent en colœuvres, mays la verge d'Aaron devora les verges des autres. [349]

 

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Chapitre premier. Des Sacremens

 

 

 

Article premier. Du nom de Sacrement

 

 

            Ce mot de Sacrement est bien expres en l'Escriture en la signification qu'il a en l'Eglise Catholique, puysque saint Pol, parlant du Mariage, l'apelle clair et net, Sacrement. Mays nous [allons] voir cecy cy apres ; il suffit maintenant, contre l'insolence de Zuingle et autres qui ont voulu rejetter ce nom, que toute l'Eglise ancienne en aÿe usé : car ce n'est pas avec une plus grand'authorité que le mot de Trinité, Consubstantiel, Personne, et cent autres sont demeurés en l'Eglise comme saints et legitimes ; et c'est une tres inutile et sotte temerité de vouloir changer les motz ecclesiastiques que l'antiquité nous a laissé, outre le danger quil y auroit, qu'apres le changement des motz on n'allast au change de l'intelligence et creance, comme on voit ordinayrement que c'est l'intention de ces novateurs de paroles. Or, puysque les prætendus reformateurs, pour la plus part, quoy que ce ne soit sans gronder, layssent ce mot en usage par mi leurs livres, [350] amusons nous aux difficultés que nous avons avec eux sur les causes et les effetz des Sacremens, et voyons comm'ilz y mesprisent l'Escriture et les autres Regles de la foy.

 

 

 

Article II. De la forme des Sacremens

 

 

            Commençons par ici : l'Eglise Catholique tient pour forme des Sacremens, des paroles consecratoires ; les ministres pretendus ont voulu reformer ceste forme, disans que les paroles consecratoires sont charmes, et que la vraye forme des Sacremens estoit la prædication. Qu'apportent les ministres, de la Sainte Escriture, pour l'establissement de ceste reformation ? deux passages seulement, que [je] sache, l'un de saint Pol, l'autre de saint Mathieu. [Saint Paul,] parlant de l'Eglise, dit que Nostre Seigneur l'a sanctifiëe, mundans lavacro aquæ in verbo vitæ ; et Nostre Seigneur mesme, en saint Mathieu, fit ce commandement a ses disciples : Docete omnes gentes, baptisantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Voyla [pas des] passages bien clairs pour monstrer que la prædication [est] la vraye forme des Sacremens ? Mays qui leur a dict quil ni a point d'autre Mot vitæ que la predication ? je soustiens, au contraire, que ceste sainte invocation, Je te baptise au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, est encores un Mot vitæ, comme l'ont dict saint Chrysostome et Theodoret ; aussi sont bien les autres saintes prieres et invocations du nom de Dieu, qui ne sont pourtant pas prædications. Que si saint Hierosme, suyvant le sens mistique, veut que la prædication soit une sorte d'eau purifiante, il ne s'oppose pourtant pas aux autres [351] Peres, qui ont entendu le lavoir d'eau estre le Baptesme precisement, et la parole de vie, l'invocation de la tressainte Trinité, affin d'interpreter le passage de saint Pol par l'autre de saint Mathieu : Enseignes toutes gens, les baptisans au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit. Et quand a ce dernier, personne ne nia jamais que l'instruction ne doive preceder le Baptesme, a l'endroit de ceux qui en sont capables, suyvant la parole de Nostre Seigneur qui met l'instruction devant et le Baptesme apres ; mays nous arrestans a la mesme parole, nous mettons l'instruction devant, a part, comme disposition requise en celuy qui a l'usage de rayson, et le Baptesme a part encores ; dont l'un ne peut estre forme de l'autre, ni le Baptesme, de la prædication, ni la prædication, du Baptesme. Que si neanmoins l'un devoit estre forme de l'autre, le Baptesme seroit plustost forme de la predication, que la predication, du Baptesme ; puysque la forme ne peut preceder, ains doit survenir a la matiere, et que la prædication precede le Baptesme, et le Baptesme survient par apres sur la prædication : dont saint Augustin n'auroit pas bien dict, quand il disoit : Accedit Mot ad elementum, et fit Sacramentum ; car il eust plustost deu dire : Accedit elementum ad Mot. Ces deux passages donques ne sont pas advenans ni a propos pour vostre reformation ; neanmoins, voyla tout.

            Or toutefois, vos pretensions seroient en certaine façon plus tolerables, si nous n'avions en l'Escriture des raysons contraires, plus expresses que les vostres ne sont, hors de toute comparayson. Les voyci : Qui crediderit et baptizatus fuerit ; voyes vous la creance qui nait en nous par la prædication, separëe du Baptesme ? ce sont donq deux choses distinctes, la prædication et le Baptesme. Qui doute que saint Pol n'ait catechisé et instruict de la foy plusieurs Corinthiens qui ont estés baptisés ? que si l'instruction et prædication estoit la forme du Baptesme, saint Pol n'avoit pas rayson de dire, Gratias ago Deo quod [352] neminem baptizavi nisi Crispum et Caium, etc. ; car donner forme a une chose, n'est ce pas la faire ? Bien plus, que saint Pol met a part le baptizer du precher : Non me misit Christus baptizare sed evangelizare. Et pour monstrer que le Baptesme est de Nostre Seigneur, non de celuy qui l'administre, il ne dict pas, Nunquid in prædicatione Pauli baptizati estis ? mais plustost, Nunquid in nomine Pauli baptizati estis ? monstrant que quoyque la prædication præcede, si n'est elle pas de l'essence du Baptesme, pour attribuer au prædicateur et catechiste le Baptesme comm'il est attribué a celuy le nom duquel y est invoqué. Pour vray, a qui regardera de pres le premier Baptesme faict apres la Pentecoste, verra clair comme le jour que la prædication est une chose et le Baptesme une autre : His auditis, voyla la prædication d'un costé, compuncti sunt corde, et dixerunt ad Petrum et ad reliquos Apostolos : quid faciemus, viri fratres ? Petrus vero ad illos : pænitentiam, inquit, agite, et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum ; voyla le Baptesme d'autre costé, mis a part. Autant en peut on remarquer au Baptesme de ce devot eunuque d'Æthiopie, en celuy de saint Pol, auquel il ny eut point de prædication, et en celuy du bon et religieux Cornelius. Et quand a la tressainte Eucharistie, qui est l'autre Sacrement que les ministres font semblant de recevoir, ou trouveront ilz jamais que Nostre Seigneur y aÿe usé de prædication ? Saint Pol enseigne aux Corinthiens comm'il faut celebrer la cene, mays on ny trouve point qu'il y soit commandé de precher ; et affin que personne ne doutast que le rite quil proposoit fut legitime, il dict quil l'avoit ainsy apris de Nostre Seigneur : Ego enim accepi a Domino, quod et tradidi vobis. Nostre Seigneur fit bien un admirable sermon apres la cene, recité par saint Jan, mays ce ne fut pas pour le mistere de la cene, qui estoit ja complet. On ne dict pas qu'il ne soit convenable d'instruire le peuple des [353] Sacremens qu'on luy confere, mays seulement que ceste instruction n'est pas la forme des Sacremens. Que si en l'institution de ces divins misteres, et en la prattique mesme des Apostres, nous trouvons de la distinction entre la predication et les Sacremens, a quelles enseignes les confondrons nous ? ce que Dieu a separé, pourquoy le conjoindrons nous ? En ce point donques, selon l'Escriture, nous l'emportons tout quitte, et les ministres sont convaincus de violation de l'Escriture, qui veulent changer l'essence des Sacremens contre leur institution.

            Ilz violent encores la Tradition, l'authorité de l'Eglise, des Conciles, des Papes et des Peres, qui tous ont creu et croyent que le Baptesme des petitz enfans est vray et legitime : mays comme veut on que la predication y soit employëe ? les enfans n'entendent pas ce qu'on dict, ilz ne sont pas capables de l'usage de rayson, a quoy faire les instruire ? on peut bien precher devant eux, mays ce seroit pour neant, car leur entendement n'est pas encor ouvert pour recevoir l'instruction, comme instruction ; elle ne les touche point, ni ne leur peut estre appliquëe, quel effect donq peut elle faire en eux ? [leur] Baptesme donq seroit vain, puysqu'il seroit sans forme et [signification] : la forme donq du Baptesme n'est pas la prædication. Luther respond que les enfans ressentent [des] mouvemens actuelz de la foy par la prædication : c'est violer et dementir l'experience et le sentiment mesme. Item, la pluspart des baptesmes qui se font en l'Eglise Catholique se font sans aucune prædication ; ilz ne sont donq pas vrays baptesmes, puysque la forme y manque : que ne rebaptizes vous donques ceux qui vont de nostre Eglise a la vostre ? ce seroit un anabaptisme.

            Or sus, voyla, selon les Regles de la foy, et principalement selon l'Escriture Sainte, comme vos ministres errent quand ilz vous enseignent que la prædication est forme des Sacremens : mays voyons si ce que nous en croyons est plus conforme a la sainte Parole. Nous disons que la forme des Sacremens est une parole [354] consecratoire, et de benediction ou invocation. Y a il rien si clair en l'Escriture : Docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti ; ceste forme, au nom du Pere, etc., est elle pas invocatoire ? certes, le mesme saint Pierre qui dict aux Juifz, Pœnitentiam agite, et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum, dict peu apres au boiteux devant la belle porte, In nomine Jesu Christi Nazareni, surge et ambula : qui ne voit que ceste derniere parole est invocatoire ? et pourquoy non la premiere, qui est de mesme substance ? Ainsy saint Pol ne dict pas, Calix prædicationis de quo prædicamus, nonne communicatio Sanguinis Christi est ? mays au contraire, Calix benedictionis cui benedicimus ; on le consacroit donques et benissoit-on : ainsy au Concile de Laodicëe, c. 25, Non oportet Diaconum calicem benedicere. Saint Denis, disciple de saint Pol, les appelle « consecratoires, » et en sa description de la Liturgie ou Messe, il ny met point la prædication, tant s'en faut quil la tint pour forme de l'Eucharistie. Au Concile Laodicien, ou il est parlé de l'ordre de la Messe, il ne se dict rien de la prædication, comme estant chose de decence mais non de l'essence de ce mistere. Justin le Martyr, descrivant l'office ancien que les Chrestiens faysoyent le Dimanche, entr'autres choses il dict qu'apres les prieres generales « on offroit pain, vin et eaüe, et alhors le prælat faysoit de tout son effort prieres et actions de graces a Dieu, le peuple benissoit, disant : Amen. His cum Eucharistia consecratis, unusquisque participat, eademque absentibus dantur diaconis perferenda. » Plusieurs choses sont icy remarquables : l'eau se mesloit au vin, on offroit, on consacroit, on en portoit aux malades : mays si nos reformateurs eussent esté la, il eust fallu lever l'eau, l'offrande, la consecration, et eust fallu porter la prædication aux malades, ou c'eust esté pour neant ; car, comme dict Jan Calvin, Misterii explicatio ad populum sola [355] facit ut mortuum elementum incipiat esse sacramentum. Saint Gregoire Nyssene dict : Recte nunc etiam Dei verbo sanctificatum panem (et parle du Sacrement de l'autel) in Verbi Corpus credimus immutari ; et apres, dict que ce changement se faict, virtute benedictionis. Quomodo, dict le grand saint Ambroise, potest qui panis est Corpus esse Christi ? consecratione ; et plus bas : Non erat Corpus Christi ante consecrationem, sed post consecrationem dico tibi quod jam est Corpus Christi ; et voyes le bien au long, mays je me reserve sur ce sujet quand nous traitterons de la sainte Messe.

            Mays je veux finir par ceste signalëe sentence de saint Augustin : Potuit Paulus significando prædicare Dominum Jesum Christum, aliter per linguam suam, aliter per epistolam, aliter per Sacramentum Corporis et Sanguinis ejus : nec linguam quippe ejus, nec membranas, nec atramentum, nec significantes sonos lingua editos, nec signa litterarum conscripta pelliculis, Corpus Christi et Sanguinem dicimus ; sed illud tantum quod ex fructibus terræ acceptum, et prece mistica consecratum, rite sumimus. Que si saint Augustin dict, Unde tanta vis aquæ ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbo ? non quia dicitur, sed quia creditur, nous ne disons rien au contraire : car, a la verité, les paroles de benediction et sanctification avec lesquelles on forme et parfaict les Sacremens, n'ont poinct de vertu sinon estant proferëes sous la generale intention et creance de l'Eglise ; car si quelqu'un les disoit sans cette intention, elles seroient dites voirement, mais pour neant, par ce que, non quia dicitur, sed quia creditur. [356]

 

 

 

Article III. De l'intention requise en l'administration des Sacremens

 

 

            Je n'ay jamais trouvé aucune preuve puysëe en l'Escriture, de l'opinion que vos predicans ont en cest endroit. Ilz disent que quoy que le ministre n'aÿe aucune intention de faire la cene ou baptiser, ains seulement de se moquer et badiner, neanmoins, pourveu quil face l'exterieure action du Sacrement, le Sacrement y est complet. Tout cecy se dict a credit, sans produire autre que certaines consequences sans Parole de Dieu, par forme de chicanerie. Au contraire, le Concile de Florence et celuy de Trente declairent que « si quelqu'un dict que l'intention au moins de faire ce que faict l'Eglise n'est pas requise es ministres quand ilz conferent les Sacremens, il est anatheme » : ce sont les termes du Concile de Trente. Le Concile ne dict pas quil soit requis d'avoir l'intention particuliere de l'Eglise, car autrement les Calvinistes, qui n'ont pas intention au Baptesme de lever le peché originel, ne baptiseroyent pas bien, puysque l'Eglise a ceste intention la, mays seulement de faire en general ce que l'Eglise faict quand elle baptise, sans particulariser ni determiner quoy ni comment. Item, le Concile ne dict pas quil soit necessaire de vouloir faire ce que l'Eglise Romayne faict, mays seulement en general ce que l'Eglise faict, sans particulariser quelle est la vraye Eglise : ains, qui, pensant que l'eglise pretendue de Geneve fust la vraye Eglise, limiteroit son intention a l'intention de l'eglise de Geneve, se tromperoit si jamais homme se trompa en la connoissance [357] de la vraÿe Eglise, mays son intention suffiroit en cest endroit, puysque encores qu'elle se terminast a l'intention d'une eglise fausaire, si est ce qu'elle ne s'y termineroit que sous la forme et conception de la vraye Eglise, et l'erreur ne seroit que materiel, non formel, comme disent nos docteurs. Item, n'est pas requis que nous ayons ceste intention actuellement quand nous conferons le Sacrement, mays suffit qu'on puysse dire avec verité que nous faysons telle et telle ceremonie et disons telle et telle parole, comme jetter l'eau, disans, Je te baptise au nom du Pere, etc., en intention de faire ce que les vrays Chrestiens font et que Nostre Seigneur a commandé, quoy que pour lhors nous ne soyons pas en attention, et ny pensions pas precisement. Comm'il suffit pour dire que je preche pour servir Dieu et pour le salut des ames, si lhors que je me veux præparer j'ay ceste intention, quoy que quand je suys en chaire je pense a ce que j'ay a dire et a m'en tenir en memoyre, et ne pense plus en ceste premiere intention : ou comme celuy qui a resolu de donner cent escus pour l'amour de Dieu, puys, sortant de sa mayson pour ce faire, pense a d'autres choses, et neanmoins distribue la somme ; car encores quil n'aye pas la pensee dressëe actuellement en Dieu, si ne peut on pas dire quil n'aÿe son intention a Dieu en vertu de sa premiere deliberation, et quil ne face cest'œuvre de charité deliberement et a son escient. Telle intention est du moins requise, et suffit aussy, pour la collation des Sacremens.

            Ores que la proposition du Concile est esclarcie, voyons voir si elle est, comme celle des adversaires, sans fondement de l'Escriture. On ne peut raysonnablement douter que pour faire la Cene de Nostre Seigneur, ou le Baptesme, il ne faille faire ce que Nostre Seigneur a commandé pour cest effect, et non seulement quil le faille faire, mays quil le faille faire en vertu de ce commandement et institution : car on peut bien faire ces actions en vertu d'autre que du commandement de Nostre Seigneur, comme fairoit un [358] homme qui, dormant, songeroit et baptiseroit, ou bien estant ivre ; pour vray les paroles y seroyent et l'element, mays elles n'auroyent point de force, ne procedans pas du commandement de qui les peut rendre vigoureuses et efficaces ; ainsy que tout ce qu'un juge dict et escrit ne sont pas sentences judiciaires, mays seulement ce quil dict en qualité [de juge]. Or, comme pourroit on mettre difference entre les actions sacramentelles estant faites en vertu du commandement qui les rend pregnantes, et ces mesmes actions faites a autre fin ? Certes, la difference n'y peut estre que par l'intention avec laquelle on les emploÿe ; il faut donq que non seulement les paroles soyent proferëes, mays proferëes avec intention de faire le commandement de Nostre Seigneur, en la Cene, Hoc facite, au Baptesme, Baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.

            Mays, a le dire franchement, ce commandement, Hoc facite, ne s'addresse il pas proprement au ministre de ce Sacrement ? sans doute. Or, n'est il pas dict simplement, Hoc facite, mays, facite in meam commemorationem ; et comme peut on faire ceste sacrëe action en commemoration de Nostre Seigneur, sans avoir l'intention d'y faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou du moins ce que les Chrestiens, disciples de Nostre Seigneur, font ? affin que, sinon immediatement, au moins par l'entremise de l'intention des Chrestiens ou de l'Eglise, on face ceste action en commemoration de Nostre Seigneur. Je crois quil est impossible d'imaginer qu'un homme face la Cene en commemoration de Nostre Seigneur, sil n'a l'intention de faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou au moins de faire ce que font ceux qui le font en la commemoration de Nostre Seigneur. Il ne suffit donq pas de faire ce que Nostre Seigneur a commandé quand il dict, Hoc facite, mays le faut faire a l'intention que Nostre Seigneur l'a commandé, c'est a dire, in sui commemorationem ; sinon avec ceste intention particuliere, au moins generale, sinon immediatement, au [359] moins mediatement, voulant faire ce que l'Eglise faict, laquelle a intention de faire ce que Nostre Seigneur a faict et commandé, si que on s'en rapporte a l'intention de l'Espouse, qui est adjustëe au commandement de l'Espoux.

            Pareillement, Nostre Seigneur ne dict pas qu'on die ces paroles, Ego te baptizo, simplement, mays commanda que toute l'action du Baptesme se fist in nomine Patris ; si que il ne suffit pas qu'on die, in nomine Patris, mays faut que le lavement ou aspersion mesme se face in nomine Patris, et que ceste authorité anime et ravigore non seulement la parole, mays toute l'action du Sacrement, laquelle de soy n'auroit point de surnaturelle vertu. Or, comme peut estre faicte une action au nom de Dieu, qui se faict pour se mocquer de Dieu ? Pour vray, l'action du Baptesme ne depend pas tellement des parolles, qu'elle ne se puysse faire en vertu et en authorité toute contraire aux parolles, si le cœur, qui est le moteur des paroles et de l'action, les dresse a une contraire fin et intention. Bien plus, car ces paroles, au nom du Pere, etc., peuvent estre dites au nom de l'ennemy du Pere, comme ces paroles, en verité, en verité, peuvent et sont souventefois dites en mensonge. Si donques Nostre Seigneur ne commande pas simplement qu'on face l'action du Baptesme ni qu'on die les paroles, mays l'action se face et les paroles se dient au nom du Pere, etc., il faut avoir au moins l'intention generale de faire le Baptesme en vertu du commandement de Nostre Seigneur, en son nom et de sa part ; et quand a l'absolution, que l'intention y soit requise, il est plus qu'expres : Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, il laysse cela a leur deliberation. Et c'est a ce propos que saint Augustin : Unde tanta vis aquæ, ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbo ? non quia dicitur, sed quia creditur ; c'est a dire, les paroles de soy, estant proferees sans aucune intention ou creance, n'ont point de vertu, mays estans dites en vertu et creance, et selon l'intention generale [360] de l'Eglise, elles font cest effect salutaire. Que sil se trouve es histoires que certains baptesmes faitz par jeu ont estés approuvés, il ne le faut trouver estrange, par ce qu'on peut faire en jeu plusieurs choses et neanmoins avoir l'intention de faire veritablement ce qu'on a veu faire ; mays on appelle jeu tout ce qui se faict hors de saison et de discretion, quand il ne se faict pas par malice ou sans volonté. [361]

 

 

 

 

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Chapitre II. Du Purgatoire

 

 

 

Avant-Propos

 

 

            L'Eglise Catholique a esté accusee, en nostre aage, de superstition en la priere qu'elle faict pour les fideles trespassés, d'autant qu'en icelle elle suppose deux verités que l'on pretend n'estre point, a sçavoir, que les trespassés soient en peyne et indigence, et qu'on les puisse secourir : or les trespassés, ou ilz sont damnés ou sauvés ; les damnés sont en peyne, mais irremediable, et les sauvés sont comblés de tout playsir ; de façon qu'aux uns manque l'indigence, aux autres le moyen de recevoir secours, et par ce n'y a lieu de prier Dieu pour les trespassés.

            Voyla le sommaire de l'accusation. Mais certes, il deut suffire a tout le monde pour faire juste jugement sur ceste accusation, que les accusateurs estoyent des personnes particulieres, et l'accusé estoit le cors de l'Eglise universelle : et neanmoins, parce que l'humeur de nostre siecle a porté de sousmettre au contreroole et censure d'un chacun toutes choses, tant sacrees, religieuses et authentiques puissent elles estre, plusieurs personnes d'honneur et de marque ont prins le droit de l'Eglise en main pour la defendre ; estimans [362] ne pouvoir mieux employer leur pieté et sçavoir, qu'a la defense de celle-la par les mains de laquelle ilz avoyent receu tout leur bien spirituel, le Baptesme, la doctrine Chrestienne et les Escritures mesme. Leurs raysons sont si pregnantes, que si elles estoyent bien balancees et contrepesees a celle des accusateurs, on connoistroit incontinent leur bon calibre : mays quoy ? on a porté sentence sans ouÿr partie. N'avons nous pas rayson, tous tant que nous sommes de domestiques et enfans de l'Eglise, de nous porter pour appellans, et nous plaindre de la partialité des juges, laissans a part, pour ceste heure, l'incompetence d'iceux? Donques nous appelions des juges non instruitz a eux mesmes instruitz, et des jugemens faictz partie non ouye, a des jugemens partie ouye, supplians tous ceux qui voudront juger sur ce different, de considerer nos allegations et probations d'autant plus attentivement, qu'il y gist, non de la condamnation de la partie accusee, qui ne peut estre condamnee par ses inferieurs, mays du damnement ou sauvement de ceux mesmes qui en jugeront.

 

 

 

Article premier. Du nom de Purgatoire

 

 

            Nous soustenons donques que l'on peut prier pour les fideles trespassés, et que les prieres et bonnes actions des vivans les soulagent beaucoup et leur sont prouffitables ; parce que tous ceux qui meurent en la grace de Dieu, et par consequent du nombre des esleus, ne vont pas tous de premier abord en Paradis, mays plusieurs vont au Purgatoire, ou ilz souffrent [363] une peyne temporelle, a la delivrance de laquelle nos prieres et bonnes actions peuvent ayder et servir. Et voicy le gros de nostre difficulté. Nous sommes d'accord que le sang de nostre Redempteur est le vray purgatoire des ames, car en iceluy sont nettoyees toutes les ames du monde ; dont saint Pol l'appelle, aux Hebreux, premier, purgationem peccatorum facientem : les tribulations aussi sont certains purgatoires, par lesquelz nos ames sont rendues pures comme l'or est affiné en la fournaise ; Ecclesiastici 27 , Vasa figuli probat fornax, justos autem tentatio tribulationis : la penitence et contrition est encores un certain purgatoire ; dont David dict, au Psal. 50 , Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : on sçait bien aussi que le Baptesme, auquel nos pechés sont lavés, peut estre appellé purgatoire, et tout ce qui sert a la purgation de nos offenses ; mays icy nous appelions Purgatoire, un lieu auquel, apres ceste vie, les ames lesquelles partent de ce monde avant qu'estre parfaictement espurees des souilleures qu'elles ont contractees, ne pouvant rien entrer en Paradis qui ne soit pur et net, sont arrestees pour y estre nettoyees et purifiees. Que si on veut sçavoir pourquoy ce lieu est plustost appellé simplement Purgatoire que les autres moyens de purgation cy dessus apportés, on respondra que c'est parce qu'en ce lieu la on n'y faict autre que la purgation des taches qui sont demeurees au partir de ce monde, et qu'au Baptesme, penitence, tribulations et autres, non seulement l'ame s'espure de ses imperfections, mays s'enrichit encores de plusieurs graces et perfections ; qui a faict laisser le nom de Purgatoire a ce lieu de l'autre siecle, lequel, a proprement parler, n'est pour autre que pour la purification des ames. Et quand au sang de Nostre Seigneur, nous reconnoissons tellement la vertu d'iceluy, que nous protestons par toutes nos prieres que la purgation des ames, soit en ce monde soit en l'autre, ne se faict que par son application ; plus jaloux de l'honneur deu a ceste pretieuse medecine que ceux qui, pour la [364] priser, en mesprisent le saint usage. Donques par le Purgatoire nous entendons un lieu ou les ames, pour un tems, sont purgees des taches et imperfections qu'elles emportent de ceste vie mortelle.

 

 

 

Article II. De ceux qui ont nié le Purgatoire, et des moyens de le prouver

 

 

            Ce n'est pas une opinion receue a la volee que l'article du Purgatoire : il y a long tems que l'Eglise a soustenu ceste creance envers tous et contre tous. Et semble que le premier qui l'a combattu a esté Aerius, heretique arrien, ainsy que saint Epiphane tesmoigne, Hær. 75 , et saint Augustin, Hær. 53, et Socrates, lib. 2. cap. 35, il y a environ douze cens ans. Apres, vindrent certaines gens qui s'appelloyent Apostoliques, du tems de saint Bernard ; puys les Petrobusiens, il y a environ cinq cens ans, qui nioyent encores ce mesme article, comme escrit saint Bernard, Sermone 65 et 66 in Cantica Cant., et en l'epistre 241 , et Pierre de Cluny, epistre 1 et 2 , et ailleurs. Ceste mesme opinion des Petrobusiens fut suivie par les Vaudois, sur l'annee 1170, comme recite Guidon en sa Somme ; et quelques Grecz furent soupçonnés en cest endroit, de quoy ilz se justifierent au Concile de Florence, et en leur apologie presentee au Concile de Basle. [365] En fin, Luther, Zuingle, Calvin et ceux de leur parti ont du tout nié la verité du Purgatoire, car quoy que Luther, in Disputatione Lipsica, dict qu'il croyoit fermement, ains sçavoit asseurement, qu'il y avoit un Purgatoire, si est ce que par apres il s'en dedict, au livre De abroganda missa privata. En fin, c'est l'ordinaire de toutes les factions de nostre aage de se moquer du Purgatoire et mespriser les prieres pour les trespassés, mays l'Eglise Catholique s'est opposee vivement a tous ceux cy, a chacun en son tems, avec l'Escriture Sainte en main, de laquelle nos devanciers ont tiré plusieurs belles raysons.

            Car 1. elle a prouvé les aumosnes, prieres et autres saintes actions pouvoir soulager les trespassés ; dont il s'ensuit qu'il y a un purgatoire, car : ceux d'enfer ne peuvent avoir aucun secours en leurs peynes ; en Paradis, tout bien y estant, nous n'y pouvons rien porter du nostre pour ceux qui y sont desja ; donques c'est pour ceux qui sont en un troisiesme lieu, que nous appelions Purgatoire.

            2. Elle a prouvé qu'en l'autre monde quelques defuncts estoyent delivrés de leurs peynes et pechés ; ce qui ne se pouvant faire ni en enfer ni en Paradis, il s'ensuit qu'il y ait un Purgatoire.

            3. Elle a prouvé que plusieurs ames avant qu'arriver en Paradis passoient par un lieu de peyne, qui ne peut estre que le Purgatoire.

            4. Prouvant que les ames sous terre rendoient honneur et reverence a Nostre Seigneur, elle a prouvé quant et quant le Purgatoire, puysque cela ne se peut penser de ces pauvres miserables qui sont en enfer.

            5. Par plusieurs autres passages, avec diversité de consequences toutes neanmoins bien a propos ; en quoy l'on doit d'autant plus deferer a nos Docteurs, que les passages qu'ilz alleguent maintenant ont esté apportés a ce mesme propos par ces grans Peres anciens, sans que pour defendre ce saint article nous soyons allés forger de nouvelles interpretations : qui monstre asses la candeur avec laquelle nous cheminons [366] en besoigne, la ou nos accusateurs tirent des consequences de l'Escriture qui n'ont jamais esté pensees cy devant, ains sont mises tout de frais en œuvre pour seulement combattre l'Eglise.

            Or nos raysons seront en cest ordre : 1. nous cotterons les passages de l'Escriture ; puys, des Conciles ; 3. des Peres anciens ; 4. de toutes sortes d'autheurs ; apres, nous apporterons des raysons, et en fin, nous amenerons les argumens de partie contraire, lesquelz nous monstrerons n'estre pas de mise : ainsy conclurons pour la creance de l'Eglise Catholique. Restera que le liseur laisse a part les bericles de sa propre passion, pense attentivement au merite de nos probations, et se jette aux pieds de la divine Bonté, criant en toute humilité avec David, Da mihi intellectum et scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo, et lhors je ne doute point qu'il ne revienne au giron de sa grande Mere, l'Eglise Catholique.

 

 

 

Article III. De quelques passages de l'Escriture esquelz il est parlé de purgation apres ceste vie, et d'un tems et d'un lieu pour icelle

 

 

            Ce premier argument est invincible : il y a un tems et un lieu de purgation pour les ames apres ceste vie mortelle ; donques il y a un Purgatoire, puysque l'enfer ne peut apporter aucune purgation, et le Paradis ne peut recevoir aucune chose qui ayt besoin de purgation. Or, qu'il y ayt tems et lieu de purgation apres ceste vie, voicy dequoy : [367]

            1. Au Psal. 65  : Transivimus per ignem et aquam, et eduxisti nos in refrigerium. Ce lieu est apporté en preuve du Purgatoire par Origene, homilia 25 in Numeros, et par saint Ambroise, sur le Psal. 36 , et au sermon 3 sur le Psal. 118, ou il expose par l'eau, le Baptesme, et par le feu, le Purgatoire.

            2. En Isaïe, au 4. chap.  : Purgavit Dominus sordes filiorum et filiarum Sion, et sanguinem emundavit de medio eorum, in spiritu judicii et combustionis. Ceste purgation, faicte en esprit de jugement et de bruslement, est entendue de Purgatoire par saint Augustin, au 1. 20 de la Cité de Dieu, chap. 25. Et de faict, les paroles precedentes favorisent ceste interpretation, esquelles il est parlé de la salvation des hommes ; et puys a la fin du chapitre, ou il est parlé du repos des heureux, dont ce qui est dict, purgavit Dominus sordes, se doit entendre de la purgation necessaire pour ceste salvation ; et parce que ceste purgation est dicte se devoir faire en esprit d'ardeur et de bruslement, elle ne se peut bonnement interpreter que du Purgatoire et du feu d'iceluy.

            3. En Michee, au 7. chap.  : Ne læteris, inimica mea, super me quia cecidi ; consurgam cum sedero in tenebris. Dominus lux mea est ; iram Domini portabo, quoniam peccavi ei, donec causam meam judicet et faciat judicium meum ; educet me in lucem, videbo justitiam ejus. Ce lieu estoit desja en train pour prouver le Purgatoire parmi les Catholiques, du tems de saint Hierosme, il y a environ 1200 ans, ainsy que le mesme saint Hierosme tesmoigne sur le dernier chapitre d'Isaïe ; la ou ce qui est dict, cum sedero in tenebris ; iram Domini portabo, donec causam meam judicet, ne se peut entendre d'aucune peyne si proprement comme de celle de Purgatoire.

            4. En Zacharie, 9  : Tu autem, in sanguine testamenti tui, eduxisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua. Le lac duquel sont tirés ces prisonniers n'est que le Purgatoire, duquel Nostre Seigneur les [368] delivra en sa descente aux enfers ; ne se pouvant entendre du Limbo, ou estoient les Peres avant la resurrection de Nostre Seigneur, dans le sein d'Abraham, par ce que la il y avoit de l'eau de consolation, comme l'on peut voir en saint Luc, 16 ; dont saint Augustin, en l'epistre 99 , ad Evodium, dict que Nostre Seigneur visita ceux qui estoient aux tourmens des enfers, c'est a dire, au Purgatoire, et quil les en delivra : dont il s'ensuit quil y a un lieu ou les fideles sont tenus prisonniers, et duquel ilz peuvent estre delivrés.

            5. En Malachie, 3. chap. : Et sedebit conflans et emundans argentum ; et purgabit filios Levi, et colabit eos quasi aurum et argentum, etc. Ce lieu est exposé d'une peyne purifiante par Origene, homil. 6 sur l'Exode, par saint Ambroise, sur le Psal. 36 , par saint Augustin, livre 20 de la Cité de Dieu, chap. 25, et saint Hierosme, sur ce lieu. Nous sçavons bien qu'ilz l'entendent de la purgation qui se fera a la fin du monde par le feu et conflagration generale, la ou seront purgés les reliquatz des pechés de ceux qui se trouveront vivans ; mais nous ne laissons pas d'en tirer un bon argument pour nostre Purgatoire, car, si les personnes de ce tems la ont besoin de purgation avant que de ressentir l'effect de la benediction du Juge supreme, pourquoy est ce que ceux qui meurent avant ce tems n'en auront encores besoin ? puysqu'il s'en peut trouver qui auront a la mort quelque reliquat de leurs imperfections. Pour vray, si le Paradis ne peut recevoir aucune tache en ce tems la, il ne les recevra pas encores maintenant. Saint Irenee a ce propos, au chap. 29. livre 5 , dict que parce que l'Eglise militante devra monter alhors au celeste palais de son Espoux, et qu'il n'y aura plus tems de purgation, les fautes et dechets d'icelle seront incontinent purgés par ce feu qui precedera le jugement.

            6. Je laisse a part le passage du Psal. 37 , Domine ne in furore tuo arguas me, neque in ira tua [369] corripias me ; lequel saint Augustin interprete de l'enfer et du Purgatoire, si que in furore argui soit pour la peyne eternelle, in ira corripi soit pour la peyne du Purgatoire.

 

 

 

Article IV. D'un autre passage, du Nouveau Testament, a ce propos

 

 

            7. En la premiere des Corinthiens : Dies Domini declarabit, quia in igne revelabitur, et uniuscujusque opus qualis sit ignis probabit ; si cujus opus manserit quod superædificavit, mercedem accipiet, si cujus opus arserit, detrimentum patietur ; ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem. On a tenu tousjours ce passage icy pour l'un des plus illustres et difficiles de toute l'Escriture. Or en iceluy, comme il est aysé a voir a qui regarde de pres tout le chapitre, l'Apostre use de deux similitudes : la premiere est d'un architecte qui fonde une maison precieuse et de matiere solide sur un roc, la seconde est de celuy qui sur un mesme fondement dresse une maison d'ais, de cannes et de chaume. Imaginons maintenant que le feu se mette en l'une et en l'autre maison : celle qui est de matiere solide sera hors de fortune, et l'autre sera reduicte en cendres ; que si l'architecte est dans la premiere, il y demeurera sain et sauve, que s'il est dans la seconde, s'il se veut eschapper il faudra qu'il se rue a travers le feu et la flamme, et se sauvera tellement qu'il portera les marques d'avoir esté au feu : Ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem.

            Le fondement en ceste similitude est Nostre Seigneur ; dont saint Pol dict, Ego plantavi, et, Ego ut sapiens architectus fundamentum posui, et puys [370] apres : Fundamentum enim aliud nemo ponere potest præter id quod positum est, quod est Christus Jesus. Les architectes sont les predicateurs et docteurs de l'Evangile ; comme l'on peut connoistre considerant attentivement les paroles de tout ce chapitre, et comme l'interpretent saint Ambroise et Sedule sur ce lieu. Le jour du Seigneur duquel il est parlé, s'entend le jour du jugement, lequel en l'Escriture a accoustumé d'estre appellé jour du Seigneur ; en Joël, 2 , Veniet dies Domini, en Sophonie, 1 , Juxta est dies Domini : puys, par ce qu'y est adjousté, dies Domini declarabit, car c'est a ceste journee la que se declareront toutes les actions du monde : en fin, quand l'Apostre dict, quia in igne revelatur, il monstre asses que c'est le dernier jour du jugement ; en la seconde des Thessaloniciens, 1 , In revelatione Domini nostri Jesu Christi de cælo, cum Angelis virtutis ejus, in flamma ignis, au Ps. 96 , Ignis ante ipsum præcedet. Le feu par lequel l'architecte se sauve, ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem, ne se peut entendre d'autre que du feu de Purgatoire ; car, quand lApostre dict qu'il se sauvera, il exclud le feu de l'enfer auquel personne ne se peut sauver, et quand il dict qu'il se sauvera par le feu, et qu'il parle de celuy seulement qui a suredifié le bois, la canne, le chaume, il monstre ne parler du feu qui precedera le jour du jugement, puysque par iceluy passeront, non seulement ceux qui auront suredifié de ces matieres legeres, mays encores ceux qui auront suredifié l'or, l'argent, etc.

            Toute ceste interpretation, outre ce qu'elle s'apparie tres bien avec le texte, est encores tres authentique pour avoir esté suivie, d'un commun consentement, par les anciens Peres. Saint Cyprien, 1. 4. epistre 2 , semble faire allusion a ce passage ; saint Ambroise sur ce lieu, saint Hierosme sur le 4. d'Amos, saint [371] Augustin sur le Ps. 37, saint Gregoire, Rupert et les autres y sont tout expres ; et des Grecz, Origene, en l'homelie 6 sur Exode, Œcumene sur ce passage, ou il allegue saint Basile, et Theodoret rapporté par saint Thomas en l'opuscule premier, Contre les Grecz.

            On dira qu'en ceste interpretation il y a de l'equivoque et du malseant, en ce que le feu duquel il est parlé est pris ores pour le feu de Purgatoire, ores pour celuy qui precedera le jour du jugement. On respond que c'est une elegante façon de parler par la confrontation de ces deux feux, car voicy le sens de la sentence : le jour du Seigneur sera esclairé par le feu qui le precedera, et comme ce jour la sera esclairé par le feu, ainsy ce mesme jour par le jugement esclaircira le merite et le defaut de chaque œuvre ; et comme chaque œuvre sera esclaircie, ainsy les ouvriers qui auront ouvré avec imperfections seront sauvés par le feu du Purgatoire. Mais outre ce, quand nous dirions que saint Pol use diversement d'un mesme mot en un mesme passage, ce ne seroit pas chose nouvelle, car il en use de ceste façon en autres lieux, mais si proprement que cela sert d'ornement a son langage, comme en la 2. des Corinthiens, 5 , Eum qui non noverat peccatum, pro nobis peccatum fecit ; la ou qui ne voit que peccatum pour la premiere fois se prend proprement, pour l'iniquité, et la seconde fois, figurement, pour celuy qui porte la peyne du peché ?

            On dira encores qu'il n'est pas dict qu'il sera sauvé par le feu, mays comme par le feu, et que partant on ne peut pas conclure le feu du Purgatoire en verité. Je respons qu'il y a de la similitude en ce passage, car l'Apostre veut dire que celuy duquel les œuvres ne sont pas du tout solides, sera sauvé comme l'architecte qui s'eschappe du feu ne laissant pas pour cela de [372] passer par le feu, mays un feu d'autre calibre que n'est le feu qui brusle en ce monde. Il suffit que de ce passage on conclud ouvertement, que plusieurs qui prendront possession du royaume du Paradis passeront par le feu : or ce ne sera pas le feu d'enfer, ni le feu qui precedera le jugement ; ce sera donques le feu de Purgatoire. Le passage est difficile et malaysé, mays bien consideré il nous faict une manifeste conclusion pour nostre pretention.

            Et voyla quand aux lieux par lesquelz on peut remarquer qu'apres ceste vie il y a un tems et un lieu de purgation.

 

 

 

Article V. De quelques autres lieux, par lesquelz la priere, l'aumosne et les saintes actions pour les trespassés sont authorisees

 

 

            Le 2. argument que nous tirons de la sainte Parole pour le Purgatoire est prins du 2. des Machabees, au chap. 12 ; la ou l'Escriture raconte que Judas Machabee envoya en Hierusalem douze mille dragmes d'argent pour faire des sacrifices pour les morts, et apres elle adjouste : Sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut a peccatis solvantur ; car, voicy nostre discours : c'est chose sainte et prouffitable de prier pour les morts affin qu'ilz soient delivrés de leurs pechés, donques apres la mort il y a encores tems et lieu pour la remission des pechés ; or ce lieu icy ne peut estre ni l'enfer ni le Paradis, donques c'est le Purgatoire.

            Cest argument est si bien faict, que pour y respondre nos adversaires nient l'authorité du Livre des [373] Machabees, et le tiennent pour apocriphe : mays a la verité ce n'est qu'a faute d'autre response ; car ce Livre icy a esté tenu pour authentique et sacré par le Concile de Carthage 3 , au canon 47, et par Innocent 1, en l'epistre ad Exuperium, et par saint Augustin, l. 18 de la Cité de Dieu, chap. 36, duquel voicy les paroles : Libros Machabæorum non Judæi sed Ecclesia pro canonicis habet, et le mesme saint Augustin, au l. 2 De doctrina Christiana, chap. 8, et Gelase, au decret des Livres canoniques qu'il fit en un Concile de 70 Evesques, et plusieurs autres Peres qu'il seroit long a citer. De maniere que vouloir respondre niant l'authorité du Livre, c'est nier quant et quant l'authorité de l'antiquité.

            On sçait bien tout ce qu'on apporte pour le pretexte de ceste negative, qui ne faict pour la pluspart que monstrer la difficulté qu'il y a es Escritures, non aucune fauseté en icelles ; seulement il me semble necessaire de respondre a une ou deux objections qu'ilz font.

            La premiere, c'est qu'ilz disent la priere avoir esté faicte pour monstrer la bonne affection qu'ilz avoyent a l'endroit des defuncts, non pas qu'ilz pensassent les defuncts en avoir besoin ; mays l'Escriture y contredict par ces paroles, ut a peccatis solvantur.

            2. Ilz objectent que c'est un manifeste erreur de prier pour la resurrection des morts avant le jugement, car c'est presupposer, ou que les ames resuscitent et par consequent meurent, ou que les cors ne resuscitent pas si ce n'est par l'entremise des prieres et bonnes actions des vivans, qui seroit contre l'article, Credo resurrectionem mortuorum : or, que ces erreurs soyent presupposés en ce lieu des Machabees, il appert par ces paroles : nisi enim eos qui ceciderant resurrecturos speraret, superfluum videretur et vanum pro defunctis orare. On respond que en cest endroit ilz ne prient pas pour la resurrection ni de [374] l'ame ni du cors, mays seulement pour la delivrance des ames ; en quoy ilz presupposoyent l'immortalité de l'ame, car, s'ilz eussent creu que l'ame fust morte avec le cors, ilz n'eussent point pris de soin de leur delivrance ; et par ce que, parmi les Juifz, la creance de l'immortalité de l'ame et de la resurrection des cors estoient tellement jointes ensemble que qui nioit l'une nioit l'autre, pour monstrer que Judas Machabeus croyoit l'immortalité de l'ame il dict qu'il croyoit la resurrection des cors. Ainsy l'Apostre prouve la resurrection des cors par l'immortalité de l'ame, quoy qu'il se peut faire que l'ame soit immortelle sans la resurrection des cors : voicy comme il y a, en la 1. des Corinthiens, 15  : Quid mihi prodest si mortui non resurgunt ? comedamus et bibamus, cras enim moriemur ; or il ne s'ensuivroit aucunement qu'il fallust s'abandonner ainsy, encores qu'il n'y eust point de resurrection, car l'ame qui demeureroit en estre souffriroit la peyne deùe aux pechés, et recevroit le guerdon des vertus ; saint Pol donques, en cest endroit la, met en conte la resurrection des morts pour l'immortalité de l'ame, par ce que, de ce tems la, qui croyoit l'un croyoit l'autre.

            Il n'y a donques point de lieu de refuser le tesmoignage des Machabees en preuve d'une juste creance : que si, a tout rompre, nous le voulons prendre comme tesmoignage d'un simple mays grave historiographe, ce qu'on ne nous peut refuser, au moins faudra il confesser que la Sinagogue ancienne croyoit un Purgatoire, puysque toute ceste armee la fut si prompte a prier pour les defuncts.

            Et a la verité nous avons des marques de ceste devotion en d'autres passages de l'Escriture, qui nous doit faciliter la reception de celuy que nous venons d'alleguer ; en Tobie, 4. chap. : Panem tuum et vinum tuum super sepulturam justi constitue, et noli ex eo manducare et bibere cum peccatoribus ; certes, ce vin et ce pain ne se mettoyent pour autre sur la sepulture sinon pour les pauvres, affin que l'ame [375] du defunct en fust aydee, comme disent communement les interpretes sur ce passage. Peut estre qu'ilz diront que ce Livre est apocriphe, mays toute l'antiquité l'a tousjours tenu en credit ; et pour vray, la coustume de mettre la viande pour les pauvres es sepultures est tres ancienne, mesme en l'Eglise Catholique, car saint Chrysostome, qui vivoit il y a plus de 1200 ans, en l'homelie 32 , sur le 9. de saint Mathieu, en parle en ceste façon : Cur post mortem tuorum pauperes convocas ? cur presbiteros ut pro eis orare velint obsecras ?

            Mays que penserions nous des jeusnes et austerités que faisoyent les Anciens apres la mort de leurs amis ? Ceux de Jabes Galaad, apres la mort de Saul, jeusnerent sept jours sur iceluy ; autant en fit David et les siens sur le mesme Saül, Jonathan et ceux de sa suite, au 1. des Roys, dernier chapitre, et au 2., chap. 1  : on ne pourroit penser que ce ne fust pour secourir les ames des defuncts, car a quel autre propos peut on rapporter le jeusne de sept jours ? Aussi David, qui au 2. des Roys, 12. chap., jeusna et pria pour son filz malade, apres sa mort cessa de jeusner, monstrant que quand il jeusnoit, c'estoit pour obtenir ayde au malade, lequel estant mort, parce qu'il mouroit enfant et innocent, n'avoit besoin d'ayde, et partant il cessa de jeusner : Bede, il y a plus de 700 ans, interpreta ainsy la fin du premier Livre des Roys. De maniere qu'en l'ancienne Eglise la coustume estoit desja entre les saintes personnes, d'ayder par prieres et saintes actions les ames des trespassés, qui suppose clairement la foy d'un Purgatoire.

            Et c'est de ceste coustume que parle tout ouvertement saint Pol en la 1. des Corinthiens, 15. chap., l'alleguant comme louable et bonne : Quid facient, dict il, qui baptizantur pro mortuis, si mortui non resurgunt ut quid et baptizantur pro illis ? Ce lieu bien entendu monstre tres clairement la coustume de la primitive Eglise de jeusner, prier, veiller pour les ames des trespassés ; car, premierement, es Escritures, [376] estre baptizé se prend fort souvent pour les afflictions et penitences, comme en saint Luc, 12. chap., Nostre Seigneur parlant de sa Passion, il dict : Baptismo habeo baptizari, et quomodo coarctor donec perficiatur ? et luy mesme en saint Marc, 10 , Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum, et baptismo quo ego baptizor baptizari ? ou Nostre Seigneur appelle baptesme ses peynes et afflictions. Voicy donques le sens de ceste Escriture : si les morts ne resuscitent point, a quoy faire prend on peyne et affliction, priant et jeusnant pour les morts? et certes, ceste sentence de saint Pol ressemble a celle des Machabees cottee cy dessus : Superfluum est et vanum orare pro mortuis, si mortui non resurgunt. Qu'on me tourne et transfigure ce texte en tant d'interpretations que l'on voudra, qu'il n'y en aura pas une qui joigne bien a la sainte Lettre que celle cy. Ni ne faudroit pas dire que le baptesme duquel parle saint Pol soit seulement un baptesme de tristesses et de larmes, non de jeusnes, prieres et autres actions, car avec ceste intelligence sa conclusion seroit tres mauvaise : il veut conclure que si les morts ne resuscitent point, et si l'ame est mortelle, qu'en vain s'afflige l'on pour les morts ; mais, je vous prie, n'auroit on pas plus d'occasion de s'affliger par tristesse pour la mort des amis s'ilz ne resuscitent point, perdant toute esperance de jamais les revoir, que s'ilz resuscitent ? Il entend donques des afflictions volontaires que l'on faisoit pour impetrer le repos des defuncts, lesquelles sans doute on prattiqueroit en vain si les ames estoyent mortelles, ou que les morts ne resuscitassent point ; en quoy il se faut souvenir de ce qui a esté dict cy dessus, que l'article de la resurrection des morts et celuy de l'immortalité de l'ame estoyent conjoincts tellement ensemble en la creance des Juifz, que qui advouoit l'un, advouoit l'autre, et que qui nioit l'un, nioit l'autre. Il appert donques par ces paroles de saint Pol, que la priere, jeusne et autres saintes afflictions se faisoyent louablement pour les defuncts ; or, ce [377] n'estoit pour ceux de Paradis, qui n'en avoyent besoin, ni pour ceux d'enfer, qui n'en pouvoyent recevoir le fruict, c'est donques pour ceux de Purgatoire : ainsy l'a exposé, il y a 1200 ans, saint Ephrem en son Testament, et les Peres qui ont disputé contre les Petrobusiens.

            Autant en peut on deduire de ce que disoit le bon larron, en saint Luc, 23 , lhors que, s'addressant a Nostre Seigneur, il luy dict : Memento mei dum veneris in regnum tuum ; car pourquoy se fust il recommandé, luy qui s'en alloit mourir, s'il n'eust creu que les ames apres la mort pouvoyent estre secourues et aydees ? Saint Augustin, l. 6 contre Julien, chap. 5 , prouve de ce passage que quelques pechés sont pardonnés en l'autre monde.

 

 

 

Article VI. De quelques lieux de l'Escriture par lesquelz il est prouvé que quelques pechés peuvent estre pardonnés en l'autre monde

 

 

            Il y a quelques pechés qui peuvent estre pardonnés en l'autre monde ; ce n'est ni en enfer ni au ciel, c'est donques en Purgatoire. Or, qu'il y ait des pechés qui se pardonnent en l'autre monde, nous le prouvons, premierement, par le passage de saint Mathieu, au 12. chap., ou Nostre Seigneur dict qu'il y a un peché qui ne peut estre pardonné ni en ce siecle ni en l'autre ; donques il y a des pechés qui peuvent estre remis en l'autre siecle, car, s'il n'y avoit point de pechés qui puissent estre remis en l'autre siecle, il n'estoit ja necessaire d'attribuer ceste proprieté a une sorte de peché de ne pouvoir estre remis en l'autre [378] siecle, ains suffisoit de dire qu'il ne pouvoit estre remis en ce monde. Certes, quand Nostre Seigneur eut dict a Pilate, Regnum meum non est de hoc mundo, en saint Jan, 18 , Pilate fit ceste conclusion : Ergo Rex es tu ? laquelle fut trouvee bonne par Nostre Seigneur, qui y consentit ; ainsy quand il dict qu'il y a un peché qui ne peut estre pardonné en l'autre siecle, il s'ensuit tres bien, donques il y en a d'autres qui peuvent estre remis. Ilz voudront dire que ces paroles, neque in hoc sæculo neque in alio, ne veulent dire autre chose sinon, in æternum, ou, numquam, comme l'a dict saint Marc, au chap. 3 , non habet remissionem in æternum. Cela va bien, mays nostre rayson ne perd rien de sa fermeté pour cela : car, ou saint Mathieu a bien exprimé l'intention de Nostre Seigneur, ou non ; on n'oseroit dire que non, et s'il l'a bien exprimee, il s'ensuit tousjours qu'il y a des pechés qui peuvent estre remis en l'autre siecle, puysque Nostre Seigneur a dict qu'il y en a un qui ne peut estre remis en l'autre siecle. Mays de grace, dites moy, si saint Pierre eust dict en saint Jan, 13 , Non lavabis mihi pedes in hoc sœculo neque in alio, n'eust il pas parlé gaussement, puysque en l'autre monde ilz ne peuvent estre lavés ? aussi dict il, in æternum. Il ne faut donques pas croire que saint Mathieu eust exprimé l'intention de Nostre Seigneur par ces paroles, neque in hoc sœculo neque in alio, si en l'autre il n'y peut avoir remission ; on se moqueroit de celuy qui diroit, je ne me marieray ni en ce monde ni en l'autre, comme s'il entendoit qu'en l'autre monde l'on peut se marier. Qui dict donq un peché ne pouvoir estre remis ni en ce siecle ni en l'autre, il presuppose qu'on puisse avoir remission de quelques pechés en ce monde, et en l'autre encores. Je sçay bien que nos adversaires taschent par diverses interpretations de parer a ce coup icy, mays il est si bien porté qu'ilz ne s'en peuvent eschapper ; et de vray il vaut bien mieux avec les Peres anciens entendre proprement, et avec toute la reverence que l'on [379] peut, les paroles de Nostre Seigneur, que pour fonder une nouvelle doctrine les rendre grossieres et mal agencees. Saint Augustin, lib. 21 de Civit. Dei, chap. 24 , saint Gregoire, l. 4 de ses Dialogues, chap. 39, Bede, sur le 3. de saint Marc, saint Bernard, en l'homelie 66 sur les Cantiques, et ceux qui ont escrit contre les Petrobusiens se sont servis de ce passage pour nostre intention, avec tant d'asseurance, que saint Bernard pour declarer ceste verité n'en apporte point d'autre, tant il faict estat d'iceluy.

            En saint Mathieu, 5 , et en saint Luc, 12  : Esto consentiens adversario tuo cito, dum es cum eo in via ; ne forte tradat te adversarius judici, judex tortori, et mittaris in carcerem : amen, dico tibi, non exies inde donec reddas novissimum quadrantem. Origene, saint Cyprien, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Hierosme et saint Augustin disent que le chemin, duquel il est dict, dum es in via, n'est autre que le passage de la presente vie. L'adversaire sera nostre propre conscience, qui combat tousjours contre nous et pour nous, c'est a dire, qu'il resiste tousjours a nos mauvaises inclinations et a nostre viel Adam pour nostre salut, comme exposent saint Ambroise, Bede, saint Augustin, saint Gregoire et saint Bernard, en divers lieux. Le juge est sans doute Nostre Seigneur, en saint Jan, 5  : Pater omne judicium dedit Filio. La prison pareillement, l'enfer, ou le lieu des peynes de l'autre monde, auquel, comme en une grande gëole, il y a plusieurs demeures, l'une pour ceux qui sont damnés, qui est comme pour les criminelz, l'autre qui est pour ceux qui sont en Purgatoire, qui est comme pour debtes. Le quatrain duquel il est dict, non exies inde donec reddas novissimum quadrantem, sont les petitz pechés et d'infirmité, comme le quatrain est la moindre monnoye qu'on peut devoir. Maintenant, considerons un peu ou se doit faire ceste reddition de laquelle parle Nostre Seigneur, donec reddas novissimum quadrantem. Et 1., nous trouvons des tres anciens [380] Peres qui ont dict que c'estoit en Purgatoire : Tertullien, libro De Anima, cap. 58 ; Cyprien, l. 4 epistolarum, 2 ; Origene, en l'homelie 35, sur ce lieu ; Eusebe Emissene, en l'homelie 3 de l'Epiphanie ; saint Ambroise, sur le chap. 12 de saint Luc ; saint Hierosme, sur le 5. de saint Mathieu ; saint Bernard, sermone de obitu Humberti. 2. Quand il est dict, donec solvas ultimum quadrantem, n'est il pas presupposé qu'on le puisse payer, et qu'on puisse tellement diminuer la debte qu'il n'en reste plus que le dernier liard ? que si comme quand il est dict au Psalme, Sede a dextris mets donec ponant inimicos tuos, etc., il s'ensuit tres bien, ergo aliquando ponet inimicos scabellum pedum, ainsy, disant non exies inde donec reddas, il monstre que aliquando reddet vel reddere potest. 3. Qui ne voit qu'en saint Luc 12, la comparaison est tiree non d'un homicide, ou de quelque criminel qui ne peut avoir esperance de son salut, mais d'un debiteur qui est mis en prison jusques a payement, lequel estant faict, incontinent il est mis dehors ? Voicy donques l'intention de Nostre Seigneur : que, pendant que nous sommes en ce monde, nous taschions par la penitence et ses fruictz de payer, selon la puissance que nous en avons par le sang du Redempteur, la peyne a laquelle nos pechés nous ont obligés ; puysque, si nous attendons la mort, nous n'en aurons pas si bon conte au Purgatoire, ou nous serons traittés a la rigueur.

            Tout cecy semble avoir esté dict par Nostre Seigneur mesme en saint Mathieu, 5 , quand il dict : Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio, qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio, qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Icy il s'agit de la peyne qu'on doit recevoir par le jugement de Dieu, comme il appert par ces paroles, reus erit gehennæ [381] ignis ; et neanmoins il n'y a que la troisiesme sorte d'offense qui soit punie par l'enfer ; donques au jugement de Dieu, apres ceste vie, il y a des autres peynes, qui ne sont pas eternelles ni infernales ; ce sont les peynes de Purgatoire. On peut dire que ces peynes se souffriront en ce monde, mays saint Augustin et les autres Peres l'entendent pour l'autre monde ; et puys, ne se peut il pas faire qu'un homme meure sur la premiere ou seconde offense de laquelle il est parlé icy, et celuy la, ou payera il les peynes deües a son offense ? ou si vous voules qu'il ne les paye point, quel lieu luy donneres vous pour sa retraite apres ce monde ? vous ne luy bailleres pas l'enfer, sinon que vous voulies adjouster a la sentence de Nostre Seigneur, qui ne baille l'enfer pour peyne qu'a ceux qui auront faict la troisiesme offense ; le loger en Paradis vous ne le deves faire, parce que la nature de ce lieu celeste rejette toute sorte d'imperfection ; n'allegues pas icy la misericorde du Juge, car il declare en cest endroit qu'il veut encores user de justice : faites donques comme les anciens Peres, et dites qu'il y a un lieu ou elles seront purgees, et puys s'en iront la haut en Paradis.

            En saint Luc, au 16. chap., il est escrit : Facite vobis amicos de mammona iniquitatis, ut cum defeceritis, recipiant vos in æterna tabernacula. Defaillir, qu'est ce autre que mourir ? et les amis, que sont ilz autre que les Saints ? les interpretes l'entendent tous ainsy ; dont il s'ensuit deux choses, et que les Saints peuvent ayder les hommes trespassés, et que les trespassés peuvent estre aydés des Saints : car a quel autre propos peut on entendre ces paroles, facite amicos qui recipiant ? il ne se peut entendre de l'aumosne, car souventefois l'aumosne est bonne et sainte, et toutefois ne nous acquiert pas des amis qui nous puissent recevoir en eternelz tabernacles, comme quand elle est faicte a des personnes mauvaises avec sainte et droitte intention. Ainsy est exposé ce passage par saint Ambroise, et par saint Augustin, [382] l. 21 de la Cité de Dieu, chap. 27 ; mais la parabole de laquelle use Nostre Seigneur est trop claire pour nous laisser douter de ceste interpretation, car la similitude est prise d'un econome lequel, estant desmis de son office et appauvri, demandoit secours a ses amis, et Nostre Seigneur apparie l'estre desmis a la mort, et le secours demandé aux amis, a l'ayde que l'on reçoit, apres la mort, de ceux auxquelz l'on a faict l'aumosne ; ceste ayde ne se peut recevoir par ceux qui sont en Paradis ou en enfer, c'est donques par ceux qui sont en Purgatoire.

 

 

 

Article VII. De quelques autres lieux, desquelz par diversité de consequences on conclud la verité du Purgatoire

 

 

            Saint Pol aux Philippiens, 2 , dict telles paroles : Ut in nomine Jesu omne genu flectatur, cælestium, terrestrium et infernorum. Aux cieux on trouve asses de genoux qui flechissent au nom du Redempteur, en terre l'on en trouve beaucoup en l'Eglise militante ; mays en enfer, ou est ce que nous en trouverons ? David se desfie d'y en trouver aucun quand il dict, In inferno autem quis confitebitur tibi ? Ps. 6 , et Ezechias, en Isaïe 38 , Quia non infernus confitebitur tibi ; ou se doit encores rapporter ce que chante David ailleurs, Peccatori autem dixit Deus : quare tu enarras justifias meas et assumis testamentum meum per os tuum ? car si Dieu ne veut recevoir louange du pecheur obstiné, comment est ce qu'il permettroit a ces miserables damnés d'entreprendre ce saint office ? Saint Augustin faict grand [383] conte de ce lieu pour ce propos, l. 12 du Genese, au chap. 33. Il y a un semblable passage en l'Apocalipse, 5 : Quis dignus est aperire librum et solvere septem signacula ejus et nemo inventus est, neque in cælo, neque in terra, neque subtus terram ; et plus bas au mesme chapitre : Et omnem creaturam, quæ in cælo est, et super terram, et sub terra, omnes audivi dicentes Sedenti in throno et Agno : Benedictio, et honor, et gloria, et potestas, in sæcula sæculorum ; et quatuor animalia dicebant, Amen : ne constitue il pas icy une Eglise en laquelle Dieu soit loué sous terre ? et que peut elle estre, si ce n'est celle du Purgatoire ?

 

Article VIII. Des Conciles qui ont receu le Purgatoire comme article de Foy

 

 

            Aerius, comme j'ay dict cy devant, commença a precher contre les Catholiques, disant les prieres qu'ilz faisoyent pour les morts estre superstitieuses ; il a encores des sectateurs en nostre aage quand a ce chef. Nostre Seigneur nous baille la regle en son Evangile comme on se doit comporter en semblables occasions : Si peccaverit in te frater tuus, etc., die Ecclesiæ ; si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam ethnicus et publicanus. Oyons donques ce que dict l'Eglise en cest endroit : en Afrique, au Concile de Carthage 3, c. 29, et au 4., c. 79 ; en Espaigne, au Concile Bracarense, c. 34 et 39 ; en France, au Concile de Chalon, comme il est rapporté De Consec., dist. 1, can. Visum est, au Concile d'Orleans 2, c. 14  ; en Allemagne, au Concile Wormatiense, c. 80 ; en [384] Italie, au Concile 6 sous Symmachus ; en Grece, comme on peut voir en leurs Sinodes recueillies par Martin Bracarense, c. 69 : et par tous ces Conciles vous verres que l'Eglise tient pour authentique la priere pour les trespassés, et par consequent le Purgatoire. Et par apres, ce que par parties elle avoit defini, elle l'a defini en son cors general, au Concile de Latran sous Innocent 3, c. 66, au Concile de Florence, ou se trouverent toutes nations, sess. derniere, et finalement au Concile de Trente, sess. 25 .

            Mays quelle plus sainte resolution de l'Eglise voudroit on avoir que celle qui est couchëe en toutes les Messes d'icelle ? Regardes les liturgies de saint Jaques, saint Basile, saint Chrysostome, de saint Ambroise, desquelles se servent encores a present tous les Chrestiens orientaux, vous y verres la commemoration pour les morts comm'elle se voit en la nostre a peu pres. Quoy ? si Pierre Martyr, l'un des habiles qui aÿe suyvi le parti contraire, sur le 3. c. de la 1. aux Corinthiens, confesse que toute l'Eglise a suyvi ceste opinion, je n'ay plus a faire de m'amuser sur ceste preuve. Il dict qu'elle a erré et failly ; ah, qui croiroit cela ? Quis es tu qui judicas Ecclesiam Dei ? Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam ethnicus et publicanus. Ecclesia est firmamentum et columna veritatis, et portæ inferi non prævalebunt adversus eam. Si sal evanuerit, in quo salietur ? si Ecclesia erraverit, a quo corripietur ? si Ecclesia, fida custos veritatis, veritatem amiserit, veritas a quo reperietur ? si Christus Ecclesiam abjecerit, quem recipiet ? qui neminem nisi per Ecclesiam admittit. Et si l'Eglise peut errer, et vous, Pierre Martyr, pourries vous pas errer ? sans doute : je croiray donques plus tost que vous ayes erré que l'Eglise. [385]

 

 

 

Article IX. Des Peres anciens

 

 

            C'est chose belle et pleyne de toute consolation, de voir le beau rapport que l'Eglise præsente a avec l'ancienne, particulierement en la creance : disons ce qui faict a nostre propos sur le Purgatoire. Tous les anciens Peres l'ont creu, et attesté que c'estoit la foy Apostolique ; voicy les autheurs que nous en avons : entre les disciples des Apostres, saint Clement et saint Denis ; apres, saint Athanase, saint Basile, saint Gregoire Nazianzene, Ephrem, Cyrille, Epiphane, Chrysostome, Gregoire Nyssene, Tertullien, Cyprien, Ambroise, Hierosme, Augustin, Origene, Boece, Hilaire, c'est a dire, toute l'antiquité, mesme devant douze centz ans que tous ces Peres ont vescu : desquelz il m'eust esté tres aysé d'apporter les tesmoignages, qui sont recueillis exactement es livres de nos Catholiques, au livre de Canisius, en son Catechisme, de Sanderus, De visibili Monarchia, de Genebrard, en sa Chronologie, de Bellarmin, en sa Controversie du Purgatoire, de Stapleton, en son Promptuaire ; mays sur tous qui voudra voir au long et fidellement cités les passages des Peres anciens, quil prenne en main l'œuvre de Canisius reveu par Busæus. Mays certes, Calvin nous delivre de ceste peyne, l. 3 de ses Instit., c. 5. § 10, ou il dict ainsy : Ante 1300 annos usu receptum fuit ut precationes fierent pro defunctis, et par apres adjouste : sed omnes, fateor, in errorem abrepti fuerunt ; nous n'avons donq que faire de chercher le nom et le lieu des anciens Peres pour prouver le Purgatoire, puysque, pour se mettre en conte, Calvin les met en zero. Quelle apparence y a [386] il qu'un seul Calvin soit infallible, et que toute l'antiquité aye bronché ? On dict que les anciens Peres ont creu le Purgatoire pour s'accommoder au vulgaire : belle excuse ; n'estoit ce pas aux Peres d'oster d'erreur le peuple s'ilz l'y voyoient entrer, nom pas l'y entretenir et y condescendre ? ceste excuse donques ne faict qu'accuser les Anciens. Mays comment est ce que les Peres n'ont pas creu a bon escient le Purgatoire, puysqu'Aerius, comme j'ay dict cy devant, a esté tenu pour hæretique par ce qu'il le nioyt ? C'est pitié de voir l'audace avec laquelle Calvin traitte saint Augustin par ce quil pria et fit prier pour sa mere, sainte Monique, et pour tout prætexte apporte que saint Augustin, l. 21 Civit., c. 26, semble douter du feu de Purgatoire. Mays cecy ne faict rien a nostre propos, car il est vray que saint Augustin dict qu'on peut douter du feu et de la qualité d'iceluy, mays non pas du Purgatoire : or, soit que la purgation se face ou par feu ou autrement, soit que le feu aye mesmes qualités que celuy d'enfer ou non, si est ce quil ne laysse pas d'y avoir une purgation et un Purgatoire ; il ne met pas donques en doute le Purgatoire, mais la qualité d'iceluy ; ce que ne nieront jamais ceux qui verront comm'il en parle au c. 16 et 24 du mesme Livre de la Cité, et au livre De cura pro mortuis agenda, et en mille autres lieux. Voila donq comme nous sommes au chemin des saints et anciens Peres quand a cest article du Purgatoire. [387]

 

 

 

Article X. De deux raysons principales et du tesmoignage des estrangers pour le Purgatoire

 

 

            Voicy deux invincibles raysons du Purgatoire : la 1., il y a des pichés legers au pris des autres et qui ne rendent pas l'homme coulpable de l'enfer ; si donq l'homme meurt en iceux que deviendra il ? le Paradis ne reçoit rien de souillé, Apoc. 21, l'enfer est une trop criminelle peyne, il n'est pas deu a son piché ; il faut donques advouer quil arrestera en un Purgatoire, ou estant bien esmondé il ira par apris au Ciel. Or, quil y ait des pichés qui ne rendent pas l'homme coulpable de l'enfer, Nostre Seigneur le dict en saint Mathieu, 5. c.  : Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio ; qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio ; qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Qu'est ce, je vous prie, d'estre coulpable de gehenne du feu, sinon estre coulpable de l'enfer ? or ceste peyne n'est deüe qu'a ceux qui appellent fatue : ceux qui montent en cholere et ceux qui expriment leur cholere par parole non injurieuse et diffamatoire, ne sont pas en mesme rang ; ains l'un merite le jugement, c'est a dire, que sa colere soit mise en jugement, comme la parolle oyseuse, Mat. 12 , de laquelle Nostre Seigneur dict que les hommes reddent rationem in die judicii ; il en faut rendre conte ; l'autre merite le conseil, c'est a dire merite qu'on delibere s'il sera condamné ou non (car Nostre Seigneur s'accommode a la façon de parler des hommes) ; le 3me seul est celluyla qui sans doute infalliblement sera damné : donques le pr et le 2d sont pechés qui ne rendent [388] pas l'homme coulpable de la mort æternelle, mais d'une correction temporelle ; et partant si l'homme meurt avec iceux, par accident ou autrement, il faut quil subisse le jugement d'une peyne temporelle, moyennant laquelle son ame estant purgëe il ira au Ciel avec les Heureux. De ces pechés parle le Sage, Proverb., 24 , Septies in die cadit justus : car le juste ne peut pecher, pendant quil est juste, de peché qui merite la damnation ; il s'entend donq quil chet en des pechés ausquelz la damnation n'est pas deüe, que les Catholiques appellent venielz, lesquelz se peuvent purger en l'autre monde, au Purgatoire.

            La 2. rayson est qu'apres le pardon du peché demeure en partie la peyne deiie a icelluy, comme par exemple, 2. des Rois, 12 , le peché est pardonné a David, le Prophete luy disant : Deus quo que transtulit peccatum tuum, sed, quia blasphemare fecisti inimicos nomen Domini, filius tuus morte morietur. [389]

 

 

Attestations d'authenticité jointes a l'Autographe conserve a Rome, dans la Bibliotheque Chigi

 

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            Je certifie et assure avoir faict recongnoistre comme ces presans manuscritz, qui tretent de l'hautorité et Primauté de sainct Pierre et des Souverains Ponthifes ses suseseurs, sont escrit ou dicté et du stille du Venerable Serviteur de Dieu, Monseigneur François de Sales, ci devant Evesque de Genaive, don l'ong porsuit a presant la Canonization.

            Les personnes qui ont reconnu ces escris sont : Monsieur le Marquis de Lulin, gouverneur de la province de Chablays, laquelle province est une des provinces converties par le grand François de Sales, le R. P. Prieur des Chartreux de Ripaielle, Monsieur Serafin, channoinne de St Pierre de Genaive, agé de 80 annés, Monsieur Jannus, Prieur de Brans en Chablays, Monsieur Gard, channoinne de Notre Dame de l'eglisse Collegialle d'Annessi, Monsieur François Favre, qui a servi de cambrier 20 annés le dit Serviteur de Dieu. Tous les sus nomez assurent estre de la propre main ou de la composition de ce grand Evesque de Genaive, et mesme ils assurent luy en avoir ouy prescher une partie lors quil convertit le pais de Gex et de Chablays.

 

            A Annessy, le 20 aoust 1658.

 

F. ANDRÉ DE CHAUGY,

 

Relligieux Minime et Procureur de la Visitation

pour la Canonization du Venerable Serviteur de Dieu,

Monseigneur de Sales.

L † S [391]

 

 

 

            Nous soubsigné, Guilliaume de Blancheville, Seigneur et Baron d'Heiry, Cornillion, Martod, Gerbaix, la Salle, Ennuis (Annuits), Gilly, etc., Conseiller d'Estat de S. A. R., Premier President au Souverain Senat de Savoye et commandant generalement en Savoye en l'absence de Mme Rle, Declairons que le livre de l'Authorité de sainct Pierre est tout du B. H. François de Salle, et l'autre, qui est escript de la main de son secretaire, est corrigé de la main dudict Bien-heureux. Je le declaire par ce que j'ay veu ledict Bien-heureux diverses fois et de ses escripts. En foy de quoy avons signé la presente declaration, et faict appliquer nostre seel.

 

            A Chambery, le cinquiesme septembre, mil six cents cinquante huict.

 

G. DE BLANCHEVILLE.

            L † S  

 

 

            Nous soubsigné, Pierre Anthoine de Castagnery, Baron de Chasteauneufz, Conseiller d'Estat de S. A. R., President en sa Souveraine Chambre des Comptes de Savoye et Generallissime de ses finances, Declairons que le livre de l'Hautorité de sainct Pierre est tout du B. H. François de Salles, et l'autre, qui est escrit de la main de son secretaire, est corrigé de la main dudict Bien-heureux. Je le declare parceque j'ay veû chez moy ledict Bienheureux, et veu d'autres de ses escritz. En foy dequoy nous avons signé la presente declaration, et faict applicquer nostre seel.

 

            A Chambery, le cinquiesme septembre, mil six centz cinquante huict.

           

P. A. CASTAGNERY.

            L † S

 

 

 

            Nous soubsigné, Claude Ducret, Conseillier d'Estat de S. A. Rle, Premier Senateur au Souverain Senat de Savoye, a tous qu'il appartiendra sçavoir faisons, qu'aiant veu, leu et visité le livre de l'Hauthorité de sainct Pierre, contenant douze cayers, Declairons [392] que le tout est escrit de la main du B. H. François de Salles. Je le declaire pour l'avoir veû plusieurs fois escrire, et signer en diverses assemblez. En foy de quoy nous avons signé la presente declaration, et faict applicquer nostre seel.

 

            A Chambery, ce cinquiesme septembre, mil six cents cinquante huict.

 

DUCREST.

 

            Par commandement du dict Seigneur,

                        PLANCHEST.

            L †S

 

 

 

            Nous, François Delapesse Viallon, Seigneur dudit lieu, des Serrieres et de Sainct Marcel, prestre, Docteur es Droictz, Conseiller de S. A. R. et Maistre ordinaire en la Souveraine Chambre des Comptes de Savoye, Declarons avec serment, avoir veu soigneusement le traicté de la Primauté de sainct Pierre et des Marques de la vraye Esglise, contenant quinze cayers en feuillies ; les douze premiers desquels sont tous escriptz de la main du Venerable Evesque de Geneve, François De Sales, que nous estimons Bienheureux, sauf le respect que nous devons au Sainct Siege, et les trois derniers sont escriptz par un sien secretaire dont nous ne recognoissons pas l'escriture, mais seulement qu'en divers endroitz il y a de la main dudit Venerable Prelat, par continuation ou correction. Ce que nous affermons pour avoir leu grande quantité de ses escritz et signatures. En foy de quoy nous avons dicté la presente declaration a nostre secretaire, par nous signée, et par luy contresignée, et sellée de nos Armes.

 

            A Chambery, ce cinquiesme septembre, mille six centz cinquante huict.

 

F. DE LA PESSE.

            J. S. DE LAMOLLIE.

                        L † S [393]

 

            Nos, Carolus Augustus, Dei et Apostolicæ Sedis gratia Episcopus et Princeps Gebennensis, Testamur omnibus ad quos spectabit : quatenus, die decimaquarta mensis Maii, præsentis anni millesimi sexcentesimi quinquagesimi octavi, dum essemus in castro nostro Tulliano, a quo per annos quatuordecim abfueramus, revolveremusque tabulas Archivii nostri, reperimus duodecim codices magnos et parvos, manu propria scriptos Venerabilis Servi Dei et Prædecessoris nostri Francisci de Sales ; in quibus agitur de multis theologicis punctis inter Catholicos Doctores et hæreticos controversis, præsertim circa authoritatem summi Romani Pontificis, ut Vicarii Jesu Christi et successoris Divi Petri. Reperimus quoque tres alios codices, de eadem materia, alterius manu scriptos, exceptis tribus paginis qui de manu prædicti Servi Dei sunt. Quos omnes codices reverendo Patri Andrææ de Chaugy, ordinis Minimorum religioso, et in causâ Beatificationis ejusdem Servi Dei Procuratori, consignavimus. In quorum fidem huic scripto sigillum nostrum apposuimus,

 

            Annissii, die sexta septembris, millesimo sexcentesimo quinquagesimo octavo.

 

CAROLUS AUGUSTUS Episcopus Gebennensis,

            L † S                                                              manu propria.

 

 

 

            Nous, Pierre François Jaÿ, Docteur en Theologie, Chantre et Chanoine de l'eglise Cathedrale de St Pierre de Geneve, Vicaire general et Official de Monseigneur l'Illustrissime et Reverendissime Charles Auguste de Sales, Evesque et Prince de Geneve, Attestons, a tous quil appartiendra, avoir veu douze cayers, tant gros que petits, avoir bien recogneu iceux avoir esté escripts de la main propre de feu Illustrissime et Reverendissime François de Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve, de tres heureuse et louable memoire ; dans lesquels cayers est traicté de plusieurs poinctz de controverses contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'authorité de nostre Sainçt Pere le Pape, comme [394] Vicaire de Nostre Sauveur et successeur de sainct Pierre. De plus, avoir veu trois aultres cayers escripts par aultre main, sauf trois pages bien par nous recogneues estre escriptes par la main dudict feu Reverendissime Evesque, lesquels cayers traictent aussy desdictes controverses. En foy dequoy avons soubsigné.

 

            Annecy, le septiesme septembre, mille six cent cinquante huict, et apposé nostre seel ordinaire.

 

P. F. JAŸ, Vicaire general et Official.

            L † S  

 

 

 

            Nous, Jean Claude Jarsellat Bébin, Docteur es Droicts, Chanoine de l'église Cathedrale St Pierre de Geneve, Officiai a la partie de France de l'Evesché, Attestons, a tous quil appartiendra, avoir veu douzes cayers, tant gros que petits, et avoir bien recogneu iceux avoir estés escripts de la main propre de feu Illustrissime et Reverendissime François De Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve ; dans lesquels cayers est traicté de plusieurs poincts de controverses contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'authorité de nostre Sainct Pere le Pape. De plus, avoir veu trois aultres cayers escripts par aultre main, sauf trois pages par nous recognues estre escriptes par la main dudict feu Reverendissime Evesque, lesquels cayers traictent aussi desdites controverses. En foy de quoy avons soubsigné, et apposé nostre seel ordinaire.

 

            Annecy, le huictiesme septembre, mille six cent cinquante huict.

 

JARSELLAT BÉBIN, Official.

            L † S  

 

 

 

            Nous, Don Charles François Chastenoux, Docteur en Theologie, Prevost des Reverends Peres Barnabittes fondés en la ville de Thonon dans la Duché de Chablais, Attestons, a tous qu'il appartiendra, avoir veu douzes cayers, tant gros que petitz, et avoir bien reconuz iceux avoir estés escritz de la propre main et caractere de feu Illustrissime et Reverendissime François De Sales, vivant Evesque et Prince de Geneve, dans lesquelz cayers est traicté de [395] plusieurs poinctz de controverse contre les heretiques de nostre temps, et particulierement touchant l'auctorité de nostre Sainct Pere le Pape. Attestons encor avoir veu trois autres cayers escritz par autre main que la siene, a la reserve de trois pages par nous reconues avoir esté escriptes par la propre main du dict François De Sales, lesquelz cayers traictent aussy de semblables controverses contre les heretiques. En foy de quoy nous avons soubsigné la presente attestation de nostre propre main, avec apposition de nostre seel ordinaire.

 

            Tonon, le treziesme septembre, mille six cent cinquante huict.

 

DON CHARLES FRANÇOIS CHASTENOUX,

Prevost des Peres Barnabittes de Tonon en Chablais.

            L † S

 

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Attestation jointe a la copie de l'Autographe gardée aux Archives du 1er Monastère d'Annecy et reproduite dans la presente edition

 

 

 

            Qua diligentia potui, transcripsi integrum Manuscriptum codicem Bibliothecæ Chigianæ, qui pro maxima parte est Sancti Francisci Autographum. Transcriptum, eadem diligentia originali comparavi. Opus complevi die 30 Januarii, 1891, postridie festi Sancti Francisci, Romæ in collegio allaborantium editioni Leonianæ operum D. Thomas Aquinatis, ubi, ex favore Viri Principis, dictum Manuscriptum per plures annos servaveram.

 

FR. PETRUS PAULUS MACKEY, Sacræ Theol. Lector, Ord. Præd.

de Collegio Editorum operum D. Thomæ Aquinatis. [396]

 

Attestation de François Favre faite le 6 juillet 1658 tirée du second Procès de canonisation, tome V, pp. 58 et 59

 

 

 

            Ostenso ei tractatu Servi Dei, continentes primo duo folia separata, deinde quatuor quaterniones, deinde quinque folia separata, et deinde quatuor quaterniones. Interrogatus an recognoscat omnia illa esse scripta propria Servi Dei manu ; postquam quælibet illorum sigillatim et folium post folium examinavit, et attente consideravit, respondit :

 

            Je reconnois que la plus grande partie dudit traité est escrit de la propre main dudit Serviteur de Dieu, et l'autre partie de la main du Sieur George Roland, ou de Monsieur Louys de Sales, frere du Serviteur de Dieu. Les deux premieres feuilles separeez, et tout le premier caiet et contenant 11 feuilles ou 22 feuilletz, et pareillement le second caiet contenant 6 feuilles ou 12 feuilletz, sont de la propre main du Serviteur de Dieu : comm'aussy les huict premiers feuillets du 3e caiet, c'est a dire, les 16 premieres pages dudit caiet ; mais la 17e, 18e, 19e et 20e page du mesme cayet sont d'une main estrangere, mais en quelques endroits ils sont corrigés de la propre main dudit Serviteur de Dieu, ce qui fait connoistre qu'il les a dicté ; la 21e, 22e et 23e, et 4 lignes et demies de la 24e page, sont encor de la propre main du Serviteur de Dieu. Je reconnois que le 4e cayet est tout entier escrit de sa main, qui contient 16 feuillets, c'est a dire, 32 pages ; je reconnois que les 5 feuilles detacheez qui suivent apres ledit 4me caiet sont toutes escrittes de la propre main du Serviteur de Dieu. Je reconnois que le 5e cayer, qui contient 8 feuillets, c'est a dire, 16 pages, quoyqu'en la derniere page il n'y ait qu'onze lignes et demies, est tout escrit de la main du Serviteur de Dieu. Le 6e cayer, qui contient 26 feuillets, c'est a dire, 52 pages, n'est pas escrit de la main du Serviteur de Dieu, mais de celle du Sieur George Roland, qui l'a escrit soubs le Serviteur de Dieu. Le 7e cayer, ou il y a 9 feuillets et demy escrits, c'est a dire, 18 pages et demies, est de la mesme main du Sieur George Roland ; et le dernier cayer, qui contient 16 feuillets, est tout escrit de la main de Monsieur Louys de Sales, frere du Serviteur de Dieu, à la reserve des trois dernieres pages, qui sont de [397] la propre main du Serviteur de Dieu, et en la 15e page, a la marge, en la 9e ligne, parlant du Concile de Carthage, ledit Serviteur de Dieu adjouste de sa main : « qui fut il y a environ 1200 ans, et auquel se trouva Saint Augustin, comme recite Prosper in Chron. », et en la 15e ligne, au lieu de « Hyerosme, au decret des Livres canoniques, » il corrige, et met « Damase. »

 

 

 

Autres attestations données dans la 1re édition

 

 

 

            Je sous signé, Atteste, qu'en l'année 1658, feu Monsieur l'Evesque de Genéve, Charles Auguste de Sales, mon frere, faisant sa visite dans la parroisse de la Thuille, trouva dans nostre chasteau dudit lieu, sous les ruines d'une vieille archive, un petit coffre de sappin fort simple, dans lequel Saint François de Sales, mon oncle, avoit mis les Lettres et autres papiers du Pape, des Nonces et des Princes, concernant sa Mission Apostolique pour la conversion du Chablais, et entr'autres plusieurs cayers écrits de la main du Saint, des matieres de controverses et refutation des erreurs de Calvin, et que le Bien-heureux faisoit imprimer en feüilles volantes, et les distribuoit toutes les semaines secretement dans les familles, pour les instruire des veritez de nostre sainte Foy, d'autant qu'il estoit deffendu par les ministres et Seigneurs heretiques, à tout le peuple, d'aller oüyr le predicateur Apostolique-Romain. L'Escrit susdit fut reconnu et attesté par les anciens parents et amis du B. Saint François de Sales, qui connoissent tres bien son caractere, et moy mesme l'ay tenu et reconnu ; l'original en fut envoyé, par plus grand respect et témoignage de verité, à nostre Saint Pere Alexandre VII, et luy fut presenté par le Reverend Pere André de Chaugy, Religieux Minime, Procureur de la Cause de la Canonisation de Saint François de Sales, apres neantmoins en avoir fait tirer une coppie deuëment et fidellement collationnée sur l'original, pour la faire [398] imprimer aprés avoir pris le soin requis en tel cas pour la distinction des chapitres et autres choses. Et en foy de ce que dessus, je me suis signé, fait contre-signer et sceller du scel de mes Armes.

 

            A Turin, le sixiéme Avril 1669.

 

FRANÇOIS, MARQUIS DE SALES, filleul, neveu

et heritier de la Maison de ce grand Saint.

            L † S

 

 

 

            Je sous-signé, Certifie et atteste en parole de verité qu'en l'année 1658, estant en la ville d'Annessy, employé à la direction des escritures du Procez Remissorial pour la Beatification et Canonisation de Saint François de Sales, Monseigneur Charles Auguste, son neveu, lors Evesque et Prince de Genéve, envoya à la Rev rende Mere Françoise Magdelaine de Chaugy, pour lors Superieure du premier Monastere de la Visitation de Sainte Marie, quantité de papiers manuscrits, qu'il avoit nouvellement trouvé dans le chasteau de la Tuille, à celle fin de s'en pouvoir servir utilement audit Procez, dans la partie de la compulsation et production de titres. En effet, entre autres papiers tres-authentiques, il s'y rencontra quelques cahiers, petit in folio, tous escrits de la propre main dudit Saint François de Sales, et d'autres de main estrangere, mais corrigez et annotez par luy, par lesquels cayers il fut reconnu que c'estoit des traittez de controverse, composés par ce grand Saint au temps de sa Mission dans le Chablais, et qu'il distribuoit par feuilles aux peuples, apres que les magistrats heretiques leur eurent fait deffence d'aller aux predications du Papiste Romain ; lequel traitté fut inseré entre les Actes dudit procez et produit dans ladite partie de la compulsation, pour que la Cour de Rome y eust tel égard que de raison, comme un ouvrage tres-excellant pour la deffense de la Sainte Eglise Romaine. La compulsation et production en estant faite, il fut jugé à propos d'en envoyer l'original à nostre Saint Pere le Pape Alexandre VII, aprés toutes fois en avoir fait attester et reconnoistre la verité du caractere, par personnes celebres, et contemporains dudit Saint François de Sales, qui furent : le sieur de Blancheville, Premier President du Senat de Chambery, ledit Seigneur Charles Auguste de Sales, son neveu, les sieurs Jay et Bébin, Officiaux et Grands Vicaires de [399] l'Evesché de Genéve, et autres ; et il est tres-vray qu'il fut reconnu estre de la composition et propre écriture dudit Saint François de Sales. J'ay eu l'honneur de le tenir, de le faire inserer esdits Actes dudit Procez Remissorial, et outre ce, d'en faire extraire une coppie fidelle, pour estre un jour donnée au public, ainsi qu'il a esté par moy reconnu. En foy de quoy j'ay signé le present escrit, à Paris, ce 31 May 1669, et aposé le petit cachet ordinaire permis par ma Régle.

 

LOUIS ROFAVIER,

Religieux Minime du Convent de Lyon,

et leur Procureur en ladite Ville. [400]

 

 




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